Effets du méthylphénidate sur le rythme circadien

Les rythmes circadiens sont des cycles de près de 24 heures qui sont principalement générés par un système de chronométrage circadien endogène, codé au niveau moléculaire[1]. Il est connu que plusieurs facteurs influencent le rythme circadien du sommeil, notamment le travail posté[2], le décalage horaire[3], mais également certains médicaments comme le méthylphénidate[4], un dérivé amphétaminique. Il s’agit d’un psychostimulant utilisé en première intention dans le traitement du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH)[5]'[6], qui se caractérise par un déficit de l’attention, l'hyperactivité motrice et l'impulsivité[7]. Le méthylphénidate peut affecter à la fois le sommeil et la rythmicité circadienne[8]'[4].

Formule topologique du Méthylphénidate, un psychostimulant utilisé dans le traitement du trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).

Le mécanisme du méthylphénidate sur l’horloge circadienne modifier

Modification de l’activité électrique du noyau suprachiasmatique modifier

Le traitement au méthylphénidate affecte les rythmes d'activité électrique du noyau suprachiasmatique (NSC), ceux-ci ont été enregistrés avec succès chez neuf animaux de type sauvage[4]. Le traitement au méthylphénidate modifie l'activité électrique du NSC, produisant entre autres un creux retardé, une amplitude accrue et une variabilité réduite. Ainsi, tous les paramètres de la forme d'onde NSC pris ensemble (creux, pic, montée et pente descendante) sont décalés lors de la prise du médicament, suggérant un retard dans le rythme de l'activité électrique NSC. En outre, le traitement au méthylphénidate a produit une augmentation de l'amplitude du rythme de l'activité électrique NSC. Ces résultats montrent que le méthylphénidate peut modifier le système circadien, en affectant les propriétés de l'horloge centrale[4].

Modification de l’expression des gènes de l’horloge modifier

Le traitement au méthylphénidate a aussi un impact sur l’expression des gènes de l’horloge, comme il a été montré dans une étude sur le cerveau de la souris[9]. En effet, un traitement chronique avec ce médicament entraîne des modifications du rythme des gènes PER1 et PER2. D’ailleurs, au niveau du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus, le méthylphénidate entraîne une hausse de l’expression du gène PER1. Dans le putamen, le méthylphénidate entraîne une hausse de PER2 alors que dans l’aire tegmentale ventrale, le médicament affecte à la hausse le gène PER1. Finalement, le méthylphénidate affecte le gène PER2 au niveau du noyau suprachiasmatique (NSC), dans l’hypothalamus, qui se trouve en fait à être l’horloge circadienne principale chez les souris. Il réduit l'expression du gène PER2 et modifie l'acrophase du rythme de ce gène, c’est-à-dire le pic d’expression. Bref, il semble donc que le médicament utilisé pour contrer les effets du TDAH modifie les mécanismes moléculaires circadiens. C’est ainsi que le méthylphénidate agit sur le cycle circadien et retarde le sommeil[9].

Effets du méthylphénidate sur l’activité de l’horloge circadienne modifier

Recherches sur les humains modifier

Le médicament est efficace pour réduire les symptômes du TDAH[10],[11], mais celui-ci cause des effets secondaires sur l’horloge circadienne, principalement en réduisant le temps de sommeil[8]'[4]'[12]. Ce psychostimulant augmente la latence à l'endormissement, ce qui retarde le sommeil[13]. Ceci est observable lorsque le médicament est administré trois fois par jour chez les enfants, dont une dose en fin d’après-midi, car le méthylphénidate a une demi-vie d’environ quatre heures. Le médicament peut donc faire encore effet lorsque les enfants s’endorment. Une étude sur les enfants atteints de TDAH a montré, grâce à des données d’actigraphie, qu’une perturbation du sommeil était liée à une administration de méthylphénidate. Ils ont montré que ces enfants dorment environ 30 minutes de moins par nuit lorsqu’ils sont sous traitement du méthylphénidate. D’ailleurs, le temps d’endormissement est passé de 26 minutes (en absence de médicament) à 65 minutes (en présence du médicament)[12]. Par contre, l’étude a constaté que la qualité du sommeil n’est pas affectée par le méthylphénidate. Une fois endormis, les enfants médicamentés ne sont plus susceptibles de se réveiller pendant la nuit. Le médicament affecte non seulement la durée de sommeil des enfants, mais aussi celle des adultes[8]. Le méthylphénidate affecte donc l'activité de l’horloge circadienne des enfants ainsi que des adultes atteints de TDAH en réduisant le temps de sommeil par un temps d’endormissement plus long.

