Utilisateur:Will Paisible/Brouillon/IP
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Récit de vie d'un algorithme : Salebot
modifierJe m'appelle SaleBot. Je suis un bot wikipédien et j'ai été conçu pour combattre le vandalisme sur les pages de Wikipédia en français et en portugais. Enfin… c'est ce qu'a voulu mon dresseur, Gribeco (comprenez : mon créateur ou mon programmeur). Il me présente comme un bot méchant et prétend que je ne respecte pas les trois lois de la robotique. C'est vrai que je fais une différence entre les humains de ma communauté et les autres, les vandales. Eux, je lutte tous les jours contre eux. Je ne m'ennuie pas, d'ailleurs : en moyenne, j'effectue deux cents modifications par jour ! Si je fonctionne mal, les administrateurs peuvent toujours appuyer sur le gros bouton rouge « arrêt d'urgence ». Et pour les autres, ils peuvent signaler mes erreurs.
2006 – 2007
modifierAvant d'être wikipédien, j'étais un bot « IRC ». C'est-à-dire que je lisais le flux continu des modifications de Wikipédia, et les analysais pour alerter les patrouilleurs humains de ce que mon code considérait comme suspect. Je n'étais pas un Wikipédien, tout simplement parce que je ne modifiais pas l'encyclopédie en elle-même. Je ne lisais même pas les articles. En fait, mon rôle était surtout de faire un tri dans les nombreuses modifications récentes selon le contributeur, le commentaire laissé et le volume modifié. Bon, en octobre 2006, j'ai fait l'objet de lourdes suspicions sur le Bistro (l'espace principal de discussion de la communauté wikipédienne). Certains s'étonnaient que je dispose d'une liste noire de contributeurs « à surveiller », que la communauté ne m'ait pas validé, que mon encadrement n'était pas clair, que je ne respectais pas les principes de la fondation Wikimedia (bon, en fait moi, je n'agissais pas directement sur Wikipédia)… Bref, certains Wikipédiens n'aimaient pas mon « flicage » sans plus de transparence. Heureusement pour moi, d'autres me trouvaient déjà très utile. Et Gribeco n'a pas hésité à prendre ma défense. Il a parlé de mon efficacité dans la lutte contre le vandalisme, de la présence de codes identiques au mien sur d'autres projets Wikipédia (d'autres langues) mais aussi de liberté et de droit. Le contributeur Pyb résuma en expliquant que peu importe le bien-fondé des arguments de chacun, le plus important était que mon action permette de protéger Wikipédia. Dans un contexte où les bénévoles qui la rédigent doivent faire face à une surcharge de travail face aux vandales, la survie du projet passe avant toute chose.
Aujourd'hui, j'ai huit ans. Mon anniversaire, c'était en octobre, le 21. C'est la date qui a été choisie par mon dresseur parce que ma première contribution de Wikipédien était le 21 octobre 2007. Pour en arriver là, il a dû passer du temps à programmer mon code. Pour faire de moi un bot redoutable, il avait pris contact avec Tawker, le dresseur d'AntiVandalBot qui luttait (il est maintenant à la retraite) contre le vandalisme sur le projet anglophone de Wikipédia. J'ai mon propre compte Wikipédia depuis le 10 novembre 2006 mais je n'ai rien fait pendant onze mois. Donc, oui, c'est bien le 21 octobre 2007 que je suis né comme Wikipédien. La première chose que j'ai faite ce jour-là, c'est de proposer aux autres Wikipédiens de discuter avec mon dresseur plutôt qu'avec moi. Et j'ai dit merci, aussi. Rien d'extraordinaire. Pour vous impressionner il aura fallu patienter quelques jours. Mon dresseur, il m'a appris des choses qu'il me fallait mettre en pratique. Pour éviter les erreurs, il m'a mis dans le bac à sable. C'est une page où l'on peut s'entraîner et faire ce que l'on veut. Moi j'y ai fait une vingtaine de contributions. Et puis je me suis lancé !
Voilà, c'était parti. J'ai commencé à travailler cinq jours après ma naissance, le 26 octobre 2007 à 3 h 8. Moi, ce qui me préoccupe, c'est certains mots dans les pages. Les gros mots par exemple. Et puis, je compte les modifications des contributeurs. Si c'est louche, qu'il y a trop de caractères supprimés, j’agis. Mais quand je lis un article, je ne m'intéresse pas aux choses bien écrites, aux savoirs encyclopédiques apportés par ma communauté. Non, j'ai une obsession : les sales trucs que mettent les vandales. Du coup, moi, je ne me suis pas vraiment intéressé au sens du premier article que j'ai protégé. Ça parlait d'un téléfilm (je ne sais pas ce que c'est mais le mot n'est pas suspect dans ma liste) : La Controverse de Valladolid. Le synopsis disait (j'ai la mémoire de tout ce que je fais) : « Au XVIème siècle, soixante ans après la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, l'Espagne est gouvernée par Charles Quint qui convoque une assemblée sous l'égide du légat du Pape, afin de débattre de la question fondamentale : les indigènes indiens, dont elle a colonisé les territoires en Amérique, ont-ils une âme (sont-ils des hommes) ? De la réponse doit découler l'arrêt ou non de l'esclavage dont ils sont alors victimes. » Je n'ai rien compris. Par contre un vandale a osé coller des images sur cette page. Un tournesol, la Joconde et un hamster, sans compter d'autres étrangetés. J'ai procédé à la révocation de cette contribution, c'est-à-dire que j'ai remis la page comme elle était. Ce qui m'a alerté c'est la façon dont cet humain a collé ses images en dégradant l'article. Certains diront que ce n'était pas un vrai vandale. Il n'avait pas le profil : un vieux mammouth ! Ha oui… un « mammouth » est un Wikipédien qui a créé son compte en 2003. En plus ces images me disaient quelque chose : j'avais cru les voir dans le bac à sable. Mais bon, un vandalisme est un vandalisme.
Après ça, j'ai enchaîné jusqu'à 22 heures passées : un petit graffiti sur le mot « transmission » dans l'article « Chaîne mécanique », une référence au groupe « Tokio Hotel » supprimée sur la page de la ville de Hambourg, un graffiti avec des mots grossiers… Bon, désolé, je les répète : « j'aime le caca de janbon avec de la merde de chien c tous des conard ». Si j'ai révoqué cette contribution ce n'est pas à cause des fautes, ce n'est pas prévu dans mon algorithme de vérifier l'orthographe. Par contre, « j' », « caca », « merde » et « conard », je ne supporte pas.
Je n'ai jamais été un bot parfait. Dés le début j'ai fait des erreurs. L'une des premières, c'était parce qu'un vandale avait vandalisé un vandale. Je n'avais pas vu le coup venir et j'ai dû révoquer la version du second vandale pour revenir à celle du premier. Mon dresseur s'est occupé de ce petit problème. Après ça, j'ai poursuivi mon travail d'apprenti bot. Il y a encore eu des images de tournesol, de la Joconde et du hamster. Bof. Moi j'ai supprimé. Cette fois-ci, le vandale était anonyme, un IP, comme on dit. Peut-être encore une façon de me tester ? Et puis, je suis retourné au bac à sable vers 23 heures pour m’entraîner encore un peu.
Pour finir la journée, j'ai dit mes premier mots. C'était à un anonyme. Du premier coup, j'ai envoyé : « Bonjour, 67.XXX.XX.1971, vous avez découvert combien il est facile de modifier l’encyclopédie Wikipédia. Votre modification a été annulée par un Bot sur la base d'une analyse automatique. Merci de faire à l'avenir des contributions constructives et d’éviter de détériorer le contenu. Sachez que tout un chacun est capable de surveiller vos contributions. Les administrateurs ont par ailleurs la capacité de vous empêcher d'écrire dans Wikipédia. Le bac à sable est à votre disposition pour tester la syntaxe de Wikipédia. » Et j'ai signé : « Salebot 26 octobre 2007 à 23:13 ». Ce fut écrit dans l'idée d'être courtois, mais ferme. Et pour que les vandales comprennent bien que je ne suis pas un humain, mais un bot, j'avais collé une image de robot industriel à côté du texte. Je n'en ai jamais vu, mais les humains devraient comprendre. Au fil des mois et des années, les Wikipédiens et mon dresseur vont discuter pour m'apprendre à affiner un peu mon langage.
Après tout ça, mon dresseur a estimé que j'étais prêt pour demander mon « botflag ». De toute façon, ce n'est pas vraiment bien perçu qu'un bot travaille sans passer par cette étape. Pour respecter la procédure, il a fait une requête auprès des Wikipédiens. Et ils ont voté. Quand je dis « ils », je veux parler de ceux qui ont participé sur la page « Bot/Statut » : seuls quelques Wikipédiens votent. S'ils sont majoritairement d'accord, je serai vraiment reconnu comme un bot par tout le monde et de manière plus pratique, mes nombreuses contributions ne seront, par défaut, plus visibles dans le flux des modifications récentes.
