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s:Hernani

Victor Hugo - Le romantisme n'est que le libéralisme en littérature

Jeunes gens, ayons bon courage! Si rude qu'on nous veuille faire le présent, l'avenir sera beau. Le romantisme, tant de fois mal défini, n'est, à tout prendre, et c'est là sa définition réelle, que le libéralisme en littérature. Cette vérité est déjà comprise à peu près de tous les bons esprits, et le nombre en est grand ; et bientôt, car l'œuvre est déjà bien avancée, le libéralisme littéraire ne sera pas moins populaire que le libéralisme politique. La liberté dans l'art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d'un même pas tous les esprits conséquents et logiques ; voilà la double bannière qui rallie, à bien peu d'intelligences près (lesquelles s'éclaireront), toute la jeunesse si forte et si patiente d'aujourd'hui ; puis, avec la jeunesse et à sa tête, l'élite de la génération qui nous a précédés, tous ces sages vieillards qui, après le premier moment de défiance et d'examen, ont reconnu que ce que font leurs fils est une conséquence de ce qu'ils ont fait eux-mêmes, et que la liberté littéraire est fille de la liberté politique. Ce principe est celui du siècle, et prévaudra. Ces ultras de tout genre, classiques ou monarchiques, auront beau se prêter secours pour refaire l'ancien régime de toutes pièces, société et littérature ; chaque progrès du pays, chaque développement des intelligences, chaque pas de la liberté fera crouler tout ce qu'ils auront échafaudé. Et, en définitive, leurs efforts de réaction auront été utiles. En révolution, tout mouvement fait avancer. La vérité et la liberté ont cela d'excellent que tout ce qu'on fait pour elles, et tout ce qu'on fait contre elles, les sert également. Or, après tant de grandes choses que nos pères ont faites, et que nous avons vues, nous voilà sortis de la vieille forme sociale ; comment ne sortirions-nous pas de la vieille forme poétique? à peuple nouveau, art nouveau.

Victor Hugo (1802 - 1885) - Hernani (Préface)

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s:Petrus Borel

Petrus Borel - Sur l'amour

Hélas ! qui nous dira ce que c'est que l'amour ?
Pour moi, faible héron au serres de vautour,
Je me sens emporté dans le gouffre ou la nue,
Dans l'antre ténébreux ou sur la plage nue,
Je me sens expirer sous son bec assassin,
Qui m'a crevé les yeux ou labouré mon sein,
Et ne sais rien de plus ! — J'ai lu mile grimoires
Qui traitent de l'amour ; J'ai lu mille grimoires
Très doctes et très secs : je ne sais rien de plus
Qu'avant d'avoir veillé sur ces bouquins feuillus.
Au diable ces traités ! Que le diable les lise !
Au diable leur peinture et leur sotte analyse !
Analyser l'amour ?... Oh ! c'est par trop bouffon !
Messieurs les esprits fins, vous vous croyez au fond,
— Vous êtes à côté, vous jetez votre sonde :
Comme un grain de sarment elle flotte sur l'onde,
Puis vous argumentez, puis vous édifiez,
Système sur système — et vous bêtifiez !...
L'amour est un secret du ciel insaisissable,
Un arcane fermé pour l'homme, infranchissable.

Petrus Borel (1809-1859) - Sur l'amour

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s:Les Jeune-France

Théophile Gautier - Qu'est-ce qu'un Jeune-France?