Recherches sur les animaux modifier

Chez les souris, qui sont des animaux nocturnes, le méthylphénidate augmente significativement l’activité en fin de nuit, ce qui amène un retard d’endormissement, comme chez les humains[4]. Avec un cycle de lumière et de noirceur normal représentant le jour et la nuit, le traitement au méthylphénidate a changé le profil d'activité des animaux, de sorte que l'activité pendant la seconde moitié de la nuit a été augmentée. On observe également que les souris traitées avec le méthylphénidate ont un début d'activité retardé (elles commencent plus tard à courir sur la roue), elles sont réveillées plus longtemps et elles prennent plus de temps à s’endormir par rapport aux souris sans traitement une fois que la période d'éclairage est commencée. Lorsque placés dans la noirceur constante, les animaux témoins présentent un raccourcissement de la période de course au cours des premières semaines de l'expérience, tandis que les animaux traités au méthylphénidate, au contraire, présentent un allongement de la période de course pendant le traitement au méthylphénidate[4]. Bref, les recherches faites sur la souris adulte montrent que le méthylphénidate seul peut modifier le sommeil ainsi que la rythmicité circadienne.

Effets d’une privation de sommeil sur la santé modifier

Sommeil et trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) modifier

Comme mentionné précédemment, les médicaments utilisés pour contrer les symptômes du TDAH, tel que le méthylphénidate, sont connus pour avoir un impact sur le rythme circadien chez l’Homme en diminuant le nombre d’heures de sommeil chez les sujets[12]. Bien que le médicament aide à contrer les symptômes liés au TDAH[14], les troubles de sommeil qu’il entraîne peuvent causer une aggravation ou une imitation des symptômes du TDAH[15]. En d’autres termes, il est possible que le méthylphénidate contribue aux symptômes du TDAH en diminuant la qualité du sommeil[12]'[14],[15]. D’ailleurs, nos capacités cognitives et émotionnelles sont considérablement perturbées par la privation de sommeil[16].

Sommeil et maladies modifier

Bien que le manque de sommeil affecte le fonctionnement cognitif, d’autres effets liés à la privation de sommeil sont connus. D’ailleurs, cette privation de sommeil peut influencer l’expression des gènes du système immunitaire[17] et donc conduire à une réduction des réponses immunitaires naturelles[18] entraînant une hausse de probabilité de contracter des maladies[19].

Plusieurs recherches ont révélé que le manque de sommeil peut conduire à l'obésité[20] par l’altération des fonctions métaboliques et endocriniennes[21]. En fait, la perte de sommeil affecte l'appétit et l'apport alimentaire, favorisant ainsi l'obésité[22]. De plus, on sait maintenant que l’obésité est un facteur prédominant du diabète[23]'[24].

D’autres études ont constaté que le manque de sommeil augmentait les risques de maladies cardiovasculaires[25]. En effet, la privation de sommeil entraîne une diminution de la tolérance au glucose, une activité du système nerveux sympathique accrue[21], une sensibilité à l'insuline réduite[26] et une pression artérielle élevée, conduisant à une augmentation des risques de maladies cardiovasculaires[27]'[28]'[29].

Notes et références modifier

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  3. Mamoru Nagano, Akihito Adachi, Ken-ichi Nakahama et Toru Nakamura, « An Abrupt Shift in the Day/Night Cycle Causes Desynchrony in the Mammalian Circadian Center », The Journal of Neuroscience, vol. 23, no 14,‎ , p. 6141–6151 (ISSN 0270-6474, PMID 12853433, PMCID 6740348, DOI 10.1523/JNEUROSCI.23-14-06141.2003, lire en ligne, consulté le )
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