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Timothy Findley - Fantômes inhumains

Il doubla l'enseigne où l'on pouvait lire Elysium pour s'avancer dans la neige, tourna à gauche, traversa la cour, prit la direction des montagnes à travers le blizzard, suivit des sentiers de chèvres et de moutons, à la recherche d'un lieu où enterrer les fantômes des cinquante-cinq morts qui gisaient sur les pelouses de la résidence du gouverneur, de celui qui avait été dévoré par les oiseaux, de celui qui croupissait dans sa cage à Pise, de celui dont la main se tournait vers un passé qu'il ne pouvait empêcher, de cet homme dont le crayon avait brûlé les murs... et à chaque pas qu'il faisait, Quinn essayait de se maudire pour avoir commis l'erreur de croire qu'ils avaient été des êtres humains. Et pour avoir commis l'erreur d'avoir retenu leurs noms.

Timothy Findley (1930 – 2002) – Le Grand Elysium Hôtel (page 312) - (trad. Editions Robert Laffont, 1986, rééd Le Serpent à Plumes, 2005)

s:avril 2009 Invitation 1

Thomas Pynchon - L'élan

Ils restèrent un moment silencieux. Elle dit : « Allons faite un tour ».

Plus tard, dans la rue, près des marches qui descendent à la mer, elle lui prit la main, sans raison évidente, et se mit à courir. Les maisons, dans cette partie de La Valette, onze ans après la fin de la guerre, n'avaient pas été reconstruites. La rue, néanmoins, était nivelée et nette. Main dans la main, avec Brenda qu'il ne connaissait que de la veille, Profane dévala la rue en courant. Et voilà que, subitement et sans bruit, toutes les lumières, celles des maisons et celles des rues, s'éteignirent. Profane et Brenda continuèrent de courir à travers la nuit absolue et abrupte, l'élan seul les portant vers l'extrême bord de Malte, et la Méditerranée au-delà.

Thomas Pynchon - V. (page 448) – (1963, trad. éd. Plon, 1967)

s:avril 2009 Invitation 2

Timothy Findley - Fantômes inhumains

Il doubla l'enseigne où l'on pouvait lire Elysium pour s'avancer dans la neige, tourna à gauche, traversa la cour, prit la direction des montagnes à travers le blizzard, suivit des sentiers de chèvres et de moutons, à la recherche d'un lieu où enterrer les fantômes des cinquante-cinq morts qui gisaient sur les pelouses de la résidence du gouverneur, de celui qui avait été dévoré par les oiseaux, de celui qui croupissait dans sa cage à Pise, de celui dont la main se tournait vers un passé qu'il ne pouvait empêcher, de cet homme dont le crayon avait brûlé les murs... et à chaque pas qu'il faisait, Quinn essayait de se maudire pour avoir commis l'erreur de croire qu'ils avaient été des êtres humains. Et pour avoir commis l'erreur d'avoir retenu leurs noms.

Timothy Findley (1930 – 2002) – Le Grand Elysium Hôtel (page 312) - (trad. Editions Robert Laffont, 1986, rééd Le Serpent à Plumes, 2005)

s:avril 2009 Invitation 3

Bérénice à Titus :

Car enfin, ma Princesse, il faut nous séparer.

Je n'écoute plus rien, et pour jamais: adieu...
Pour jamais ! Ah, Seigneur! songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L'ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts.

Jean Racine (1639 - 21/04/1699) - Bérénice (1670) - Acte IV, scène 5.

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s:avril 2009 Invitation 4

Jacques Brel - Mon Père disait

Mon Père disait
C'est le vent du Nord
Qui fait craquer les digues
A Scheveningen
A Scheveningen petit
Tellement fort
Qu'on ne sait plus qui navigue
La mer du Nord
Ou bien les digues
C'est le vent du Nord
Qui transperce les yeux
Des hommes du Nord
Jeunes ou vieux
Pour faire chanter
Des carillons de bleu
Venus du Nord
Au fond de leurs yeux

Jacques Brel (8/04/1929 - 9/10/1978) - Mon Père disait (1967) (éditions Barclay)

s:avril 2009 Invitation 5

Jules Barbey d’Aurevilly - Poésie primitive et sauvage

Qui ne sait le charme des landes ?... Il n’y a peut-être que les paysages maritimes, la mer et ses grèves, qui aient un caractère aussi expressif et qui vous émeuvent davantage. Elles sont comme les lambeaux, laissés sur le sol, d’une poésie primitive et sauvage que la main et la herse de l’homme ont déchirée. Haillons sacrés qui disparaîtront au premier jour sous le souffle de l’industrialisme moderne ; car notre époque, grossièrement matérialiste et utilitaire, a pour prétention de faire disparaître toute espèce de friche et de broussailles aussi bien du globe que de l’âme humaine. Asservie aux idées de rapport, la société, cette vieille ménagère qui n’a plus de jeune que ses besoins et qui radote de ses lumières, ne comprend pas plus les divines ignorances de l’esprit, cette poésie de l’âme qu’elle veut échanger contre de malheureuses connaissances toujours incomplètes, qu’elle n’admet la poésie des yeux, cachée et visible sous l’apparente inutilité des choses.

Jules Barbey d’Aurevilly (1808 - 23/4/1889) - L’Ensorcelée (1854)

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