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Mathieu Kérékou, né le à Kouarfa, non loin de Natitingou (ex-colonie du Dahomey), et mort le à Cotonou (Bénin), est un homme d'État béninois. Après une phase d'instruction militaire dans les institutions française et une décennie au service de Hubert Maga, il est proclamé après le coup d'état du 26 octobre 1972 président de la République du Dahomey, puis de la République populaire du Bénin du au . Il est ensuite élu président une première fois en 1980 puis de nouveau en 1984 et 1989 par le biais d'une assemblée totalement soumise à sa volonté. Après les décennies 70-80 connues sous l'expression "laxisme-béninisme" [1], il est déchu du pouvoir suite aux difficultés économiques qui surviennent à partir de 1987. Sous l'impulsion des étudiants et des fonctionnaires qui le poussent à une consultation populaire qui prend la forme d'une élection anticipée. Il est défait par Christophe Soglo le 24 mars 1991, puis subit une traversée du désert les 4 années suivantes. Il est de retour à la tête de la présidence de la République du Bénin du au , date à laquelle il cède une nouvelle fois démocratiquement le pouvoir. Il est l'un des rares chefs d'État africain à avoir été à la fois, à la tête d'un système autoritaire (entre 1972 et 1991), et ensuite élu au sein d'un système démocratique reconnu (1996-2006).

Sa personnalité englobe une grande partie de la tradition politique du XXe siècle, pas seulement par sa longévité politique, mais aussi par sa capacité à utiliser simultanément différents registres : démocratique, marxiste, militaire, chrétien, monarchique, vodun, donnant l'image d'un caméléon, son emblème. Perçus comme un héros, un prince à la Machiavel [2], l'homme des jeudis[2] (coup d'état du jeudi 26 octobre 1972, défaite à l'élection du jeudi 4 avril 1991, fin de sa vie politique le jeudi 6 avril 2006), est encore aujourd'hui lié a l'image du Bénin. Son long exercice du pouvoir a permis a l'ancienne colonie française de mettre fin aux troubles qui agitaient le pays alors divisés entre le nord et sud, militaires et civils confondus. Si sa politique est à l'origine de ce qu'est devenue le bénin actuel, depuis la fin de sa présidence en 2006, le pays semble désormais connaitre une résurgence des divisions entre nord et sud.


Origines et influences modifier

Origine sociale modifier
 
Localisation et frontières du Bénin.

Mathieu Kérékou voit le jour probablement le 2 septembre 1933 dans le village de Kouarfa, dans l'Atakora (nord Bénin, climat de type soudanien) une région de moyenne montagne. Il est donc d'origine provinciale et rurale. Parallèle avec Omar Bongo (adversaire)[3]. La mère de Kérékou est Wandoo Yokossi une Waao, son père Doko Kouroubou ( qui fut soldat pendant la 1ere guerre mondiale), ils ont eu deux fils Madougou, l'ainé, et Kérékou le cadet (nom Waao) appelé Chaad qui signifie "caméléon", un nom courant symbole de la faculté d'adaptation. [4]Il adopte plus tard le nom de son grand-père maternel Chabi Kérékou lors de son inscription dans l'armée. Il est un Waao [5], cependant il existe un ensemble de discordance sur ses origines. Il grandit sous l'autorité de son grand-père maternel, un paysan de bonne famille, et voit son père de façon épisodique car conçu hors mariage, père et mère n'ont pas le droit de vivre ensemble pour raisons culturelles lié aux contraintes coutumières, sa mère ayant un mariage arrangé, qu'elle avait refusé.[6]

Sa région d'origine est traditionnellement rétive au recrutement militaire. Les adolescents y reçoivent une éducation regroupés en « fraternité d'âge », ils y apprennent les traditions du clan par initiation. Le jeune Kérékou aidait à l'instar des autres enfants de son âge à garder le bétail. Rencontre tardive avec un YOVO* (un blanc) un curé barbu.[7] Mathieu Kérékou est inscrit dès son plus jeune âge à l'école primaire de Natitingou (école publique), il fait preuve d'assiduité, selon ses enseignants (dont Hubert Maga, futur président de la république du Dahomey), il est alors un élève moyen sans facilités particulières [8]. Il se destine très rapidement à devenir militaire. Une fois son certificat d'études primaires en poche , il est aidé par le directeur d'école afin de constituer un dossier pour faire acte de candidature à l'école des Enfants de troupes de Bobo-Dioulasso (ex haute volta), réservoir des futurs engagés.

