Utilisateur:Brownies32/Brouillon

= La Dosimétrie Biologique = 

La dosimétrie biologique en radioprotection est la quantification de la dose reçue par une personne potentiellement irradiée au moyen des variations radio-induites d’un ou plusieurs paramètres biologiques. De nombreux facteurs cytogénétiques, biophysiques, biochimiques ont été examinés dans le but d’en faire des indicateurs des effets de l’irradiation. Le terme de dosimétrie introduit un rapport de proportionnalité entre la dose d'irradiation reçue et l'effet biologique produit. Il permet de différencier le dosimètre biologique de l'indicateur biologique, pour lequel la relation dose-effet est beaucoup plus lâche. Il convient de souligner d’emblée que le “dosimètre biologique ” dans son sens littéral, n’existe réellement qu’au niveau moléculaire et cellulaire. Lorsqu’on aborde les structures biologiques plus complexes que sont l’organe et l’organisme, la complexité des effets est  rarement saisissable par un seul paramètre. Cela permet d'introduire la notion de dosimétrie "multiparamétrique" qui sera définie et développée ultérieurement.

Cadre de la dosimétrie biologique

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Les accidents d’irradiation impliquent toutes les catégories de la population, travailleurs professionnellement exposés comme grand public. Même si l’accident d’irradiation n’est pas considéré comme une urgence thérapeutique, il convient de définir au mieux et au plus vite la zone exposée, son étendue et la gravité de l’atteinte afin d’aider l’équipe soignante à établir la meilleure stratégie thérapeutique possible. L'évaluation d'une exposition récente (quelques heures à quelques semaines) aux rayonnements ionisants à l'aide d'un marqueur biologique est aujourd'hui une technique fiable et parfaitement codifiée. La méthode de référence et donc la plus utilisée est fondée sur le dénombrement des anomalies chromosomiques radio-induites dans les lymphocytes du sang circulant, le dicentrique étant l’aberration chromosomique de choix dans ce cas. Un recul de plus de 50 ans sur cette technique a permis d'en connaitre précisément les avantages et les défauts. Au cours du temps, d'autres méthodes biologiques ont également été développées (micronoyaux, chromosomes prématurément condensés - PCC...) qui ont également pour origine la dégradation radio-induite du matériel génétique et dont les qualités permettent de suppléer à certains défauts de la technique de référence, sans parvenir à la remplacer complètement.

Néanmoins, les dicentriques/micronoyaux/PCC sont des aberrations chromosomiques instables si bien que ces méthodes de dénombrement se révèlent inadaptées à l'estimation d’expositions anciennes.

Or, les demandes reçues par les laboratoires habilités à effectuer ce type d'analyse montre une augmentation pour l'évaluation d’atteinte potentielle survenues plusieurs mois voire plusieurs années après l’exposition théorique. Cela peut concerner des personnes professionnellement exposées qui souhaitent avoir un bilan dosimétrique de leur exposition ; des personnes (professionnels ou non) affirmant avoir été exposées accidentellement à une source de rayonnements ionisants des années auparavant. Des reconstitutions dosimétriques sont également demandées par des patients ayant été traités par radiothérapie et supposant avoir reçu une dose supérieure à celle initialement prévue. Ces demandes ont souvent lieu lorsque la personne constate l’apparition de symptômes non explicables classiquement mais susceptibles d’être attribués à une exposition aux rayonnements ionisants.

Depuis une quinzaine d'années, une nouvelle technologie a été développée, permettant de détecter facilement des anomalies chromosomiques radio-induites différentes des dicentriques nommées translocations. Ces aberrations ont l’avantage d’être relativement stables dans le temps, et ont donc été utilisées très vite en tant que marqueur d’expositions anciennes. Même si quelques études ont montré une décroissance du taux de translocations avec le temps, la stabilité des translocations est incontestablement meilleure que celle des dicentriques.

Enfin, des techniques récentes de discrimination moléculaire à haute vitesse, telles que les analyses génomiques, protéomiques ou métabolomiques, constituent une nouvelle orientation possible de la dosimétrie biologique des rayonnements ionisants.

