Utilisateur:Lefinmot/Brouillon/Armand Frappier

L’Hôpital Saint-Luc prend son véritable envol lorsqu’est ouvert, en 1928, «  le petit hôpital  », d’une capacité de 89 lits. Il poursuit son développement dans les années 1930 grâce, notamment, aux efforts d’un pionnier de la bactériologie médicale, le D r  Armand Frappier, qui crée un laboratoire de biologie, et à ceux d’un chirurgien, le D r  Pierre-Zéphirin Rhéaume, qui met sur pied un laboratoire de chirurgie opératoire et expérimentale. Affilié à l’Université de Montréal en 1935, l’hôpital augmente sa capacité d’accueil et deviendra l’un des grands hôpitaux de Montréal

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Pour accélérer la lutte contre les maladies infectieuses, le D r  Henri Charbonneau, pionnier de la pédiatrie, participe activement avec l’aide du D r  Frappier à la création de l’Hôpital Pasteur, d’une capacité de plus de 300 lits, qui ouvre ses portes en 1933. Cet hôpital, aujourd’hui disparu, jouera un rôle important pour combattre les maladies infectieuses, notamment lors des trois grandes épidémies de poliomyélite survenues avant les années 1960.

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Ces changements ont pu s’effectuer en raison de conditions propices qu’il nous faut souligner. D’abord, une attitude plus conciliante des membres des facultés envers certaines transformations radicales qui tranche avec la réticence de leurs prédécesseurs. Ensuite, la Seconde Guerre mondiale, loin de mettre un terme au programme des bourses d’Europe, fait augmenter considérablement le nombre de ses récipiendaires. Or, en raison du conflit qui ravage l’Europe, les médecins boursiers vont se spécialiser aux États-Unis dans les plus importants centres de formation médicale où ils se familiarisent avec les modèles médicaux américains en voie de devenir dominants. Finalement, des conditions financières plus favorables durant les années 1950 et 1960, quoiqu’encore relativement limitées, et la possibilité d’aménager des laboratoires convenables favorisent l’embauche et le regroupement de chercheurs qualifiés au sein des deux facultés. À l’Université de Montréal par exemple, les recrutements des D rs  Armand Frappier, Hans Selye, Louis-Charles Simard, Jacques Genest, Paul David et Antonio Cantero sont des exemples importants dans la mesure où, sans être ni les premiers ni les seuls à faire de la recherche biomédicale à l’Université de Montréal, ils sont néanmoins les premiers à avoir consolidé leurs activités scientifiques disciplinaires – microbiologie, endocrinologie, cancérologie, cardiologie – à l’intérieur d’une structure institutionnelle, l’institut, plus ou moins dépendante du cadre universitaire. Ces instituts permettront l’émergence d’une relative stabilisation du cadre de recherche. Ce qui précède s’applique aussi en grande partie à la Faculté de médecine de l’Université Laval, même si son développement ne suivra pas le même rythme que celui de sa consœur. La consolidation, la création ou l’affiliation de nouveaux instituts de recherche et le développement des études supérieures – programme de maîtrise et de doctorat – constituent, par ailleurs, des facteurs internes qui ont largement favorisé la progression de la recherche au sein des facultés de médecine.

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Au début des années 1920, la découverte à l’Institut Pasteur de Lille du vaccin BCG par Albert Calmette et Camille Guérin, destiné aux nouveaunés, donne beaucoup d’espoir aux organismes de santé publique pour venir enfin à bout de cette terrible «  peste blanche  ». Dès 1926 à l’Université de Montréal, le D r  Joseph-Albert Beaudoin, sous la direction du D r  Auguste Pettit, délégué de l’Institut Pasteur de Paris, entreprend des travaux sur le vaccin bilié des D rs  Calmette et Guérin 75 . Une subvention de 10  000  $ leur est accordée par le Conseil national de recherches scientifiques du Canada afin d’étudier ce procédé controversé de prévention de la tuberculose humaine et bovine 76 . La préparation et l’administration d’un vaccin vivant atténué, technique inaugurée en Amérique à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, sont considérées, en effet, de ce côté-ci de l’Atlantique comme un procédé hautement dangereux. Peu familier avec la méthode expérimentale, le D r  Baudouin se consacre aux aspects épidémiologiques et statistiques. Ce dernier est responsable des essais du vaccin chez les nouveau-nés à l’Assistance maternelle alors que le D r  Pettit s’occupe de sa préparation 77 . Le D r  Beaudoin pratiquera la vaccination par voie orale chez 2  173 nouveau-nés entre 1926 et 1931. Ces vaccinations chez un si grand nombre d’enfants montrent que le BCG est inoffensif 78 . Une telle mesure n’est pas sans poser des problèmes éthiques, mais on juge que les tests effectués par Calmette et Guérin dans le laboratoire de tuberculose de l’Institut Pasteur sont une garantie de sécurité 79 . Du reste, la majorité des nouveau-nés vaccinés sont nés d’une mère tuberculeuse et sont donc susceptibles d’être rapidement infectés. Quant aux enfants et aux adultes, on juge qu’il ne sert à rien de les vacciner puisque la plupart sont déjà infectés. On estime, en effet, non sans exagération que 75  % de la population était porteuse de la tuberculose 80 . Le D r  Armand Frappier prend la relève dans les années 1930. Ses travaux expérimentaux constituent alors les véritables débuts de la microbiologie au Québec, surtout avec la création en 1938 de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de l’Université Montréal dont il est le fondateur et le premier directeur. Il faut cependant attendre la fin des années 1940 pour que la vaccination s’étende à toutes les écoles. La disponibilité de traitements efficaces de la tuberculose coïncide avec le lancement des grandes campagnes de vaccination antituberculeuses chez les enfants et les adultes.

