Utilisateur:Leonard Fibonacci/Vie d'Agricola

La censure sous Domitien et l'éloge de Trajan modifier

2. Nous lisons que, comme Arulénus Rusticus avait fait l'éloge de Paétus Thraséa et Hérennius Sénécion celui de Helvidius Priscus, ce fut considéré comme un crime capital et que l'on sévit non seulement contre les auteurs eux-mêmes, mais aussi contre leurs livres, la tâche ayant été confiée aux triumvirs de brûler au comitium et sur le forum les monuments écrits d'hommes très brillants. 2. Sans doute, on pensait étouffer par ce feu la voix du peuple romain, la liberté du sénat et la conscience du genre humain, après avoir en outre expulsé les professeurs de philosophie et fait partir en exil tout art bénéfique, afin que rien d'honorable ne se produisît nulle part. 3. Nous avons assurément donné un grand exemple de patience et, de même que la vieille génération a vu ce qu'était le plus haut degré de liberté, de même nous avons vu ce qu'était le plus haut degré de servitude, lorsqu'on nous ôta, par les enquêtes, jusqu'à la possibilité de nous parler et de nous écouter mutuellement. 4. C'est la mémoire elle-même que nous aurions aussi perdu avec la parole, s'il était autant en notre pouvoir d'oublier que de nous taire. (Latin)


3. C'est maintenant seulement que revient la vie ; mais, quoique, dès la naissance d'une période très heureuse, l'empereur Nerva ait associé des choses jadis incompatibles, le principat et la liberté, que chaque jour Trajan, son fils adoptif, accroisse le bonheur de notre temps et que la sécurité publique se soit approprié non seulement un espoir et un vœu, mais aussi une ferme confiance en ce vœu même, par nature, cependant, les remèdes aux maladies des hommes sont plus lents que leurs maux et de même que nos corps s'accroissent lentement, mais s'éteignent en un instant, de même on étouffe le talent et les études plus facilement qu'on ne les rétablit. Le fait est qu'on se prend aussi à la douceur de l'indolence elle-même et que, la paresse, d'abord détestée, est à la fin aimée. 2. Qu'est-ce si, durant quinze ans, grand espace de temps pour une vie mortelle, beaucoup ont succombé par des accidents fortuits, tous les plus actifs sous la cruauté du prince, si nous sommes peu à avoir survécu, non seulement aux autres, mais pour ainsi dire à nous-mêmes, après que tant d'années ont été retirées du milieu de notre vie, où nous sommes parvenus en silence, les jeunes à la vieillesse, les vieillards presque au terme même de leur vie achevée ?

Cn. Julius Agricola modifier

4. Cn. Julius Agricola, originaire de la vieille et illustre colonie de Fréjus, eut pour grands-pères, des deux côtés, des procurateurs impériaux, ce qui signifie qu'ils étaient chevaliers. 2. Son père, Julius Graecinus, membre de l'ordre sénatorial, était connu pour son fort goût pour l'éloquence et la philosophie et, à cause de ces qualités même, mérita la colère de l'empereur Caligula ; en effet, on lui donna l'ordre de mettre en accusation Marcus Silanus et, parce qu'il avait refusé, on l'exécuta. 3. La mère d'Agricola était Julia Procilla, femme d'une rare pureté de mœurs. Élevé auprès d'elle et de sa tendresse, il passa son enfance et sa jeunesse à pratiquer tous les arts libéraux. 4. Ce qui l'éloigna des séductions des débauchés fut, outre sa nature bonne et intègre, le fait qu'il eut, dès son plus jeune âge, Marseille comme lieu de résidence et directrice de ses études, lieu où l'affabilité des Grecs et la retenue des provinciaux se trouvaient réunies et heureusement associées. 5. Je me rappelle qu'il avait lui-même l'habitude de raconter que, dans sa première jeunesse, il aurait consumé un désir trop ardent pour la philosophie, allant au-delà de ce qui est permis à un Romain et à un membre de l'ordre sénatorial, si la prudence de sa mère n'eût tempéré son esprit ardent et plein de feu. 6. Bien sûr, son naturel noble et élevé recherchait la beauté et l'éclat d'une grande et très haute gloire avec plus d'impétuosité que de prudence. Bientôt l'âge et la raison l'apaisèrent et il retint de la philosophie le sens de la mesure, ce qui est très difficile. (Latin)


