Théorème de la corde universelle

théorème mathématique

En mathématiques, et plus précisément en analyse, le théorème de la corde universelle, ou théorème des cordes universelles, dû à Paul Lévy[1], décrit dans sa version générale une propriété des courbes planes continues joignant un point à un point  ; il répond à la question de savoir si on peut trouver sur cet arc des points et tels que la corde ait une longueur donnée et soit parallèle à la corde . Le théorème affirme que cette corde existe pour tout arc joignant à si et seulement si la longueur est un diviseur entier de la longueur (pour un arc particulier, il existe en général d'autres cas d'existence de la corde , comme dans l'exemple ci-contre. L'expression « corde universelle » signifie que le résultat s'applique à un arc quelconque).

Sur cet exemple une corde parallèle à la corde existe si et seulement si .

Historique

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Une forme équivalente de la partie directe du théorème a été obtenue par André-Marie Ampère dans le cadre de travaux sur le théorème de Taylor en 1806[2]. Les versions actuelles du théorème et de sa réciproque, présentées comme une généralisation du théorème de Rolle, ont été publiées par Paul Lévy en 1934[1].

Version fonctionnelle horizontale

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Énoncé

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Considérons une fonction   réelle continue sur   ,  , telle que   : le théorème direct affirme que pour tout entier  , il existe un   tel que   ; le théorème réciproque stipule que les nombres   sont les seuls réels   assurant l'existence d'un réel   vérifiant   pour toute fonction  .

Notons que dans ce cas le rôle des points   du cas général est joué par les points   et que les cordes   et   sont horizontales.

Démonstration du théorème direct

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On introduit la fonction   qui est continue sur   ; la somme télescopique   vaut  , ce qui montre que les   ne sont pas tous de même signe, et donc (d’après le théorème des valeurs intermédiaires) que   s’annule sur   , ce qui assure l'existence d'un   tel que  .

Réciproque : contre-exemple de Paul Lévy

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En prenant, sans perte de généralité[a],  ,   ; Lévy propose de considérer la fonction    est une fonction continue sur   périodique de plus petite période strictement positive   et vérifiant  ,   sur   ; par exemple  .   est bien continue sur   et vérifie   et un calcul direct montre que  , qui ne s'annule que si   avec   entier. Si donc on choisit   différent de l'inverse d'un entier, on construit bien un exemple où il n'existe pas de   vérifiant  .


Version fonctionnelle oblique

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Énoncé

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On considère toujours une fonction   réelle continue sur   ,   : le théorème direct affirme que pour tout entier  , il existe un   tel que le taux d'accroissement de   entre   et   est égal à celui entre   et   :  ; le théorème réciproque stipule que les nombres   sont les seuls réels   assurant l'existence d'un réel   vérifiant  , pour toute fonction  .

Ici aussi les rôles des points   sont joués par les points  .

Démonstration

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Il suffit d'appliquer le théorème précédent à la fonction   définie par   , qui vérifie  .

Lien avec le théorème des accroissements finis

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Dans le cas dérivable, le taux d’accroissement   est, pour   grand, une approximation de la dérivée  , si bien que la formule   "tend" vers la formule des accroissements finis   (mais on ne peut déduire l'un de l'autre car le réel   dépend de  ).

Interprétation cinématique

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Considérons un mobile animé d'un mouvement continu parcourant une distance   en un temps   et dénommons   la distance parcourue en fonction du temps (avec  ). Les taux d'accroissements s'interprètent alors comme des vitesses moyennes, et le théorème précédent s'énonce comme suit : on est assuré de l'existence d'un intervalle de temps   durant lequel la vitesse moyenne du mobile  est égale à la vitesse moyenne globale   si et seulement si   est entier. Ce résultat a été popularisé par les exemples suivants.

Le paradoxe du coureur

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Si un coureur parcourt 10 kilomètres en 30 minutes[b], il paraît vraisemblable qu’il y ait au moins un kilomètre de son trajet qu’il a couru en 3 minutes exactement. Le résultat de Lévy montre que cela n’est garanti que si la course complète est un nombre entier de kilomètres[3].

Le paradoxe du train

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Un train parcourt un certain trajet à une vitesse moyenne de 100 km/h. La durée du trajet, en heures, est égale à   (nombre réel positif). Pour quelles valeurs de   peut-on être certain qu’il existe durant le trajet deux points distants de 100 km que le train a parcouru en un laps de temps de une heure ?

Réponse : uniquement pour   entier.

Version concernant les courbes paramétrées planes

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Théorème des cordes pour une courbe plane.

Énoncé

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On considère deux fonctions fonction   et   réelles continues sur    ; alors, les seuls réels   pour lesquels on est assuré de l'existence de   tel que le déterminant   soit nul sont les   avec   entier.

Si l'on pose  , le théorème énonce bien les conditions d'existence pour les courbes paramétrées joignant   à   d'une corde   parallèle à  , le déterminant nul indiquant la colinéarité des vecteurs   et  .