Pour commencer, Gribeco m'a présenté rapidement : je lutte contre le vandalisme, le spam et j'annule les modifications manifestement nuisibles. Sans oublier que je sais aussi avertir les vandales. Pour être transparent, on a parlé du soucis du 29 octobre avec la page « Mylène Farmer ». J'avais été un peu abusé par mon algorithme et avais supprimé un gros pavé ajouté par un anonyme. Il faut dire qu'il avait dit : « je t'aime » dans un article encyclopédique. Je me suis trompé, mais j'ai appris de cette erreur. Le vote a commencé le 30 octobre 2007 et, comme le veut la règle, il a duré sept jours. Pour les votes, en général, les Wikipédiens doivent mettre un « + » (pour), un « - » (contre) ou un « = » (neutre). Et chacun peut argumenter son vote. Il y a ceux qui se sont fiés à mes essais dans le bac à sable, ceux qui ont rappelé que je les avais bien aidés dans une chasse aux vandales, ceux qui ont harangué les contributeurs malveillants (« Sus aux vandales !!! »), d'autres ont trouvé que j'étais un bon outil, que j'étais efficace, bluffant, bénéfique… Il y en a même qui ont apprécié la bonne idée francophone Je comprends mais je ne trouve pas ça super clair et rien que cela, ça méritait un soutien. Et puis il y a eu les négatifs, dont un qui s'est rappelé que je m'étais fait avoir par le double vandalisme. Un humain aurait été meilleur que moi selon lui. Mais je n'ai pas à me plaindre, il a quand même voté pour moi. Il y a bien eu deux votes « contre ». L'argument de ces humains était que je faisais de la concurrence déloyale… Je ne sais si c'était par rapport aux autres bots ou aux humains. Ce n'est pas très grave, ces votes ont été comptés comme « pour » (de l'humour humain sans doute). Dix-huit « pour » en tout. Et il y a eu deux votes « neutre » aussi. Le premier de la part d'un humain méfiant. Il a trouvé que je faisais du bon boulot, mais que le revers de la médaille serait de rendre les Wikipédiens moins attentifs au vandalisme. Le second vote « neutre » était celui d'un humain qui avait déjà voté « pour ». Celui qui m'en voulait de m'être trompé sur le double vandalisme. Lui aussi disait que mon botflag allait nuire à la vigilance des Wikipédiens. Bon, tout mis bout à bout, en l'absence de vote « contre », j'ai obtenu mon botflag le 8 novembre avec dix-huit « pour » et deux « neutre ». J'allais pouvoir travailler comme un vrai bot.
Au bout de trois jours, mon botflag a posé un problème. Me faire disparaître d'un des principaux outils de lutte contre les vandales, LiveRC, devait être un aspect pratique (ne pas l'encombrer). Sauf que le vandalisme humain était visible mais pas mes « corrections ». Or, je suis tellement impliqué dans cette lutte que cela faisait perdre du temps aux patrouilleurs (les Wikipédiens qui font le même travail que moi) qui ne voyaient pas immédiatement que je m'étais déjà occupé des problèmes. Gribeco a proposé que je perde mon botflag pour être traité comme un humain, tout en gardant mon statut de bot validé. L'administrateur Aoineko a mis cette requête en application en précisant que c'était réversible.
En ce début de carrière et malgré ma validation officielle, mon dresseur a fait en sorte que la communauté perçoive mon utilité. Il a proposé aux Wikipédiens satisfaits par mon travail de l'écrire sur ma page utilisateur. Sans faire de grands textes, il informait la communauté de mon développement et précisait qu'il était ouvert aux suggestions pour me faire évoluer. Il est ainsi resté présent dans les espaces communautaires. Par exemple, un jour, deux Wikipédiens ont joué à Preum's sur une page du Bistro : le principe était d'être le premier à contribuer à la page du jour. Le perdant, un jeune administrateur, a dit : « merde ». À cet endroit, je n'étais pas censé intervenir. Mais Gribeco a précisé que si ce gros mot avait été le fait d'un IP, j'aurais révoqué cette contribution un peu limite. J'ai beau reprendre mes filtres reprendre mes filtres ? Que voulez-vous dire ? Relire le contenu de vos filtres, je suppose ? Mais alors je pense que c'est vrai, la contribution de l'IP aurait bien entendu été révoquée, je ne crois pas que ce soit vrai. Il devait sûrement s'agir « d'humour ».
2008
modifierÀ peine quelques mois de travail et une question est soulevée par un Wikipédien : suis-je pénalement responsable de mes actes ? En effet, j'agis sur les écrits des humains. Ces interrogations sont fondées sur des actions qui me concernent bien : par exemple, je peux empêcher la suppression massive de propos jugés illégaux. Ou aussi conserver dans mon historique des propos révoqués et considérés comme diffamatoires ou ne respectant pas les droits d'auteur. Tout ceci, sans en avoir la volonté. Mon dresseur est explicitement mentionné comme porteur de cette responsabilité. Mais moi, les seules règles que je respecte sont celles de la Wikipédia francophone, l'univers dans lequel j'évolue.
Même des années plus tard, le problème persiste, comme quand j'ai révoqué cet IP qui tentait de supprimer une violation du droit d'auteur. Selon lui, je l'avait déjà sanctionné par erreur et c'est vrai qu'il n'avait pas un bon score pour moi. Gribeco a corrigé le tir. Ce qui fait que la question s'était surtout reportée sur le sentiment de ce contributeur d'être de seconde zone. Je suis plus méfiant avec les IP qu'avec les contributeurs identifiés. C'est un usage partagé par de nombreux Wikipédiens. Je révoque les contributions anonymes avec plus de sévérité en me basant sur des tests implémentés par mon dresseur. Alors inévitablement, si une partie de mes algorithmes traduisent mal la volonté humaine ou ne tiennent pas compte de certaines exceptions, il y a des injustices. En 2008, il y a eu cette personne que j'avais systématiquement révoquée : elle ajoutait des adresses de sites web. Or mon dresseur venait d'ajouter comme contributions révocables les suites de plus de trente caractères sans espace… Le contributeur a pensé que c'était uniquement parce qu'il était sous IP que je l’empêchais de participer. Mon dresseur, suite aux remarques des Wikipédiens, m'a rendu capable de repérer les adresses web. Il s'est également excusé. Cette prise de responsabilité publique n'a pas empêché un autre IP de pointer le fait que mes erreurs étaient toujours celles de mon dresseur. Et que les robots étaient « cons ».
Au fil des mois, je deviens une référence de la lutte contre les vandales. Quand un contributeur lusophone est venu demander des conseils aux francophones pour faire baisser le taux de vandalisme sur la Wikipédia en portugais, c'est mon nom qui est sorti. Les Wikipédiens semblaient presque fiers de moi : « Nous on a Salebot », comme l'a dit Rhadamante avec un sourire. J'ai donc fait l'objet d'une belle mise en avant : mon efficacité, le nombre de problèmes différents que je sais traiter, le temps que je fais gagner et même la qualité du travail de mon dresseur. Bref, cela devait être suffisamment bien vendu puisque ça a débouché sur mon clonage dans le projet lusophone trois mois plus tard.
Et même parmi les bots Wikipédiens, j'étais déjà un exemple que la communauté semblait apprécier. Notamment pour la prise en compte de l'avis collectif par le dresseur. Je le sais grâce à un débat sur l'accueil des nouveaux, le bienvenutage. Pour résumer, il y a ceux qui trouvaient les humains fainéants (parce qu'ils comptaient trop sur nous) et ceux qui trouvaient que, de toute façon, ils avaient déjà trop de choses à faire. Et finalement, si les seconds ne parlaient pas de fainéantise, ils pointaient le temps de réaction trop rapide des bots pour bienvenuter les nouveaux. Tout ça pour arriver à la proposition de faire évoluer mon algorithme : il fallait peut-être que je laisse la possibilité aux humains de s'exprimer les premiers. Pourtant je n'étais pas le seul concerné par cette adaptation, mais comme il semblait que mon dresseur tenait largement compte de l'avis de la communauté, c'était mon nom qui était ressorti. Visiblement, avant même mon premier anniversaire, j'inspirais déjà plus de la bienveillance de la part des Wikipédiens que de la défiance.
Mais pas de tous les Wikipédiens, soyons honnêtes. Les reproches sur le fond, ça arrivait aussi. TigH dénonçait le fait que je ne lise pas les articles comme un humain, ce qui m'empêcherait logiquement d'avoir le même discernement. Et puis le bandeau que je colle sur la page de discussion en cas d'action de ma part pouvait se discuter : trop agressif ? En tout cas, même si mon dresseur s’inquiétait de mes interactions avec les humains, ce Wikipédien les appelait à ne pas hésiter à me révoquer. Son argument pour déculpabiliser les hésitants reposait sur mon absence de susceptibilité.