Formation militaire modifier

La décennie 1950-1960, est capitale dans la vie de Mathieu Kérékou. Incorporé comme engagé volontaire le 16 juillet 1953 pour 5 ans au titre du 7e régiment des tirailleurs sénégalais, durant lequel il obtient un certificat d'aptitude technique. Le 19 janvier 1954 il est nommé caporal, moins d'un an après il obtient un avancement au grade de sergent le 1er octobre 1955. Le 13 octobre il devient sergent chef. L'arrété ministériel en date du 23 aout 1958, l'admet à l'école de formation des officiers de réserve des territoire d'outre mer de Fréjus, dont il fini 5e à l'examen de sortie, selon ses officiers supérieurs il y fait déjà preuve d'un caractère affirmé.[9]

Le 1er octobre 1960 il intègre L'Ecole d'Application de l'Infanterie de Saint Mexant, il y reste du 16 octobre jusqu'au 16 juin 1961. Il y est nommé au grade de sous-lieutenant. A sa sortie il est affecté à la 33e compagnie de transition et de garnison en juillet 1961. IL est est libéré de ses obligations envers l'armée française à la suite de l'indépendance du Dahomey, il prend alors la nationalité dahoméenne et est muté au premier bataillon mixte des Forces armées Dahomey, puis détaché au service de Hubert Maga comme aide de camp jusqu'a sa chute en octobre 1963. [10] A quatorze ans il quitte donc sa région natale pour parcourir l'AOF. Il est incité par Hubert Coutoucou Maga à suivre la voie de l'uniforme. En 1969 il suit un stage à Montpellier à l'Ecole d'application de l'infanterie du 5 fevrier au 15 juin. A son retour il est promu chef de bataillon par décret. le 1er septembre 1969, il intègre l'école supérieure de guerre et d'état-major. Par décret, le 3 aout 1970, il est nommé chef d'état-major adjoint de l'armée de terre dahoméenne. [11] Il se dirige donc vers Cotonou pour embarquer et prendre ses enseignements militaires, quitte saint-louis en 1954 avec le grade de caporal, séjourne ensuite au Soudan à Kati (Mali) dans la bourgade de Kati, à proximité de Bamako. Devient sergent, endure la vie de sous-officier. Il est ensuite transféré à Dakar, dans le faubourg de Ouakam, qui a longtemps abrité le gros des forces françaises au Sénégal. Il est alors surnommé « l'homme à la moto rouge », y rencontre ses premier succès féminins. Dahomey et Sénégal sont alors l'épicentre de l'AOF, fort dynamisme des partis politiques, dont il est alors éloigné. Fréquente l'école de Fréjus (centre d'instruction des troupes de marines) et de Saint-Mexant (école nationale des sous-officiers d'active de l'armée de terre), dont il sort diplômé (environ 1956-1960). Laisse le souvenir à ses supérieurs d'un homme studieux et appliqué, avide de connaissances. Il se montre déjà soucieux de l'avenir de son pays et préoccupé par les turbulences politiques, germe l'idée que l'armée est un outil de gestion de crises politiques, dénote d'une certaine ambition. Parcours scolaire traduit d'un effort compte tenu de ses origines.

