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La grammaire du français parlé



Cette étude porte uniquement et spécifiquement sur le français parlé en France. Elle ne prend donc pas en compte les variations observables dans le français parlé dans d'autres régions du monde. Elle n'inclut pas non plus les variantes résultant des divers accents régionaux au sein de l'hexagone, qui pourraient faire l'objet d'une ou plusieurs séparées portant spécifiquement sur la phonétique. L'objet de cet article est donc le français parlé urbain standard.



Sommaire

Définition et délimitation du sujet traité

Qu'est-ce qu'une "grammaire" ?

Méthode et terminologie

La grammaire du français parlé

Le système pronominal

Les modifications syntaxiques

Altérations morphosyntaxiques

Les négations

Les altérations phonétiques

Grammaire et graphie  : impossibilité de transcrire le français parlé


I. Définition et délimitation du sujet

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Quelle que soit son éducation et sa culture, le Français moyen d'aujourd'hui ne parle pas comme il écrit.

La différence entre le français écrit et le français parlé porte principalement sur deux catégories du discours : les divers niveaux de langue, définis par des adjectifs tels que recherché, standard, familier, vulgaire, grossier, et les structures grammaticales.

Les niveaux de langue intéressent essentiellement le vocabulaire (les divers argots, les altérations de mots). Cet aspect ne sera pas traité ici.

Sur le plan grammatical, il existe de notables écarts entre la norme généralement respectée dans les textes et les documents écrits et la pratique courante de la langue parlée, même quand celle-ci se cantonne dans le vocabulaire standard.

Il ne s'agira pas ici de relever certaines "fautes" individuelles de langue, telles que des formes verbales vicieuses (que je soye au lieu de que je sois, qu'il vale au lieu de qu'il vaille) ou les erreurs de prépositions (aller au coiffeur). On se limitera aux écarts constants entre la norme du français standard et la pratique orale observée même chez les locuteurs maîtrisant parfaitement le système des formes et les constructions prescrites dans les manuels de grammaire.

L'existence d'une langue parlée différente de la langue écrite n'est pas une spécificité du français. Mais au sein des diverses langues, l'écart entre le standard écrit et le standard oral porte sur des rubriques différentes. La question doit donc être étudiée séparément pour chaque langue  –  ici pour le français.


II. Qu'est-ce qu'une "grammaire"  ?

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Si l'on entend par grammaire un système normé de formes et de constructions, acquis par un apprentissage de type scolaire plus que naturel, définissant le "bon usage" par opposition aux "fautes de grammaire", alors le français parlé apparaîtra comme une langue se caractérisant par une quantité considérable de "fautes".

Mais à cette notion de grammaire normative, on peut opposer une autre vision de la "grammaire" : la description (et non la codification) du système usuel empiriquement observé, à quelque niveau de langue que ce soit. Dans la langue parlée, ce système repose non sur une norme édictée par des institutions officielles (en France, l'Académie Française), mais sur le consensus entre les sujets parlant une même langue dans une aire régionale plus ou moins étendue. Ce consensus résulte de l'apprentissage naturel de la langue, aboutissant à un usage se perpétuant de génération en génération sans référence à la norme grammaticale officielle, et souvent en rupture avec elle.

La grammaire normative enseigne "ce qu'il faut faire". C'est un "code" constitué de règles auxquelles on se réfère plus ou moins consciemment, et qui sont consignées dans des ouvrages imprimés. Il existe même, à côtés des grammaires scolaires et de la grammaire de l'Académie, des livres (et aujourd'hui d'autres supports médiatiques) consacrés spécifiquement aux difficultés et aux subtilités parfois byzantines de ce code (p.ex. la différence de sens entre rien moins que et rien de moins que, ou la différence de conjugaison entre le verbe dire et le verbe contredire).

