Utilisateur:MdBdH/Journée des mal brulés

La journée des Maubrulez est un épisode de l’histoire de Valenciennes révélateur de la place prise par l’Eglise Réformée dans la société Valenciennoise du milieu du XVIème siècle.

Contexte :

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Valenciennes est, à partir des années 1540, une ville acquise à la Réforme protestante. Ville prospère vivant de la production et du commerce du textile, elle comptait alors environ 18.000 habitants . Les institutions de la ville sont fort démocratiques et libérales. L’autonomie judiciaire et les privilèges  dont peuvent se prévaloir les bourgeois offrent une protection contre la répression du pouvoir royal exercé par le Prévôt-le-Comte  et également contre le pouvoir judiciaire de l’évêché de Cambrai en matière religieuse . De plus, une partie du Magistrat de la ville chargé des poursuites est acquise à leur cause  et se prévaut des privilèges pour résister à l’ingérence du roi et de l’évêché. D’autres, pusillanimes, craignent, à juste titre, des révoltes. La ville offre ainsi un terreau fertile aux prêches des pasteurs calvinistes de haut niveau comme Guy de Bray (1522-1567), formé à Genève à l’école de Calvin. Le commerce du textile via l’Escaut qui est navigable par des barges à fond plat jusqu’à Anvers, lieu d’effervescence commerciale et intellectuelle, est aussi un puissant vecteur favorisant l’introduction de la Réforme. Y naviguent avec les marchandises, les idées et les livres qui en sont le support.

Les Faits :

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Pour lutter contre l’expansion du protestantisme, le pouvoir se sert d’indicateurs. L’un d’entre eux averti Marguerite de Parme, gouvernante des Pays-Bas, que Guy de Bray était en contact avec un chaussetier nommé Guy Maillart, âgé de 29 ans. La duchesse ordonne au Magistrat d’enquêter.

Le soir du 16 janvier 1562, Guy Maillart est arrêté dans la chambre qu’il tient en location. Est aussi présent sur les lieux, Simon Faveau, âgé de 35 ans, sayeteur et crassier . Y sont saisis des livres séditieux. Ils sont aussitôt arrêtés et emprisonnés dans la prison du Magistrat. Simon Faveau est interrogé à plusieurs reprises par le Magistrat en présence du lieutenant du prévôt-le-comte, Jean Rolin. Ces interrogatoires sont relevés par le greffier Pierre Biseau pour être communiqués à la duchesse. Assiste à l’interrogatoire du 20 février le révérend père Grégoire Lefevbre, prédicateur aux Carmes de Valenciennes. Les interrogatoires révèlent le degré d’instruction de cet humble calviniste en matière religieuse. Sachant sans doute ce qui l’attend, il nie néanmoins avec conviction la présence réelle du Christ dans l’eucharistie et ne reconnait comme sacrement que le baptême et la scène. Le lieutenant du prévôt-le-comte entend saisir l’opportunité de cette arrestation pour que Faveau dénonce ses complices et demande au Magistrat de le soumettre à la torture. Mais le Magistrat s’y oppose, faisant valoir que les privilèges soustrayaient depuis des temps immémoriaux les bourgeois de la ville à ce type d’interrogatoire. Les archives relatives au dossier d’instruction de Philippe Maillard sont perdues . Le Magistrat hésite à donner une suite rapide à ces arrestations malgré l’insistance de la duchesse. S’établit alors un rapport de forces entre les protestants, le Magistrat et le pouvoir royal. Les premiers mettent en œuvre des procédés destinés à intimider le Magistrat. Ils répandent des libelles argumentés de références bibliques susceptibles de troubler les esprits religieux. Ils font circuler des rumeurs menaçantes. Ils manifestent, de nuit parfois, armés en chantant des psaumes. Malgré les instructions reçues, les sergents de ville trop peu nombreux pour disperser ces manifestations ne procèdent à aucune arrestation. Etrangement ils ne peuvent relever l’identité d’aucun participant. Les capes et les manteaux recouvrent soi-disant tous les visages. Le Magistrat irrésolu, craignant des troubles plus importants et craignant pour lui-même, veut gagner du temps. La duchesse, quant à elle intransigeante, est faiblement secondée par le Marquis de Berg bailli de Hainaut qui ne prend pas la mesure des événements et répugne au recours à la méthode forte. A force d’hésitations et d’échanges épistolaires entre la duchesse, le Magistrat et le Marquis de Berg, on est déjà fin mars. C’est le temps de Pâques. Il faut attendre que les grandes solennités religieuses soient passées. Le 4 avril, l’affaire est évoquée par la duchesse au Conseil d’Etat. Le jour-même, par courrier, la duchesse met en demeure le Magistrat de prononcer la sentence et de l’exécuter aussitôt. A défaut, elle le menace de procéder à des moyens qui seraient humiliants pour les libertés communales. S’attendant à être avertie de l’exécution de ses ordres, ce sont deux représentants de la ville qui sollicitent à Bruxelles son audience. Ils l’avisent que dans les cabarets on manifeste clairement l’intention de s’opposer par les armes à l’exécution de Maillart et de Faveau. L’affaire est débattue à nouveau en Conseil d’Etat le 18 avril. Le Marquis de Berg minimise. Convoqués en Conseil, les délégués de la ville sont renvoyés sur le champ avec les recommandations du Marquis de Berg quant aux modalités de mobilisation de la milice bourgeoise pour assurer la police et la façon de construire un bucher élevé relié directement à la maison de ville pour se prémunir des manifestants. Désappointés de n’avoir été entendu et de revenir les mains vides ou pour gagner du temps les deux délégués tardent à prendre la route. Le Marquis, s’étant rendu à Mons, s’étonne de leur absence de transit par cette ville. Il en avise la duchesse. Furieuse, elle apprend le 23 qu’ils sont toujours à Bruxelles. Ils s’excusent prétextant qu’ils n’ont pas trouvé de moyen de transport. Le Magistrat, acculé, prépare la sentence et fait les aménagements pour le bucher devant la maison de ville sans dévoiler la date d’exécution. La date choisie est tôt matin, le lundi 27 avril. Cette date est retenue car le Magistrat spécule sur l’absence d’une bonne partie des artisans du textile qui ont coutume le samedi de se rendre dans les villages voisins soit pour aller aux champs, soit pour y rencontrer leur famille soit pour participer aux fêtes villageoises. Ils ne sont usuellement de retour en ville que le lundi dans la matinée.  Pour ne pas éveiller les soupçons des « sectaires », les soixante bourgeois armés qui doivent accompagner les sergents de ville pour faire la police, sont convoqués en personne la veille tard dans la soirée « voires qu’ilz fussent en leur litz ». A quatre heures du matin, le Magistrat se réunit autour du Prévôt Jacques le Poivre et rédigent la sentence selon les instructions de la duchesse. La sentence ne manque pas de sous-entendre que cette décision n’est pas l’œuvre du Magistrat, qu’elle est prononcée sur ordres et qu’à défaut de les exécuter, les officiers de justice seraient tenus comme complices et punis comme tel.  

