Utilisateur:Anthion/Brouillon

Visions du règne modifier

La figure de Charles VIII a connu depuis toujours un traitement sévère. Depuis son époque, il a l'image d'un jeune roi fragile et instable dont le portrait physique disgracieux correspond en tout point à son mental déficient. C'est en tout cas ce qui ressort des descriptions utilisées par les historiens, celle de Philippe de Commynes dans ses Mémoires ou encore dans les écrits de l'ambassadeur vénitien Zaccaria Contarini[1].

 
« Imperant Roy portant tripple coronne », Jean Bénart, Louanges de Charles VIII, enlumineur anonyme, 1497 (Paris, BNF, Ms. fr. 2228, fol. 1).

Cet ensemble de clichés est véhiculé dans l'historiographie jusqu'à aujourd'hui. Le règne de Charles VIII est coincé entre plusieurs grandes figures royales, d'un côté son père Louis XI, habile diplomate et intriguant dont l'action fut essentielle à la construction monarchique et notamment pour l'augmentation du territoire du royaume. Et de l'autre, son cousin et successeur, Louis XII le « père du peuple », modèle du bon souverain qui gouverne une monarchie tempérée au sein de laquelle ni les impôts ni l'application du pouvoir ne sont injustes. Je n'ai même pas besoin de parler du suivant puisque le simple nom de François Ier est connu de tous.

Au tournant des époques médiévale et moderne, Charles VIII apparaît donc comme un parent pauvre de l'historiographie autant par la vision dépréciatrice, que par le nombre de publications, le concernant. À l'époque des Lumières, sa figure ne retient pas vraiment l'attention et à peine lui reproche-t-on de n'avoir su, à l'instar des monarchies ibériques, prendre part aux expéditions vers le Nouveau Monde. Le XIXe siècle français connaît une production historique importante et l'étude de Charles VIII n'échappe pas à la règle. L'historien renommé Jules Michelet dans son Histoire de France lui fait une place au sein du roman national. Charles VIII est le roi qui engage les guerres d'Italie, en cela, il allume l'étincelle, permet à la culture italienne de rencontrer la civilisation française et provoque ainsi le brasier de la Renaissance[2].

Les ouvrages de Paul Pélicier[3] en 1882 puis de Delaborde[4] en 1888 sont des travaux d'érudition qui ne bouleversent pas l'image du règne de Charles VIII. La vision dominante dans l'historiographie est celle d'une période d'insuffisance royale. Ce souverain immature et mal conseillé aurait dilapidé les énergies du royaume dans « l'Entreprise italienne », une aventure chevaleresque irrationnelle[5]. En effet, Charles VIII pour se lancer pleinement dans les guerres d'Italie a concédé des terres à des souverains étrangers lors des traités d'Étaples, de Barcelone et de Senlis ce qui est contraire au processus de construction territoriale du royaume, résultat de la politique de son père, Louis XI.

Il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour voir émerger une nouvelle historiographie le concernant. Yvonne Labande-Mailfert fut certainement pionnière dans ce processus et d'autres historiens lui ont ensuite emboîté le pas. L'historienne réhabilite aussi bien le portrait moral de Charles VIII que ses actions politiques en les expliquant dans leur contexte intellectuel et politique (chapitre nommé « les origines des guerres d'Italie et le vouloir du roi »)[6]. Elle rappelle qu'il ne faut pas transposer notre rationalité politique dans le monde de la fin du XVe siècle. Les prophètes et prédicateurs sont alors détenteurs d'un pouvoir important dans les cours princières. Les attentes messianiques étaient très fortes autour de Charles VIII, nombre d'auteurs mettaient en lui leur espoir d'une Réforme de l'Église et allaient jusqu'à lui présager un avenir impérial[7]. Le milieu dans lequel évolue Charles VIII dispose donc d'une logique interne qu'une réflexion marquée par une interprétation déterministe de l'histoire ne peut entendre. C'est notamment en tenant compte de ce cadre que les historiens du XXIe siècle développent leur réflexion[8].

  1. Yvonne Labande-Mailfert, Charles VIII et son milieu (1470-1498) la jeunesse au pouvoir, Paris, Libraire C. Klincksieck, p.152-155
  2. Patrick Boucheron, « Charles VIII descend en Italie et rate le monde », dans Patrick Boucheron (dir.) Histoire Mondiale de la France, Paris, Editions du Seuil, 2017, p.247-251
  3. Paul Pélicier, Essai sur le gouvernement de la dame de Beaujeu, Chartres, 1882
  4. Henri Delaborde, L'expédition de Charles VIII en Italie : histoire diplomatique et militaire, Paris, Firmin-Didot et cie, 1888.
  5. Yann Lignereux, Les rois imaginaires : Une histoire visuelle de la monarchie de Charles VIII à Louis XIV, Rennes, PUR, 2016, p.21-29.
  6. Yvonne Labande-Mailfert, Charles VIII et son milieu (1470-1498) la jeunesse au pouvoir, Paris, Libraire C. Klincksieck, p.169-218.
  7. Alexandre Yali Haran, Le lys et le globe : Messianique dynastique et rêve impérial en France à l'Aube des temps modernes, Seyssel, Champ Vallon, 2000.
  8. Didier Le Fur, Charles VIII, Paris, Perrin, 2006.