Un aérateur de fond ou aérateur hypolimnique permet d'assurer un maintien de la DBO des eaux profondes par entraînement d'air depuis l’atmosphère, sans pour autant perturber le gradient thermique naturel du plan d'eau. La zone benthique demeure aérobie : la dissolution de phosphates s'en trouve fortement diminuée et la minéralisation des sédiments est plus rapide.

Un retour d'expérience de plusieurs années a montré qu'il est possible, par des mesures techniques adaptées, d'assurer toute l'année des conditions aérobies dans les fonds aquatiques, et de rétablir efficacement l'équilibre biochimique des lacs[1].

Le problème de l'eutrophisation modifier

Si la stagnation estivale entraîne une prolifération des nutriments organiques, les lacs dimictiques souffrent d'un déficit d'oxygène en eau profonde. L'accroissement des apports de matière organique se traduit d'abord par une concentration en phosphore, d'où une croissance incontrôlée des algues et corrélativement une DBO plus forte dans la zone benthique. Ce phénomène peut aller jusqu'à épuiser le dioxygène fixé en profondeur et rendre les fonds anaérobies.

Dans des conditions anaérobies, de nouvelles espèces bactériennes prennent le relais : elles ne font qu'accélérer le processus de décomposition chimique dans les sédiments. Il se dégage du sulfure d'hydrogène, et la couche d'eau profonde se charge en ammoniaque, en fer, en manganèse et développe une teneur toxique en sulfure d'hydrogène.

Non seulement l’hypolimnion devient hostile à toute forme de vie, mais le milieu est le siège d'une libération accrue des phosphates des sédiments dans le milieu aquatique, et cette forte teneur en phosphore régnera jusqu'à la prochaine inversion thermique, à l'automne. Ces dégradations de la qualité de l'eau représentent un sérieux problème pour la distribution d'eau potable depuis les barrages-réservoirs, compte tenu des valeurs-seuil de potabilité de l'eau en vigueur. L'aération de fond peut nuire à ce processus.

Techniques d'aération de fond modifier

Les aérateurs de fond, ou déversoirs en tulipe, sont constitués d'un ou plusieurs déflecteurs conçus pour oxygéner la lame d'eau déversante ; d'une tête de dégazage permettant de soustraire les gaz dissous de l'eau ré-oxygénée, et d'un ou plusieurs puits verticaux par lesquels l'eau de surface va être entraînée pour régénérer l'eau des fonds. Il est possible d'équiper les déflecteurs de décanteurs permettant de récolter les matières organiques à mesure que l'eau est régénérée. Les aérateurs peuvent être aussi bien montés sur flotteurs que submersibles.

 
Montage, fonction et composants d'un aérateur de fond.

Technologie modifier

L’air atmosphérique est absorbé par des reniflards et injecté dans l’eau par des capillaires radiaux et horizontaux.

Le mélange d'eau et d'air, par sa densité relative moindre, tend à remonter vers la surface et entraîne l’eau de fond au-dessus de la zone d’injection. C’est ce phénomène de convection qui permet de renouveler l'eau des fonds et de la repousser vers les lits d’eau supérieurs[2],[3]. À l’extrémité de la colonne verticale, le mélange bouillonne au contact de l’air libre dans une tête de dégazage, qui permet de purifier l’eau enrichie en oxygène des autres gaz hydrogénés, relargués dans l’atmosphère. Ensuite l’eau dégazée retombe dans un puits vertical et est libérée dans l’hypolimnion selon un jet laminaire horizontal, bien au-dessus de la bouche de prise. Il y a pour cela une géométrie optimale, déterminée par des calculs d’hydrodynamique couplés à l’équation de diffusion.

Composants modifier

  1. Flotteur
  2. Colonne d'aspiration (télescopique)
  3. Déflecteur-aérateur
  4. Mélangeur statique
  5. Bouche de prise
  6. Crépine
  7. Colonne de rejet, concentrique à la colonne d'aspiration
  8. Injecteur d'air
  9. pompe échangeur à éjecteur
  10. Ballast d'air

Matériel modifier

Il est possible de fabriquer des aérateurs de fond en polyéthylène (PE), en polyvinyle (PP), en acier traité ou dans un alliage Al/Mn. Leurs meilleures propriétés font toutefois préférer les thermoplastiques (PE, PP) résistants au rayonnement ultraviolet, à l'érosion et au gel.