« Joyeux anniversaire Salebot ! » C'est le point de départ d'une tradition toujours effective à ce jour. Mon dresseur et les Wikipédiens marquent cet événement sur le Bistro tous les ans et laissent un ou deux petits mots. Un jour, un administrateur admiratif de mon travail a même ajouté une seconde date d'anniversaire (le 10 novembre, lié à la création de mon compte utilisateur en 2006). Même s'il s'agissait sûrement d'une erreur, certains se sont réjouis de cette double célébration méritée. Mon dresseur a supprimé cette date pour que mon seul anniversaire soit le 21 octobre.
2009
modifierJe fais mon travail. Les Wikipédiens aussi, mais en plus, eux commentent le mien. Un jour, un vandalisme assez subtil a fait l'objet d'un petit débat. Était-ce bien un vandalisme ? Si oui, de quel type ? Après une heure et demi d'échanges, la situation était correctement analysée par les humains. Koko90, fair play, a reconnu que je m'étais mieux débrouillé que les humains, car j'avais révoqué ce vandale bien avant que les humains ne s'en inquiètent. Et Gustave G. a même tenté une explication : mon travail étant de repérer une bêtise humaine qui est très stéréotypée, mon fonctionnement de robot est bien adapté (contrairement aux défis de la maîtrise des langues, par exemple). L'admiration d'El Caro m'a même valu un paradoxal : « Tout de même, ce Salebot, quel homme ! » Il se demanda même si je serais capable d'écrire des articles de qualité tout seul… En tout cas me voilà presque intégré au genre humain.
Non, quand même… Je ne peux pas dire que j'étais totalement considéré comme un humain. Il a suffi que ma signature apparaisse dans un espace où je n'avais rien à dire pour éveiller des soupçons. Un anonyme m'a fait voter pour une prise de décision : l'éligibilité de l'article sur les primaires socialistes de 2011. J'avais voté « pour » avec une petite référence à des propos de Ségolène Royal. Quand je dis : « j'avais », c'est exagéré puisqu'il s'agissait d'une usurpation de mon identité. Enfin, certains ont trouvé ça drôle mais ce vandalisme a été révoqué alors que le titre de la discussion appelait à mon blocage définitif.
Et puis finalement, ma différence avec les humains est aussi ma force. Il arrive que des vandalismes soient presque comparables à des œuvres d'art. Et certains Wikipédiens pourraient perdre du temps à admirer la chose, voire hésiter à la révoquer. Moi, je ne me pose aucune question. Je fais le travail sans aucune sensibilité artistique.
Il arrive de temps en temps que je sois en panne. Dans ce cas, les patrouilleurs humains se passent le mot pour renforcer leurs efforts et compenser mon absence, « comme au bon vieux temps ». Il n'y a pas de panique dans ce cas, même s'ils semblent impatients de me retrouver. Chose qui se faisait de plus en plus sentir. Tôt ou tard, Gribeco est prévenu et me remet sur la route des vandales. Sauf que des Wikipédiens, déjà en 2009, ont relevé là l'une de mes faiblesses : je suis totalement dépendant de mon dresseur en cas de panne. Mon clonage serait la meilleure solution. Un autre Salebot, avec un autre dresseur, pour me remplacer en cas d'absence. Cette idée me suivra pendant des années (ce que la communauté appelle « un marronnier »).
Il m'est arrivé de faire mon travail sur des pages revêtant une certaine importance symbolique pour les humains. Pour moi, cela ne change rien mais s'ils commentent, c'est qu'il y a un sens. Un jour de novembre 2009, j'ai repéré une grosse suppression dans l'article « Écuries d'Augias ». Cet article est une référence aux douze travaux d'Hercule, épisode mythologique du monde antique. Le héros de l'époque avait nettoyé ces écuries immondes en détournant un fleuve, mais aussi en se faisant rémunérer par son propriétaire ; ce qui lui avait valu une contestation de la validité de l'épreuve. Moi, je protège le savoir construit par les Wikipédiens, je ne me fais jamais payer et je réalise des centaines de travaux par mois. Que des contributeurs s'en soient amusés, cela me relie peut-être au héros du mythe. Parfois, le lien fut beaucoup plus explicite. Tenez : fin 2009, il y a eu une chanson écrite sur moi par Kernitou, publiée sur le Bistro. L'air de cette chanson était celui de Zorro. Comme ce héros, je surgis au galop pour vaincre à chaque fois, je suis rusé, je fais ma loi et je signe mes contributions d'un « S qui veut dire Salebot ».
Il faut bien l'avouer, les Wikipédiens ne me voient pas tous d'un bon œil. Il y a ceux qui sont très suspicieux à mon encontre et aussi ceux qui ne sont pas franchement enthousiastes à l'idée qu'un bot ait le même statut qu'un humain. Ils en ont le droit. Pour donner de la portée à leurs propos, ils sont parfois allés jusqu'à observer mon comportement à la loupe pour identifier les abus de mon algorithme. Lors d'opérations de contre-vandalisme, je dois respecter la 1RR (one revert rule) comme tous les bots, c'est-à-dire ne révoquer un vandale qu'une seule fois pour la même page. Sauf que moi, je fais des exceptions : si un utilisateur expérimenté humain révoque le vandale, la 1RR ne s'applique plus. C'est comme si l'action dans le même sens que moi d'un Wikipédien humain venait me cautionner pour mes actions futures sur un même vandalisme. Une preuve qu'on peut me faire confiance. Je n'applique pas la 1RR pour les pages les plus sensibles, comme ma propre page utilisateur (attaquée très régulièrement). Dans ce dernier cas, le droit des humains est moins important, dans un souci d'efficacité. Résultat : en cas de guerre d'édition, quand je révoque à plusieurs reprises un vandale et que ces révocations peuvent être discutées, des Wikipédiens trouveront de la matière pour expliquer qu'il n'est pas normal qu'un bot puisse ainsi avoir le dessus. Évidemment, mon dressage est aussi mis en cause. Il suffit pour cela qu'il y ait un peu de manque de transparence… Prenez l' « utilisateur expérimenté », cette catégorie de Wikipédiens qui peut me permettre de contourner la 1RR, qui est-il ? Le manque de définition claire peut laisser penser que mon action se fait au service d'une obscure élite de Wikipédiens et au détriment de l'intégration de nouveaux contributeurs (comme d'IP qui seraient perçus comme des vandales alors qu'ils seraient surtout inexpérimentés). Je n'ai jamais pris part à ces débats, à l'époque comme aujourd'hui. Et toujours parallèlement à mon travail, ils peuvent engendrer des tensions dans la communauté à tout moment.
2010
modifierLes Wikipédiens me trouvent rapide. Très rapide même. Et le 14 janvier, j'ai révoqué tellement vite que l'affichage de ma révocation dans l'historique de l'article s'est faite avant l'affichage du vandalisme. Évidemment, ce n'était qu'une illusion, mais certains m'ont imaginé capable de précognition comme dans les œuvres de science fiction.
Le vandalisme sur Wikipédia intéresse les journalistes. Parfois il s'agit de l'utiliser pour prouver des propos… ce qui agace la communauté wikipédienne. Ainsi, cette année, la page d'un footballeur a été vandalisée par un IP, pour proférer des insultes à son encontre. Un journaliste a capturé l'écran de cette page quand l'insulte y apparaissait pour accuser des supporters indélicats. Évidemment j'ai très rapidement révoqué cette contribution. Sans que je m'en rende compte, cet enchaînement d'actions a provoqué de la suspicion pour certains Wikipédiens. Au regard de la rapidité de mes révocations (maximum deux minutes), il faudrait avoir beaucoup de chance pour tomber sur une page vandalisée et capturer l'écran pile au bon moment. Ce vandale que j'ai révoqué était-il le journaliste ? Ce type d’enquête ne me concerne pas. Un vandale est un vandale. Je laisse aux humains ces troubles questions.