Un "pion" proche du pouvoir, de l'indépendance en 1960 au coup d'état de 1972 modifier

Sous-lieutenant et aide de camp d'Hubert Maga au lendemain de l'indépendance du Dahomey (1961-1963), il est ensuite président du Comité militaire révolutionnaire (1967-1968). 1960 indépendance du Dahomey, proclamée par Hubert Maga, premier président de la République du Dahomey[12]. Kérékou de retour au pays, est alors sous-lieutenant. Inspiré par son ancien enseignant devenu président, il doit maintenant sortir de l'anonymat et se faire un nom. Hubert Maga contribua grandement à la promotion de ses anciens élèves, il promeut donc le jeune Mathieu Kérékou, 27 ans, comme aide de camp en 1961, sa vie bascule, il sort de l'anonymat. Il suit alors le nouveau président dans tous ses déplacements, forme d'initiation à la vie publique et politique, côtoyant alors élus, fonctionnaires, chefs d'entreprises, ecclésiastiques, artistes... Apprend donc les questions de protocoles, de sécurité, d'organisation. Il demande très vite à servir dans une unité opérationnelle afin de faire ses preuves , et est ensuite nommé à la tête du Groupement parachutiste de Ouidah. Il connaît dès lors une ascension fulgurante, Lieutenant d'active en 1962[13], capitaine à titre exceptionnel en 1965 (commandement du groupe parachutiste) ce groupe sert de levier décisif de toute intervention militaire, joue un rôle important dans les tentatives de coups d'états et notamment lors de la déposition du colonel Soglo en nov 1965[14]. Il est ensuite promu chef de bataillon en 1969, toujours comme aide de camp, chose utile par la suite. Il suit également des cours à l'école militaire d'état major de Paris, lui sont enseignés l'art militaire, théories du commandement et le rôle de l'armée dans la nation. Il est un pur produit de l'administration coloniale. 1963, participe à la reprise en main de Cotonou, ou les manifestants suite à l'appel des syndicats défilent dans les rues de la ville. Il assiste à la prise du pouvoir du colonel Christophe Soglo, le 29 octobre 1963[15].

Dans les années 60, son ambition politique nait, Mathieu Kérékou anime très vite le comité militaire révolutionnaire, un organisme de réflexion des jeunes officiers. Il prend donc sa part dans le rétablissement au pouvoir du colonel Soglo, mais émet des réserves en 1967 lors du soulèvement populaire, cependant il ne s'oppose pas à la prise de pouvoir du colonel Alley à la présidence de la République du Dahomey. En 1968, il s'oppose à la promotion du Docteur Zinsou[14] à la présidence, et démissionne du CMR suite au pléiscite de Zinsou du 28 juillet 1968, et refuse de préter serment au nouveau président. Il prête alors main forte au colonel Kouandété (son supérieur) en décembre 1969 pour remettre les militaires au pouvoir et écarter le gouvernement civil. Mathieu Kérékou est alors témoin et acteur des troubles qui jalonnent la vie politique de la jeune république du Dahomey, lieu d'affrontement des ambitions politiques entre militaires eux mêmes, et avec le pouvoir politique civil. Le pays, vestige des anciens royaumes qui se faisaient constamment la guerre, est alors réputé ingouvernable[16]. Le futur bénin apparaît alors fortement divisé. Ermerge alors le triumvirat Apithy, Ahomadegbé, Maga[15], dont le retour est facilité par le colonel De Souza, le pays sombre un peu plus dans l'instabilité, avec pas moins de trois chefs d'état. L'armée à l'instar des civils apparaît plus divisée que jamais. Opposants alors les origines régionales et ethniques, les différents colonels entretiennent des rivalités perpétuelles. Ces troubles façonnent peu à peu le néo chef de bataillon Kérékou (1969), il apprend l'art du complot et de l'intrigue et découvre le rôle de l'armée dans la prise du pouvoir. Il marque sa désapprobation à ce gouvernement civil rotatif à base régionale. Durant l'interègne de Hubert Maga il reste tranquille, mais déclenche les hostilités envers son successeur Justin Ahomadegbe, ce qui amène le coup d'état du 26 octobre 1972, organisé par les capitaines Assogba, Aikpe et Alladaye[17].

