Utilisateur:Leonard Fibonacci/Caius Julius Rufus

L’inscription funéraire dont il sera ici question se trouve depuis plus de quarante ans dans une collection privée libanaise. Elle est aujourd’hui conservée à Antélias, à la sortie nord-est de l’agglomération moderne de Beyrouth et à une dizaine de kilomètres à peine du centre-ville. Aucune information relative à sa provenance n’a été recueillie, mais son emplacement actuel, l’usage du latin et la nature de la pierre utilisée indiquent que la stèle fut très probablement découverte sur le territoire de la colonie romaine de Béryte (colonia Iulia Augusta Felix Berytus).

«Caius Julius Rufus, fils de Caius, de la tribu Quirina, originaire de Zéla, soldat de la première cohorte pontique montée des citoyens romains, de la centurie de Pétronius, a vécu vingt-six ans, servi six ans. Caius Ignatius Maximus, son héritier.»

Le formulaire de l’épitaphe, la forme de ses lettres, son onomastique très banale et la nomenclature classique de la cohorte invitent d’emblée à dater l’inscription du HautEmpire.3 Le défunt venait de Zéla. Cette petite cité, dont le bourg moderne de Zile occupe le site, était située dans l’arrière-pays du Pont, au nord de la Turquie actuelle et à une quarantaine de kilomètres à vol d’oiseau au sud d’Amasée (Amasya).4

Histoire de Zéla et des souverains Pontiques modifier

Strabon, originaire d’Amasée, livre un témoignage essentiel pour les périodes les plus anciennes de l’histoire de Zéla.7 Il rapporte que la ville a d’abord constitué le centre d’une principauté sacerdotale formée sous les Achéménides autour d’un sanctuaire consacré à trois divinités perses, la grande déesse Anaïtis et ses deux parèdres, Omanos et Anadatès. La transformation de Zéla en une cité de type grec (pfili«) est contemporaine des conflits entre Rome et les souverains du Pont et du Bosphore. Lors de la guerre contre Mithridate VI Eupatôr, au printemps de l’an 67 av. J.-C., C. Valérius Triarius, légat de Lucullus, subit aux abords de la ville une lourde défaite qui valut à Lucullus d’être privé de son commandement. Pompée, appelé à poursuivre la guerre, réorganisa l’Anatolie en 65 av. J.-C. À cette occasion, il attribua à Zéla le statut de cité, la peupla avec des habitants de son territoire, lui ajouta plusieurs districts limitrophes et la rattacha à la province romaine de Pont et Bithynie avec une série d’agglomérations élevées au rang de cités en même temps qu’elle.8 Cette première annexion dura jusqu’à l’aventure malheureuse, tentée par Pharnace II, fils de Mithridate VI et roi du Bosphore (63–47), pour se rétablir en Asie Mineure au début des années 40 av. J.-C.

Le 2 août 47 av. J.-C., à l’endroit même où Mithridate VI avait triomphé des Romains vingt ans plus tôt, César remporta sur Pharnace II la victoire qui lui inspira la célèbre formule veni, vidi, vici. Dans les mois qui suivirent, Cn. Domitius Calvinus, le légat du dictateur chargé de superviser la suite des opérations, s’acquitta si bien de sa tâche qu’il fut honoré sur place comme un dieu.9 Rien ne permet de déterminer quels bienfaits lui avaient valu l’apothéose, même si Strabon laisse supposer que, du temps de César ou sous le gouvernement d’Antoine, les prêtres d’Anaïtis avaient recouvert leur autorité sur la ville, tandis qu’Atéporix, un dynaste issu de la famille des tétrarques de Galatie, se voyait octroyer une portion de la Zélitide. Toujours est-il que Zéla, amputée d’une partie de son territoire, passa sous la domination de Polémon Ier, le nouveau roi du Pont favorisé par Antoine en 37/6 av. J.-C. À la mort de ce souverain, vers l’an 8 av. J.-C., elle resta jusqu’au règne de Néron aux mains de ses successeurs, d’abord la reine Pythodôris, sa veuve, puis Antonia Tryphaina, sa fille, et enfin Polémon II (38–64), son petit-fils.10 Il est possible que Zéla n’ait recouvré son statut civique qu’à l’occasion de l’annexion du royaume des Polémonides à l’Empire romain, en 64/5 apr. J.-C.

À cette date, la ville inaugura une ère nouvelle.11 L’histoire de son intégration dans la géographie administrative compliquée de l’Anatolie romaine ne nous retiendra pas ici.12 Il suffit de rappeler qu’elle fut d’abord englobée dans la province de Galatie, avant d’être rattachée à la Cappadoce, à la fin du règne de Trajan ou au début du règne d’Hadrien, et qu’à aucun moment de son histoire elle n’a eu le statut colonial.

Caius Julius Rufus modifier

Rien ne l’assure cependant et un autre scénario, mieux adapté à la chronologie de l’épitaphe, est concevable. Zéla, après avoir fait partie des domaines de Polémon II, le dernier roi du Pont, a été intégrée dans la province romaine de Galatie. Rufus a donc été recruté au plus tôt en 64 apr. J.-C., ce qui permet de dater son épitaphe après 69/70 apr. J.-C. Dès lors, on peut supposer qu’un parent de Rufus avait été affranchi par Polémon II et qu’il avait reçu à cette occasion le praenomen Caius et le gentilice Iulius, que le souverain avait lui-même vraisemblablement hérités de son grand-père paternel, le roi Rhoemétalcès Ier de Thrace (C. Julius Rhoemétalcès).15

[Mais rien ne s'oppose non-plus à ce que ce soit un descendant d'Antipater, le père d'Hérode le Grand et rien ne s'oppose non plus à ce que ce soit un descendant de Kypros (II) la mère probable de Saulos frère de Costobar. Si ce Saulos est bien l'apôtre Paul, Kypros a eu un enfant appelé Rufus d'un second mariage (épître aux Romains). Dans ce cas son nom était très vraisemblablement Caius Julius Rufus.]

