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Recherches sur l'usage littéraire du langage est un ouvrage rassemblant les notes préparées par Maurice Merleau-Ponty pour un cours qu'il donne durant quinze semaines, chaque lundi, au Collège de France, en 1953.

Parallèlement, il donne aussi un autre cours, le jeudi, intitulé Le monde sensible et le monde de l'expression.

Contexte

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Structure de l'ouvrage

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L'édition du cours comprend :

  • Avant-propos, par Benedetta Zaccarello : « Pour une littérature(-)pensée »
  • Note des éditeurs
  • Table des matières de la préparation du cours
  • Brouillon du résumé du cours
  • Notes préparatoires du cours
  • Annexe : « Sartre - Parain », note de lecture
  • Liste des notes de lecture
  • Bibliographie
  • Index

Contenu du cours

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Brouillon du résumé du cours

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« […] La littérature […] va au-devant de l’intérêt que la philosophie du langage lui porte. Depuis cent ans, les écrivains sont toujours plus conscients de ce qu’il y a de singulier et même de problématique dans leur entreprise. Écrire ce n’est plus seulement (si jamais ce fût) énoncer ce qu’on a conçu. C’est travailler avec un appareil qui donne tantôt plus et tantôt moins que ce qu’on y a mis, et ceci n’est que la conséquence d’une série de paradoxes qui font du métier d’écrivain une tâche épuisante et inépuisable. Le paradoxe du vrai et de l’imaginaire, plus vrai que le vrai, -- celui des intentions et de l’accomplissement, souvent inattendu et toujours autre, -- celui de la parole et du silence, l’expression pouvant être manquée pour avoir été trop délibérée et au contraire réussie dans la mesure même où elle est restée indirecte, -- celui du subjectif et de l’objectif, ce que l’écrivain a de plus secret, et qui est en lui-même à peine articulé, s’imposant quelque fois de manière fulgurante à un public que son œuvre se crée, et ce qu’il a de plus conscient demeurant au contraire lettre morte, -- enfin le paradoxe de l’auteur et de l’homme, ce que l’homme a vécu faisant évidemment la substance de son œuvre, mais ayant besoin, pour devenir vrai, d’une préparation qui précisément retranche l’écrivain du nombre des vivants, -- toutes ces surprises, tous ces pièges font que la littérature s’apparaît à elle-même comme un problème, que l’écrivain se demande : « qu’est-ce que la littérature ? » et qu’il y a lieu de l’interroger non seulement sur sa pratique, mais encore sur sa théorie du langage. C’est ce genre de questions que l’on a essayé de poser à l’œuvre de Valéry et de Stendhal.

L’usage que Valéry a fait du langage ne se comprend que compte tenu de la longue période où il s’est tu, -- ou n’a écrit que pour lui-même. On voit par les cahiers de 1900 à 1910 (qui devaient plus tard constituer les deux recueils Tel Quel I et II) que sa défiance envers le langage n’était qu’un cas particulier de sa défiance envers une vie qui ne se soutient que par des prodiges incompréhensibles. Il est incompréhensible que le corps puisse être à la fois la masse inerte qui marque notre place pendant le sommeil et l’instrument agile qui, au service du peintre par exemple, fait mieux que la conscience ce qu’elle voudrait faire. Il est incompréhensible que l’esprit soit la puissance de doute, d’interrogation, de réserve, de dégagement qui nous fait « incessibles » et « insaisissables », et qu’à la fois il se mêle et se donne à tout ce qui advient, que même il construise et devienne quelque chose précisément par son « refus indéfini d’être quoi que ce soit ». Il est incompréhensible que, moi qui suis irréductiblement étranger à tous mes personnages, je me sente affecté par l’apparence de moi-même que je lis dans le regard des autres, qu’en retour je leur dérobe une image d’eux-mêmes par laquelle ils se sentent concernés, et qu’ainsi se noue entre l’autre et moi un « échange », un « chiasma de deux ‘’destinées’’ […] » où l’on n’est jamais tout à fait deux, et où pourtant on cesse d’être seul. Ces absurdités sont au plus haut point dans le langage et dans la littérature. Le langage est clair quand on passe assez vite sur les mots, mais cette « solidité fondamentale » s’effondre devant une conscience rigoureuse. Ainsi la littérature vit-elle d’impostures : l’écrivain dit ce que veut son langage, et passe pour profond, chaque manque en lui, une fois mis en paroles, fait figure de pouvoir, et la somme des hasards qui collaborent à un livre passe pour intention d’auteur. Au point de départ, Valéry ne pouvait écrire que « par faiblesse » ou par cynisme, mettant en mots toutes les raisons qu’il avait de se méfier des mots et fondant un œuvre sur la négation de toute œuvre.