Contexte de l'expertise accidentelle

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Un accident d’irradiation est multiple par son origine et unique par nature. Sa découverte n’a pas lieu obligatoirement dans les minutes qui suivent l’irradiation (quoique ce soit le cas le plus fréquent) mais peut simplement résulter par exemple, du contrôle mensuel du dosimètre de poitrine, chez le travailleur directement ou indirectement exposé. L’individu potentiellement irradié est alors examiné par un médecin, qui peut être son généraliste, un médecin du travail ou un médecin d’un service hospitalier spécialisé. Cette consultation doit permettre par un interrogatoire précis sur les circonstances de l’accident et la recherche d’une symptomatologie particulière de l’irradiation, un premier diagnostic. Un certain nombre d’examens biologiques sont ensuite demandés dont la numération formule sanguine, ainsi qu’une reconstitution physique de l’accident. Le prélèvement sanguin pour la dosimétrie biologique doit être pratiqué suffisamment tôt après l’accident, en accord avec le laboratoire d'analyse qui fournit toute indication utile sur la méthodologie de prélèvement et de transport des tubes. D’autres techniques biologiques peuvent être également employées en fonction des circonstances, en complément de la technique de référence qui présente alors un aspect médico-légal. Ce n'est plus le cas lors d'une reconstitution a posteriori d'une irradiation, des années après l'exposition: les informations de la technique de référence sont alors supplantées par celles obtenues par l'analyse des aberrations chromosomiques stables (translocations).

Effet des rayonnements ionisants sur le matériel génétique

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L’Acide DésoxyriboNucléique (ADN) contenu dans les chromosomes à l’intérieur du noyau de toutes les cellules porte le patrimoine génétique (Figure 1). Les effets des rayonnements ionisants sur l’ADN et leurs conséquences sur la survie cellulaire sont connus depuis longtemps. Lors d'une exposition aux rayonnements ionisants, Il a été de prime abord considéré comme la cible essentielle, en raison des conséquences à plus ou moins long terme sur la survie des cellules et de l’organisme entier. Aujourd'hui cependant on considère que les effets sur d'autres organites cellulaires (mitochondries, membrane plasmique,...), sans être aussi dramatiques, sont également importants pour la survie cellulaire.

Le large spectre des dommages radio-induits observés est la combinaison finale de phénomènes physiques et physico-chimiques, chimiques et biologiques, qui débutent immédiatement après l'irradiation. Trois grands groupes de lésions primaires radio-induites de l’ADN sont ainsi répertoriés: les lésions simple brin, les lésions double brins et les dommages aux bases (Figure 2). Les aberrations chromosomiques sont la conséquence de la manière dont sont réparées ces lésion primaires. La proportion relative des ces différents types de lésions primaires dans la formation des aberrations chromosomiques varie en fonction de la qualité du rayonnement, et en particulier du transfert d’énergie linéique (TLE). La mise en œuvre rapide par la cellule de mécanismes de réparation nombreux et sophistiqués permettent la réparation de plus de 90 % des lésions simple brin et d’une grande majorité des lésions double brins et des dégradations des bases. C’est la non réparation, la mauvaise réparation ou le réarrangement des chromatides des différents chromosomes qui vont être responsables de la formation d’anomalies chromosomiques ou chromatidiques, stables ou instables. Seules les aberrations de type chromosomique sont prises en compte en dosimétrie biologique. Elles sont le mieux mises en évidence lors de l’observation des cellules, au stade de la mitose appelée métaphase, où l'ADN est dupliqué, les chromatides contractées et les chromosomes bien individualisés.

Figure n°1 – En haut, structure hélicoïdale dans l’espace de la double chaîne d’acide désoxyribonucléique, qui est conservée même après duplication de l'ADN – En bas, schéma hypothétique des nombreux ordres de repliement de la chromatine pouvant expliquer comment on peut passer d’une molécule d’ADN partiellement décondensée à l’interphase à un chromosome complètement condensé lors de la division cellulaire (métaphase). La forme particulière du chromosome métaphasique s’explique par la réplication préalable de l’ADN au cours de la phase de synthèse, les deux chromatines restant appariées par le centromère du chromosome avant séparation.

Ainsi, sans entrer dans les détails, le passage de la lésion primaire à l'aberration chromosomique après réparation, est de trois types (Figure 3) :

- une réparation correcte redonne un chromosome qui, en apparence, ne diffère pas d'un chromosome normal;

- une mauvaise réparation peut aboutir à un échange entre des chromosomes différents (remaniement inter-chromosomique) ou à l’intérieur du même chromosome (remaniement intra-chromosomique);

- une non-réparation donne un fragment acentrique. Cependant, cette anomalie est loin d'être spécifique de l'irradiation puisqu'elle peut apparaître également sous l’action de facteurs mutagènes.

Dans un remaniement interchromosomique, les lésions primaires appartiennent à des chromosomes différents. Selon qu'un ou deux centromères sont impliqués dans la réparation, le chromosome remanié a l'aspect d'une translocation ou d'un dicentrique. Il est attendu qu’un dicentrique soit accompagné d’un fragment. Du fait de sa morphologie caractéristique, le dicentrique est facilement reconnaissable dans les métaphases colorées par des techniques simples (ex: coloration homogène au Giemsa). Au contraire, l’aspect final d’une translocation est peu différent de celui d’un chromosome normal, et pour être observable, nécessite en cytogénétique conventionnelle une coloration spéciale longue à mettre en oeuvre, appelée “ bandes-G ”.