La langue parlée courante, tout comme la langue écrite "correcte", peut se définir elle aussi comme un "code"  –  mais dans un autre sens du mot code. Le code de la langue orale, transmis par le milieu familial et social, est un système inconscient. L'étude de ce code n'est pas de type normatif, mais seulement descriptif.

C'est cette seconde acception du mot "grammaire" qui s'appliquera dans les diverses rubriques étudiées ici. Il ne sera donc, dans la suite de cet article, plus question de "fautes", mais d'écarts entre l'usage réel du français parlé et la norme du français écrit.


III. Méthode et terminologie

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Même si ce fait est ignoré d'une large fraction du public, la grammaire est une science. On peut la définir comme l'un des domaines de la linguistique, laquelle est elle-même un domaine partiel d'une science plus générale, la sémiologie, c-à-d. la science des signes.

Comme toutes les sciences, la grammaire possède sa terminologie propre. Celle-ci s'étend des catégories de mots que l'on acquiert dès l'école primaire (sujet, objet, pronom, verbe, épithète, etc.) à une terminologie extrêmement complexe et diversifiée en usage dans l'enseignement et la recherche universitaires.

Depuis une cinquantaine d'années, la terminologie grammaticale, en France comme ailleurs, a connu de profondes mutations, tant au niveau théorique (avec assez souvent des divergences d'un auteur à l'autre quant à la définition des termes, voire de vives controverses entre diverses "écoles") qu'au niveau didactique, c-à-d. celui de l'enseignement scolaire.

On renoncera dans cet article, pour en simplifier la lecture, à toute terminologie savante. On se contentera du vocabulaire utilisé dans l'apprentissage scolaire élémentaire, et on donnera une définition de chaque terme dépassant éventuellement ce niveau.

Qu'elle soit normative ou descriptive, la grammaire comporte trois grands domaines : la morphologie, la syntaxe et la prosodie.

La morphologie est l'étude des variations des formes (diverses formes d'"accord", conjugaisons, déclinaisons lorsqu'elles existent).

La syntaxe est l'étude des constructions de phrases (ordre des termes, fonctionnement des diverses connexions entre les séquences du discours).

La prosodie est l'étude des éléments musicaux de la langue orale : accents toniques, accents de prase, et surtout intonation. L'intonation est la courbe musicale (montante ou descendante) d'une phrase ou d'un segment de phrase. Elle constitue une propriété inhérente à toute phrase prononcée, et est particulièrement perceptible comme signe distinctif dans certains types de phrases (exclamations, ordres, interrogations).

Mais ces trois domaines ne sont pas toujours dissociables.

La syntaxe étudie les lois régissant l'ordre des constituants (mots ou groupes de mots), ainsi que les incidences de telle ou telle construction sur la forme des mots composant la phrase (c'est le cas pour les emplois du subjonctif, ou pour les diverses formes d'expression des hypothèses) – on parle alors de "morphosyntaxe".

De même, bien qu'il n'existe pas de relation constante entre la syntaxe et la prosodie, certaines structures syntaxiques sont indissociables de courbes prosodiques correspondantes. Les signes matérialisant la prosodie dans le français écrit (essentiellement la ponctuation) sont en quantité réduite et ne suffisent pas à rendre la diversité des courbes mélodiques. Dans la langue parlée en revanche, la prosodie est par nature une composante immédiate, constitutive du sens.

On verra enfin dans la section IV.5 qu'une notable partie de la morphologie du français obéit à une loi phonétique, avec des incidences différentes sur le français écrit et sur le français parlé.

On ne proposera pas dans cet article une grammaire complète, reprenant de façon méthodique tous les chapitres d'un cours de grammaire de base. Donc, pas de "tableaux des possessifs" ou de "liste des subordonnées circonstancielles". On se limitera aux faits significatifs concernant spécifiquement le français parlé.

Pour bien comprendre et mesurer la spécificité du français parlé sous ses divers aspects, il sera nécessaire de détailler préalablement les règles du bon usage. Chaque rubrique sera donc précédée d'un rappel de la norme.