Cependant l’exercice de la littérature dépassait ce nihilisme en fait et en droit. Tout impossible qu’il fût le langage était. Il y avait d’ailleurs au moins une forme de langage qui n’était pas contestable, précisément parce qu’elle ne prétendait pas dire quelque chose : c’était la poésie. Or, il apparût à l’examen que, si elle n’est pas signifiante comme l’est un énoncé qui s’efface devant ce qu’il dit, si elle ne se sépare pas des mots, ce n’est pas seulement qu’elle soit comme un chant ou une danse du langage, ce n’est pas faute de signification, c’est parce qu’elle en a toujours plus d’une. Il faut donc admettre, au moins à propos de la poésie, le « miracle » d’une « union mystique » du son et du sens, malgré tout ce que nous savons des hasards historiques qui ont fait chaque langue. Mais, ce prodige un fois découvert dans la poésie proprement dite, on le retrouve dans cette poésie perpétuellement agissante qui tourmente le vocabulaire fixé, dilate ou restreint le sens des mots, opère sur eux par symétrie ou par conversions, altère à chaque instant les valeurs de cette monnaie « fiduciaire ». Les variations du langage, qui paraissant d’abord être un argument pour le sceptique, sont finalement une preuve de son sens, puisque les mots ne changeraient pas de sens s’ils ne voulaient rien dire et que donc, relativement à un certain état du langage et même s’il est toujours à reprendre d’âge en âge, l’effort d’expression est réussi ou manqué, dit quelque chose ou ne dit rien. La justification de la poésie réhabilite donc le langage tout entier, et Valéry en vient à admettre que même l’homme de l’esprit n’est pas une pure conscience, d’autant plus claire qu’elle se refuse à être quoi que ce soit, que nos clartés nous viennent de notre commerce avec le monde des autres, que nous nous constituons peu à peu un système de pouvoirs, par lui nommé « implexe » ou « animal de mots », et que c’est ce mixe ou ce bâtard qui assure, en-deçà de notre vouloir, le rapport de ce que nous faisons à ce que nous voulions. Du mépris de la littérature comme thème littéraire on passe à une littérature conscience et acceptée. Du refus indéfini d’être quoi que ce soit à la volonté de parler et de vivre. « Serais-je au comble de mon art ? Je vis » (Mon Faust). Les hommes sont des « métis » d’esprit et de corps, mais ce qu’on appelle esprit est inséparable de ce qu’ils ont de précaire et la lumière n’éclairerait rien si rien ne lui faisait écran. La critique du langage et de la vie, justement si elle est radicale, passe tout entière dans une pratique du langage et de la vie. Les écrits de la dernière période répondent vraiment à la crise qui, en 1892, avait conduit Valéry à la règle du silence, le langage porte en lui-même sa fin, sa morale et sa justification.

L’histoire de Stendhal est aussi celle d’un personnage de la parole. Sa difficulté vitale, telle que le fait connaître le Journal des années 1804 et 1805, tient, dans ses propres mots, à ce qu’il ne peut pas en même temps « sentir » et « percevoir » : ou bien il est conscient et il agit, mais c’est alors cyniquement et comme d’après un rôle, et on lui répond à bon droit qu’il n’est pas « pénétré » de ce qu’il dit ; ou bien il se livre au bonheur, mais c’est alors une « rêverie » ou un ravissement qui lui ôtent la force de prendre et qui le laissent muet. Ses premiers essais littéraires montrent le même malentendu avec lui-même : il commence d’écrire pour parvenir et cette ambition compte, pour s’accomplir, sur l’observation et presque sur une science de la vie. Mais à son insu, et pendant qu’il prend modèle du Code Civil, il fait dans son journal l’apprentissage du monologue intérieur. Quand il aura renoncé à concerter ses entreprises amoureuses et littéraires, quand il aura ouvert sa vie et ses écrits à la rêverie contre laquelle il se défendait d’abord, il apparaîtra soudain capable d’improviser, de convaincre, de réaliser, il s’apercevra qu’il n’y a pas de rivalité entre le vraie et la fiction, entre la solitude et l’amour, entre vivre et écrire, et il fera de la première personne, de l’ego qui se glisse dans tous les personnages et se prête à eux, le moyen d’un art entièrement neuf. Il pourra consentir à lui-même, mais parce qu’il sera devenu, par l’exercice de la vie et du style, capable de sortir de sa séparation.

