Utilisateur:BobClive/Brouillon: Bâghâ Jatîn

Considéré comme le Penseur en action par Raymond Aron, ce philosophe révolutionnaire est un des fondateurs du mouvement d’indépendance de l’Inde. Aux côtés de Sri Aurobindo, il précède et prépare le soulèvement de masse que dirigera M.K. Gandhi vingt ans plus tard. [1] Partisan d’une insurrection pan-indienne avec la participation des régiments coloniaux, Jatin crée un réseau international pendant la Première Guerre mondiale, comptant sur la promesse de Kaiser Guillaume II d’importantes livraisons d’armes et de munitions sur la côte orientale de l’Inde. [2] Son objectif est alors d’entraîner une armée de libération au Moyen-Orient avec des soldats indiens incarcérés par l’Allemagne comme prisonniers de guerre et de synchroniser un mouvement en tenaille pour gagner l’Inde par l’Afghanistan à l’ouest et, de même, en Asie du Sud, par les frontières birmano-thai à l’est.[3] PHOTO 1 STATUE EQUESTRE DE JATINDRA AU CENTRE DE CALCUTTA [modifier] 1. Enfant du Bengale rural Jatin a cinq ans et sa soeur Vinodebâlâ Dévi en a dix, lorsqu’ils perdent leur père, Umesh Chandra : Brâhmane érudit de Sâdhuhâti Rishkhâli en district Jhenâidah de Jessore (au Bangladesh aujourd’hui), il était connu pour son patriotisme et son amour de l’équitation. Les enfants reçoivent l’empreinte de la forte personnalité de leur mère Sharat Shashi qui les élève à Koyâ, près de Kushtia, au sein de sa propre famille d’origine : l’aîné de ses frères, Basantakumâr Chatterjee, avocat et professeur de droit, est un notable de la région ; il compte parmi ses clients et voisins le poète Rabindranâth Tagore qui s’était installé à Shilâidah (1890-1901) pour gérer les propriétés familiales. L’égard de Tagore pour Bankimchandra Chatterjee - visionnaire de l’Inde en tant que Divine Mère - confirme Sharat Shashi dans son admiration pour les maîtres à penser de l’époque.[4] Charitable et sensible à la misère, Sharat Shashi a pour passion de s’occuper de personnes - de la famille ou non – en difficulté. Ayant attrapé le choléra d’un malade qu’elle soignait, elle meurt lorsque Jatin a vingt ans [5] Élève appliqué à l’intelligence vive, Jatin est repéré pour son courage et sa force, pour son tempérament toujours réfléchi, charitable et joyeux. La maison des Chatterjee est non seulement un rendez-vous de grands esprits mais, à l’occasion des grandes fêtes, elle accueille un millier de convives de toutes origines sociales. Entrainé dans les arts martiaux en même temps que ses études, le jeune Jatin se livre à des épreuves de force, même avec des sujets intouchables forts et agiles, pour divertir les invités. Fin connaisseur du théâtre, il adore mettre en scène des pièces mythologiques et jouer des rôles pieux tels que Prahlâd, Dhruva, Hanuman, ou Harish Chandra. Il encouragera non seulement plusieurs auteurs dramatiques de l’époque de produire des pièces patriotiques mais, aussi, les rhapsodes de remodeler les opérettes de villages pouvant éveiller dans les milieux ruraux la conscience nationaliste. Respectueux de l’être humain et de la justice, Jatin méprise toutes distinctions de naissance : ayant porté le fardeau d’une vieille villageoise musulmane, il partage avec elle sa gamelle de riz avant de lui laisser un peu d’argent pour employer un porteur à d’autres occasions. [6] 2 Etudes à Calcutta Reçu à l’examen d’Entrance (Baccalauréat) passé au lycée Anglo-Vernacular de Krishnagar en 1895, Jatin s'inscrit au Central College de Calcutta (actuellement Khudirâm Bose College) pour ses études universitaires, de