Les faits de langue étudiés ne seront pas classés selon les trois grandes sections de la grammaire évoquées plus haut (morphologie – syntaxe – prosodie). On a préféré définir cinq grandes rubriques caractéristiques du français parlé, dont chacune se rattache d'une façon plus ou moins marquée à l'un ou l'autre de ces trois domaines, ou à deux d'entre eux. Ces cinq rubriques feront l'objet de la section IV.

Une cinquième section sera consacrée aux obstacles que l'on rencontre lorsque l'on tente de transcrire le français parlé.


                                                 __________________________



IV.    La grammaire du français parlé

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1)  Le système pronominal ===

a) On = nous

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Considérée comme fautive par la norme grammaticale, cette substitution est courante (encore que pas automatique chez tous les locuteurs) en français parlé.

On part dans une heure.

A la différence du pronom indéfini on du français de base (dont les formes-compléments sont vous, et auquel correspondent les possessifs son, sa, ses et le sien, la sienne, les siens, les siennes), le pronom on substitut de nous n'apparaît que dans son emploi comme sujet.

Les autres formes restent celles du pronom standard nous : formes-compléments nous, possessifs notre, nos, le/la nôtre, les nôtres. Il existe également une forme-sujet redoublée : Nous, on …

Nous, on prendra le métro.

Toutefois, lorsque le pronom on est sujet d'un verbe pronominal, ou qu'il est repris comme complément réfléchi, la proximité du verbe à la troisième personne du singulier entraîne le maintien du pronom réfléchi se ou s'  :

On s'en va.

Quand il a dit ça, on s'est tous regardés.

On s'est payé des glaces.


b) Les autres pronoms

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Pour tous les autres pronoms, personnels ou autres, les modifications sont nombreuses, mais sont toutes d'ordre phonétique  –  et seront donc traitées dans la section IV.4.



2) Les modifications syntaxiques

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a) Les phrases interrogatives

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Il s'agira ici des interrogations directes, c-à-d. de questions effectivement posées (par opposition aux interrogations indirectes, qui mentionnent une question posée ou à poser et constituent des propositions subordonnées).

A l'écrit, les interrogations directes sont marquées par deux signes redondants : le point d'interrogation en fin de phrase et l'inversion du verbe et du sujet (qui s'oppose à la "construction directe" sujet-verbe). A la lecture orale d'un texte écrit, la combinaison de ces deux facteurs détermine une courbe prosodique caractéristique, ascendante en fin de séquence : la fin de la phrase est dans un ton plus élevé que ce qui la prècède.

L'inversion s'applique dans les deux types d'interrogation que distinguent les grammairiens : l'interrogation globale (qui demande la validation ou l'invalidation de l'énoncé complet) et l'interrogation partielle (qui demande une information qu'elle ne contient pas, et qui s'ouvre en conséquence par un mot interrogatif  –  adjectif, pronom ou adverbe) :

Interrogation globale  : Serez-vous là demain soir ?

Interrogations partielles : Qui demandez-vous ?

Quand partez-vous ?

Lorsque le sujet de la phrase interrogative est un substantif, l'inversion prend alors la forme d'une inversion complexe : le nom-sujet reste à gauche du verbe, mais est repris en écho par un pronom personnel à droite du verbe. Cette structure particulière s'applique elle aussi dans les deux types d'interrogation (globale ou partielle) :

Le train sera-t-il à l'heure ?

Pourquoi le train a-t-il du retard ?

Il arrive toutefois que cette inversion soit abandonnée avec les interrogatifs comment ?, quand ? et où ?  –  mais uniquement lorsque le sujet du verbe n'est suivi d'aucun autre composant "essentiel" (COD ou attribut du sujet) :

Où va le monde ? Où est ton frère ? Où se trouve la sortie ?

Comment vont tes enfants ?

Jusqu'où peut aller la liberté d'expression ?

Quand part votre train ?