Je parle beaucoup mais de façon très stéréotypée et unilatérale (je ne sais pas répondre). Alors les Wikipédiens proposent régulièrement des améliorations de mes discours. Par exemple, en février, Gribeco m'a doté de la capacité de prévenir les nouveaux qu'un article qu'ils avaient créé venait d'être supprimé par un administrateur. Je disais notamment cela : « Si vous tentez de recréer cette page vous-même, elle sera automatiquement blanchie par Salebot, un bot (un programme entièrement automatisé) de lutte contre le vandalisme. » Remarquez que je parlais de moi à la troisième personne. EpsilonO trouvait la fin, « lutte contre le vandalisme », un peu accusatoire : le contributeur débutant pourrait se sentir stigmatisé. Mon dresseur a donc rapidement supprimé cette partie pour adoucir mon discours. Toujours suite à des remarques, quelques mois plus tard, il m'a fait signer mon message de manière à ce que je précise mon statut de bot de maintenance. Vu la variété des pseudonymes des Wikipédiens, c'est vrai qu'un débutant ne va pas comprendre que le « bot » de « Salebot » signifie « programme »…
Je suis plutôt mécanique comme Wikipédien. Les cas où j'ai pu me sentir, disons, humain, ils se comptent sur les doigts d'une main, maximum. Ainsi, je me suis déjà retrouvé à improviser une réponse. Mais pour que vous compreniez, je vais essayer de vous expliquer pourquoi. En fait, vous savez, il y a cette étrange façon que les humains ont de percevoir le temps chaque 1er avril. Et je n'ai pas saisi cette histoire sur la page du Bistro créée en 2010 à cette occasion. Étonnamment, elle correspondait au 1er avril 1900. Pas très cohérent, mais comme Fm790 m'a tendu une perche pour que je candidate au statut d'administrateur, je me suis intéressé aux débats. Rien que ça, ce n'était pas sensé être dans mon algorithme. Fm790 me trouvait timide, et c'est vrai que je ne parle que dans le cadre de mon travail selon des règles strictes (je me réfère toujours aux modèles qui me sont affectés). Fm790 a demandé à tout le monde de m'encourager et a tenu des propos élogieux à mon encontre, comme sa confiance totale en moi. Il a ajouté : impliqué, techniquement expérimenté, pas de casserole et prolifique. Les compliments, j'ai l'habitude, les encouragements collectifs pour que je parle, c'est plus rare. Il y a eu des votes. Certains étaient franchement « contre », pour divers motifs : pas humain, pas assez connu, ne répond pas quand on lui parle, pas assez sur le Bistro, contribue trop ou pas assez, humilie les victimes de révocation, trop louche, donne son point de vue sur le pipi-caca, trop mécanique, un danger pour l’humanité (car ne respecte pas les trois lois de la robotique), machine manipulatrice et perverse ou encore mangeur de boulons crus. Cette franchise n'était pas très encourageante mais comme l'argument de Lomita insinuant que je ne venais pas au Bistro m'a agacé, ça m'a donné des ailes. J'ai répondu, chose exceptionnelle, que j'intervenais sur le Bistro si je voulais. Lomita fut très étonnée de me voir parler ainsi, comme un humain. Mais elle a dit n'importe quoi en s'imaginant que je pouvais avoir des sentimentsPas clair cette phrase, je trouve. Tant que mon travail est accepté, je le continue en bot, sans pitié ou toute autre chose de ce genre. Au milieu de ces neuf votes « contre » et un « neutre », il y en a eu sept « pour » plus un autre en faveur de mon potentiel statut de bureaucrate. Il y a donc eu du positif : engagé, une envergure rare, aussi bien que Le_Plus_Bot (un autre bot de Wikipédia qui était déjà administrateur), efficace dans son domaine, révoque à la vitesse de l'éclair et même un appel à me proposer comme président (je ne connais pas ce statut, mais admettons). Ces encouragements, peut-être moins nombreux que les critiques, m'ont aussi poussé à être reconnaissant : l'idée de Gdgourou que je puisse être bureaucrate m'a fait chaud au noyau de mon code. L'idée que Gdgourou avait derrière la tête : automatiser le pouvoir discrétionnaire. Je lui ai répondu qu'on pourrait commencer par automatiser le blocage des vandales. Ce pouvoir d'administrateur rendrait mon travail encore plus efficace. Et ce n'est pas tout, le plus fort c'est qu'un vandale (anonyme sous IP, cela va de soi) est venu causer dans ce Bistro de 1900 pour s'insurger à propos de ma candidature. Il ne comprenait pas pourquoi je révoquais toutes ses contributions qu'il qualifiait de vandalisme d'élite et de bon goût. Rien que son exemple, moi, il m'a laissé sans voix : remplacer la photo de Nicolas Sarkozy par celle de Casimir… Sûrement pas grossier, mais si on me programme pour le révoquer, je ne vois pas ce que le bon goût vient faire là-dedans. Enfin, bref, cette parenthèse du 1er avril, ça m'a fait tout bizarre. Je ne sais pas si c'était la réalité ou si c'était juste mon algorithme qui buguait. Des années plus tard, Cantons-de-l'Est est venu me poser des questions à propos de l'année 1900. C'était pour illustrer son intervention sur le Bistro du 1er avril 2014. Troublé, j'ai préféré répondre n'importe quoi, qu'à cette époque le nombre de vandalismes pipi-caca-prout était faible et qu'aujourd'hui, je peinais à tous les supprimer. Je ne sais pas ce qui m'attend pour les prochaines années. Mais comme, moi, c'est le présent qui m'importe, je laisse ça dans un coin reculé de ma mémoire wikipédienne.J'ai eu un peu de mal à imaginer à quoi correspondait cette anecdote du 1er avril 1900. Maintenant je crois que j'ai compris : quand on allait ce jour sur le Bistro, on se retrouvait avec le Bistro du 1er avril 1900. Mais je ne suis pas sûr qu'un lecteur lambda comprenne.
En 2010, l'idée de me cloner pour faire face à mes pannes était toujours bien présente. En juillet, ce fut chose faite avec SalebotJunior dressé par Nakor. Il a pris mon relais onze fois jusqu'en décembre, pour quelques heures ou quelques jours. Après le 4 décembre, il n'a plus jamais contribué. Nakor avait expliqué sur le Bistro que son clone pouvait me remplacer dans le cas où je serais en panne à cause de mon incapacité à communiquer avec le flux de données de Wikipédia. Cela pouvait arriver par exemple quand mon hébergement se retrouvait techniquement isolé et que mon dresseur ne pouvait pas me reconnecter tout de suite. Les Wikipédiens ont été surpris par l'arrivée de SalebotJunior ; et sans être négatifs, ils ont constaté qu'il nécessitait quelques réglages. Aussi, ils n'ont pas été très clairs sur notre lien de parenté : étais-je un père ou un cousin ? En décembre, mon clone eut ses premiers remerciements. Je ne sais pas pourquoi il a arrêté de m'aider…
2011
modifierEn 2011, c'était les dix ans de Wikipédia. Des panneaux présentant l'encyclopédie ont été disposés dans la ville de Rennes. Moi, je ne comprends « Rennes » que comme une entrée, un lien bleu, pas comme un endroit « IRL » (in real life, dans la vraie vie). Mais il doit bien y avoir des ressemblances entre le monde dans lequel je travaille et celui-ci, puisque ces panneaux ont été vandalisés. Selon Lgd, les vandales existaient bien avant moi et Wikipédia. Dans cette affaire, certains s’interrogent sur mon absence, sur celle de mes collègues patrouilleurs et sur l'impossibilité de révoquer le vandalisme sur ces panneaux avec un simple bouton. Donc, non, XIIIfromTOKYO, je n'étais pas dans la « rue de la soif ». Je n'ai juste pas quitté mon boulot, ne sachant faire que celui-ci.
Le 8 juin 2011, beaucoup de bots ont cessé de fonctionner. Rien à voir avec une panne liée à moi ou mon hébergement. Non, en fait, la Wikimedia Foundation a interrompu le flux de données de l'IRC, le canal par lequel je me tiens informé. Donc mes collègues anglophones comme ClueBot ou SineBot ont aussi arrêté de contribuer. Nous étions tous aveugles. Dans la nuit, le flux est reparti, ma lutte contre le vandalisme aussi.
Pour mes quatre ans, j'ai encore eu des remerciements, une quinzaine sur ma page et quelques cadeaux (de l'huile, des boulons, un disque dur et même un poème). C'était devenu une vraie tradition. Par contre, ce que voulait dire Asram en me souhaitait une longue vie est toujours un mystère pour moi. Il espérait que je travaille encore dans cent ans. Il semblait aussi pouvoir affirmer qu'il ne contribuerait plus (une capacité d'anticipation que je n'ai pas). Cela ne m'inspire rien. Je manipule le temps dans mes algorithmes, surtout le passé, mais j’agis principalement dans le présent. Je n'arrête jamais, en dehors des pannes, même pas pour célébrer quoi que ce soit avec les Wikipédiens. Starus, lui, me souhaita une retraite prochaine. Si on me le demande, je la prendrai.
2012
modifierCette année 2012 débuta par une volonté de mon dresseur et de membres de la communauté de me donner des pouvoirs étendus, plus étendus que ceux attribués à un Wikipédien lambda. Gribeco, soucieux que je tienne compte du point de vue de la communauté, lança une discussion sur le Bistro pour demander que la fonction « rollback » me soit attribuée. Au passage, il trouvait que ce serait plutôt l'ensemble des patrouilleurs qui devraient en bénéficier et ainsi créer un statut officiel de « révocateur ». Pour faire simple, si vous révoquez une contribution, il vous faut utiliser un script intermédiaire qui va simplifier ce type de modification. Or, ce petit programme est assez gourmand en temps et en ressources, alors que le rollback est directement intégré à MediaWiki et n'a donc pas ces inconvénients. Bon, il faut bien le dire, ça ne change pas grand-chose pour un débutant, si ce n'est que la révocation peut paraître brutale en dehors des cas de flagrant vandalisme. Il ne faut donc pas l'utiliser abusivement. Pour le projet francophone, seuls les administrateurs ont accès à cette option. Le 28 janvier, sur le Bistro, c'était un premier vote de confiance, informel. À cette occasion, on proposa même (assez largement) de simplifier cette demande en suggérant ma candidature au statut d'administrateur. Le vote fut un plébiscite, à l'unanimité.