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À partir des années 1940, la situation s’améliore grâce notamment aux efforts des facultés de médecine qui s’orientent vers des politiques plus ouvertes en matière de recherche et favorise le recrutement de jeunes chercheurs. C’est ainsi que le D r  Eugène Robillard et son équipe effectuent des travaux en anesthésie  ; le D r  Armand Frappier s’intéresse à la sérothérapie  ; les D rs  Louis-Charles Simard et Antonio Cantero à la cancérologie  ; les D rs  Horst Oertel, Pierre Masson et Louis Berger à l’anatomiepathologique… Un nouveau périodique axé sur les sciences bio-expérimentales, la Revue canadienne de biologie, voit le jour en 1943 grâce à la collaboration de plusieurs professeurs de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal 10

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L’ère des instituts spécialisés

Fait nouveau dans l’histoire de la médecine québécoise, les instituts spécialisés, qui vont être mis en place à partir des années 1920, mettent l’accent davantage sur la recherche clinique ou fondamentale que sur les activités d’enseignement, comme c’était le cas dans les hôpitaux et les facultés de médecine. Au Québec, comme le soulignent des historiens des sciences, une «  part croissante de la recherche a été réalisée dans des instituts spécialisés, souvent fondés et dirigés par des “patrons” qui mettaient leur don d’entrepreneur au service de la recherche 12  ». L’institut de pathologie de McGill dirigé par Horst Oertel, l’Institut neurologique de Montréal avec à sa tête Wilder Penfield, l’Institut d’anatomie-pathologique de Montréal créé par Pierre Masson, l’Institut de microbiologie et d’hygiène mis sur pied par Armand Frappier ou l’Institut de médecine et de chirurgie expérimentale dirigé par Hans Selye en sont des exemples patents. Généralement, les facultés médicales accordent, non parfois sans quelques réticences, leur aval à l’intégration de ces structures de recherche en leur sein. La survie financière de tels instituts dépend souvent des subventions accordées par de grands organismes subventionnaires gouvernementaux. Elles doivent leur survie parfois à une «  oreille ministérielle attentive  » du gouvernement provincial.

Il est vrai que l’institut, «  comme modèle d’organisation du travail scientifique, répond mieux que les hôpitaux ou les facultés universitaires à la nécessité de rassembler des moyens considérables – laboratoires, bibliothèques, animaleries, cliniques, services techniques et administratifs, personnel spécialisé, etc. – autour de programmes de recherche 13  ». Les activités de recherche, par leur complexité croissante, nécessitent d’ailleurs plus en plus un regroupement de chercheurs issus de disciplines différentes et formés le plus souvent, à partir de la Seconde Guerre mondiale, en milieu américain. En effet, les contacts étroits de la faculté avec les institutions américaines, la rupture des relations avec la France au cours de la guerre, de même que la domination des Américains en matière de recherche scientifique et biomédicale favorisent le choix des institutions américaines chez les chercheurs boursiers comme chez les médecins diplômés. Il y a non seulement une importante importation du savoir médical entre 1939 et 1950 en provenance de nos voisins du Sud, mais aussi une imitation des structures de recherche américaines.