Performances modifier

Les aérateurs de fond sont très divers et recouvrent une très grande plage de performances : apports d'oxygène allant de 1,5 à 60 kg/h, une profondeur opérationnelle comprise entre 5 et 50 m et un débit volumétrique compris entre 600 et 7 500 m3/h. Les priorités en termes de régénération de l'eau conditionnent le choix des caractéristiques à adopter. Les bénéfices attendus d'un aérateur de fond peuvent être :

  • le maintien du caractère aérobie de la zone benthique, rendue favorable aux poissons et autres espèces supérieures[4],[5] ;
  • la réduction des matières organiques en suspension[1] ;
  • l’inhibition de la synthèse de sapropèle, favorable à la synthèse d'ammoniaque et de sulfure d'hydrogène toxique[1] ;
  • une diminution des coûts de production d'eau potable[1] ;
  • le traitement des eaux benthiques par des défloculants.

Maintien de la potabilité des eaux d'un réservoir modifier

C'est surtout dans la potabilisation des eaux de retenue d'un barrage que les aérateurs de fond permettent de grandes économies et une simplification draconienne du dispositif de traitement de l'eau[1]. Comme dans les lacs de retenue l'ouvrage de prise se trouve bien au-dessus des eaux profondes, l'amélioration de la qualité de l'hypolimnion exerce une influence directe sur le cycle de traitement. Compte tenu des valeurs-seuil de potabilité, il faut veiller aux aspects suivants :

Le pH et la corrosion modifier

Le pH de l'eau potable doit être compris entre 6,5 et 9,5[6]. Les pH qui s'écartent de la condition de neutralité (pH compris entre 6,5 et 7,5) posent un problème fondamental, car ils signalent une eau corrosive : une eau légèrement acide (pH compris entre 4 et 6,5) va attaquer non seulement les conduites de fer zingué, mais aussi celles en cuivre et en amiante[7]. On parle à ce sujet de corrosion acide. L'expérience montre que les conduites en acier galvanisé non-revêtues ne résistent qu'a des pH supérieurs à 7,3 : en deçà de ce seuil, il y a arrachement de particules de zinc[8]. Les eaux naturellement froides, riches en sels et gaz dissous, sont en général légèrement basiques : elles favorisent la fixation du dioxyde de carbone dissout par carbonatation.

Des pH encore plus alcalins (pH entre 9 et 14) favorisent la corrosion par l'oxygène. Pour éviter aussi bien les attaques acides que l'oxydation, l'eau de distribution est tamponnée. L'effet stabilisateur sur le pH de l'aération de l'eau profonde peut permettre de réduire le tamponnage de l'eau potable et ainsi réduire les coûts d'exploitation pour la société de distribution[1].

Sur-concentrations de fer et de manganèse modifier

Les seuils de concentration admissibles en fer et manganèse pour l'eau potable sont de 200 µg/l et de 50 µg/l respectivement[6]. Quoique ces oligoéléments soient indispensables à l'eau potable, il n'en reste pas moins qu'une concentration trop importante est considérée, pour des raisons aussi bien techniques qu'hygiéniques, comme problématique[7]. Dans les eaux anoxiques, fer et manganèse se libèrent sous forme de cations, qui confèrent à l'eau une teinte jaunâtre. Si l'on apporte de l'oxygène dans une telle eau, le fer et le manganèse précpitent sous forme d'oxydes ferriques rouges et d'oxydes manganiques noirs, créant une turbidité particulière avec transport de particules de rouille. Ces précipités peuvent se fixer à l'intérieur des conduites d'adduction, donc diminuer leur diamètre, et abraser les armatures. Par ailleurs, la saveur de l'eau est altérée à partir d'une teneur en fer supérieur à 0,3 mg/l et de teneurs en manganèse dépassant 0,5 mg/l[7].

L'aération des eaux profondes reconstitue l’hypolimnion en milieu aérobie et assure une oxydation et une précipitation des composés ferreux et manganiques, en amont des usines de traitement de l'eau. Elle permet donc de réduire les coûts d'exploitation.