Enfin, l'inversion complexe est proscrite lorsque le mot interrogatif initial est le pronom-sujet qui ? ou le pronom-objet que ?  :

Qui veut poser des questions ?

Que demande le peuple ?

Mais elle demeure obligatoire si le pronom initial qui ? est complément :

Qui voulez-vous voir ?

Qui les électeurs ont-ils désigné ?

A qui les réclamations doivent-elles être adressées ?

Par qui le pays sera-t-il gouverné demain ?

Pour l'interrogation globale, on peut substituer à l'inversion l'introduction de la formule interrogative Est-ce que … ? Cette "marque interrogative", elle-même caractérisée par l'inversion, permet d'appliquer à la suite de la question la construction directe :

Est-ce que vous voulez rester ?

Est-ce que les travaux sont terminés ?

Est-ce qu'à votre avis cette somme suffira ?

Le cas du pronom interrogatif Que ?

Pour ce mot, la norme est d'une extrême subtilité.

Il ne peut être employé que comme COD dans une interrogative partielle standard :

Qu'attendez-vous de moi ?

Mais il ne peut pas être sujet. Il n'existe donc pas en français de pronom interrogatif neutre sujet. Pour pallier cette absence, il faut avoir recours à la formule Qu'estce qui ?

Qu'est-ce qui ne vous convient pas dans ce contrat ?

On le retrouve toutefois avec la fonction de "sujet réel" dans des constructions où l'inversion comporte un "sujet apparent"  :

 	Que vous est-il arrivé ?

Que restera-t-il de cette mode dans dix ans ?

A la différence d'autres mots interrogatifs, le pronom que est toujours inaccentué. Dans les groupes prépositionnels, il est remplacé par la forme accentuée correspondante quoi …  ?

A quoi pensez-vous ?

De quoi vous mêlez-vous ?


Le bilan que l'on peut dresser, en conclusion de cette énumération de règles ponctuelles diverses, est que la norme du français écrit concernant l'interrogation directe est d'une extrême complexité.

L'observation stricte de ces règles syntaxiques dans la langue orale produit le plus souvent un effet peu naturel, voire affecté.


Le français parlé usuel se distingue du "bon usage" par deux simplifications capitales : l'abolition de l'inversion et l'extension de la séquence interrogative est-ce que ? aux interrogations globales.

Abolition de l'inversion

La courbe intonatoire interrogative étant suffisante à rendre perceptible la nature interrogative de la séquence parlée, la construction syntaxique spécifique de l'interrogation, étant par nature redondante, devient inutile. On obtient donc des phrases interrogatives à construction directe, qu'il s'agisse d'interrogations globales ou d'interrogations partielles :

Tu viens demain ?

Vous voulez encore du café ?

Ton père est là ?

Où vous avez trouvé ça ?

Lorsqu'il s'agit d'une interrogation partielle commençant par un mot ou un groupe interrogatif autre que le pronom sujet qui ?, ce compsant interrogatif est placé tantôt à l'initiale, tantôt à la finale de la question :

Où vous allez ? ou Vous allez où ?

Comment tu trouves ça ? ou Tu trouves ça comment ?

A quelle heure on mange ? ou On mange à quelle heure ?

Et de quoi tu vivras  ? ou Et tu vivras de quoi ?

Lorsque le sujet de l'interrogative est un substantif ou un groupe nominal, la construction la plus usuelle est d'anticiper ce sujet par le pronom personnel correspondant, le nom ou groupe nominal ainsi remplacé étant reporté au-delà du noyau interrogatif :

Elle est juste, mon opération ?

Il arrive quand, ton train ?

Tu sais ce qu'elle te dit, la marine française ? (Marcel Pagnol)

Toutefois, avec l'interrogatif de lieu Où ? , la structure conforme à la norme se maintient en français parlé concurremment à la structure modifiée :

Où est l'erreur dans tout ça ? aussi bien que Elle est où dans tout ça, l'erreur ?