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L’Institut Armand-Frappier En 1938, la création de l’Institut de microbiologie et d’hygiène assure au D r  Armand Frappier une structure institutionnelle stable de recherche qui prend le relais du petit laboratoire de BCG qui avait été soutenu auparavant par le Conseil national de recherches du Canada. Il aura fallu toutefois les grands efforts de ce médecin biologiste, violoniste à ses heures, pour doter le Québec d’un tel institut. Le tout débute en 1931 lorsque le D r  Télesphore Parizeau, vice-doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, doit trouver un professeur de bactériologie à la suite du décès du D r  Arthur Bernier. Mais les candidats sont rares et, lorsque le D r  Frappier propose ses services, on l’accueille à bras ouverts 27 . Il lui faut, cependant, terminer sa formation en ce domaine. Détenteur d’une bourse de la Fondation Rockefeller, il entreprend sa spécialisation au département de microbiologie de l’Université de Rochester puis dans les sanatoriums américains des Adirondacks. Il se rend ensuite à l’Institut Pasteur de Paris où des chercheurs travaillent sur un nouveau vaccin, le BCG, et tentent de l’imposer malgré une forte opposition de leurs collègues américains et allemands. C’est lors de ce séjour que le D r  Frappier est convaincu de la valeur du vaccin français et qu’il amorce son patient travail pour l’introduire sur une base solide au Québec. À son retour, il remet sur pied le département de bactériologie et démarre le laboratoire de microbiologie de l’Hôpital Saint-Luc 28 . Malgré la crise économique, il réunit un petit groupe de chercheurs autour de lui, composé de deux pharmaciens, d’un chimiste et d’un vétérinaire, qui s’attelle à la production et au contrôle du BCG. L’entreprise pourrait être hasardeuse, car rien ne démontre encore clairement l’innocuité et l’efficacité de ce vaccin. Du reste, la production de ce vaccin demeure délicate et ses premières expériences sont décevantes. Des séjours à l’Institut Pasteur et dans plusieurs instituts de microbiologie européens lui permettent d’acquérir l’expérience nécessaire pour se lancer dans la production du BCG et d’obtenir du vaccin antivariolique, des antitoxines diphtériques et tétaniques 29 . C’est un premier succès qui pave la voie à un plus grand projet. En effet, le D r  Frappier caresse le rêve de créer un institut de microbiologie qui remplirait trois fonctions  : la production de vaccins, la recherche et l’enseignement. En 1938, des appuis de personnalités importantes lui permettent de convaincre le premier ministre Duplessis d’accorder une somme de 75  000  $ pour la création de l’Institut de microbiologie et d’hygiène de Montréal, organisme autonome à but non lucratif.

La création de cet institut comble un vide important en matière de recherche et de production dans le domaine de la bactériologie. Rappelons que ce sont essentiellement les fonctions de prévention, de diagnostic et de soins liées aux découvertes bactériologiques qui s’étaient développées durant le premier tiers de notre siècle 30 . Dépendante des approvisionnements extérieurs, la province de Québec importait annuellement pour près de 300  000  $ de produits biologiques (vaccins, sérums, hormones, etc.). Or, le D r  Frappier a compris que cette somme peut tout aussi bien servir à financer des travaux de production de produits biologiques et de recherche en territoire québécois. La mise sur pied d’un cadre permanent de recherche scientifique dans le domaine de la bactériologie constitue l’objectif premier de l’Institut. Les profits tirés de la production des produits biologiques issus de ses laboratoires serviront donc exclusivement à la recherche. Comme le rappelle lui-même le D r  Frappier, l’Institut devait «  contribuer à l’indépendance économique du Québec, à l’ouverture de carrières scientifiques, à la formation d’experts, de chercheurs et de techniciens et à l’éducation et à la propagande scientifique et hygiénique 31  ». La nouvelle institution atteint rapidement ses objectifs.

Peu après sa création, l’Institut fait l’acquisition d’une ferme à Laval-des-Rapides où se déroulent les travaux de fabrication de sérums. En 1940, une convention unit étroitement l’Institut et l’Université de Montréal qui prévoit la construction de locaux pour son partenaire dans son nouveau campus de la montagne. En 1941, l’Institut s’y installe, mais conserve son autonomie. La production de vaccins commandés par les forces alliées démarre et les services sanitaires sont mis en place  : distribution annuelle de 40  000 ampoules de BCG, fabrication de l’anatoxine diphtérique, production de vaccins… Dès la fin du conflit, l’équipe multidisciplinaire de chercheurs dirigée par Frappier est composée de chimistes-bactériologistes, de médecins vétérinaires, de médecins et d’un biochimiste. Si la production est importante en raison des demandes, elle doit être appuyée par des recherches sur la fiabilité des produits (efficacité, réactions allergènes, etc.), le perfectionnement des techniques (méthode de vaccination, conservation des vaccins, production de sérums et d’antitoxines, etc.) et la recherche de nouveaux produits.

Dès la fin de la guerre, l’équipe de Frappier, qui possède déjà une solide réputation, accentue les travaux scientifiques liés à la recherche de nouveaux vaccins contre la grippe, la coqueluche ou la rougeole. Ses chercheurs favorisent aussi certaines avenues liées à l’émergence d’affections virales graves, telle la poliomyélite, terrible maladie qui sera efficacement combattue par un vaccin découvert par les D rs  Jonas Salk et Albert Sabin en 1954 et 1956. L’Institut, grâce à des subventions du gouvernement provincial, inaugure en 1956 son laboratoire de virologie destiné à la production des vaccins Salk et Sabin 32 . Cependant, les locaux de l’Institut s’avèrent bientôt nettement insuffisants pour répondre à l’expansion considérable de ses activités de recherche et de production. On décide donc, en 1963, de déménager l’Institut près de ses premières installations à Laval-des-Rapides. Il aménage en 1965 dans ses nouveaux locaux. Sept ans plus tard, l’intégration avec l’Université de Montréal est tentée, mais cette initiative n’a pas de suite. En 1975, l’Institut de microbiologie et d’hygiène de Montréal, sous la pression du gouvernement, s’intègre au réseau de l’Université du Québec et devient alors l’Institut Armand-Frappier en l’honneur de son fondateur toujours vivant (le D r  Frappier s’éteint en 1991) 33 .

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