Notons que ce théorème contient les deux précédents.

Démonstration

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Appliquer le théorème de base à la fonction   définie par   qui vérifie  . L'égalité   équivaut bien la nullité de   par linéarité du déterminant par rapport à sa première colonne.

Version concernant les courbes paramétrées dans l'espace

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Exemple de corde [CD] parallèle à un plan passant par A et B. Par contre aucune corde n'est ici parallèle à [AB].

Énoncé

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On considère trois fonctions fonction   réelles continues sur    ; alors, les seuls réels   pour lesquels on est assuré de l'existence de   tel que le déterminant   soit nul sont les   avec   entier.

Si l'on pose  , le théorème énonce les conditions d'existence pour les courbes paramétrées joignant   à   d'une corde   parallèle au plan  , le déterminant nul indiquant la colinéarité des vecteurs   ,   et  .

Le point   pouvant être choisi arbitrairement, il énonce en fait les conditions d'existence d'une corde   parallèle à un plan donné passant par   et   . Par contre, comme on le voit ci-contre, la généralisation qui consisterait à dire qu'il existe une corde parallèle à   est fausse.

Notons que ce théorème contient les trois précédents.

Démonstration

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Appliquer le théorème de base à la fonction   définie par   qui vérifie  . L'égalité   équivaut bien à la nullité de   par linéarité du déterminant par rapport à sa première colonne.

Cas d'une fonction continue sur ℝ

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Illustration théorème des cordes horizontales. L'animation qui semble se bloquer montre que le théorème n'est pas évident !

Énoncé

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Soit   une fonction réelle continue sur   ; il suffit que   atteigne sa borne inférieure ou supérieure pour être assuré, cette fois pour tout réel  , de l'existence d'un réel   vérifiant   (appelé parfois théorème des cordes horizontales).

Démonstration

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Supposons que   et posons   ; alors   et  , d'où l'existence d'un   tel que  .

D'après le théorème des bornes atteintes, la condition sur la fonction   est réalisée pour une fonction continue périodique sur  , ou une fonction ayant des limites égales aux deux infinis.

Voir ici [4] une généralisation au cas de fonctions non continues.

Une application physique

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A tout point   d'un cercle de diamètre de longueur  , on fait correspondre une grandeur physique (disons par exemple la température) qui varie continûment sur le cercle ; alors pour tout   le cercle possède forcément une corde de longueur   dont les extrémités sont à même température (paramétrer le cercle par un angle   et considérer la fonction qui à   fait correspondre la température en  ).

Variante pour une fonction continue sur un segment

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Énoncé

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Soit   une fonction réelle continue sur   ,  , telle que   , et soient   tels que  . Alors, sans autre condition sur  , il existe toujours   tel que   ou   tel que  .

Démonstration

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Considérons la fonction   continue périodique de période   sur   prolongeant   ; d'après le théorème précédent, il existe un réel   tel que   et d'après la périodicité, on peut supposer que  ; si  , c'est gagné. Sinon,   donc  . Donc si on pose  ,  .

Illustration cinématique

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Un train parcourt 500 km en 5 h.

1) Existe-t-il forcément deux points distants de 100 km, joints en un laps de temps de 1 h ?

2) Existe-t-il forcément deux points distants de 200 km, joints en un laps de temps de 2 h ?

3) Existe-t-il forcément deux points distants de 300 km, joints en un laps de temps de 3 h ?

Réponses : oui pour 1) car 100 divise 500, non pour 2) et non pour 3) car ni 200 ni 300 ne divisent 500, mais oui pour 2) ou 3) d'après l'énoncé précédent.

Généralisation à des parties du plan

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En 1937, Hopf généralisa ces résultats aux sous-ensembles compacts et connexes du plan   [5].

Voir aussi

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Articles connexes

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Notes et références

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  1. Il suffit d’utiliser le changement de variable  .
  2. Le record du monde du 10 000 mètres est en 2019 de 26 min 17 s 53 (depuis 2005).

Références

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  1. a et b Paul Lévy, Sur une généralisation du théorème de Rolle, C. R. Acad. Sci., Paris, 198 (1934) 424–425.
  2. André-Marie Ampère, Recherches sur quelques points de la théorie des fonctions dérivées qui conduisent à une nouvelle démonstration de la série de Taylor, et à l’expression finie des termes qu’on néglige lorsqu’on arrête cette série à un terme quelconque. J. Ecole Polytechnique 6 (1806), no. 13, pp. 148-181 (lire en ligne).
  3. (en) Le paradoxe du coureur, sur le site math.hawaii.edu.
  4. (en) J.C. Oxtoby, « Horizontal Chord Theorems », The American Mathematical Monthly, vol. 79,‎ , p. 468–475
  5. (de) Heinz Hopf, « Über die Sehnen ebener Kontinuen und die Schleifen geschlossener Wege. », sur E-Periodica (consulté le )