Utilisateur:Ps4/Séquence 5/Le bord de la mer - Victor Hugo

Séquence 5 La poésie. Poésie et engagement.
« Le bord de la mer », livre III, XV, Victor Hugo
HARMODIUS
La nuit vient. Vénus brille.

    L'ÉPÉE
    Harmodius ! c'est l'heure.

LA BORNE DU CHEMIN
Le tyran va passer.

    HARMODIUS
    J'ai froid, rentrons.

        UN TOMBEAU
        Demeure.

HARMODIUS
Qu'es-tu ?

    LE TOMBEAU
    Je suis la tombe. - Exécute ou péris.

UN NAVIRE A L'HORIZON
Je suis la tombe aussi, j 'emporte les proscrits.

L'ÉPÉE
Attendons le tyran.

    HARMODIUS
    J'ai froid. Quel vent !

LE VENT
Je passe.
Mon bruit est une voix. Je sème dans l'espace
Les cris des exilés, de misère expirants,
Qui sans pain, sans abri, sans amis, sans parents,
Meurent en regardant du côté de la Grèce.

VOIX DANS L'AIR
Némésis ! Némésis ! lève-toi, vengeresse !

L'ÉPÉE
C'est l'heure. Profitons de l'ombre qui descend.

LA TERRE
Je suis pleine de morts.

LA MER
Je suis rouge de sang.
Les fleuves m'ont porté des cadavres sans nombre.

LA TERRE
Les morts saignent pendant qu'on adore son ombre.
À chaque pas qu'il ait sous le clair firmament
Je les sens s'agiter en moi confusément.

UN FORÇAT
Je suis forçat, voici la chaîne que je porte,
Hélas ! pour n'avoir pas chassé loin de ma porte
Un proscrit qui fuyait, noble et pur citoyen.

L'ÉPÉE
Ne frappe pas au cœur, tu ne trouverais rien.

LA LOI
J'étais la loi, je suis un spectre. Il m'a tuée.

LA JUSTICE
De moi, prêtresse, il fait une prostituée.

LES OISEAUX
Il a retiré l'air des cieux et nous fuyons.

LA LIBERTÉ
Je m'enfuis avec eux - ô terre sans rayons,
Grèce, adieu !

UN VOLEUR
Ce tyran, nous l'aimons. Car ce maître
Que respecte le juge et qu'admire le prêtre,
Qu'on accueille partout de cris encourageants,
Est plus pareil à nous qu'à vous, honnêtes gens.

LE SERMENT
Dieux puissants ! à jamais, fermez toutes les bouches !
La confiance est morte au fond des cœurs farouches.
Homme, tu mens ! Soleil, tu mens ! Cieux, vous mentez !
Soufflez, vents de la nuit ! emportez, emportez
L'honneur et la vertu, cette sombre chimère !

LA PATRIE
Mon fils ! Je suis aux fers. Mon fils, je suis ta mère !
Je tends les bras vers toi du fond de ma prison.

HARMODIUS
Quoi ! le frapper, la nuit, rentrant dans sa maison !
Quoi ! devant ce ciel noir, devant ces mers sans borne !
Le poignarder, devant ce gouffre obscur et morne,
En présence de l'ombre et de l'immensité !

LA CONSCIENCE
Tu peux tuer cet homme avec tranquillité !

Analyse

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  • Ce poème est situé à la fin du livre III. C'est donc la conclusion du livre III. Il faut le lire avec le poème « Non » qui lui répond.
  • Le texte à l'apparence de celui d'une pièce de théâtre.
  • Les personnages sont Harmodius et des allégories :
  1. Des objets : l'épée et le tombeau
  2. La nature : le vent, la terre, la mer, les oiseaux
  3. Des personnages : un forçat et un voleur
  4. Des valeurs : la loi, la justice, la patrie, la liberté, la conscience et le serment

Commentaire linéaire

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  • Harmodius a assassiné un tyran dans l'antiquité grecque (Athènes, VIème). C'est donc un personnage connu du public de l'époque. Il va donc s'agir d'un débat : faut-il tuer ou non le tyran (Napoléon III) ?
  • "nuit" : image qui qualifie la période que Napoléon III impose au pays. Opposition entre "nuit" et "brille".
  • On assiste à un complot. "C'est l'heure" : Ordre à Harmodius de tuer. "Rentrons" : Il ne veut pas. "J'ai froid" : Ces deux mots reviennent à chaque fois qu'est prononcé le mot "tyran". "Demeure" : Dernier mot du vers (ce qui lui donne de l'importance).
  • "C'est l'heure" et "Demeure" encadrent les paroles d'Harmodius dans le vers. Ceux-ci empêchent physiquement celui-ci de partir.
  • "Exécute ou péris" : Impératifs, c'est bien une menace.
  • Le parallélisme entre la tombe et le navire : en emportant les proscrits du régime de Napoléon III, le bâteau les enlève au pays.
  • La gradation ascendante, marquée par l'utilisation du privatif "sans", souligne la privation et la misère. Les verbes "meurent" et "expirant" rappellent le thème du tombeau.
  • Opposition : le vent ramène le souvenir des proscrits contrairement au bâteau qui les emmène.
  • "Grèce" rappelle le pays d'Harmodius, et renvoie à son histoire.
  • Invocation à la déesse de la vengeance (cf. la tragédie Electre de Sophocle : les dieux doivent armer les vivants). "Voix dans l'air" : Ce sont des anonymes qui parlent.
  • "C'est l'heure" : répétition du premier vers. "Profitons" : insiste sur l'urgence d'agir, après, on ne pourra plus.
  • Parrallélisme soulignant les crimes de Napoléon III : "terre et mer" avec "morts et sang".
  • Oppostion entre "adorer" et "saigner".
  • "On adore son ombre". Ce que l'on adore ce sont les dieux ou les idôles (choses fausses). "L'ombre" est la menace qui pèse sur le pays.
  • "il" : Napoléon III. "les" : ils se retournent dans leur tombe
  • "ne pas avoir" : tournure négative, ce n'est donc pas grave. Il a d'ailleurs fait une bonne action.
  • Napoléon III n'a pas de coeur, c'est un homme insensible.
  • Les valeurs portent témoignage contre Napoléon III
  1. (Loi) Progression entre "j'étais" et "je suis".
  2. (Justice) La prêtresse est vierge, ce qui s'oppose à la prostituée.
  3. (Oiseaux) Les oiseaux sont purs et légers, comparaison avec le peuple. Napoléon III étouffe le peuple.
  4. (Liberté) "Sans rayons" : il fait donc nuit.
  • Le voleur, seul personnage négatif, fait seul l'éloge du tyran. Mais le dernier vers dénonce la corruption et les traîtres au peuple : "Respecte le juge, admire le prêtre"
  • La modalité exclamative, l'accumulation d'arguments, l'appel et l'accusation sont autant de marques de l'indignation.
  • Le rythme ternaire désigne le mensonge à tous les niveaux (homme, soleil, cieux). Il ne manque plus que la fin !
  • Harmodius est appellée par sa mère (la France) afin qu'il sauve celle-ci.
  • Harmodius refuse ; il a peur, il ne veut pas. Ce geste lui paraît trop lâche, il ne veut pas agir comme ça. Il veut le vaincre de face.
  • Moralement il doit le tuer. (Attention : cf. poème suivant « Non »)
  • Il y a eu délibération entre les personnages.