Utilisateur:Ps4/Séquence 5/Souvenir de la nuit du 4 - Victor Hugo

Séquence 5 La poésie. Poésie et engagement.
« Souvenir de la nuit du quatre », Livre II, III, Victor Hugo

Un enfant de 7 ans nommé Boursier, a été pris dans la fusillade du Boulevard Montmartre, ordonné 2 jours après le coup d'État pour réprimer les tentatives d'insurrection. Victor Hugo qui avait assisté a la veillé funèbre, a raconté, en prose, cette même scène dans Histoire d'un crime qui sera publié en 1877-88.

L'enfant avait reçu deux balles dans la tête.
Le logis était propre, humble, paisible, honnête;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand-mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son œil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : "Comme il est blanc! approchez donc la lampe !
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe !"
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer,
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas!
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
"Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre!
Cria-t-elle ! monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
A tuer les enfants maintenant? Ah! mon Dieu!
On est donc des brigands ? Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre!
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être!
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte;
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant! "
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule :
"Que vais-je devenir à présent, toute seule?
Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? Je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République."
Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.

Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince; il aime les palais;
Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l'église et la société;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
Où viendront l'adorer les préfets et les maires,
C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand-mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps,
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.

Analyse

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  • Ce poème est composé de trois parties : un récit, un dialogue et une conclusion morale (détachée à la fin). Il s'agit donc d'un apologue.
  • Tout au long de ce poème, deux registres dominent : le pathétique et le tragique.

Le tragique

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  • Le destin accable le héros. (cf. description de la personnalité de l'enfant, qui est ici le héros)
  • Il est fragile, bon, innocent, jeune. (Il a 7 ans).

Le pathétique

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  • C'est une scène pathétique de deuil, les nombreux spectateurs (l'aïeul, "nous", le lecteur) renforcent l'émotion de cette scène et le pathétique.
  • Le lieu et sa description (qui est une accumulation d'adjectifs de qualité). C'est un logis humble, le seul meuble est l'armoire en noyer.
  • La description de l'enfant avec le champ lexical du corps. On peut parler de réalisme. Victor Hugo utilise deux comparaisons :
  1. L'image du doigt que l'on peut plonger dans les plaies : référence au Christ, à l'innoncence sacrifiée
  2. L'image des mûres dans la haie : la mûre est un fruit, il est bon, comme l'enfant. L'image rappelle aussi la couleur du sang.
  • L'attitude de l'aïeul est elle aussi pathétique : elle est immobile. La modalité exclamative de ses interventions, l'utilisation d'apostrophes renvoient à l'idée que ses efforts sont vains.
  • L'expression "ce deuil qu'on ne console pas" indique bien qu'il est éternel.

La prise de parole de l'aïeul

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  • Au début, celle-ci commence par se plaindre, mais peu à peu, elle se met en colère : comme le montre l'incise "cria-t-elle".
  • Les modalités interrogatives et exclamatives dénotent une émotion croissante.
  • Les oppositions entre "tuer" et "petit-être" et "passait dans la rue" avec "on lui a tiré dessus" soulignent l'absurdité de cet acte.
  • Le chagrin de la grand-mère, qui se trouve dans une situation absurde et atroce, est aussi pathétique.
  • Elle proteste, elle remet en cause la politique de Napoléon III. Elle simplifie de façon populaire la situation (c'est-à-dire que selon elle c'est Napoléon III qui a tué l'enfant) pour dénoncer le vrai coupable. Elle pose des questions.

La morale

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  • C'est une explication formulée de manière ironique : il cherche des raisons à la position de Napoléon III.
  • "Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique" : Hugo rappelle que Napoléon III est un usurpateur.
  • Des vers 51 à 57 : c'est l'engagement pour le peuple de Napoléon III qui est décrit.
  • On a une accumulation de richesses, de luxes, de luxure (l'alcôve).
  • Ceci est en contraste avec la description du logis de l'enfant en début de poème. Lui Napoléon III tout seul possède tout ça.
  • L'idée est renforcée par les possessifs "son" et "sa" qui soulignent le véritable besoin de possession.
  • Enfin, Napoléon III "sauve" les valeurs "prônées" par Napoléon III.
  • On arrive à l'idée que c'est un véritable tyran, qui s'oppose à la démocratie.