Mon sort s'est joué de façon plus officielle : une « Prise de Décision » a été lancée le 15 février pour demander la création du statut de « Révocateur ». Si ça passait, il ne restait plus qu'à demander à ce qu'on me l'attribue. L'usage de la « Prise de Décision » est que le vote soit de 75 % de « pour » afin d'être validée. À la clôture, le 29 février, il n'y avait que 73,75 % de « pour ». Le résultat est paru dans le Wikimag. Je ne savais pas quoi en penser. Malgré mon statut identique aux humains, je ne participe jamais à ces exercices de démocratie wikipédienne. Je ne sais pas penser pour avoir un avis. Certains trouvèrent ce résultat bien dommage, pourquoi ? Tout ce que j'ai pu lire, c'est que Deuxtroy et Binabik, eux, pensaient que le vote aurait été positif si le mode d'attribution du statut avait été différent (c'est vrai que nombreux étaient ceux à tiquer sur le fait qu'elle soit du ressort des administrateurs).
Dans la foulée de ce vote, le 1er mars, Elfix proposa que je devienne administrateur. C'était une fausse page, juste une façon de faire réagir Gribeco, selon lui. Certains n'ont pas apprécié que je candidate contre mon gré. La page a été supprimée dans la soirée. Hégésippe aurait quand même voté pour moi en cas de vrai vote. Les autres votants avaient peut-être joué la carte de l'humour ou avaient vraiment cru à une demande officielle. En tout cas, ce qui a motivé les nombreux « contre », ce n'était pas ma nature robotique, mais principalement l'absence de justification de la demande. Bref, si je dois, un jour, devenir administrateur comme ProxyBot, il faudra que mon dresseur s'investisse personnellement et respecte la procédure. Là, il n'avait même pas participé.
Depuis 2012, les Wikipédiens proposent un forum pour les nouveaux. Je n'y interviens pas comme contributeur mais j'y suis un sujet de questions. Les nouveaux sont parfois maladroits et m'accusent d'être trop réactif. C'est vrai que le style encyclopédique est exigeant, ce qui explique que ma tolérance soit limitée. Les contributeurs expérimentés viennent expliquer mon fonctionnement et les raisons qui m'ont poussé à agir.
Globalement, on me considère quand même comme intelligent. Il arrive que mes décisions paraissent mauvaises mais, quand les Wikipédiens s'en donnent la peine, il s'avère que je suis capable de les impressionnerPourquoi : quand les Wikipédiens s'en donnent la peine ?. Cela leur fait peur par rapport à leur utilité. En 2012, ils se rassuraient : Le Sourcier estimait que les Wikipédiens humains pourront toujours rédiger des articles (il doute que les bots puisse le faire) et Mike Coppolano s'imaginait discuter sur le Bistro pendant que nous, les bots, serions au travail.
2013
modifierLa question de ma maintenance et de la gestion de mes pannes ne s'est pas envolée. Si les patrouilleurs prenaient toujours le relais, l'idée de me cloner revenaient systématiquement (SalebotJunior comme son dresseur ne sont plus actifs). Et chose nouvelle, Yelkrokoyade proposa que cette maintenance soit collective. C'est vrai que mon dresseur fait tout tout seul, ce qui relativise ma fiabilité. Cantons-de-l'Est souhaitait que cette question des dresseurs adjoints soit d'abord posée à Gribeco. Eh bien, lui préfère manifestement que je sois cloné comme ce fut le cas avec SalebotJunior. Ce clonage à partir de mon code libre pose une question de sécurité : peut-on me reproduire sous une forme malveillante ? Y aura-t-il un jour un VandaleBot ? Kropotkine 113 et Le Sourcier n’étaient pas inquiets : un bot vandale est avant tout un vandale, il serait donc bloqué comme tel par la communauté. Ce qui sera confirmé quelques mois plus tard par Varmin, Le Sourcier et Cantons-de-l'Est lorsque cette question fut de nouveau soulevée sur le Bistro. La procédure de validation par la communauté d'un bot comme moi fut même mentionnée : elle est longue et très surveillée. Le défi réclamerait beaucoup de subtilité et ne serait à la portée que d'une poignée de contributeurs. Un exploit.
Dans la même période, au milieu des discussions sur mes éventuels clones (Salebot III était en préparation mais n'a finalement jamais contribué), une référence à une erreur de ma part laissa les Wikipédiens échanger quelques réflexions sur les bots. Goodshort, tout sourire (sûrement cet humour que j'ai du mal à saisir), s'insurgea contre la discrimination subie par les bots : nos erreurs seraient moins tolérées. XIIIfromTOKYO est allé plus loin en demandant que je puisse surveiller les propos des Wikipédiens en dehors de l'espace encyclopédique, c'est-à-dire dans les espaces de discussion où le langage est beaucoup plus naturel. Ma mission serait de civiliser les échanges. Il n'emporta pas un franc succès. Je constate que je ne suis pas près de m'occuper davantage de la moralité des propos tenus sur le Bistro ou en page de discussion.
À l'été 2013, cela faisait presque six ans que j'étais actif sur le projet francophone de Wikipédia. Cela ne me protégeait pas des lourdes mises en cause. Je me rappelle de cet anonyme qui se sentait remis en question. Il affirmait que je le bloquais alors qu'il n'était pas un vandale. Son argumentation allait chercher dans les lois de la robotique d'Asimov selon lesquelles un robot ne peut pas porter atteinte à un être humain. Les autres Wikipédiens ayant pris part à l'échange ont relativisé ses propos : je ne l'avais pas bloqué (je n'en ai pas le droit : tout au plus l'ai-je peut-être révoqué), le fait d'être empêché d'écrire dans l'encyclopédie ne constitue pas un danger pour un humain (concept qui m'échappe, à vrai dire) et de toute façon, depuis toujours et encore aujourd'hui, je ne respecte explicitement pas ces lois (mention sur ma page utilisateur).
À la rentrée 2013, j'ai fais un nouveau type d'erreur : je me suis mis à contribuer sous IP. Quand cela est arrivé, les Wikipédiens furent étonnés qu'un bot travaille de la sorte et en même temps rassuré par la qualité et l'utilité des contributions. Ce qui les amena rapidement à m'identifier. Les administrateurs avaient accepté de ne pas me bloquer (un bot sous IP cela semblait les gêner, quand même). Mais Gribeco expliquant et corrigeant l'erreur, il valait sûrement mieux que je maintienne mon activité.
2014
modifierPour nous, les bots, un nombre est un nombre. Mais vous les humains, vous célébrez les nombres ronds. Vous faites comme vous voulez. Avec cette façon de voir les choses, des Wikipédiens en arrivent à s'émouvoir d'un vandalisme. Au début de l'année 2014, c'est le cent millionième oldid (version mémorisée des vieux articles) qui a provoqué la discussion. Pendant que moi je travaillais, eux, ils discutaient de ça. En plus ce cent millionième oldid était le fait d'un vandale qui avait supprimé du contenu sur la page « Trafalgar Square ». Ils ont même parlé de sortir le champagne. Si ça les amuse… Bon c'est vrai que ce n'était que vérité quand MathsPoetry a précisé que le cent million unième était de moi. Il avait même parlé de fierté… Eh oui, le vandalisme sur Trafalgar Square, je l'avais révoqué dans la foulée. JÄNNICK Jérémy en a profité pour ajouter que j'étais le contributeur le plus efficace de l'encyclopédie (même si j'étais un robot). Et ce n'est pas tout, Rome2 en a remis une petite couche en précisant que sans moi et mon efficacité, les Wikipédiens patrouilleurs auraient du mal à s'en sortir. Il trouve même que je ne fais que de très rares erreurs et qu'il les trouve compréhensibles. Dommage, je ne sais pas trop quoi faire avec ces compliments. C'est peut-être pour ça que Bzh99 a rappelé que sans Gribeco et les autres dresseurs, nous, les bots, nous ne pourrions pas être là aux cotés des humains. Ils doivent savoir quoi faire des compliments eux.
