En mathématiques, le polygone de Newton est un polygone du plan euclidien que l'on peut associer à un polynôme, lorsque les coefficients de ce dernier sont éléments d'un corps valué. Le polygone de Newton encode un certain nombre d'informations à propos de la factorisation d'un polynôme, et la localisation de ses racines.

Il est particulièrement utile lorsque les coefficients du polynôme sont éléments d'un corps local non archimédien, comme le corps des nombres p-adiques, ou celui des séries de Laurent sur un corps fini, mais il peut également être utilisé avec profit dans l'étude des polynômes à coefficients rationnels, ou des polynômes en plusieurs indéterminées.

Construction modifier

Soient (K,v) un corps valué, et P(X) un polynôme à coefficients dans K. Quitte à diviser P par une puissance de X, puis par P(0), on peut supposer que P(0) = 1, de sorte que P(X) s'écrive

 

où les coefficients  , …,   sont éléments de K, et   (ainsi,  ). Considérons l'ensemble S des points du plan

 

pour  , où l'on ignore les indices i pour lesquels  . Le polygone de Newton de P est alors la frontière inférieure de l'enveloppe convexe de cet ensemble S. Il s'agit donc d'une ligne brisée, réunion de segments dont les extrémités sont dans S.

En voici une construction plus explicite. Considérons l'axe des ordonnées, et faisons le tourner autour de l'origine   dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, jusqu'à ce qu'il rencontre l'un des points   de S ; on obtient alors le premier segment   du polygone de Newton. Si l'on continue à faire tourner l'axe, autour du point   cette fois, il finit par rencontrer un point  , et on obtient ainsi le second segment  . En répétant cette opération autant de fois que possible, on finit par obtenir le polygone de Newton.

Remarques.

  • Certains auteurs[1] définissent le polygone de Newton comme la frontière supérieure de l'enveloppe convexe de l'ensemble des points  . Les propriétés mentionnées dans la deuxième partie de cet article sont vraies quelle que soit la convention choisie, à la différence près qu'il faut changer le signe des pentes.
  • D'autres auteurs considèrent que le polygone de Newton est l'enveloppe convexe de S, et non seulement sa frontière inférieure.
 
Construction du polygone de Newton (en bleu) du polynôme P.

Exemple. Construisons le polygone de Newton du polynôme

 

vu comme polynôme à coefficients dans le corps des nombres-p-adiques Q5. La valuation que l'on utilise est donc la valuation 5-adique, et les points de l'ensemble S sont

 

Noter l'absence de   dans cette liste, puisque le coefficient de   dans P est nul. La construction du polynôme de Newton de P à partir de l'ensemble de points S est illustrée dans l'animation à droite. On voit qu'il s'agit de la ligne brisée de sommets  ,  ,   et  .

Applications modifier

Dans toute cette partie, P est un polynôme à coefficients dans K, et son polygone de Newton est composé de r segments  , …,  . On note   la pente du s-ième segment (pour  ), et   sa "longueur", c'est-à-dire la quantité  .

Factorisation dans les corps locaux modifier

On considère ici le cas où   est un corps local non archimédien, c'est-à-dire un corps de nombres p-adiques ou un corps   de séries de Laurent sur un corps fini.

On dit[2] que le polynôme   est pur de pente m lorsque son polygone de Newton est un unique segment dont la pente est m. Remarquons que dans ce cas, la pente est nécessairement  .

Le polygone de Newton d'un polynôme P (qui n'est pas a priori supposé pur) fournit les informations suivantes quant à sa factorisation dans  .

Théorème[3] — Le polynôme P admet une factorisation sous la forme

 

où chaque   est un polynôme de   de degré  , pur de pente  .

En particulier, on peut facilement construire le polygone de Newton d'un polynôme irréductible.

Corollaire[4] — Si P est irréductible dans  , alors il est pur de pente  .

Notons que la réciproque est fausse. En fait[5], si f et g sont deux polynôme purs de même pente m, alors fg est lui aussi pur de pente m. Il existe cependant une réciproque partielle dans certains cas favorables (voir la section suivante).

Localisation des racines dans Cp modifier

Dans cette partie on considère le cas où K est un corps de nombres p-adiques  , et v est donc la valuation p-adique  . Dans ce cadre, le polygone de Newton du polynôme P donne des informations précises quant à la localisation des racines de P dans  .

Théorème[6] — Pour chaque s entre 1 et r, le polynôme P a exactement   racines de valuation p-adique   dans  , en comptant les racines avec multiplicité.

On peut ainsi obtenir une réciproque partielle au corollaire donné dans la section précédente. Considérons ainsi le cas d'un polynôme   de degré n pur de pente m, et supposons en outre que   est premier avec n. D'après le théorème qui précède, toutes les racines de P dans   ont pour valuation  . Si l'on écrit  , pour deux polynômes Q et R à coefficients dans  , avec Q de degré d, alors le produit des racines de Q a pour valuation  ; or ce produit est (au signe près) le coefficient constant de Q, un élément de  , donc sa valuation est un entier. Ainsi, n divise   et est premier avec  , donc il divise d. On en déduit que P est irréductible, et on a par conséquent démontré le théorème suivant.

Corollaire — Si le polynôme P est pur, et si   est premier avec n, alors P est irréductible dans  .

On retrouve comme cas particulier le critère d'Eisenstein, qui correspond au cas où  . En effet, si P satisfait aux hypothèses du critère d'Eisenstein pour un nombre premier p, alors   a un coefficient constant égal à 1, le coefficient du terme dominant est  , et les autres coefficients ont des valuations p-adiques positives. Le polynôme P est donc pur de pente  .

Généralisations modifier

Polynômes à plusieurs indéterminées modifier

Considérons un polynôme   en deux indéterminées, à coefficients dans un corps K quelconque. On peut munir   de la valuation la valuation Y-adique  , définie pour un polynôme   comme le plus petit indice   tel que  , et étendue à   en posant  . Le polygone de Newton d'un polynôme

 

vis-à-vis de la valuation Y-adique est alors l'enveloppe convexe des points de coordonnées   tels que  .

Plus généralement, on peut construire le polytope de Newton d'un polynôme de  , comme ensemble convexe des points de   de coordonnées   tels que le coefficient devant   est non nul.

Séries formelles modifier

On peut définir de la même façon le polygone de Newton d'une série formelle

 

à coefficients dans un corps valué  .

Voir aussi modifier

Notes modifier

  1. Cassels, chapitre 6, section 3.
  2. La terminologie n'est pas standard, mais c'est celle utilisée par Cassels et Gouvêa.
  3. Cassels, chapitre 6, théorème 3.1.
  4. Gouvêa, Proposition 6.4.2.
  5. Gouvêa, Problème 322, p. 217
  6. Gouvêa, Théorème 6.4.7.

Références modifier