Discussion:Philosophie politique de Pierre-Joseph Proudhon

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Tout d’abord bravo à l’auteur ou aux auteurs qui ont tenté l’impossible, à savoir résumer en quelques lignes la pensée politique de Proudhon. Ayant lu l’intégralité de ses œuvres, c’est un exercice auquel je ne me serais pas essayé.

Je me permets quelques réflexions :

§2 de l’Introduction : « Proudhon défendait la liberté individuelle contre toute force dominante… » Ici l’auteur n’évoque QUE la religion. Or la critique de Proudhon repose sur trois combats absolument indissociables :

a/ L’exploitation de l’homme par l’homme (Pouvoir économique, du capital, de la « propriété ») ; b/ Le gouvernement de l’homme par l’homme (Pouvoir politique, de l’Etat) ; c/ L’adoration de l’homme par l’homme (Pouvoir moral, de la Religion)

§5 du chapitre Proudhon et la science économique : « Fidèle à la dialectique hégélienne ». Là, il y a une grave faute. La dialectique de Proudhon est fondamentalement opposée à celle de Hegel car il rejette la synthèse. La thèse et l’antithèse se balancent, se transforment, évoluent mais la recherche de la synthèse est toujours dictatoriale, étatique. Il est vrai que dans le Système des contradictions économiques (Philosophie de la misère), Proudhon pense qu’il applique la méthode hégélienne. Or il n’en est rien. Marx le lui reproche et c’est à peu près la seule critique sérieuse que l’on trouve dans Misère de la philosophie. Proudhon s’apercevra qu’en effet il n’est pas hégélien et s’en expliquera à de nombreuse reprises, en particulier dans le De la Justice : « L’ANTINOMIE NE SE RESOUT PAS ; là est le vice fondamental de toute la philosophie hégélienne » (Etude III, note P). Michel Onfray, que vous citez en commentaire, insiste régulièrement dans ses ouvrages, ses articles et conférences sur cette particularité de la dialectique proudhonienne. Il en fait l'un des points forts et essentiels de la pensée de Proudhon. Il a parfaitement raison. On pourrait presque affirmer que toute sa logique et toutes ses propositions concrètes en découlent. (Depuis cette réflexion, je me suis permis d'écrire dans la page principale un article sur la dialectique de Proudhon. Il vaut ce qu'il vaut ; mais l'erreur était trop essentielle.)

§6 du chapitre Proudhon et la science économique : « Proudhon se veut l’apôtre du socialisme scientifique ». La phrase n’est pas fausse car, dès ses premiers mémoires, Proudhon emploie l’expression. Il me semble qu’il est le premier à l’utiliser. Cependant, aujourd’hui, elle prête à confusion car on pense immédiatement au socialisme scientifique de Marx (et, surtout, d'Engels). Or, les deux auteurs ont des pensées extrêmement différentes. En caricaturant, on peut écrire que Marx-Engels se servent de la formule pour expliquer que toutes leurs théories sont vraies, qu’ils ne peuvent pas se tromper, parce qu’elles sont scientifiques. Chez Proudhon, il s’agit de découvrir une science de la société ; d’étudier la société telle qu’elle est, puis de chercher une organisation qui soit en adéquation. Proudhon se pose plus en sociologue qu’en homme politique.

Les deux derniers paragraphes du chapitre Proudhon et la science économique : Là, il y aurait beaucoup à écrire, tant sur l’article que Marx a écrit quelques jours après la mort de Proudhon que sur l’avis donné par l’auteur. Pour ma part, je ne considère pas Philosophie de la misère et La Création de l’ordre comme les meilleurs livres de Proudhon. Il est alors, en effet, très influencé par la philosophie allemande dont il s’entretenait régulièrement avec Karl Grün. Cela le pousse à employer un style lourdaud (un « galimatias prétentieux et spéculatif » si vous voulez) qui n’est pas le sien et qu’on ne trouve que dans ces deux ouvrages. Il n’en demeure pas moins, qu’à mon sens, bien des réflexions sont à en retirer, en tous cas bien plus que dans le Misère de la philosophie de Marx.

Chapitre La critique de la propriété : Résumer en quelques lignes tout ce que Proudhon a pu écrire sur la propriété est une gageure. Il revient sur le sujet dans tous ses livres. Aussi ne critiquerai-je pas l'article. Mais il faudrait tout de même préciser que la Théorie de la propriété est une œuvre posthume publiée en 1866 par les exécuteurs testamentaires de Proudhon. C’est-à-dire qu’il s’agit de notes en vue d’écrire un livre et non pas d’une œuvre à proprement parler. Proudhon voulait revenir sur le sujet de la propriété, affiner ce qu’il avait déjà écrit. Il va de soi que les notes qu’il accumule sont des idées qui viennent en complément de ce qu’il a publié et que s’il avait rédigé l’ouvrage il aurait repris les arguments développés précédemment. Si l’on considère la Théorie de la propriété comme un ouvrage achevé (ce qui est fait régulièrement et pas seulement par l’auteur de l’article) on est amené à commettre l’erreur de penser que Proudhon avait fondamentalement changé ses idées, ce qui est faux.