même qu’aux cours de sténodactylo dispensés par Mr Atkinson : ce nouveau métier ouvrait les portes à des carrières convoitées. Présenté à Vivékânanda, le moine patriote, Jatin apprend de lui combien l’indépendance politique de l’Inde (mukti) était indispensable pour la délivrance spirituelle (moksha) de l’humanité. Le Maître lui ouvre la perspective de maîtriser la libido avant de former une jeunesse « aux muscles de fer et aux nerfs d’acier » (qu’il caractérisait de « propres aux vrais êtres humains »). Selon J.E. Armstrong, de la Police coloniale, Jatin "devait sa position prééminente dans les cercles révolutionnaires non seulement à sa qualité en tant que chef mais, de façon considérable, à sa réputation d’être un Brahmachâri [partisan de la chasteté] avec nulle pensée en deçà de la cause révolutionnaire." [7] Jatin aborde le précepte de “celui qui est au service des créatures (jîva) est au service du Créateur (Shiva)” : il s’engage, avec ses adeptes, aux secours des victimes d’épidémies, qu’organise Sister Nivéditâ, disciple irlandaise de Vivêkananda. Celui-ci, découvrant en lui porteur d’une envie de “mourir pour une cause”, envoie Jatin parfaire ses arts martiaux au gymnase d’Ambu Guha où, lui-même, il s’entraîne : c’est un carrefour de penseurs et de meneurs d’hommes. Jatin y rencontre, entre autres, Sachin Banerjee, fils de Yogendra Vidyâbhûshan (auteur à succès des biographies dont Mazzini et Garibaldi). Remettant en question les études dans une université coloniale qui “ne servaient à rien d’essentiel”, Jatin part pour Muzaffarpore en 1900, employé comme secrétaire par le juriste Pringle Kennedy, rédacteur-en-chef du Trihoot Courrier. Il est impressionné par cet historien, qui - par ses tribunes et sur le podium du Congrès indien - réclame pour l’Inde une armée nationale autonome, critiquant le recel anglais des deniers indiens pour sauvegarder militairement l’intérêt impérial dans le monde.[8] De ce point de vue on peut mieux apprécier l’hommage que le Dr Sarbâdhikâri rendra à Jatin en fondant le Bengal Regiment, en 1916, mobilisé en Mésopotamie.[9] Recommandé par Kennedy auprès de Henry Wheeler, Chargé des Finances au Gouvernement du Bengale, Jatin prend son service au Secrétariat dès 1903 : il doit partager son année entre Calcutta et Darjeeling. Fidèle à sa réputation du champion des maltraités, Jatin était toujours à défendre les compatriotes contre la brutalité des fonctionnaires anglais de l’Armée. Un jour, de bonne humeur, Wheeler lui demande : “Jusqu’à quel nombre d’agresseurs pouvez-vous mater ?” “Pas un seul s’il s’agit de gens honnêtes; sinon, autant que vous voudrez !” répond Jatin. [10] 3.1. Le Père tranquille Marié à Indubâlâ Dévi en 1900, Jatin a une fille et trois fils : Ashâlatâ (1906-76), Atindra (1903-06), Tejendra (1909-89), Birendra (1913-91). Bouleversé par la mort d’Atindra, le jeune ménage part en pèlerinage et reçoit l’apaisement et l’initiation du saint Bholânand Giri de Hardwâr : prévenu des projets révolutionnaires du disciple, le soutient dans ses desseins patriotiques. En mars 1906, lors d’un séjour à son village natal Koyâ, par un concours de circonstances et pour protéger la vie d’un innocent, Jatin lutte corps à corps avec un tigre royal du Bengale : grièvement blessé, il réussit à plonger une dague dans la nuque de la bête avant de l’achever. Le célèbre chirurgien de Calcutta, Lt-Colonel Suresh Sarbâdhikâri, s’occupe personnellement de son intervention et publie dans la presse anglaise un hommage au jeune héros. Le Gouvernement du Bengale marque l’événement