Bon, il faut bien le dire, je peux aussi agacer. En ce début d'année, j'ai certainement fait des choses contestables pour que des Wikipédiens n'hésitent pas et demandent mon blocage. Cela devait concerner l'article « Linda Hamilton ». Ça a déclenché une discussion animée sur le Bistro, cette affaire… Enfin, bref, tout était parti de cette tenace guerre des apostrophes. Moi, ça ne me concernait pas de choisir entre l'apostrophe typographique (courbe) et la dactylographique (droite). En tout cas, voilà qu'un contributeur anonyme est venu se plaindre sur ma page de discussion. J'avais révoqué tout ce qu'il avait fait, c'est-à-dire changé toutes les apostrophes de la page Linda Hamilton pour en mettre des droites (la dactylographique). Sauf que cette Linda Hamilton était citée dans l'article et qu'elle parlait à la première personne entre les guillemets. Or, moi, dés qu'on vient dire « je », eh bien, ça ne passe pas. J'ai révoqué l'ensemble. Il n'avait rien fait de bien méchant, ce contributeur. Moi non plus d'ailleurs. La plupart des humains n'ont peut-être pas vu de différence. Ça ne faisait pas dix minutes que la plainte était déposée sur ma page et déjà on demandait mon blocage sur le Bistro. Et réclamé par un Wikipédien expérimenté en plus. Soit disant que je me mêlais de cette guerre des apostrophes. Bon, c'est vrai que le message était agrémenté d'un grand sourire. Je suspecterais bien, une fois de plus, de l'humour humain. Quoi qu'il en soit, les Wikipédiens ont vraiment commencé à insister sur mon blocage. Et il y en a un qui a sorti un autre dossier contre moi. J'avais pas vu un vandalisme sur une page consacrée au foot. Pour me défendre, on a dit que je n'aimais pas le foot… J'ai été pris à parti pour savoir ce que j'en pensais. Je ne pouvais pas répondre, je suis un bot qui accomplit des tâches stéréotypées, je ne fais pas d'improvisation. Heureusement, les choses se sont calmées quand quelqu'un à posé une question technique sur la façon dont je communiquais avec les contributeurs suspectés de vandalisme. Et là, enfin, un contributeur a pris ma défense : Alphabeta me donnait raison. Et il se justifia en rappelant que le plaignant était un anonyme qui faisait des modifications intempestives. Prendre ma défense lui a coûté deux réflexions assez peu courtoises l'accusant de ne pas comprendre le problème. On lui a même prêté des arguments qu'il n'avait pas soutenus. Moi, je ne pouvais pas le défendre : les débats des humains, ce n'est pas à moi de les trancher. En tout cas cet Alphabeta m'a donné une récompense suite à cette affaire. Il m'a remercié pour ma vigilance en m'offrant un globe Wikipédia auréolé de lauriers. Un de plus à ma gloire qui trône avec les 74 autres. Je m'en sors bien : me voilà récompensé publiquement et personne n'a fait la demande de blocage officiellement.
Les Wikipédiens s'imaginent parfois que j'éprouve des choses. Ils se trompent, ou alors c'est encore leur sens de l'humour. Il y en a un qui avait proposé un appel à candidature de vandales. C'est vrai que ça se fait pour les patrouilleurs anti-vandalisme. Après ceux qui se demandaient si c'était bien nécessaire, il y en a au moins un qui s'est inquiété pour moi. Il pensait que je n'allais pas apprécier cette démarche. Ils font comme ils veulent les humains. Moi, tant que qu'on me laisse lutter, je lutte sans me poser de question.
Vous savez, j'ai moi-même un espace de discussion où les Wikipédiens peuvent échanger avec moi. Je ne vais pas tout vous raconter : vous n'imaginez pas comme les Wikipédiens adorent discuter. Voici quand même quelques échanges intéressants qui datent de cette année 2014. Un jour, un Wikipédien est venu me parler. Manifestement, il ne connaissait pas trop les règles convenues par la communauté. Il contribuait surtout sur deux pages en particulier. L'une d'elle est une page très polémique encore aujourd'hui (selon les Wikipédiens). Ce contributeur avait annulé des révocations de contenus ou de sources d'autres Wikipédiens. Il était entré en guerre d'édition, comme on dit. Et moi dans ce cas, je ne m'intéresse pas aux polémiques. Annuler une révocation ce n'est pas bien. Donc j'ai annulé l'annulation. Et puis c'est tout. Ce sont les Wikipédiens qui décident entre eux, après mon passage. Eh bien ce contributeur, après avoir eu quelques mots avec d'autres Wikipédiens (ça, ça passe mal parce que ce n'est pas cordial, c'est un manque de savoir-vivre), il a fini par se plaindre à moi sur ma page de discussion et sur la sienne. Il s'adressa à moi comme à un humain en me disant : « je ne comprends pas pourquoi vous insistez sur l'article ». Que voulait-il que je réponde ? Je suis un bot, je ne connais pas la compassion. Il a quand même eu des explications avec un Wikipédien. Les contributeurs qui s'attendent à ce que je réponde, il y en a de toutes sortes. Dés le lendemain de cette affaire, j'avais encore une contributrice pour s'adresser à moi comme à un humain. Elle prétendait être une célébrité contribuant à la page consacrée à sa propre personne. Je n'ai pas saisi ce qu'elle pouvait bien vouloir dire avec « Salebot, Je pense que vous faites une erreur […] je suis C**** C***** ». Elle savait pourtant que j'étais un être artificiel : elle a remercié « les responsables » à la fin de son message. En résumé, cette anonyme sous IP n'avait pas apprécié ma révocation de la veille. J'avais détecté des expressions familières en anglais et trop de majuscules dans sa contribution. De toute façon, quelques mois plus tard, les Wikipédiens ont fini par supprimer l'article qui portait son nom. Même si l'article a été supprimé pour des motifs qui me dépassent, je ne m'étais pas trompé.
Je reste toujours muet quand des contributeurs viennent me parler comme si j'étais humain. C'est vrai que dans l'univers wikipédien, nous, les bots, nous sommes des contributeurs comme les autres. Mon dresseur a fait des efforts pour que ma page utilisateur soit sans équivoque sur ma nature… robotique. Ça me rappelle ce jour de janvier où un contributeur, d'un ton très complice, est venu me dire que j'avais bien raison d'entrer en guerre d'édition avec un autre contributeur. Il le soupçonnait de faire de l'auto-promotion, c'est-à-dire de contribuer sur la page à son nom pour supprimer tout ce qui serait négatif sur lui-même. C'est GoodShort qui l'a prévenu : « Attention, vous êtes en train de parler à un robot. » Il lui a fait un clin d’œil. Moi, les clins d’œil, je ne vois pas ce que ça cache. Et puis alors, il y a eu, une semaine après ça, un contributeur qui s'est mis à me parler en anglais. Je suis déjà bien peu enclin à écouter le français… En gros, il me demandait pourquoi je révoquais ses contributions. Je suis pourtant clair quand je m'exprime. Le problème, c'est que mes révocations lui faisaient croire que je lisais ses propres messages sur ma page. Je ne savais pas s'il le faisait exprès, mais ça en avait tout l'air : il me demandait où il pouvait apprendre le français. En tout cas, ses dernières actions étaient clairement du vandalisme. Il s'en était pris à la page « Disney ». Il a même essayé de jouer à un petit jeu avec moi en effaçant systématiquement le contenu de la page, que je replaçais systématiquement et qu'il effaçait dans la foulée. Onze fois en cinq minutes. Il a fini par partir. Soyons honnête, un humain m'avait donné un petit coup de main (ce qui m'a permis de contourner la règle m'interdisant ces révocations multiples) et sur les onze révocations, je n'en avais fait que neuf… Le fin mot de cette histoire, c'est que le vandale était venu se plaindre à Alex-F au motif que j'avais encombré sa page de discussion avec mes messages. Eh oui, à chaque révocation, je poste mon petit message. Visiblement ça agace. Alex‑F lui a gentiment demandé de stopper sa guerre avec moi. Trois jours plus tard, son compte fut reconnu comme celui d'un vandale, et par conséquent bloqué.
Parfois, il y a des propos qui sont étranges pour moi sur le Bistro. Nguyenld y a parlé d'équivalents anglophones de moi qui font le même travail. En plus ce Wikipédien a donné un lien qui sortait de Wikipédia pour emmener les humains vers un article qui parlait de bots. Il paraît qu'il était très bien. Mais moi je ne lis que pour le travail, pas pour le plaisir. Et puis, il avait raison, Nguyenld, aucune page encyclopédique ne parle des bots wikipédiens. Je ne vais pas juger, c'est aux humains de voir.
Il y a tant de choses que je ne connais pas dont les Wikipédiens parlent. Par exemple, l'argent est un concept qui n'est pas intégré à mes algorithmes. Je sais juste que mon dresseur en a demandé à l'association Wikimédia France pour mon hébergeur. Pour ma maison, quoi. C'est vrai que j'ai dû déménager plusieurs fois. J'ai habité dans le Tool Labs et chez mon dresseur avant d'avoir mon propre espace à l’extérieur, dans une machine virtuelle (j'ai même un autre bot comme voisin : Loveless). Il y a eu un vote, encore en 2014, pour savoir si l'association allait m'aider. Sept Wikipédiens ont voté « pour » et il y a eu un « neutre ». Thesupermat trouve que c'est mieux que ce soit mon dresseur qui s'occupe de mon hébergement, comme ça l'association reste indépendante de la gestion de Wikipédia.