La généralisation de est-ce que  ?

Cette séquence spécifiquement interrogative, que l'on a définie plus haut comme spécifique de la question globale, s'étend en français parlé à toutes les formes d'interrogations directes, même partielles.

Quand est-ce qu'on dîne ?

Où est-ce que tu vas ?

A quoi est-ce que ça sert ?

Qu'est-ce qui pourrait m'arriver ?

Avec un sujet nominal, on retrouve ici encore le même emploi du sujet "disjoint" que dans les exemples précédents :

Qu'est-ce qu'elle te veut, la directrice ?

Quand est-ce qu'il arrive, ton train ?

A quelle heure est-ce qu'il ferme, le magasin ?

Avec le pronom interrogatif qui ? , employé comme sujet, cette structure est la seule observée en français parlé :

Qui est-ce qui veut encore du café ?

En revanche, quand qui ? est complément, les deux structures décrites plus haut sont également usuelles :

Qui est-ce qu'on attend ? Qui on attend  ? On attend qui ?

A qui est-ce que vous téléphoniez ? A qui vous téléphoniez ? Vous téléphoniez à qui ?

Avec le pronom interrogatif neutre objet que ? (français standard : Que lui voulez-vous ?), on observe non pas trois, mais seulement deux constructions possibles :

-    Maintien de l'interrogatif à l'initiale, sous la forme Qu'est-ce que ?

Qu'est-ce que tu disais ?

-    Report de l'interrogatif à la finale. Dans ce cas, la forme accentuée quoi se substitue      à forme inaccentuée de la norme :

Tu disais quoi ?


Cette forme est-ce que ? peut elle-même subir une ultime transformation par abolition de l'inversion. On obtient alors des phrases interrogatives en rupture complète avec la norme grammaticale  :

Qui c'est qui prendra un café ? C'est qui qui prendra un café ?

Quand c'est qu'on arrive ? C'est quand qu'on arrive ?

C'est quoi qu'on va voir ?

Les phrases de ce type, quoique couramment entendues, sont toutefois considérées comme "incorrectes" par des locuteurs qui (tant qu'il s'agit de français parlé) ne trouveraient rien à redire aux exemples précédents.


Le bilan à tirer de tous ces exemples est qu'en matière d'interrogation, le français parlé obéit à un autre code que la norme du français standard écrit, mais que cet autre code est lui aussi extrêmement complexe. En définitive, la seule caractéristique commune à toutes ces phrases est leur courbe intonatoire naturelle, qui constitue une acquisition "grammaticale" de la toute première phase de l'apprentissage de la langue, par simple imitation. Les structures syntaxiques sont en revanche très diversifiées, aussi bien dans l'usage oral que dans la norme de l'écrit.


b) Inversion abolie  –  Inversion maintenue

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On vient d'étudier l'omission de l'inversion dans les phrases interrogatives.

Mais l'inversion existe dans d'autres séquences du français conforme à la norme. Elle est tantôt obligatoire et tantôt facultative.

Elle est obligatoire après certaines attaques de phrase, soit sous forme d'inversion simple (quand le sujet est un pronom personnel), soit sous forme d'inversion complexe (quand le sujet est un nom ou un autre type de pronom). Voici une liste de ces attaques :

encore au sens spécifiquement concessif

ainsi au sens spécifiquement explicatif

aussi (ou aussi bien) au sens spécifiquement causal

à peine au sens spécifiquement temporel

du moins (locution à valeur adversative)

peut-être

sans doute dans les deux sens de cette locution

Encore faut-il trouver le temps.

Encore la plupart des gens ignorent-ils cette règle.

Ainsi n'est-il pas rare de rencontrer dans ce parc des lapins sauvages.

Aussi éviterons-nous d'aborder ce sujet.

Peut-être ton voisin pourrait-il nous aider.

A peine étais-je rentré que le téléphone a sonné.

Du moins François m'a-t-il proposé de m'aider.