5. Il obtint, en Bretagne, l'approbation de son premier apprentissage de la vie militaire par Suétonius Paulinus, chef diligent et plein de modération, qui l'avait choisi pour se faire un jugement sur lui en se l'attachant. 2. Et Agricola, en retour, ne se comporta, vis-à-vis de son titre de tribun et de son inexpérience, ni avec licence, à la manière des jeunes gens qui transforment la vie militaire en vie de débauche, ni avec indolence, pour se procurer plaisirs et provisions ; mais il apprit à connaître la province, se fit connaître de l'armée, apprit auprès de ceux qui étaient expérimentés, suivit les meilleurs, ne rechercha rien pour pouvoir se vanter, ne refusa rien par peur et se conduisit en même temps de façon à la fois consciencieuse et attentive. 3. Jamais, assurément, la Bretagne ne fut plus agitée et dans une situation plus incertaine : des vétérans étaient massacrés, des colonies incendiées, des armées encerclées ; on combattit alors pour son salut, bientôt pour la victoire.

6. De là revenu à Rome pour y solliciter des magistratures, il épousa Domitia Decidiana, issue d'illustres aïeux ; ce mariage, pour lui qui visait de plus grands projets, fut remarquable et solide et ils vécurent dans une admirable concorde, se chérissant mutuellement et se cédant l'un l'autre la première place, si ce n'est que, dans une bonne épouse, il y a d'autant plus à louer qu'il y a plus à blâmer dans une mauvaise. 2. Le sort lui donna, pour sa questure, la province d'Asie et Salvius Titianus comme proconsul, par aucun desquels il ne fut corrompu, quoique à la fois cette province fût riche et ouverte aux déprédations et le proconsul, enclin à toute convoitise, prêt à acheter, par une facilité sans bornes, une dissimulation mutuelle de leurs mauvaises actions. 3. Là, sa famille s'accrut d'une fille, soutien et consolation à la fois, car il perdit bientôt un fils qu'il avait reconnu auparavant. 4. Bientôt, il passa l'année entre sa questure et son tribunat de la plèbe et aussi l'année même de son tribunat dans le calme et le loisir, car il savait que l'inactivité tenait lieu de sagesse à l'époque de Néron. 5. Durant sa préture, même conduite, même silence : en effet, il ne lui avait été attribué aucune juridiction ; il s'occupa des jeux et des tâches vaines de sa charge entre économie et prodigalité, aussi loin du luxe que plus proche de l'approbation publique. 6. Ensuite, choisi par Galba pour inspecter les dons faits aux temples, par une recherche très consciencieuse, il fit en sorte que l'État ne subît les sacrilèges d'aucun autre que de Néron. (Latin)


7. L'année suivante frappa son âme et sa famille d'une grave blessure. 2. En effet, durant la libre errance de la flotte d'Othon et sa dévastation, en ennemie, de la région de Vintimille (qui est une partie de la Ligurie), la mère d'Agricola fut tuée dans sa propriété et cette propriété elle-même et une grande partie de son patrimoine furent pillées, ce qui avait été la cause du meurtre. 3. Agricola était donc parti s'acquitter de ses devoirs filiaux, lorsqu'il apprit la nouvelle que l'empire était échu à Vespasien et passa aussitôt dans son camps. 4. Mucien réglait les débuts du principat et la situation à Rome, car Domitien était très jeune et ne tirait de la bonne fortune paternelle que la pratique de la licence. 5. Comme Agricola avait été envoyé lever des troupes et s'en était acquitté avec intégrité et diligence, Mucien le mit à la tête de la vingtième légion, qui tardait à se rallier en prêtant serment, où son prédécesseur, racontait-on, avait un comportement séditieux ; le fait est que, pour des légats consulaires aussi, elle était indisciplinée et redoutable et que le légat prétorien n'avait pas la capacité de la contenir, on ne sait si c'était à cause de son caractère ou de celui des soldats. 6. Ainsi, choisi à la fois pour lui succéder et les punir, avec une modération tout à fait exceptionnelle, il préféra paraître avoir trouvé de bons soldats que les avoir rendus tels.(Latin)

Sous Vespasien modifier

8. Etait alors à la tête de la Bretagne Vettius Bolanus, avec trop de douceur qu'il ne convient pour une province féroce. Agricola tempéra sa vigueur et réprima son ardeur, l'empêchant de croître, car il avait appris à obéir et savait mêler l'utile à l'honorable. 2. Peu de temps après, la Bretagne accueillit comme légat consulaire Pétilius Cérialis. Alors les qualités eurent de l'espace pour s'illustrer, mais, dans un premier temps, Cérialis partagea seulement les tâches pénibles et les situations critiques, bientôt aussi la gloire ; il mit souvent Agricola à la tête d'une partie de l'armée pour le mettre à l'épreuve, parfois à la tête de troupes plus nombreuses, à la suite d'un succès. 3. Et Agricola ne s'enorgueillit jamais de ses hauts faits en vue de sa propre gloire ; c'était à celui dont il tirait ses ordres et qui le dirigeait que, en subordonné, il rapportait sa bonne fortune. 4. Ainsi, par son courage lorsqu'il obéissait, par sa modestie lorsqu'il parlait en public, il était sans envieux, mais non sans gloire. (Latin)