Chapitre Relations avec les autres doctrines socialistes : « Proudhon désapprouve l’action révolutionnaire ». C’est faux. Il participe à la révolution de février 48 et aux journées de juin. Mais, comme il l’écrit, « je suis un révolutionnaire, pas un bousculeur ». Ce qui l’intéresse c’est la transformation de la société. Les manifestations, les barricades, qui ne servent qu’à une seule chose : faire tuer quelques dizaines d’individus, le désespèrent. De plus, l’action violente (la force contre la force) est sans doute parfaitement adaptée pour changer de pouvoir ; l’affaire est plus complexe lorsqu’il s’agit de passer à une organisation fondée sur le principe de liberté et donc, non pas de changer de pouvoir mais de le supprimer (ou tout au moins de fortement le limiter).

« Fils d’artisans, il se méfie de la classe ouvrière dont il redoute la violence ». Là encore erreur. Certes Proudhon redoute la violence des mouvements de masse (comme les journées de septembre 1792). En revanche, il s’est toujours revendiqué de la classe ouvrière : « Né et élevé au sein de la classe ouvrière, lui appartenant encore par le cœur et par les affections… » (Lettre de candidature à la pension Suard 1838). « Lorsque j’ai employé les deux pronoms vous et nous, il est évident que, dans ce moment-là, je m’identifiais, moi, avec le prolétariat et que je vous identifiais vous, avec la classe bourgeoise » (Discours à l’Assemblée nationale juillet 1848). On pourrait multiplier les citations jusqu’à son dernier ouvrage : De la capacité politique des classes ouvrières.

« Proudhon fit peu de critiques publiques de Karl Marx ». C’est peu dire. Il n’en fit aucune. On ne trouve le nom de Marx que dans ses Carnets (3 398 pages) à quatre reprises fin 1847, après la lecture partielle de Misère de la philosophie. Encore n’est-il tout juste que cité. Je vous livre deux exemples ci-après. Si cela vous intéresse, je vous recopie les deux autres.

« Marx était peu connu hors de certains cercles ». Marx était totalement inconnu jusqu’à la troisième édition de la Guerre civile en France puis ses démêlés avec Bakounine dans la première Internationale. En 1848, Sudre écrit un pamphlet contre toutes les théories socialistes. Il ne mentionne pas Marx. En 1872, Sainte-Beuve écrit une biographie de Proudhon et rencontre le nom de Marx dans une lettre de Karl Grün. Il n’avait jamais entendu parler de lui. C’est une erreur que font souvent les historiens d’aujourd’hui que de considérer Marx comme un grand théoricien du socialisme au XIXe siècle. Il deviendra cette icône que nous connaissons essentiellement par l’utilisation qu’en feront tout d’abord Jules Guesde pour combattre l’influence proudhonienne (anti-électoraliste) dans le prolétariat français puis, surtout, par la propagande de Lénine et Staline pour faire totalement oublier Alexandre Herzen, le père du socialisme russe ; tout cela après la mort de Proudhon.

Chapitre Les critiques de Marx : Après la lecture du Qu’est-ce que la propriété ? Marx « entame une correspondance » avec Proudhon. C’est faux. Il n’y a eu qu’une seule lettre de Marx à Proudhon et une seule de Proudhon à Marx (une réponse), en mai 1846, après que Marx ait quitté Paris et se soit réfugié à Bruxelles, c’est-à-dire après leur rencontre. C’est d’ailleurs cette réponse qui consommera la rupture entre les deux hommes. Marx n’aurait jamais écrit Misère de la philosophie (hivers 46-47) si Proudhon avait accepté d’être son correspondant pour la France.

Le paragraphe cite ce que Marx pense de Proudhon. Peut-être ne serait-il pas inutile d’ajouter les réflexions de Proudhon dans ses Carnets suite à la lecture partielle de Misère de la philosophie même s’il n’y a pas grand-chose :

« Marx est le ténia du socialisme » (24 sept. 1847)

« Contradictions économiques.- Tous ceux qui en ont parlé jusqu’ici l’ont fait avec une suprême mauvaise foi, envie ou bêtise. Ch. Marx, Molinari, Vidal, Univers religieux […] (20 nov. 1847)

Bien Cordialement. H. Trinquier — Le message qui précède, non signé, a été déposé par l'IP 82.67.178.182 (discuter), le 5 août 2017 à 13:49 (CEST)Répondre

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