Âge post-séculier

L'âge post-séculier, la postsécularité ou encore le postsécularisme (postsecularism en anglais) est une notion philosophique, historique et sociologique qui désigne la période qui suit la sécularisation et l'installation de la laïcité dans certaines sociétés, dites « post-séculières ». Cette notion a été théorisée par Jürgen Habermas, principalement dans son ouvrage Entre Naturalisme et Religion[1]. Il donne la délimitation suivante au post-sécularisme : il désigne les sociétés dont les États ont été séparés des institutions religieuses, et dans lesquelles les comportements religieux ont diminué de façon significative. Habermas fait commencer l'âge post-séculier après les deux Guerres mondiales. Les pays riches d'Europe, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont des sociétés post-séculières, selon le sociologue allemand[2].

Origine du terme modifier

Il semble que le premier emploi du terme remonte à une rencontre entre Joseph Ratzinger et Jürgen Habermas à l'Académie catholique de Bavière le , rencontre dont le compte rendu a été publié dans la revue Esprit en [3]. Jürgen Habermas, sociologue rattaché à l'École de Francfort, théorise le terme et cherche à l'introduire pour caractériser les sociétés dans lesquelles la religion n'est plus intrinsèquement liée à l'État, et les comportements religieux ont reculé. Cela exclut les sociétés qui ne sont pas laïques, et dans lesquelles il reste un fort taux d'attitudes explicitement religieuses[2]. Dans les sociétés post-séculières, on voit apparaître de nouvelles formes de pratiques religieuses non institutionnelles, mais selon Habermas, elles ne suffisent pas à compenser « the tangible losses by the major religious communities »[2].

Bien que la traduction anglaise de Post-sécularité soit Post-secularism, Habermas dans un texte où il met en cause les critiques qui lui ont été adressées , se garde d'utiliser le mot en isme. Jean-Marc Larouche, commentant ce texte d'Habermas[4], signale que le philosophe allemand distingue les termes « sécularisme » et « séculariste » (en allemand : säkularistiche) de « séculier » (en allemand säkular) (ou sécularisé). À l'appui de son assertion, il cite ensuite le passage où Habermas écrit : « À la différence des non-croyants qui gardent une attitude agnostique face aux prétentions à la validité des religions [les citoyens sécularisés], les sécularistes [säkularist] adoptent une position polémique et rejettent toute influence publique des doctrines religieuses. Celles-ci sont discréditées à leurs yeux, parce qu’elles ne sont pas scientifiquement fondées. Dans le monde anglo-saxon, le sécularisme invoque aujourd’hui un naturalisme dur, qui réserve aux sciences de la nature le monopole du savoir socialement reconnu[5]. » Si par rapport à ce sécularisme Habermas peut être considéré comme un tenant du post-sécularisme, c'est uniquement, souligne Larouche, parce qu'il dénonce « son paravent scientiste  antireligieux », mais il remarque qu'Habermas lui-même n'use pas de ce terme.

La postsécularité chez Jean-Marc Ferry modifier

La notion de postsécularité[6] a été reprise et introduite en France par le philosophe Jean-Marc Ferry, dans son ouvrage paru en La Raison et la foi.

Ferry remarque que dans son livre d'entretien avec Élodie Mauro, Les Lumières de la religion, il évoque déjà une ruse de la raison cette fois de la raison religieuse, non plus celle où la raison et le droit se servent des passions pour s'imposer dans le monde, mais où, selon lui « sous les dehors d'une rationalité froide » (comme les règles du droit, les institutions politiques, les réseaux de transport du Web), « se réalise un maillage d'interdépendance planétaire, une infrastructure qui sert l'extension des solidarités et l'approfondissement de l'empathie entre les êtres capables en général de souffrir et d'aimer[7].» Cette « ruse de la raison religieuse », Ferry en voit une illustration dans l'allocution de François (pape) à l'ONU le qu'il évoque dans sa propre préface à La Raison et la foi. Pour lui « la médiation théologique [...] se met en posture d'interpréter le processus de modernisation comme cet élément de rationalisation [..] voire de progrès politique, technique, juridique, qui autoriserait l'espoir d'une congruence inattendue, en engageant l'humanité sur un chemin de fraternité[8]

Notes et références modifier

  1. « Habermas et la dialectique de la sécularisation » (consulté le )
  2. a b et c Habermas 18 juin 2008.
  3. « Une nouvelle conception de la laïcité » (consulté le 30 juillet 2016)
  4. Jean-Marc Larouche, « Le sens des mots : postsécularisme et postséculière », SociologieS [En ligne], Grands résumés, Le Loup dans la bergerie. Le fondamentalisme chrétien à l’assaut de l’espace public, mis en ligne le 19 novembre 2013, consulté le 31 août 2016. URL : http://sociologies.revues.org/4527
  5. « Retour sur la religion dans l’espace public. Une réponse à Paolo Flores d'Arcais » dans Le Débat, vol. 5, n° 152, 2008, p. 30-31.
  6. Roger Monjo, « Laïcité et société post-séculière », Tréma,‎ , p. 72 – 87 (ISSN 1167-315X, DOI 10.4000/trema.2710, lire en ligne, consulté le )
  7. La Raison et la foi op. cit, p. 93
  8. La Raison et la foi, p. 15-16.

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  • Jean-Marc Ferry, Lumières de la religion. Entretien avec É. Mauro, Paris, Bayard, 2013
  • Jean-Marc Ferry, La Raison et la Foi, Collection Agora, Pocket, Paris, 2016
  • Joan Stavo-Debauge, Philippe Gonzalez, Roberto Frega [Direction.], Quel âge post-séculier? Religions, démocraties, sciences, Paris, Éditions de l'EHESS, coll. « Raisons Pratiques », , 416 p.
  • Jürgen Habermas, Entre Naturalisme et Religion. Les Défis de la démocratie, Gallimard, Paris, 2008, 380 p.
  • (en) Jürgen Habermas, « Notes on a post-secular society », sur www.signandsight.com, (consulté le ).
  • Jürgen Habermas, Joseph Ratzinger, Raison et Religion. La dialectique de la sécularisation, Paris, Éditions Salvator, 2010, 96 p.

Liens externes modifier

Articles connexes modifier