9. Alors qu'il revenait de son poste de légat des légions, le divin Vespasien l'admit parmi les patriciens et le préposa ensuite à la province d'Aquitaine, ce qui était une fonction conférant une dignité éclatante entre toutes et un espoir de consulat pour celui à qui elle avait été destinée. [...] 7. Il fut retenu moins de trois ans dans cette charge de légat et fut aussitôt rappelé dans l'espoir d'un consulat, accompagné de la croyance qu'on lui donnait la Bretagne comme province, non parce qu'il avait discuté de cela lui-même, mais parce qu'il paraissait à la hauteur. 8. La rumeur ne se trompe pas toujours ; parfois même, elle choisit. 9. C'est devenu consul qu'il promit sa fille, qui donnait alors de grands espoirs, en mariage au jeune homme que j'étais ; il me la donna comme épouse après son consulat et fut aussitôt préposé à la Bretagne, après ajout de la dignité de pontife. . (Latin)

En Bretagne modifier

10. Bien que beaucoup d'auteurs aient fait entrer dans les mémoires le site et les peuples de la Bretagne, [...] 3. Tite-Live et Fabius Rusticus, respectivement les auteurs les plus éloquents parmi ceux d'autrefois et d'aujourd'hui, ont comparé la forme de l'ensemble de la Bretagne à un plat oblong ou à une hache à deux tranchants. 4. Et c'est en effet son aspect en deçà de la Calédonie, d'où le fait qu'on le dise aussi pour son ensemble. Mais, pour ceux qui vont au-delà, l'espace immense et gigantesque des terres qui s'avancent dans ce qui est à présent l'extrémité de son rivage s'amincit jusqu'à former un coin. 5. Après avoir fait alors, pour la première fois, le tour de ces rives de l'ultime mer, la flotte romaine confirma que la Bretagne était une île et, en même temps, trouva et domina des îles jusqu'alors inconnues, qu'on appelle Orcades. 6. On aperçut même la terre de Thulé, car ordre avait été donné de s'en tenir là et l'hiver approchait. [...]


12. Leur force est dans l'infanterie ; certains peuples combattent aussi avec des chars : le plus noble conduit, ses clients combattent en avant. 2. Jadis ils obéissaient à des rois ; ils sont maintenant partagés entre leurs chefs, avec des factions pleines d'ardeur. 3. Et rien, contre ces nations très puissantes, ne nous est plus utile que leur absence de décisions prises en commun. 4. Il est rare que deux ou trois cités se réunissent pour repousser un danger commun : ainsi, ils combattent séparément et sont absolument tous vaincus. 5. Le climat est désagréable, car la pluie et le brouillard y sont fréquents ; mais le froid n'y est pas rigoureux. 6. La durée des jours dépasse la mesure de celle de chez nous ; les nuits sont claires et, à l'extrémité de la Bretagne, courtes, de sorte qu'on distingue à peine la fin et le début du jour. 7. Si les nuages ne le masquent pas, on affirme qu'on voit durant la nuit la clarté du soleil et qu'il ne se couche ni ne se lève, mais passe. 8. Sans doute que les extrémités planes de ces terres, ne formant qu'une ombre très basse, ne peuvent élever les ténèbres de la nuit, qui tombe sans atteindre le ciel et les astres. 9. Le sol, à l'exception de l'olivier, de la vigne et du reste des plantes qui poussent habituellement sur des terres plus chaudes, est fertile et fécond ; les cultures mûrissent tard, mais poussent vite ; ces deux particularités ont la même cause : l'abondante humidité de la terre et du climat. 10. La Bretagne contient de l'or, de l'argent et d'autres métaux, prix de sa conquête. 11. L'océan y produit aussi des perles, mais mates et ternes. 12. Certains jugent que ceux qui les ramassent sont dépourvus d'habilité ; en effet, dans la mer Rouge, on les arrache aux roches, vivantes et palpitantes, tandis qu'en Bretagne, on les ramasse selon qu'elles ont été arrachées. Pour ma part, je serais plus facilement porté à croire que ces perles sont dépourvues de qualités naturelles, plutôt que nous d'avidité. (Latin)


