La Casa Susanna était une villa néogéorgienne dans l'État de New York aux États-Unis. Elle était, avec le Chevalier D'Eon Resort, une destination de villégiature populaire pour les hommes travestis et les femmes trans au début des années 1960, dans une période de forte répression des comportements non-hétéronormés.

Ce refuge appartenant à Susanna Valenti, et la revue Transvestia (en) éditée par Virginia Prince et destinée aux travestis hétérosexuels, sont emblématiques d'une sous-culture clandestine d'hommes hétérosexuels travestis qui s'est épanouie dans les États-Unis de l'après-guerre, et ont marqué l'histoire des transidentités.

Historique modifier

Maria, la femme de Susanna Valenti, qui tenait également un magasin de perruques à New York, achète une propriété de 60 hectares au milieu des années 1950, baptisée Chevalier D'Eon Resort. Elle demandait 25 $ pour un séjour d'un week-end, ce qui comprenait la nourriture, l'hébergement et des leçons de maquillage. En 1963, Susanna et Marie vendent leur propriété de villégiature qui n'est pas rentable et en 1964, elles achètent une autre propriété avec une grande maison, près de Hunter, dans l'État de New York. Elle devient la Casa Susanna et, comme le Chevalier D'Eon Resort, elle est fréquentée par les travestis[1].

Image externe
  Une photographie de Susanna Valenti posant devant l'enseigne de la Casa Susanna.

Cachée dans les Catskills, la Casa Susanna offrait à ses clients l'intimité dont ils avaient besoin, à une époque où le travestissement en public était une infraction pénale dans la plupart des États-Unis[2], mais les clients se rendaient parfois dans la ville de Hunter pour y faire des achats. La Casa Susanna était un safe space, dont les hôtes pouvaient célébrer leur « fille intérieure » sans être persécutés, et constituait un espace important dans lequel les hôtes étaient autorisés à participer confortablement et joyeusement à des activités telles que le jardinage et les jeux de société, tout en exprimant leur identité de genre ou leur désir intérieur de se travestir[3].

 
Portrait de Virginia Prince.

La plupart des hôtes de la Casa Susanna étaient mariés et se considéraient comme des hommes hétérosexuels aimant se travestir, mais beaucoup d'autres se sont ensuite identifiés comme transgenres et ont vécu leur vie en tant que femmes, y compris Virginia Prince et Susanna elle-même.

La Casa Susanna proposait également des séances de photographie[4], ayant désigné l'un de ses hôtes, Andrea Susan, comme photographe officiel, pour ne pas risquer une dénonciation à la police par un développeur professionnel. Andrea a pris de nombreuses photos de ses invités et les a développées chez elle[5] ; bien que des appareils photo Polaroid aient été disponibles à l'époque, Andrea a utilisé un appareil photo à pellicule qui nécessitait l'utilisation de négatifs, et a mis les négatifs en possession de son mentor Dick, qui lui avait fait don de son matériel de photographie. Cependant, lorsque Dick s'est marié, ces négatifs ont été jetés et se sont retrouvés sur un marché aux puces de Manhattan au milieu des années 2000. C'est là qu'ils ont été trouvés par le marchand de meubles Robert Swope, qui les a publiées dans un livre avec son partenaire Michel Hurst[5]. La sortie du livre Casa Susanna, cinquante ans après la prise de nombreuses photographies, a incité de nombreux anciens participants à la Casa Susanna à partager leurs expériences, permettant ainsi de documenter l'aventure humaine de la Casa Susanna.

Postérité modifier

Le livre Casa Susanna[6], regroupant des photographies du site[7], a inspiré la pièce Casa Valentina (en) d'Harvey Fierstein, nommée aux Tony[8], et le film documentaire Casa Susanna de Sébastien Lifshitz[9], présenté pour la première fois au 79e Festival international du film de Venise en 2022[10],[11]. Cette histoire fait aussi l'objet d'une exposition proposée par Isabelle Bonnet et Sophie Hackett (en) et présentée aux Rencontres d'Arles en 2023[12],[13], dont le catalogue est publié par les Éditions Textuel[14].

Documents modifier

 
Couverture du numéro 16 du magazine Transvestia, en 1962.

Références modifier

  1. (en) « A Gender Variance Who's Who: Susanna Valenti (192? - ?) translator, broadcaster, activist. », sur A Gender Variance Who's Who, (consulté le )
  2. (en) Jay Blotcher, « Queens of the Catskills », sur Chronogram Magazine, (consulté le )
  3. (en) « Casa Susanna: Photographs From a 1950s Transvestite Hideaway », sur Time, (consulté le )
  4. Isabelle Bonnet, « Les photographies retrouvées de la Casa Susanna », Sociétés & Représentations, vol. 46, no 2,‎ , p. 289 (ISSN 1262-2966 et 2104-404X, DOI 10.3917/sr.046.0289, lire en ligne, consulté le )
  5. a et b (en-US) « The Historical Roots of Casa Valentina | Chrysalis Quarterly », (consulté le )
  6. (en) Michel Hurst et Robert Swope, Casa Susanna, PowerHouse Books, , 156 p. (ISBN 978-1-57687-733-3)
  7. Gérard Lefort, « Femmes du dimanche. », sur Libération, (consulté le )
  8. (en-US) Suzy Evans, « Tonys: Harvey Fierstein Talks ‘Casa Valentina’ Transvestites, Drag and the ‘Sexually Normal’ (Q&A) », sur The Hollywood Reporter, (consulté le )
  9. Sébastien Lifshitz, « Casa Susanna » [vidéo], sur Arte, (consulté le )
  10. (en-US) Jude Dry, « Casa Susanna Review: A Lost Chapter of Queer History Comes to Life », sur IndieWire, (consulté le )
  11. « Casa Susanna sur Arte : un havre transgenre devenu mythique », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  12. Les Rencontres d'Arles, « Casa Susanna », sur www.rencontres-arles.com (consulté le )
  13. « Les Rencontres de la photographie d’Arles 2023 : douze expositions à ne pas manquer cet été », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le )
  14. Isabelle Bonnet, Sophie Hackett (en) et Susan Stryker, Casa Susanna: L'histoire du premier réseau transgenre américain 1959-1968, Textuel, , 480 p. (ISBN 978-2845979420)

Liens externes modifier