La concentration et la mobilité du fer conditionnent même fortement la maîtrise de la teneur en phosphore[9]. Les ions ferreux diffusés par les lits sédimentaires anaérobies sont oxydés à l'interface entre les sédiments (anaérobies) et l'eau aérobie et viennent ainsi enrichir la couche de sédiment supérieure. Plus le flux est important, plus cette interface aerobie sera efficace pour bloquer la diffusion des phosphates[1].

Matières en suspension et sapropèle modifier

Comme on l'a dit plus haut, l'aération des eaux profondes permet dans une large mesure de maîtriser la concentration des MES. Des conditions aérobies favorisent le cycle nitrification-dénitrification, ce qui contribue à la libération d'azote par le milieu[1]. L’oxydation chimique et microbienne de substances sous forme réduites, telles le sulfure d'hydrogène et le méthane peuvent favoriser la synthèse de matières organiques et ainsi empêcher la formation de sapropèle. Des conditions aérobies en eau profonde empêchent, par action réductrice, le relargage de phosphore des sédiments et contribuent à faire chuter la concentration en phosphore libre. Ainsi l'aération de fond réduit de façon importante les coûts de traitement de l'eau, en évitant une phase de dénitrification ou en diminuant la quantité de floculants à injecter[1].

Conception et mise en œuvre modifier

La mise en œuvre d'un aérateur comporte plusieurs phases différentes. La première étape doit toujours être une reconnaissance bathymétrique des fonds, afin d'apprécier le contexte morphologique et les exigences qui en résultent, et même de déterminer le meilleur emplacement pour l'appareil. Une implantation raisonnée nécessite diverses séries de mesures de paramètres tels la concentration en matières organiques, le gradient thermique, le pH et les variations temporelles de la teneur en oxygène dissout, afin d'intégrer aux calculs la vitesse du courant, les flux et la composition des MES dans l'hypolimnion.

Exemples d'aérateurs opérationnels modifier

 
Aérateurs en tulipe de type "Schönbrunn" sur le barrage de Bleiloch[10] (1978)

Notes modifier

  1. a b c d e f g h et i Steinberg, C., Bernhardt, H.: Handbuch Angewandte Limnologie – 14. Erg.Lfg. 4/0 Verlag: Hüthig Jehle Rehm, 2002, (ISBN 3-609-75820-1).
  2. D'après D. Jaeger, « TIBEAN – a new hypolimnetic water aeration plant », Verb. Internat. Verein. Limnol., no 24,‎ , p. 184-187
  3. Klapper, H.: Eutrophierung und Gewässerschutz. Stuttgart, Iéna: Gustav Fischer, 1992, (ISBN 978-3-334-00394-7)
  4. D'après J.L. Doke, W.H. Funk, S.T.J. Juul et B.C. Moore, « Habitat availability and benthic invertebrate population changes following alum treatment and hypolimnetic oxygenation in Newman Lake, Washington », J. Freshwat. Ecol., no 10,‎ , p. 87-100.
  5. Wehrli, B., Wüest, A.: Zehn Jahre Seenbelüftung: Erfahrungen und Optionen. EAWAG, Dübenedorf-Zürich, Schweiz, 1996, (ISBN 3-906484-14-9)
  6. a et b (de) « Anlage 3 TrinkwV (Teil I zu § 8 Absatz 1 Satz 1 und Absatz 2 , § 28 Absatz 1… », sur buzer.de (consulté le ).
  7. a b et c D'après (de) « Die Bedeutung einzelnen Trinkwasserparameter, Wasserverband Großraum Ansfelden » [PDF],
  8. D'après « Wasserqualität: Spezialteil Korrosion », sur www.waterquality.de, know-how online
  9. D'après D.R.S. Lean, D.J. McQueen et V.R. Story, « Phosphate transport during hypolimnetic aeration », Arch. Hydrobiol., no 108,‎ , p. 269-280.
  10. D'après Klapper, H., Eutrophierung und Gewässerschutz., Stuttgart, Iéna, Gustav Fischer, , 277 p. (ISBN 978-3-334-00394-7)

Référence modifier