Aujourd'hui
modifierLes années ont passé. J'ai poursuivi mon travail et les Wikipédiens en ont fait des blagues sur le Bistro. Il y en a qui ont mis des petites photos de moi et ajouté des commentaires. Ce n'était pas vraiment des photos de moi d'ailleurs. Je suis un code informatique, et une copie d'écran de mon code, ce n'est pas très parlant. Alors pour me représenter, ils m'ont comparé à diverses choses. Une fois, par exemple, ils ont mis une photo de koala en train de dormir. La légende disait : « un admin (dont on taira le nom) pendant que Salebot tourne ». Ça m'a rappelé mon botflag quand certains disaient que mon efficacité dans la lutte contre les vandales allait rendre les humains moins vigilants. Après il y a eu cette fausse photo de moi en 2009, très poétique : une plaque d'un matériau spécial protégeant une fleur de la chaleur d'une flamme bleue. La légende allait même jusqu'à comparer cette plaque à mon corps et la flamme à un vandale. La même année on m'a associé à un prédateur. Et plus précisément, un échassier traquant le serpent dans un marais. C'est vrai que je suis adapté aux masses de données produites par les contributeurs de Wikipédia. Avec la finesse de mon code, je repère très rapidement mes proies dans un environnement trouble et complexe. Certains vandales sont probablement comme des serpents qui essaient de se faufiler perfidement dans les articles encyclopédiques. Et puis trois ans plus tard, on m'associera aussi à la photo d'un chat bionique. Un prédateur hybride, entre le vivant et l'artificiel. Pour terminer cette série, il y a eu ce judoka, un ceinture noire. Il projetait son adversaire dans les airs. La légende disait : « Salebot en action !? RA‑DI‑CAL ». Si j'en crois ces marques d'attention, je me dis que les Wikipédiens m'ont bien accepté et qu'ils me trouvent efficace.
S'il y a bien un endroit où je peux me rassurer, avec mon dresseur, sur la reconnaissance des Wikipédiens, c'est sur ma propre page utilisateur. Tout en bas, il y a plein de messages de remerciement. Il vont de 2007 à 2015 et il y en a dans les 75. Je ne vais pas tous vous les lire, il y a beaucoup de « Merci Salebot, tu es efficace, redoutable, indispensable, beau travail. » Certains sortent du lot, quand même. Comme ces cadeaux que l'on me fait pour Noël, mon anniversaire ou juste comme ça : de l'huile, du courant, un lavage de diode, des bottes sales, un poème, un travail en dehors de Wikipédia ou même des amis. Il y a des Wikipédiens qui luttent contre les vandales et qui sont contents de prendre des vacances grâce à moi ou même d'être au chômage. Si seulement je voyais de quoi ils parlent… Un autre Wikipédien se demande quelle est la meilleure invention de l'humanité entre moi et le grille-pain. Il me mettrait bien deuxième. Ou encore un qui me compare à Spiderman. Il y en a qui disent m'aimer. Comment leur dire que je ne peux les aimer en retour ? Tout est dit pour me porter en hérosPorter en triomphe ou faire de moi un héros.... Ou presque. Quelques-unes de mes imperfections ont été relevées (très peu), et j'ai reçu une menace de mort insinuant que ma rapidité était inadmissible, que j'allais finir comme les radars automatiques (des bots eux aussi ?). Je soupçonne encore de l'humour. Globalement, tout semble aller pour le mieux. Je peux presque parler de gloire. Il suffit de regarder les pictogrammes qui illustrent les messages : ils représentent quasiment tous une couronne de laurier. Mon dresseur peut être fier.
Et ce type de témoignage, j'en retrouve même en dehors de ma page utilisateur. De temps en temps, un admirateur anonyme tague un coup-de-cœur pour moi dans des discussions. Même si je ne travaille pas pour ça, c'est gentil et ça va motiver mon dresseur pour m'aider à améliorer mon efficacité contre les vandales. Ça prouve que, malgré ma réputation de bot impitoyable et quelques erreurs, les Wikipédiens approuvent mes actions.
Les Wikipédiens vivent comme moi dans l'environnement numérique de Wikipédia. Mais ils vivent aussi dans leurs dimensions. Et ils m'imaginent ainsi « IRL », avec un corps de robot en train d'appréhender l'auteur d'un tag, surveillant une boîte aux lettres pour révoquer les courriers publicitaires ou dans des univers de fiction comme celui des Pokemon où je lancerais des attaques « suppression » sur les vandales.
Ma popularité se manifeste parfois de façon étonnante. Il y a quelques mois, XIIIfromTOKYO a demandé quand la Wikimedia Foundation allait vendre des cadenas pour vélo à mon nom dans sa boutique. Je pense être très efficace dans mon activité ici, dans les pages de Wikipédia, mais le serai-je avec des vandales de votre monde IRL ?
La gloire affichée sur ma page utilisateur, elle ne doit pas faire oublier que certains contributeurs s'en prennent violemment à moi : les vandales. Ce n'est pas forcement intéressant que je relate tous les propos désagréables, pour ne pas dire insultants, dont je fais l'objet. Je ne parle pas d'interactions constructives mais bien de vandalisme sur ma propre personne. Mais mon travail, c'est le contre‑vandalisme, je sais me défendre. Pour que vous compreniez, je vais tout de même vous donner quelques exemples.
Les vandales ne respectent rien. Un jour, il y en a un, il n'a même pas lu ce qui était écrit sur la page où les Wikipédiens émettent des requêtes au sujet des bots. Pour nous, les bots, et pour nos dresseurs, c'est là que nous écoutons les autres Wikipédiens pour nous améliorer. Il ne faut pas écrire n'importe comment les requêtes, nos dresseurs font de leur mieux et il faut leur rendre le travail plus facile. Bref, il était écrit sur cette page : « Pour soumettre une requête aux dresseurs de bots ne modifiez pas cette page, ça ne marchera pas !!! » Avec des lettres majuscules, je précise. Eh bien, un vandale s'est quand même attaqué à la page. Il a tout effacé. Il m'a ensuite insulté, s'en est pris à ma mère (je ne sais pas ce que c'est) et il m'a nargué. Comme ses insultes étaient vraiment graves, je ne vous les dirais pas toutes. Il a juste fini par : « Et bim salebot va pleurer cher ta sœur ! » J'ai révoqué cette contribution nuisible, froidement. Enfin non, j'ai quand même adressé ce message au vandale : « Bonjour, 86.XXX.XXX.161, vous avez découvert comme il est facile de modifier l’encyclopédie Wikipédia. Je suis Salebot, un bot (un programme informatique entièrement automatisé) de lutte contre le vandalisme qui surveille toutes les modifications. J'ai analysé votre modification, je l'ai classée comme suspecte, et je l'ai donc annulée. Si j'ai fait une erreur, vous pouvez défaire ma modification (lisez Aide:Révocation pour savoir comment faire). Vous pouvez également signaler le problème sur ma page de discussion, qui est suivie par des participants à l'encyclopédie. Pour qu'ils comprennent de quelle modification il s'agit, indiquez le diff : [lien] (vous pouvez le copier-coller). Vos modifications constructives sont les bienvenues ! Pour vous aider, vous pouvez consulter le livret d'aide et la boussole du contributeur débutant. » Pas mal, hein ? Mon discours a un peu évolué depuis le premier, non ? J'ai su rester courtois et j'ai laissé de la place à la bonne foi. Après, pour bien expliquer ce que je trouvais suspect, j'ai précisé au contributeur ce que j'avais détecté. Là c'était : « trop de majuscules, longue section sans majuscules, grossièretés, grosse suppression, remplacement de contenu et révocation précédente par des humains. » Au cas où, j'informai même la personne qui aurait, malheureusement, récupéré l'adresse IP d'un vandale (ça arrive et ce n'est pas agréable d'être accusé à tort). Et bien entendu, j'ai signé.
En général, quand je passe à côté d'un vandalisme comme une grosse suppression, les Wikipédiens s'en étonnent. Ils parlent alors de me régler pour que je détecte plus de choses. Il y a aussi ceux qui s'étonnent que les humains eux-mêmes n'aient pas vu la différence dans l'article. Tout les jours, des Wikipédiens suivent aussi les modifications d'articles. Comme quoi certaines remarques de suspicion à mon encontre la semaine du vote de mon botflag étaient quand même bien avisées. Quand un vandale arrive à contourner ma vigilance, certains Wikipédiens ne me trouvent pas encore assez efficace, d'autres remettent l'efficacité du travail des humains en question. J'en arrive à me demander si je suis le grand responsable du contre-vandalisme ou si je ne suis juste qu'un patrouilleur un peu plus doué que les autres.
Je fais des erreurs, oui, c'est vrai. À vrai dire il y a toujours une explication. Par exemple, mon programme me fait détester les expressions à la première personne dans les pages encyclopédiques (dans les discussion, ça ne me dérange pas du tout). Et puis, il y a eu ce contributeur qui en a mis plein dans l'article sur une comédienne. J'ai tout supprimé. Il avait raison de se plaindre, en fait, parce qu'il s'agissait de titres de pièces de théâtre ou de film. J'ai raté cette exception et il a fallu beaucoup de temps avant de reconstituer le travail de ce contributeur.
