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Paul Gérardy - Je suis en deuil de rêves morts

Je suis en deuil de rêves morts,
Je suis en grand deuil de mes rêves
À la dérive sur les grèves,
À la dérive loin des ports.

Blancs nénuphars des eaux moroses
Et lys tombés de vierges mains,
Lauriers austères, folles roses,
Fleurs mortes de mes rêves vains !

Des poisons sont tombés des astres,
Des poisons sur mes frêles fleurs
À la dérive, sous les astres,
À la dérive, frêles fleurs !

Paul Gérardy (18/02/1870-01/06/1933) - Chansons naïves (1892)

s:mars 2013 Invitation 1

Luc Dietrich – Le ventre des villes

Je vis se déballer les trains qui venaient de banlieues, et de toutes les bouches de la gare, les femmes de Paris vinrent vers moi, portées comme des bouchons par les moulinets de la foule. Les couples déjà formés faisaient des grumeaux çà et là qui s’embrassaient, qui commençaient à onduler debout. Dehors, la ville me montra tous ses trous, ses coins, ses appels, ses escaliers comme des trappes, ses boîtes qui se referment, ses lumières sèches qui s’allument et s’éteignent, ses rideaux qui se tirent, ses rues où les foules remontent comme des mauvaises digestions, ses souterrains où elles pendent par grappes, ses ronds-points où elles font exprès d’être nombreuses et de grouiller sur place et de coller ensemble comme les œufs des poissons, ses cafés où les jambes s’entremêlent sous les tables, ses taxis où les bras se croisent sur des dos. L’amour mouillait tout ça, coulait dessus comme une rinçure de vaisselle, y gloussait comme un évier qui se vide.

Luc Dietrich (17/03/1913-12/08/1944) - Le Bonheur des Tristes - Introduction à la vie commune ch. II (éd. Denoël, 1935)

s:mars 2013 Invitation 2

Pearl Buck - La souffrance des femmes

- Les femmes sont tristes, lui disait cette femme avisée. C'est à cause de leurs illusions sur la fidélité masculine. Ce n'est qu'un rêve et les rêves sont dangereux. Car les hommes ne sauraient rester fidèles. Leur nature le leur interdit. Quand un chien voit un lapin, ses mâchoires frémissent et il en salive. Il n'y peut rien. De même, lorsqu'un homme voit une jeune et jolie femme, malgré son désir de rester fidèle à son épouse, il ne peut s'empêcher de réagir selon sa nature. Tu serais bien sotte, si tu te permettais d'en souffrir.

Il est vrai que, jeune fille, Moti rêvait d'amour. « Comment m'empêcherai je de souffrir? » demanda-t-elle un jour à sa mère.

- Essaie de ne pas trop aimer ton mari, lui conseilla sa mère. - Mais n'est ce pas mon devoir de l'aimer autant que possible ? - Je te donne un conseil secret. Je sais parfaitement que si tu te laisses à aimer ton mari, tu souffriras.

Pearl Buck (26/06/1892-06/03/1973 ) - Mandala (USA, 1971 - trad. éd. Stock, 1971)

s:mars 2013 Invitation 3

Xavier de Montépin – Prologue comtois

Nous prions nos lecteurs de vouloir bien remonter avec nous de près de deux siècles et demi dans le passé. ce qui nous reportera vers le commencement du dix-septième siècle,— et nous leur demandons de nous accompagner dans cette vieille province de Franche-Comté, qui, depuis Charles-Quint, appartenait à l'Espagne.

En l'an 1620, une demeure modeste, moitié maison, moitié chalet, s'élevait à l'entrée d'un vallon boisé, à deux ou trois portées de mousquet de l'endroit où commence la déclivité de cette colline sur laquelle se disséminent encore aujourd'hui les chaumières du hameau de Longchaumois.

Cette maisonnette, plus vaste que les huttes voisines, ne se composait cependant que d'un rez-de-chaussée formant deux pièces. Le grenier se trouvait immédiatement au-dessus de ces pièces. Autour de la maison s'étendait un enclos planté d'arbres fruitiers d'une médiocre venue dont une clôture de houx défendait l'approche au bétail et aux maraudeurs.

Xavier de Montépin (10/03/1823-30/04/1902) – Le médecin des pauvres (1861) (incipit)

s:mars 2013 Invitation 4

Paul Gérardy - Je suis en deuil de rêves morts

Je suis en deuil de rêves morts,
Je suis en grand deuil de mes rêves
À la dérive sur les grèves,
À la dérive loin des ports.

Blancs nénuphars des eaux moroses
Et lys tombés de vierges mains,
Lauriers austères, folles roses,
Fleurs mortes de mes rêves vains !

Des poisons sont tombés des astres,
Des poisons sur mes frêles fleurs
À la dérive, sous les astres,
À la dérive, frêles fleurs !

Paul Gérardy (18/02/1870-01/06/1933) - Chansons naïves (1892)

s:mars 2013 Invitation 5

Alfred de Musset - Le mois de mars

Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ;
Bien que le laboureur le craigne justement,
L'univers y renaît ; il est vrai que le vent,
La pluie et le soleil s'y disputent l'empire.
Qu'y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ;
C'est sa première larme et son premier sourire.
C'est dans le mois de mars que tente de s'ouvrir
L'anémone sauvage aux corolles tremblantes.
Les femmes et les fleurs appellent le zéphyr ;
Et du fond des boudoirs les belles indolentes,
Balançant mollement leurs tailles nonchalantes,
Sous les vieux marronniers commencent à venir.

Alfred de Musset (1810 - 1857) - Poésies nouvelles (11) : A la mi-carême (1850)

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