Sans doute n'a-t-il pas eu le temps.

De toutes ces constructions, seule la tournure Encore faut-il (à ses divers temps et modes) s'est maintenue de façon constante en français parlé courant (Encore eût-il fallu apparaissant surtout dans des contextes d'intention ironique ou humoristique).

A quoi il faut ajouter la locution Toujours est-il que , commune au français écrit et au français parlé.

Dans les autres cas, le français parlé a recours à divers substituts.

encore s'emploie dans la locution encore que (suivie pour certains de l'indicatif, pour d'autres du subjonctif)

ainsi est suivi de la construction directe, mais est souvent remplacé par la locution c'est ainsi que.

(Le remplacement de ainsi par comme ça correspond à un autre sens de ce mot.)

peut-être et sans doute sont remplacés par peut-être que et sans doute que, suivis de la construction directe, ou se placent après le groupe sujet-verbe.

à peine se place immédiatement après le groupe sujet-verbe.

J'étais à peine rentré que le téléphone à sonné.

du moins s'emploie avec la construction directe, soit à l'attaque de la phrase, soit après le groupe sujet-verbe.

La norme grammaticale prévoit également l'inversion dans certaines propositions subordonnées  –  et sur ce point, les règles sont d'une extrême complexité :

Elle n'est jamais obligatoire.

[…] les contrées chaudes où migrent les oiseaux à l'approche de l'hiver […]

[…] les contrées chaudes où les oiseaux migrent à l'approche de l'hiver […]

Elle est interdite dans les interrogatives indirectes commençant par si (conversion en subordonnées des interrogations directes).

J'aimerais savoir si mes bagages ont été retrouvés.

Mais elle est possible dans tous les autres types de subordonnées, y compris les interrogatives indirectes commençant par tout autre mot interrogatif que si.

Personne ne peut dire quand seront achevés les travaux.

Personne ne peut dire quand les travaux seront achevés.

Elle ne fonctionne jamais avec un pronom-sujet, de quelque type que ce soit, mais uniquement lorsque le sujet est un nom. Mais dans ce cas, c'est une inversion simple, et non complexe.

Je vais t'expliquer comment cela fonctionne.

Je vais t'expliquer comment fonctionne un moteur à explosion.

Elle n'est licite qu'en fonction de l'absence ou de la présence d'autres composants dans la subordonnée concernée. Elle est interdite lorsque la subordonnée comporte un COD, contestable avec un complément d'attribution (ou COS), permise avec un COI régi par la préposition de, mais proscrite si le COI est régi par à.


Quand la subordonnée renfermant l'inversion comporte des compléments circonstanciels, certaines combinaisons sont possibles, d'autres impossibles. L'énumération détaillée des combinaisons possibles et impossibles demanderait plusieurs pages de "règles" et d'exemples !...


Lorsque l'on compare en détail les séquences écrites découlant de ce faisceau de normes avec leurs correspondances en français parlé, on constate que l'écart entre les deux systèmes est ici relativement réduit.

Tout juste peut-on dire que dans un français écrit "soigné", le recours à l'inversion confère à la séquence une certaine élégance rythmique, absente de la même séquence de français parlé sans inversion.

Français "châtié" : Sais-tu à quelle heure passe le facteur ?

Français parlé : Tu sais à quelle heure le facteur passe ?

Mais le français parlé n'ignore pas totalement l'inversion, et la séquence orale Tu sais à quelle heure passe le facteur ? est tout aussi fréquente. Elle ne constitue pas un "mélange de styles" détonant.


3) Altérations morphosyntaxiques

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Par morphosyntaxe, on entendra dans ce qui suit les lois sur le choix des formes en fonction de leur adaptation à d'autres éléments du contexte : divers types d'accord, choix du temps et du mode verbal, déclinaison de certains pronoms.


a) L'article indéfini

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La grammaire scolaire distingue trois catégories d'articles : article défini, article indéfini, article partitif.