Instructions ont été données de maintenir les portes de la ville closes. Les bourgeois en armes et les sergents de ville se rangent en position devant la maison de ville. En dépit des espérances du Magistrat, une foule importante regarde les préparatifs. Le prévôt et les échevins se présentent devant elle. Le greffier Pierre Biseau donne lecture de la sentence mentionnant la condamnation pour hérésie et condamnant Maillart et Faveau au bucher et à la confiscation de leurs biens.  Les prisonniers sont sortis de la prison et poussés sur le bucher. A ce moment, Simon Faveau entonne les paroles du psaume 94 qui est un appel à un Dieu vengeur des pervers et des oppresseurs. Aussitôt, la foule menaçante se presse autour des prisonniers. Craignant que les prisonniers ne soient libérés le Magistrat ordonne de réintégrer ceux-ci dans leur prison. S’ensuit une scène étrange révélatrice du profond mysticisme de ces acteurs. Voyant ainsi les prisonniers épargnés par la main de Dieu, la foule se décoiffe, s’agenouille et rend lui grâce. Certains se relèvent et lapident le corps du Magistrat qui se réfugie dans la maison de ville tandis que d’autres font mouvement vers le couvent des Dominicains dans l’intention de le saccager. Mais, entendant le prêche exalté de Guillaume Cornu, un tournaisien disciple de Guy de Bray, ils se ravisent, se précipitent vers la prison, forcent les portes et libèrent les prisonniers. Toujours enchaînés ils sont portés sur des épaules jusqu’à la boutique du Noquet d’Or où leurs fers sont limés. Il est alors 11 heures du matin. Aidés probablement par leurs coreligionnaires du guet, les fugitifs s’échappent de ville et rejoignent le village d’Anzin. Après insistance, ils trouvent un toit pour la nuit chez un bon catholique, Philippart, le meunier d’Anzin. Il paiera le prix de cette hospitalité de sa tête. On perd ensuite la trace des fugitifs.

Les conséquences :

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Malgré la répression, la faiblesse révélée par ces faits des institutions communales va permettre au consistoire de prendre un ascendant sur le gouvernement de la ville au point de la contrôler totalement en 1566. Le 14 décembre 1566, elle sera déclarée rebelle par Marguerite de Parme et prise par la force le 23 mars 1567 par le nouveau bailli de Hainaut Philippe de Noircarmes. Les privilèges seront suspendus et la ville sera gouvernée près de sept années par des commissaires royaux avant de retrouver, le 16 juin 1674, ses privilèges et ses institutions. Entretemps, seul Simon Faveau sera arrêté et brulé vif à Valenciennes le 29 mars 1568 , l’année qui suit la première séance du Conseil des Troubles.

La modération du marquis de Berg, lors de ces événements, lui fit perdre une partie de son crédit auprès de la duchesse et du roi Philippe II d’Espagne. Envoyé en mission par le Conseil d’Etat en mai 1566 avec le baron de Montigny en vue de proposé à Philippe II une restructuration de ce conseil, une modération des placards réprimant l’hérésie et la levée de l’inquisition au Pays-Bas,  si une blessure n’avait pas causé son décès, il eut à subir le même sort que le baron de Montigny. Le roi fit étrangler ce dernier. Les circonstances du décès du marquis restent néanmoins suspectes.