14. Le premier gouverneur consulaire fut Aulus Plautius, et, peu après lui, Ostorius Scapula, tous deux distingués à la guerre ; peu à peu fut réduite à l'état de province la partie la plus proche de la Bretagne ; on y ajouta en outre une colonie de vétérans. 2. Certaines cités furent données au roi Cogidumnus (il resta très fidèle jusqu'à notre époque), selon une coutume ancienne du peuple romain et admise depuis longtemps déjà, qui consiste à avoir même les rois comme instruments d'asservissement. 3. Bientôt, Didius Gallus continua ce que ses prédécesseurs avaient commencé, bien que peu de fortins, tout au plus, aient été avancés vers les frontières, pour, grâce à ces actions, rechercher la gloire d'avoir agrandi sa charge. 4. Veranius succéda à Didius, mais il mourut dans l'année. 5. Après cela, Suetonius Paulinus connut le succès pendant deux ans, après avoir soumis des peuples et renforcé des garnisons et, parce que cela lui donnait confiance, il attaqua l'île de Mona en tant qu'elle fournissait des forces aux rebelles et laissa derrière lui une occasion de soulèvement.(Latin)

Boadicea modifier

16. Mutuellement enflammés par ces discours et de semblables, et prenant pour chef Boadicea, femme du sang royal, car pour les commander ils ne distinguent point de sexe, tous courent aux armes, dispersent les soldats disséminés dans les citadelles, enlèvent nos forts, et envahissent la colonie même comme siège de la tyrannie. La rage et la victoire n'omirent aucun genre de cruauté connu des barbares ; et si Paullinus, instruit du soulèvement de la province, ne fût promptement survenu, la Bretagne était perdue. Le succès d'un seul combat la rendit à son ancienne soumission, quoique la plupart gardassent leurs armes : inquiets du résultat de leur révolte, la présence du gouverneur leur inspirait plus de crainte. Paullinus, si estimable d'ailleurs, traita les rebelles soumis avec arrogance et dureté, ce qui semblait la vengeance de sa propre injure ; on envoya Petronius Turpilianus, comme moins inexorable : étranger aux crimes des ennemis, il devait par là même accueillir plus facilement leur repentir. Après avoir pacifié la province, sans oser rien de plus, il la remit à Trebellius Maximus. Trebellius, quoique sans énergie et sans aucune expérience des camps, la contint par une certaine urbanité d'administration. Dès lors ces barbares eux-mêmes apprirent à pardonner aux séductions des vices, et l'occasion de nos guerres civiles offrit à l'inertie une excuse plausible ; mais la discorde vint tout troubler, dès que le soldat, accoutumé aux expéditions, eut puisé la licence dans l'oisiveté. Trebellius fuit, se cache pour se soustraire à la fureur des troupes ; humilié et dégradé, il ne retrouva qu'un pouvoir précaire ; comme si l'armée eût stipulé pour la licence, et le général pour son salut : cette sédition ne fit point couler de sang. Vettius Bolanus, les guerres civiles durant encore, n'apporta pas à la Bretagne plus de discipline : même inertie envers l'ennemi, semblable désordre dans le camp ; si ce n'est que Bolanus, homme pur et qui ne s'était rendu odieux par aucun crime, se concilia l'affection à défaut de respect.

17. Mais dès qu'avec le reste du monde la Bretagne eut reconnu Vespasien, de grands généraux, d'excellentes armées parurent ; les espérances des ennemis diminuèrent, et aussitôt Petilius Cerialis les frappa de terreur en attaquant la cité des Brigantes, qui passe pour la plus populeuse de toute la Bretagne : il livra beaucoup de combats, et quelquefois de très sanglants : la victoire ou la guerre enchaîna la plus grande partie de cette cité. Et lorsque Cerialis eût dû accabler par ses services et sa renommée son successeur, Julius Frontinus en soutint le fardeau : grand homme autant qu'on pouvait l'être alors, il subjugua, par les armes, la nation vaillante et belliqueuse des Silures, après avoir, outre la valeur des ennemis, triomphé des difficultés des lieux.