Deux ou trois de mes camarades, voyant que je devnais tout à fait ours et maniaque, se sont emparés de moi et se sont mis à me former : ils ont fait de moi un Jeune-France accompli. J'ai un pseudonyme très long et une moustache fort courte ; j'ai une raie dans les cheveux, à la Raphaël. Mon tailleur m'a fait un gilet… délirant. Je parle art pendant beaucoup de temps sans ravaler ma salive, et j'appelle bourgeois tous ceux qui ont un col de chemise. Le cigare ne me fait plus tousser ni pleurer, et je commence à fumer dans une pipe, assezcrânement et sans trop vomir. Avant-hier, je me suis grisé d'une manière tout à fait byronnienne ; j'en ai encore mal à la tête : de plus, j'ai fait l'acquisition d'une mignonne petite dague de Toscane, pas plus longue qu'un aiguillon de guêpe, avec quoi je trouerai tout doucement votre peau blanchette, ma belle dame, dans les accès de la jalousie italienne que j'aurai quand vous serez ma maîtresse, ce qui arrivera indubitablement bientôt. On m'a présenté dans plusieurs salons, par-devant plusieurs coteries, depuis le bleu de ciel le plus clair jusqu'à l'indigo le plus foncé. Là, là j'ai entendu infiniment de cinquièmes actes, et encore plus d'élégies sur le malheur d'être abandonnée par son ou ses amants. J'en ai moi-même récité un nombre incalculable. Je me culotte, comme disent mes dignes amis, et il paraît que je deviens un homme à la mode. Mes deux cornacs prétendent même que j'ai eu plusieurs bonnes fortunes : soit, puisqu'on est convenu d'appeler cela ainsi.

Théophile Gautier (1811 - 1872) - Les Jeune-France (Préface)

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s:Salon de 1846

Charles baudelaire - Le romantisme n'est que le libéralisme en littérature

Le romantisme n’est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir.
Ils l’ont cherché en dehors, et c’est en dedans qu’il était seulement possible de le trouver.
Pour moi, le romantisme est l’expression la plus récente, la plus actuelle du beau.
Il y a autant de beautés qu’il y a de manières habituelles de chercher le bonheur.
La philosophie du progrès explique ceci clairement; ainsi, comme il y a eu autant d’idéals qu’il y a eu pour les peuples de façons de comprendre la morale, l’amour, la religion, etc., le romantisme ne consistera pas dans une exécution parfaite, mais dans une conception analogue à la morale du siècle.
C’est parce que quelques-uns l’ont placé dans la perfection du métier que nous avons eu le rococo du romantisme, le plus insupportable de tous sans contredit.
Il faut donc, avant tout, connaître les aspects de la nature et les situations de l’homme, que les artistes du passé ont dédaignés ou n’ont pas connus.
Qui dit romantisme dit art moderne, — c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini, exprimées par tous les moyens que contiennent les arts.

Charles Baudelaire (1821 - 1867) - Salon de 1846

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s:Le Démon

Alexandre Pouchkine - Le Démon

Dans les jours où étaient nouvelles pour moi
Toutes les impressions de l'Être —
Et les regards des jeunes filles,
Et le bruissement des forêts,
Et le chant du rossignol la nuit, —
Où les hauts sentiments,
La liberté, la gloire et l'amour,
Et l'inspiration des arts
Troublaient mon sang si fort,
Un mauvais esprit vint me trouver en secret,
Ombrageant d'une mélancolie soudaine
Les heures d'espoirs et de plaisirs.
Ces rencontres étaient tristes :
Son sourire mystérieux,
Ses paroles cyniques,
Versaient un poison glacé dans mon âme.
Par ses mensonges perpétuels
Il bravait le destin ;
Il appelait illusion le Beau ;
Il méprisait l'inspiration ;
Il ne croyait ni en l'amour ni en la liberté —
Il regardait la vie en se moquant
Et rien dans la Nature ne trouvait grâce à ses yeux.

Alexandre Pouchkine (1799 - 1837) - Le Démon (1823)

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s:Le Pélican

Alfred de Musset - Le sacrifice du Poète

Lorsque le pélican, lassé d’un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s’abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lents une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte ;
En vain il a des mers fouillé la profondeur ;
L’Océan était vide et la plage déserte ;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur,
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s’affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d’horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant ;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort, se recommande à Dieu.
Poète, c’est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s’égayer ceux qui vivent un temps ;
Mais les festins humains qu’ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,
De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,
Ce n’est pas un concert à dilater le cœur.
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant,
Mais il y pend toujours quelque goutte de sang

Alfred de Musset (1810 - 1857) - La Nuit de mai (extrait)

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