L'article indéfini a des formes spécifiques pour le singulier. Mais au pluriel, il est en fait formé comme un partitif, par la contraction de la préposition de avec l'article défini les  : forme des commune aux deux genres.

La norme du français standard prescrit une variation de la forme de cette article lorsque le nom est accompagné d'un adjectif épithète : forme des si l'épithète suit le nom, mais de si l'épithète précède le nom.

                                des gens sympathiques       mais      de braves gens

Exception à cette règle  : l'article des est maintenu lorsque le groupe épithète-nom désigne un objet ou un concept unique (qu'il s'orhographie avec ou sans trait d'unio :

                	des fausses notes     		des petits fours
     	des grands-parents        	des anciens combattants

En français parlé, on observe une tendance à ignorer ce distinguo  –  et donc à employer des avec tous les groupes nominaux élargis, quelle que soit la place de l'épithète :

Il a des grands pieds.

Il doit rencontrer des anciens amis.

Ces caisses contiennent des vieux livres.

Quand la forme de est maintenue, elle correspond à un accent fort expressif portant sur l'épithète :

J'ai fait d'affreux cauchemars.

Attendez-vous à de graves ennuis.

Il portait d'horribles chaussettes jaunes.

Les tournures de ce type sont du reste couramment remplacées par le report de l'épithète accentuée à droite du nom :

J'ai fait des cauchemars affreux.

Attendez-vous à des ennuis graves.

Il portait des chaussettes jaunes horribles.

Dans la syntaxe compliquée de l'adjectif épithète en français, cet ordre correspond davantage à l'expression orale spontanée qu'au style de l'écrit standard.


b) Le verbe être avec le pronom démonstratif neutre ce (c')

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Dans les expressions C'est donc ton frère ou C'est lui, le pronom est défini comme le sujet et le nom comme l'attribut du sujet.

(A l'imparfait et au conditionnel, la différence n'est perceptible que dans la graphie.)

Pourtant, l'accord du verbe se fait avec l'attribut du sujet :

Ce sont mes frères.

Ce sont elles.

Ce seront de bons éducateurs.

Le français parlé courant abolit le plus souvent cette règle et maintient le singulier :

C'est tes affaires, pas les miennes.

Pour moi, ce sera des croissants.

Quoique jugée incorrecte par les puristes, cette forme est dominante dans l'usage oral.


c) L'expansion du sujet

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En français standard, le groupe sujet-verbe (le plus souvent dans cet ordre) constitue la base minimale de la plupart des phrases.

Le sujet ne figure pas toujours à l'attaque de la phrase. Même dans les assertions affirmatives ou négatives, le début de la phrase peut être occupé par divers constituants, tels des adverbes ou des compléments prépositionnels.

Le sujet peut être redoublé par un pronom personnel. Ce redoublement confère au sujet une accentuation et une intonation particulière : intonation montante et accentuation forte, que l'on retrouve également sur le pronom :

Son complice, lui, ne fut pas impliqué.

Si le sujet est lui-même un pronom, c'est le pronom accentué qui prend la première place, et il est repris immédiatement après par le pronom inaccentué :

Lui, il n'a pas de soucis à se faire.

Les virgules présentes dans ces séquences écrites correspondent à de brèves pauses dans le déroulement de la phrase à la lecture orale.

En français parlé, les phrases commençant par un nom-sujet sont également fréquentes.

Mais on observe une tendance à une expansion de ce sujet, sans intonation ni accentuation particulières, comme si les locuteurs évitaient spontanément la structure de base Sujet-Verbe-Fin de phrase lorsque le sujet est un nom.

Cette expansion peut prendre deux formes :

Redoublement du sujet nominal par un pronom personnel inaccentué.

Mon voisin il gagne plus que moi.

Les cerises elles sont chères cette année.