Arrivée d'Agricola modifier

18 Tel fut l'état de la Bretagne, telles furent les chances de guerre que trouva Agricola, qui s'y rendit vers le milieu de l'été, alors que les soldats, comme oubliant l'expédition, se livraient à la sécurité, et que les ennemis attendaient une occasion. Les Ordovices, peu avant son arrivée, avaient massacré presque tout un corps de cavalerie campé sur leur territoire. A ce début, la province se soulève, et, pour ceux qui voulaient la guerre, c'était un exemple à suivre, ou un moyen de sonder le caractère du nouveau gouverneur. Alors Agricola, quoique l'été fût passé, les troupes éparses dans la province, le soldat s'attendant au repos pour cette année, la guerre contrariée par des retards et des obstacles, et quoiqu'à la plupart il semblât préférable de garder les lieux exposés, résolut d'aller au devant du danger. Il rassemble des détachements de légions et une petite troupe d'auxiliaires ; et, comme les Ordovices n'osaient pas descendre en plaine, marchant lui-même en tête de l'armée, pour lui donner son courage en partageant ses périls, il la fait monter en bataille, taille en pièces presque toute cette peuplade ; et, n'ignorant pas qu'il faut presser la renommée, et que des premiers événements dépendent tous les autres, il conçoit le projet de réduire l'île de Mona, dont Paullinus avait été rappelé par la rébellion de toute la Bretagne, ainsi que je l'ai rapporté plus haut. Mais, en ce dessein imprévu, les vaisseaux manquaient ; le génie et la constance du général n'en furent point arrêtés. Il choisit parmi nos auxiliaires ceux qui connaissaient les gués, et, suivant l'usage de leur pays, savaient nager en conduisant à la fois eux, leurs armes et leurs chevaux, ordonne qu'ils déposent les bagages, et les fait passer si soudainement, que les ennemis, qui attendaient une flotte, des vaisseaux et les effets du flux, sont stupéfaits et comprennent qu'il n'y a rien d'inaccessible, rien d'invincible pour ceux qui allaient de la sorte au combat. La paix fut donc sollicitée, l'île soumise, et la renommée du chef en acquit un grand éclat. En effet, dès son entrée dans son gouvernement, tout le temps que les autres passent en ostentation et dans les brigues, il ne s'était plu qu'aux travaux et aux périls. Et alors, ne tirant nulle vanité de la réussite des choses, il n'appelait ni expédition ni victoire la soumission de peuples vaincus : aussi ne fit-il pas envelopper ses dépêches de lauriers ; mais, par la dissimulation même de sa gloire, il augmentait cette gloire aux yeux de ceux qui appréciaient en quel espoir de l'avenir il avait tû de si grands exploits.


24 La cinquième année de l'expédition, Agricola passa en Calédonie, sur le premier de nos vaisseaux qui vît ces bords ; et, par des combats aussi heureux que multipliés, il dompta des peuplades inconnues jusqu'à ce temps, et garnit de troupes la partie de la Bretagne qui regarde l'Hibernie (l'Irlande), plutôt dans un espoir de conquête que par crainte. En effet l'Hibernie, située entre la Bretagne et l'Espagne, et à portée aussi de la mer des Gaules, pouvait un jour réunir, par de grands rapports, cette portion très puissante de l'empire. [...]


27. Fière de son intrépidité et de sa gloire, l'armée criait, en frémissant, qu'il n'y avait rien d'inaccessible à sa valeur ; qu'il fallait pénétrer dans la Calédonie, et trouver enfin l'extrémité de la Bretagne par une suite rapide de combats

Huitième année modifier

35 Agricola parlait encore, l'ardeur des soldais ne se contenait plus. De grands transports éclatèrent à la fin de son discours, et aussitôt on courut aux armes. Pleins d'impétuosité, ils se précipitent à leurs rangs. Agricola les disposa de la manière suivante. Les auxiliaires à pied, au nombre de huit mille, formèrent le centre de bataille ; trois mille cavaliers se répandirent aux deux ailes ; les légions se tinrent devant les retranchements. C'eût été un grand éclat pour sa victoire, de la remporter sans verser de sang romain, une ressource, si l'on était repoussé. L'armée des Bretons, pour se développer et à la fois épouvanter, s'était postée en des lieux élevés ; de sorte que leur première ligne était sur un terrain uni ; les autres, par échelons sur la pente des collines, s'élevaient comme en amphithéâtre. Les cavaliers et les chars, courant çà et là, remplissaient de leur fracas le milieu de la plaine. Agricola, à la vue de ce grand nombre d'ennemis, craignant d'être à la fois attaqué de front et de côté, dédoubla ses lignes, quoique ainsi l'armée parût trop déployée, et que la plupart conseillassent d'y réunir les légions. Plus prompt à espérer et ne cédant point aux obstacles, Agricola renvoie son cheval, et, à pied, se place au devant des enseignes.