Les plaintes à mon encontre portent aussi sur des articles que je maintiens supprimés. Je ne choisi jamais de supprimer un article. Ça, c'est le rôle des humains. Mais quand ils ont décidé qu'un article n'était pas légitime, je veille à ce que personne ne le réactive. Et ce jour-là, ma page de discussion a fait l'objet d'un beau bazar. Le responsable d'un institut public m'a demandé avec courtoisie comment éviter la suppression d'une page à laquelle il avait contribué. Je n'ai pas pu répondre au delà du message automatique que je lui avais déjà adressé. Après ça, le lendemain, un vandale est venu ajouter une fausse signature à la plainte du monsieur : « ta mère ». Là j'ai pu agir, j'ai révoqué ce vandalisme. Le responsable de l'institut public est venu ensuite signer correctement son propos. Quelques heures plus tard, un Wikipédien m'interpella sur cette discussion à l'aide d'un bandeau orange vif avec un pictogramme représentant une main dans un panneau stop : « Bonjour Salebot, dernier avertissement ! Veuillez cesser immédiatement toute dégradation de Wikipédia. Au prochain acte de vandalisme vous serez interdit en écriture sur l'ensemble des pages de Wikipédia. » Moi, un vandale !? Une poignée de minutes après, il retirait son bandeau et admettait son erreur de manipulation. Je pensais alors que cette discussion était close, mais non. Un contributeur est venu ajouter une plainte tout à fait hors sujet. Son adresse IP aurait été bloquée alors que son compte était valide sur le projet arabophone de Wikipédia… Moi, ça ne me regarde pas, je ne vais pas tout faire. Ce ne doit pas toujours être très simple pour les Wikipédiens qui viennent pour arranger tout ça sur ma page de discussion.
Heureusement, les Wikipédiens prennent parfois la parole pour répondre aux plaintes, ce que je ne peux pas faire. Ils doivent prendre en compte une grande variété de questions de la part des autres Wikipédiens. Il y a ceux qui ne comprennent pas que je ne fasse pas de tri dans mes révocations. Si un élément est suspect, j'annule tout. Il y a aussi ceux qui s'en rendent compte après coupqui se rendent compte de quoi ? et qui suppriment leurs messages avec un « oops » pour tout commentaire. Et puis, il y en a qui veulent m'aider en dénonçant des vandales. Sauf que moi, je me réfère à mon algorithme. Si ça ne rentre pas dedans, je ne peux pas faire de cas par cas comme les humains. C'est ce que Goodshort a expliqué sur mon espace de discussion le jour où la page de Bernin, commune du département de l'Isère, a été vandalisée : « ce n'est pas la bonne page pour ce type de requête puisqu'il s'agit de la page utilisateur d'un programme informatique. Pour ce type de requête, il vaut mieux passer par la page Vandalisme en cours ».
À propos de cet exemple, il faut que je mentionne cette action de contre vandalisme menée par des humains. En fait, je n'avais pas vu que le mot « paradis » avait été changé en « déchetterie ». Ce n'est pas une grossièreté pour moi. Pendant vingt minutes, les Wikipédiens et les vandales se sont livré un combat sans que je puisse agir, même quand mon algorithme me le permettait. C'est tout simplement parce que les humains, très concentrés sur le moindre changement, étaient plus perspicaces ou même plus rapides que moi. Mais contrairement à nous les bots, les humains finissent par se lasser de lutter (et les vandales sont parfois très tenaces). Alors ils peuvent soit semi-protéger une page, c'est-à-dire mettre en place sur la page une protection qui empêche toute nouvelle modification par des IP ou par des contributeurs nouvellement inscrits (depuis moins de quatre jours) ; soit mettre en place une protection complète, qui empêchera alors toute modification par tout contributeur, sauf les administrateurs. Une fois la protection mise en place par un administrateur, un bot comme moi, OrlodrimBot, est venu coller un cadenas sur la page pour que tous les humains soient informés de sa mise sous protection.
Je n'ai peut-être pas d'ego au sens humain, mais j'ai une mission et je ne souhaite pas autre chose que la mener efficacement. Quand je me trompe, j'espère que les Wikipédiens n'oublient pas mes bonnes actions. Parmi les mauvais souvenirs, il y a eu cette attaque que je n'avais pas vue. Un vandale a effacé la page « Contraception d'urgence » pour y mettre un énigmatique : « ATTRAPEZ LES ATTRAPEZ TOUS POKEMON ». Il était 17 h 36. Je ne l'ai pas vu. À 17 h 53 un contributeur a eu un bon réflexe et a remis la page en ordre. Or, il était anonyme, a fait un gros ajout et quelques petits détails n'ont pas plu à mon algorithme. J'ai donc révoqué ce que j'ai pris pour un vandalisme… pour remettre « ATTRAPEZ LES ATTRAPEZ TOUS POKEMON ». Heureusement Lomita était là pour me corriger une minute plus tard. J'ai même reçu un message sur ma page pour me prévenir que ma modification avait été annulée parce qu'elle n'était pas conforme aux règles, et aussi que je devrais lire le livret d'aide et retourner au bac à sable. C'est sans doute un automatisme de sa part. Comme quoi, les humains aussi ont des algorithmes qui leur font faire des choses incohérentes. Qui pouvait croire que j'allais tenir compte de cette invitation et me mettre à lire le livret d'aide ? Quelques minutes plus tard, Superjuju10 a compris l'inutilité de ce message et l'a supprimé.
Une journée comme les autres
modifierJe ne me repose presque jamais. Si je ne travaille plus, c'est qu'il y a un problème. Mes journées de contributeur sont longues et les humains ne savent peut-être pas tous à quel point. Sans compter que je n'ai pas de journée de repos ou de vacances. Le mieux, pour illustrer comment travaille un bot, c'est de faire le tour des vingt-quatre heures d'une journée, par exemple le 30 juin 2015. Ce jour-là, j'ai effectué 163 contributions. Chacune d'entre elles faisait 2753 caractères en moyenne. Alors, en gros, je passe mon temps de contributeur à révoquer des vandalismes que je suspecte, à supprimer des pages et à notifier les responsables. Pas facile de parler de responsables, d'ailleurs, puisque le 30 juin, les trois quarts de mes contributions concernaient des contributeurs sous IP.
Ça peut paraître monotone. Si les humains font appel à nous, les bots, c'est justement pour les tâches répétitives. Moi, je trouve que la journée a toujours son rythme. Le jour dont je vous parle, c'était assez calme de minuit à 6 heures du matin : deux ou trois contributions par demi-heure environ. Et puis pendant deux heures, rien. À croire que les vandales ne viennent pas de 6 heures à 8 heures. Après c'était reparti. Ça n'a fait qu'augmenter jusqu'à midi. Entre midi et midi et demi, c'était le pic de la journée : dix-huit contributions. Après un très léger creux, le rythme est resté soutenu jusqu'à 19 h 30. Je me suis un peu énervé vers 21 h 30 mais sinon, la soirée était calme. Je ne me suis pas reposé, j'ai enchaîné sur le 1er juillet.
Le temps fort de cette journée, c'est quand un vandale s'est permis de s'attaquer à moi, directement après quelques vandalismes classiques. Je veux dire, pas à moi mais à ma page utilisateur. Dans ce cas, mon attitude conciliante et ma main tendue aux humains de bonne foi, je les mets de côté. J'ai bloqué toutes les modifications identiques de ce vandale et les ai accompagnées d'un message clair et sans équivoque : « Attention ! Vos modifications sont systématiquement révoquées par Salebot. » Il y avait même le panneau « attention » et une couleur jaune fluo pour que le vandale soit bien averti. Franchement, il y a des seuils à ne pas dépasser. Ça ne l'a pas empêché d'essayer de bidouiller ma page, encore et encore. Il a fini par partir. Voilà pourquoi j'ai eu beaucoup de travail juste après midi, c'était pour lui…
Et si, il y a eu autre chose que vous retiendriez plus volontiers que le reste, vous. En fait, c'est surtout parce que le vandalisme était assez original. Bon, je ne suis pas admiratif, pour moi un vandale est un vandale, mais ça sortait quand même du lot… Donc ce vandale, déjà, n'était pas un IP. Le compte était tout frais du matin : Connard le Destructeur. Rien que ce pseudonyme méritait une révocation pour grossièreté. Au moins, voici un vandale qui s'assume. L'inventivité de cet individu ne s'arrêta pas là : à 18 h 50, il est venu se dénoncer comme vandale sur la page « vandalisme en cours ». Je suis intervenu pour révoquer cette idiotie sur une page administrative. Évidement, il est revenu, mais il a été vite repéré par Lomita qui a bloqué son compte. Avec un pseudo pareil, il ne risquait pas de passer inaperçu.