[Comme il s'agit de français parlé, il serait oiseux de se demander si cela "s'écrit" avec ou sans virgule …]

Dans les séquences orales de ce type, on ne décèle aucune intention "de mise en relief" ni d'emphase. On n'entend pas non plus de pause entre le nom et le pronom. Il s'agit d'un réflexe de redondance.

[Remarque : La graphie standard retenue dans ces exemples ne correspond pas à la prononciation authentique des phrases reproduites. Cet aspect sera traité dans les sections IV.5 et V.]

La locution Il y a.

En français standard, la locution verbale ll y a indique la présence ou l'existence d'un objet, d'une personne, d'un fait, ou d'une réalité concrète ou abstraite :

Il y a encore deux cent personnes dehors.

Il y a eu une panne de courant.

Il n'y a aucune raison de désespérer.

L'élément nominal ou pronominal introduit par Il y a peut lui-même être développé par une proposition relative :

Il y a des jours où rien ne marche.

Il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire.

L'élément introduit peut être une mesure chiffrée :

Il y a environ trois cents kilomètres de Paris à Dijon.

Il y a deux heures de décalage horaire entre Paris et Moscou.

Si le nom utilisé est une mesure de temps ou de distance, il peut être élargi par une subordonnée introduite par que :

Il y aura bientôt une heure que j'ai terminé.

Il y a vingt kilomètres que je n'ai pas vu une seule station-service.

Lorsque l'élément introduit est réduit à une unité de temps précédée d'un nombre ou d'un déterminant quantitatif, la locution Il y a est traitée comme une préposition servant à la datation d'un fait ponctuel antérieur. Le groupe ainsi formé constitue alors un complément de temps, pouvant s'insérer à n'importe quelle place au sein d'une phrase dont le verbe est à un temps du passé :

J'ai fait sa connaissance il y a vingt ans.


En français parlé, cette locution peut également servir au redoublement du sujet lorsque le sujet est un nom :

Il y a les voisins qui rouspètent.

Il y a le chien qui est malade.

[Remarque : Ici encore, la graphie standard ne correspond pas à la prononciation. Se reporter aux sections IV.5 et V.]

La même locution peut servir au placement de l'objet à l'attaque de la phrase. Le pronom relatif est alors le pronom-COD que.

Il y a Pierre que vous oubliez.

Dans les phrases parlées de ce type, la locution il y a n'apparaît pas à tous les temps ni tous les modes verbaux. Son emploi se limite au présent et à l'imparfait de l'indicatif.

Elle s'emploie également avec des phrases négatives :

Il y a ton petit frère qui n'a pas l'air en forme.


4) Les négations

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Toutes les négations de phrase du français standard ont pour point commun d'être des constituants "disjoints" : ils se composent de deux éléments :   

la négation ne (inaccentuée), constituant l'élément proprement négatif, toujours placée immédiatement devant la forme conjuguée du verbe

un élément positif, qui ne prend son sens négatif que par sa relation à ne.

L'élément positif peut être un composant nominal : pas, point, personne, ou d'origine nominale  : rien (accusatif latin rem), adverbial : jamais, guère (de l'ancien français gaire signifiant "beaucoup"), ou encore un adjectif indéfini : aucun.

Le pronom-adjectif nul, qui dans la langue emphatique peut se substituer à personne (dans la fonction de sujet) ou à aucun (dans toutes les fonctions), constitue un cas unique de négation redondante : la négation est exprimée deux fois, une fois par ne et une seconde fois par le n- de nul.

La place de l'élément positif est variable.

pas et point se situent toujours à droite du verbe conjugué en français moderne.

personne, rien et aucun , employés comme sujets, se placent naturellement à gauche de la négation ne (sauf si l'attaque de la séquence est le "sujet apparent" il). Employés comme COD ou COI, ils se placent à droite de la forme verbale conjuguée.

Les constituants adverbiaux jamais et nulle part se situent soit à gauche de la négation, soit à droite de la forme verbale.

En revanche l'adverbe guère ne peut figurer qu'à droite du verbe.