Dans ses Annales, Tacite relate les mesures prises par les Romains pour défendre l’Arménie face aux Parthes de Vologèse Ier, sous le règne de Néron. À la fin de l’année 61 apr. J.-C., le proconsul Caesennius Paetus fut envoyé en Orient pour aider Corbulon, son collègue. L’historien donne un tableau assez précis de la composition de l’armée romaine...

Un autre passage de Tacite, tiré des Histoires, confirme que les soldats que Polémon II avait chargés d’accompagner l’armée romaine avant 64 apr. J.-C. ont formé une cohorte régulière de citoyens romains après l’annexion du royaume du Pont. Il concerne un soulèvement survenu dans les régions côtières de la mer Noire à l’automne 69 apr. J.-C. Ce mouvement avait été suscité au nom de Vitellius par un certain Anicetus, affranchi de Polémon II et ancien préfet de la flotte pontique. Les insurgés étaient parvenus à mettre le feu aux navires de la flotte romaine qui n’avaient pas été envoyés à Byzance. Dans le même temps, à Trapézonte, «une cohorte fut taillée en pièces: c’étaient autrefois des auxiliaires fournis par le roi; depuis, gratifiés de la citoyenneté, ils avaient adopté nos enseignes et nos armes, tout en conservant la mollesse et l’indiscipline des Grecs» (caesa ibi cohors, regium auxilium olim; mox donati civitate Romana signa armaque in nostrum modum, desidiam licentiamque Graecorum retinebant).32 Il revint à Vespasien, alors en Égypte, de faire cesser les désordres par l’expédition d’une vexillation légionnaire depuis la province de Syrie. De tout cela, il ressort que la cohors I Pontica equitata civium Romanorum, probable héritière des troupes royales polémonides, a dû être cantonnée d’abord dans le Pont.

La première cohorte pontique, ou ce qui en restait à la suite des événements de l’année 69 apr. J.-C., était certainement chargée, au moment où le simple soldat Rufus est mort, d’opérations militaires au Proche-Orient. Béryte n’était pas une ville de garnison sous l’Empire romain. L’épitaphe de Rufus est d’ailleurs assez atypique parmi les inscriptions de la colonie et de son territoire. [...]

Rufus, venu du Pont, a dû mourir de manière fortuite sur la côte syrienne, au moment où sa cohorte partait au front ou en revenait. À l’image des dédicaces adressées par des militaires de passage aux dieux de la colonie, aux empereurs et à d’autres personnages officiels, son épitaphe témoigne du rôle de Béryte comme lieu de transit des troupes de l’armée romaine vers des horizons plus lointains.

Faute de sources, l’histoire de la première cohorte pontique reste obscure. L’absence de toute référence à ce corps de troupes dans la documentation littéraire et épigraphique pourrait laisser supposer qu’il (ou que ce qui en restait après l’automne 69 apr. J.-C.) a été exterminé à l’occasion des conflits qui ont marqué l’histoire du Proche-Orient dans le dernier tiers du Ier s. ou au cours du IIe s. apr. J.-C. Plus qu’à la conquête de l’Arabie (106), opération peu coûteuse en hommes et trop éloignée de Béryte, et aux guerres parthiques (114–117, 163–165, 195, 198–199, 215–217), elles aussi éloignées de Béryte, on pensera aux guerres juives de 66–70 et de 132–135 apr. J.-C., qui ont toutes deux suscité des recrutements massifs et entraîné la disparition de nombreuses unités de l’armée romaine.37 Mais le silence des sources porte à croire que la cohorte recomposée ou ses reliquats ont plutôt été refondus dès l’époque flavienne dans une unité dont la titulature et les attributions étaient comparables à la sienne. Parmi les troupes stationnées au Proche-Orient à la fin du Ier s. et au IIe s. apr. J.-C., la cohors I Flavia civium Romanorum equitata apparaîtrait alors comme la plus susceptible de lui avoir succédé: elle aussi était une cohorte montée composée de citoyens romains, mais elle n’avait aucun caractère ethnique affiché; des diplômes militaires attestent sa présence en Syrie au plus tard en 88 apr. J.-C.38 Jusqu’à plus ample informé, on se gardera toutefois de spéculer davantage, en attendant que de nouveaux documents apportent des arguments supplémentaires en faveur de l’une ou l’autre hypothèse.



Voir aussi modifier

Lucius Julius Rufus (en latin Lucius Iulius Rufus ) était un sénateur romain du Ier siècle, qui développa son cursus honorum sous les empires de Claude Ier et de Néron, bien que son seul poste connu fut celui de consul ordinarius (éponyme) en 67, sous Néron[1]. Il est mort d'une tumeur , selon Pline l'Ancien[2].

  1. König, Der römische Staat II : Die Kaiserzeit , Stuttgart, 1997, p. 469.
  2. Pline. Naturalis Historia XXVI, 1-4.