Utilisateur:Leonard Fibonacci/Titus Flavius Clemens - Keitia bar Shalom

Flavius Clemens1 est connu des historiens de l’Antiquité essentiellement par deux documents : deux textes historiographiques, tirés de l’un de la Vie de Domitien de Suétone, l’autre de l’abrégé du livre LXVII de l’ Histoire romaine de Dion de Cassius.

Le second de ces deux documents est de loin le plus explicite ; il nous présente Flavius Clemens comme un personnage très important, apparenté à la famille impériale, associé au pouvoir par la fonction (alors essentiellement honorifique) de consul, et pourtant victime de la cruauté tyrannique de Domitien :

« La même année (i.e. 95 A.D.), Domitien fit exécuter avec beaucoup d’autres le consul Flavius Clemens, quoique celui-ci fut son cousin et qu’il eût épousé une de ses parentes, Flavia Domitilla. Tous deux furent accusés d’athéisme, un chef d’accusation qui fit condamner également beaucoup d’autres personnes convaincues de s’être laissé entraîner aux coutumes des Juifs (τα των 'Ιουδαίων έθη έξοκέλλοντες). Les unes furent mises à mort, les autres punies de confiscation. Quant à Flavia Domitilla, elle fut simplement exilée à Pandataria. »

Le témoignage de Dion Cassius paraît fort clair : Flavius Clemens, consul et parent de l’empereur, fut exécuté avec d’autres personnages pour « crime d’athéisme » (celui-là même qu’on imputait au chrétiens et qui fondait juridiquement les poursuites engagées contre eux3) et pour « mœurs juives », tandis que son épouse, Flavia Domitilla, était reléguée dans une des îles de la mer Tyrrhénienne, sous le même chef d’accusation.

Aussi paraît-il indispensable de recourir à un autre document, dont le témoignage semble irréfutable, celui de l’historien latin Suétone. Voici le passage en question :

« Enfin, son cousin germain, Flavius Clemens, un homme d’une inaction tout à fait méprisable (i contemptissimae inertiae ), dont il avait publiquement décidé que les fils, alors encore très jeunes, seraient ses successeurs et qu’ils changeraient leurs anciens noms pour ceux de Vespasianus et de Domitianus, soudain, sur le plus léger soupçon, et presque dans l’exercice même du consulat, il (i.e. Domitien) le fit exécuter. Ce fut surtout ce crime qui précipita sa mort. »

Chacun remarquera qu’il n’est question dans ce passage ni de Domitilla, ni des « mœurs juives » qui auraient causé la perte du consul. En revanche, une expression a retenu notre attention : celle de contemptissima inertia, d’ « inaction tout à fait méprisable ».

Eusèbe modifier

« Même les historiens étrangers à notre doctrine n’hésitent pas à rapporter dans leurs histoires la persécution et les témoignages qui y furent rendus ; ils en ont indiqué la date, et ils racontent que la quinzième année de Domitien (i.e. 95 A.D.), Flavia Domitilla, née d’une sœur (γεγονιηαν έξ αδελφής) de Flavius Clemens, un des consuls de Rome à cette date, fut elle aussi, avec un très grand nombre d’autres, reléguée dans l’île Pontia, par punition, à cause du témoignage rendu au Christ. »

Actes de Nérée et Aquilée modifier

[...] Cette tradition est confirmée par l’existence d’un culte rendu à Domitilla dès cette époque, sous la forme d’un pèlerinage sur les lieux de son exil11 ; puis par le témoignage, à peine plus tardif, de la Passio SS. Nerei et Achillei qui précise que l’exil de la noble Flavienne se prolongea jusque sous le règne de Trajan, et la fait mourir en martyre à Terracine (une cité du Latium)13. On a cru trouver une preuve décisive de la conversion de Domitilla au christianisme dans la (re-)découverte à Rome, au siècle dernier, d’un cimetière chrétien portant son nom14 : en fait, une immense catacombe située près de la Via Ardeatina et de la Via Appia, aménagée à partir de l’ancien praedium funéraire des Flaviens pour recevoir des sépultures chrétiennes, et qu’on appelle aussi Catacombe des saints Nereus et Achilleus, puisque c’est là que furent inhumés ces deux martyrs selon la tradition hagiographique.

« Spéciosus, ayant dérobé de nuit leurs corps, lui qui avait été leur maître et qui était le serviteur de la sainte vierge Domitilla, les jeta sur un petit bateau et les amena jusqu’à Rome, où il les enterra dans la propriété (προαστείω) de Domitilla, dans une crypte sablonneuse (άμμώδει κρυπτή), sur la route appelée Ardéatine. »

On a supposé que c’est Flavia Domitilla elle-même qui fit don de ce terrain à la communauté chrétienne de Rome pour qu’elle pût y enterrer ses morts. En tout cas, une bonne part du matériel funéraire trouvé sur place se rapporte à des dédicataires chrétiens, et la partie la plus ancienne de la nécropole (en dehors de la partie originelle, qui pourrait remonter à la période républicaine) daterait de la fin du Ier siècle ou du tout début du second16. [...]

Talmud et Qeti`a bar Shalom modifier

Le premier témoignage que nous allons exploiter est tiré du Talmud de Babylone. Ce témoignage concerne un personnage surnommé Qeti‘a bar Shalom, c’est-à-dire, selon l’interprétation la plus généralement admise, « le Circoncis (ou le Castrat) fils de Paix »20, martyr de la foi juive sous Domitien. Voici le passage en question :

« Qu’en est-il de Qeti‘a bar Shalom ? Il y eut un César qui haïssait les Juifs. Il dit aux nobles de son empire : Si quelqu'un a attrapé un ulcère au pied, doit-il l'amputer pour vivre ou le laisser tranquille et en subir la gène? » Ils lui répondirent : « Il doit l'amputer »
Qeti‘a bar Shalom intervient alors et suit un débat de jurisprudence juive... »


Finalement Qeti‘a bar Shalom est condamné à être brûlé et pour payer la taxe du bateau entrant dans le port (le royaume de Dieu) il « précipita alors sa tête vers son prépuce et l'amputa ». Comme on le précipitait dans la fournaise il cria « Tous mes biens sont pour rabbi Aqiba et ses compagnons »

Sans doute l’identification, déjà ancienne, de ce Qeti‘a bar Shalom avec le consul Flavius Clemens paraît-elle étrange à première vue. Elle s’appuie pourtant sur de multiples indices : d’une part, le nom du martyr, bar Shalom («fils de Paix »), qui pourrait être une transposition du cognomen latin Clemens ; d’autre part la chronologie, puisque la visite à Rome des quatre Tannaïtes (les quatre grands docteurs du rabbinisme primitif, à savoir R. Akiba, R. Gamaliel II, R. Eléazar et R. Joshua) est généralement située à la fin du règne de Domitien 9 ; puis les circonstances de la mort de Qeti‘a bar Shalom, c’est-à-dire une persécution du judaïsme ; et encore, la présence dans le récit d’une matrone romaine plus ou moins engagée elle-même dans la voie de la vérité (qu’il faudrait alors identifier à Flavia Domitilla) ; enfin, la noble origine du martyr, un proche de l’empereur, peut-être même un membre de son conseil.

Pouderon qui identifie Qeti`a bar Shalom avec Titus Flavius Clemens remarque quand même une contradiction avec Dion Cassius: « Bien sûr, des difficultés demeurent ; l’une d’entre elles est bien embarrassante : comment Flavius Clemens a-t-il pu léguer sa fortune à R. Akiba après sa condamnation ? n’avait-elle donc pas été confisquée ? »