La question reste de savoir si cette solution n’est pas une solution d’écrivain, qui ne joue qu’au bénéfice de l’œuvre, -- et si l’homme de la parole, présent à tout ce qui peut se dire, n’est pas, de ce fait même, absent du sérieux de la vie. On pourrait le croire à voir par exemple comme Stendhal est peu constant devant les options de la politique. Pourtant, à travers tant d’oscillations du cynisme à la candeur, il y a une ligne de Stendhal : il n’a pas varié dans son refus d’accepter l’ignorance et la misère, et dans cette pensée qu’un homme n’est pas formé tant qu’il ne s’est pas « colleté avec la réalité », tant qu’il n’est pas sorti des relations de politesse que lui ménage sa classe. Ces négations n’engagent pas moins qu’une adhésion. Être humain est un parti aussi, dit à peu près Stendhal. Peut-être cette fonction de critique est-elle l’engagement de l’écrivain. S’il est vrai, comme Stendhal le pensait, que tout pouvoir ment, peut-être faut-il tenir pour sérieux entre tous les écrivains qui, tout préjugé mis à part et ouverts à l’avenir, savent mieux ce qu’ils ne veulent pas que ce qu’ils veulent. Peut-être enfin l’homme aussi bien que l’homme de lettres ne peut-il se rendre présent au monde et aux autres que par le langage, peut-être le langage chez tous est-il la fonction centrale qui construit une vie comme une œuvre, et qui transforme en motifs de vie jusqu’à nos difficultés d’être[1]. »

Édition et publication des notes

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Les Recherches sur l'usage littéraire du langage ont été éditées et publiées pour la première fois en 2013, soixante ans après que le cours ait eu lieu. Le texte a été établi par Benedetta Zaccarello et Emmanuel de Saint Aubert.

Importance dans les travaux de Merleau-Ponty

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Notes et références

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  1. Maurice Merleau-Ponty (préf. Benedetta Zaccarello), Recherches sur l'usage littéraire du langage, Paris, MetisPresses, coll. « Champcontrechamp », , 250 p. (ISBN 9782940406838), p. 61-67

Annexes

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Bibliographie

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  • Dalissier, Michel. Héritages et Innovations: Merleau-Ponty et la fonction conquérante du langage, Genève, MētisPresses, 2017, coll. « ChampContrechamp Essais ».
  • Melançon, Jérôme. « La praxie, l'expression et la pratique de l'écriture », Phœnex 9, no. 2 (automne/hiver 2014), p. 166-176.
  • Morimoto, Atsuo. « L'absence de La Jeune Parque dans les Recherches sur l'usage littéraire du langage de Merleau-Ponty. » 仏語仏文学研究= Revue de langue et littérature françaises 54 (2020), p. 189-202.
  • Tsukamoto, Masanori. « Qu'est-ce que ''l'usage littéraire du langage'' ? La parole à l'état naissant chez Valéry et chez Merleau-Ponty. » 仏語仏文学研究= Revue de langue et littérature françaises 54 (2020), p. 225-242.
  • Zaccarello, Benedetta. « Valéry théoricien de la littérature selon Maurice Merleau-Ponty. » Paul Valéry et l'idée de littérature, Actes du Colloque de l'Université de Paris Ouest. Fabula.org, 2011.
  • Zaccarello, Benedetta. « Le doute de Valéry. Pensée, existence, écriture dans les Recherches sur l'usage littéraire du langage de M. Merleau-Ponty », in Emanuele Alloa. Du sensible à l'oeuvre. Esthétiques de Merleau-Ponty, Bruxelles, La lettre volée, 2012, pp.161-184.