en décernant à Jatin une médaille sur laquelle la scène de son combat est gravée. [11] 3.2. Organisateur de sociétés secrètes De nombreuses sources administratives font état de la présence de Jatin parmi les fondateurs de l’Anushilan Samiti (‘Société d’entraînement’ conçu par Bankimchandra); il est un des premiers à en créer des succursales dans des villes de province. Selon F.C. Daly : "Il y eut une réunion clandestine à Calcutta autour de l’an 1900 [...] Elle décida de fonder des sociétés secrètes ayant pour objet d’assassiner des fonctionnaires et des supporteurs du Gouvernement [...] Une des premières à prospérer se trouva à Kushtea, dans le district de Nadia. Elle fut organisée par un certain Jotindra Nath Mukherjee… "[12] Plus loin, à en croire Nixon : "La toute première initiative connue au Bengale de promouvoir des sociétés aux fins politiques ou semi-politiques est associée avec les noms du feu juriste P. Mitter, Miss Saralâbâlâ Ghosâl et un Japonais nommé Okakura. Ces activités commencèrent à Calcutta vers l’an 1900, et semblent avoir gagné plusieurs districts du Bengale et avoir prospéré surtout à Kushtia, que dirigeait Jatindradra Nath Mukharji." [13] Bhavabhushan Mitra, ami de jeunesse et collègue révolutionnaire, confirment par ses notes écrites sa propre présence à côté de Jatin à la toute première réunion. [14] Une succursale de cet organisme (Anushilan Samiti) est inaugurée à Dacca. Selon les archives de la police secrète, Jatin lance dans sa région natale des gymnases, dont l'enseignement ajoute à l’éducation physique une dimension patriotique et spirituelle grâce à des conférences et des lectures, notamment sur le secret de l’action juste révélé par la Gîtâ que Jatin connaît par coeur. 3.3. Rencontre avec Sri Aurobindo Chez Yogendra Vidyabhushan, en 1903, Jatin fait la connaissance de Sri Aurobindo : membre d’une société secrète en Inde occidentale, il est venu de Barodâ explorer le terrain pour une révolution armée. Convaincu par le projet de Sri Aurobindo, Jatin se met aussitôt à sa disposition en tant qu’adjoint et l’informe des cellules clandestines qu’il a fondées. Initiateur d’une organisation secrète décentralisée de cellules régionales autonomes dont les dirigeants, seuls, seraient en contact avec le siège, Jatin veut éviter les conséquences d’éventuelles dérives de militants indécis. Il ajoute au programme initial la clause d’endoctriner les soldats indiens de divers régiments britanniques en faveur d’une insurrection. Dans son Rapport sur les "Connections avec le Bihâr l’Orissâ", W. Sealy confirme que Jatin Mukherjee, « le chef des districts de Râjshâhi, Nadiâ, Jessore et Khulnâ, et un intime confédéré de Nani Gopâl Sen Gupta de la bande de Howrâh (…) travaillait directement sous les ordres de Sri Aurobindo. » [15]

PHOTO 2 JATIN EN 1903 (A DARJEELING)

[modifier] En 1905, lors d’un défilé pour fêter la visite du Prince des Galles à Calcutta, Jatin décide d’attirer l’attention du futur Empereur sur les agissements des fonctionnaires anglais de Sa Majesté. Non loin du convoi royal, rangé sur une contre-allée se trouve un fiacre, avec une bande de fonctionnaires anglais assis sur le toit, dandinant leurs pieds bottés sur les fenêtres, devant les visages blêmes de quelques dames indigènes. S’arrêtant près du fiacre, Jatin ordonne les Anglais de laisser les dames tranquilles. En réponse à leurs provocations insolentes, Jatin fonce sur le toit et les roue de coups mesurés jusqu’à ce que les officiers ne tombent comme des mouches. [16] Le spectacle n’est pas vain. John