Dans un remaniement intrachromosomique, les lésions primaires appartiennent au même chromosome. Le chromosome prend alors l'aspect soit d'une inversion (réunion par retournement de deux portions du chromosome, normalement non contiguës), soit d'un anneau centrique (réunion des deux extrémités d'une même portion chromosomique). Si la portion remaniée contient le centromère, le chromosome apparaît sous forme dans anneau dit centrique, accompagné d’un fragment. Tout comme le dicentrique, l’anneau centrique est facilement observable avec une coloration standard des chromosomes. Au contraire, l’inversion ne peut être dénombrée qu’après une coloration spécifique..

Du fait de leurs difficultés de transmission en fin de division cellulaire, les dicentriques, anneaux et fragments acentriques sont dits "instables". Ils provoquent la disparition de 50 % des cellules porteuses entre la première et la deuxième interphase. Par opposition, les inversions et translocations qui ne présentent pas cette difficulté, sont dits "stables" et sont sensées se perpétuer sans changement au long des divisions cellulaires successives.

Figure 2 : Les différentes lésions de l’ADN produites par les rayonnements directement et indirectement ionisants.  

Figure 3: Nature et formation des aberrations chromosomiques radio-induites. Compte tenu de la position et du nombre des lésions de l’ADN (1ère ligne) et en fonction de la qualité de la réparation (2ème ligne), on pourra observer soit des chomosomes normaux, soit différents types d’aberrations chromosomiques (3ème ligne).

Les considérations précédentes ont conduit à utiliser dicentriques et anneaux centriques pour estimer la dose reçue par une personne potentiellement irradiée. Trente ans de recherches sur ces deux types d’anomalies ont montré qu’à de rares exceptions près (quelques antimitotiques tels que la bléomycine), les rayonnements ionisants étaient seuls responsables de leur formation. La spécificité de cette technique est assurée par le fait que l’on retrouve généralement moins de 1 dicentrique pour 2000 lymphocytes dans la population normale, et que cette fréquence est globalement indépendante de l’âge et du sexe. Sa précision dépend donc du nombre de cellules observées, ce qui permettrait de descendre en théorie jusqu’à des valeurs de dose très faibles, de l’ordre de 0,01 Gy. Pour ce faire, il faudrait observer des dizaines de milliers de métaphases, ce qui représente un travail sans commune mesure avec l’intérêt du résultat, qui est aussi fonction du risque encouru. Dans les limites hautes de la technique, on dépasse largement la dose humaine létale.

Le choix du lymphocyte comme matériel biologique s’explique aisément : un prélèvement sanguin est facile à obtenir et se conserve quelques jours. De plus, à l'état normal, les lymphocytes sont quasiment tous à l’état quiescent. Les aberrations chromosomiques radio-induites restent donc latentes tant que ces cellules ne rentrent pas en division et la durée de vie des lymphocytes est suffisamment longue pour permettre d'effectuer l’analyse quelques semaines après l'exposition (Figure 4).

Des courbes de relation dose-effet construites à partir de l'irradiation d'échantillons sanguins in vitro à l'aide de rayonnements de différentes qualités et pour plusieurs débits de dose, servent de référence (Figure 5). Elles obligent chaque laboratoire pratiquant la dosimétrie biologique de les établir, car elles prennent en compte leurs particularités techniques et méthodologiques. Ce n’est pas la seule raison pour laquelle il existe un laboratoire de dosimétrie biologique à peu près dans chaque pays où l’industrie nucléaire est significative. La distribution statistique particulière des anomalies chromosomiques fait que la précision de la mesure – et donc de la dose - est liée au nombre de métaphases observées et donc au nombre d’aberrations dénombrées. L’analyse de 500 métaphases, dénombrés classiquement en cas d’expertise, donne un intervalle de confiance de 0,2 Gy. Ce travail d’observation délicat nécessite un personnel expérimenté et reste long, car il est le plus souvent effectué manuellement. La rapidité d’analyse est estimée en moyenne à 200 métaphases par observateur et par jour.

Figure 4 : Microphotographie d’un lymphocyte irradié au stade de la métaphase. L’ADN qui compose la chromatide a été dupliqué au cours de la division cellulaire puis condensé en chromosomes juste avant que ceux-ci se séparent pour aller dans les deux cellules-filles. Figure 5 : Relations dose-effet établies en dénombrant les aberrations chromosomiques induites dans les lymphocytes du sang périphérique, en irradiant in vitro du sang total par des rayonnements ionisants de différentes qualités et à différents débits de dose.