Morley, le Secrétaire d’Etat, recevait régulièrement des plaintes sur le comportement des Anglais à l’égard des citoyens indiens, «l’usage de langage grossier et emploi de fouets et de cannes. » [17] Il en saura davantage : « De retour de sa tournée en Inde, le Prince des Galles eut un long entretien avec Morley, le 10 mai 1906(…) He fit état du manque d’élégance des Européens devant les Indiens. » [18] Bârindra Kumâr Ghosh, en compagnie de Jatin installe une fabrique de bombes près de Deoghar fin 1906, pendant que Bârindra en installe une autre à Mâniktalâ au nord de Calcutta; l’objectif est d’éliminer certains fonctionnaires indiens et britanniques de Sa Majesté. Tandis que Jatin évite toute manifestation terroriste intempestive, Bârindra dirige une organisation centrée sur sa propre personne, visant un rapport de force suicidaire avec l’Etat colonial. Apprécié dans sa carrière professionnelle, Jatin obtient en 1907 une mission officielle spéciale à Darjeeling pour la durée de trois ans. En mars 1908, dans la gare de Siliguri, son altercation avec un groupe arrogant d’officiers militaires anglais donne lieu à un procès médiatisé, qui secoue le pays. Sous la pression de Wheeler (qui se demande si le battage médiatique fait bien référence à son employé exemplaire et qui augure mal cette publicité sur l’impuissance des Anglais), les officiers retirent leurs plaintes.[19] Organisateur infatigable de secours encadrés par un corps médical - et une discipline quasi militaire - lors des épidémies, des catastrophes naturelles (inondations), des congrégations religieuses dont l’ardhodaya, le kumbha-mélâ, l’anniversaire du saint Râmakrishna, Jatin en profite pour établir et maintenir le contact avec des militants de divers districts et leur transmettre des consignes, recruter de nouveaux volontaires, plus ou moins à l’insu de la police dont la suspicion d’arrière-pensées douteuses ne cesse de croître. [20]

  1. Les origines intellectuelles du mouvemenr d’indépendance de l’Inde (1893-1918), Thèse pour le Doctorat d’Etat soutenue par Prithwindra Mukherjee, 1986
  2. Political Trouble in India, A Confidential Report, by James Campbelle Ker, 1917, repr. 1973, pp276-281
  3. Jatindranâth Mukherjee in Dictionary of National Biography, S.P. Sen (ed.), Institute of Historical Studies, Calcutta, 1995, Vol. III, pp162-165
  4. Carnets autographes de Vinodebâlâ Dévi, sœur de Jatin, conservés au Nehru Museum, New Delhi.
  5. Ecrits autobiographiques (dont Durgotsav, 1936, et Pâribârik Kathâ, 1947) de Lalitkumar Chatterjee, oncle et collègue révolutionnaire de Jatin. Il est aussi l’auteur d’une des premières biographies de Jatin, Biplabi Jatindranâth, 1947, basée sur ses réminiscences et des entretiens avec Vinodebâlâ Dévi.
  6. Op. cit., de Vinodebâlâ Dévi
  7. Terrorism in Bengal, A Collection of Documents, Compiled and Edited by Amiya K. Samanta, Government of West Bengal, 1995, Volume II, p393
  8. Militant Nationalism in India, by Bimanbehari Majumdar, 1966,p111
  9. Two Great Indian Revolutionaries, by Uma Mukherjee, 1966, p168
  10. Carnets de Vinodebâlâ Dévi
  11. Entretien avec le Dr Kumar Bagchi.
  12. Terrorism, Vol. I, p14
  13. Terrorism, vol. II, pp509-652
  14. Notes conservées au Musée Nehru, New Delhi.
  15. Terrorism, Vol. V, p63
  16. Carnets de Vinodebâlâ.
  17. India under Morley and Minto, by M.N. Das, George Allen and Unwin, 1964, p25
  18. Loc. cit.
  19. Two Great, p166
  20. Political Trouble in India, pp9-10. « A Note on the Ramakrishna Mission » by Charles Tegart, in Terrorism, Vol. IV, pp1364-67