Du coup d'état de 1972 à la fin de la République populaire du Bénin en 1990, le laxisme béninisme modifier

L'exercice du pouvoir, de l'homme de paille au dictateur omnipotent modifier

Les trois capitaines décident de confier à Kérékou les honneurs du palais en sa qualité de chef d'état-major adjoint des Forces Armées. N'appartient pas au grande dynastie du Sud, proche de ses troupes, réputation d'honnête homme, représente le parfait candidat, dans l'objectif de le contrôler. Cette opération est réalisée sans aucun coup de feu. Le palais est encerclée par les forces armées à 14h35 le 26 octobre, le chef de bataillon Kérékou se rend alors à la Radio nationale lire la proclamation à 15h, il s'agit alors du 5e coup d'état que connaît la jeune république. Le commandant kérékou vient donc de déposer Justin Ahomadegbé. Toute cette opération s'effectue donc en douceur, et Kérékou n'est pas perçu négativement, bcp espérant la fin des troubles qui secoue depuis une décennie la nation. Mathieu kérékou déclare même « qu'il était intervenu parce que l'autorité de l'état avait partout disparue »[18] Il incarne dès lors la revanche des officiers du Nord sur les méridoniaux et côtiers qui monopolisaient jusqu'en 1965 les postes hiérarchiques de l'armée dahoméene. Ce coup d'état est aussi le fruit d'un heureux concours de circonstances, et démontre l'opportunisme de Mathieu Kérékou, ce dernier ayant patienté jusqu'au bon moment pour prendre les rênes du pouvoir. Sitôt au pouvoir, et malgré le semblant d'improvisation qui règne dans la capitale[19], le président kérékou ordonne que soit mise en place un programme sur tous les plans : politique, économique, social et culturel. Il déclare le 2 novembre « le gouvernement militaire révolutionnaire mettra tout en œuvre pour combattre le régionalisme, le népotisme et les détournements de deniers publics. Il frappera sans pitié tous les fraudeurs. Il sera insensible aux pressions »[20]. Les principales motivations de sont action politique sont alors La recherche de l'unité nationale et la lutte contre la corruption. Les conseils des ministres s’enchaînent, le 7 novembre, le 11, le 17, ainsi que l'annulation de la visite du président pompidou. Les « Forces vives de la nation », expression chère au président sont chargés de faire des suggestions et de choisir entre le socialisme, le capitalisme et le communisme ». Il met également progressivement ses ministres sur la touche, le colonel De Souza est écarté, il en va de même pour le dévoué Capitaine Koffi. En parallèle est mis en place le Conseil Militaire de la Révolution composé exclusivement d'officiers et de sous-officiers.

 
Посол СССР Виталий Иванович Агапов вручает верительные грамоты президенту Бенина

Le 30 novembre 1974, Mathieu Kérékou annonce la mise en place d'un programme marxiste-léniniste, et la République du Dahomey est renommé République populaire du Bénin. Le Bénin se rapproche alors de fait du bloc de l'Est et en particulier de la Chine Maoïste inspiré par le Petit Livre rouge du grand timonier Mao Zedong. En 1973, il crée un Conseil national de la révolution (CNR), chargé, suivant l'idéologie marxiste-léniniste, de préparer la mise en place des nouvelles institutions révolutionnaires. En 1975, il change le nom du pays en République populaire du Bénin et fait promulguer une nouvelle Loi fondamentale (1977) qui consacre son rôle prééminent à la tête de l'État.

« Jamais plus l'autorité de l'état ne sera contestée. Il faut qu'on se le tienne pour dit une fois pour toutes. » extrait du discours du 30 novembre 1972, qui montre la détermination du commandant qui détient alors l’exécutif en main, il s'agit la de sa première intervention télévisée (extrait disponible sur la chaîne youtube ORTB), il s'agit de son premier discours programme. Il met en accusation l'influence néfaste des puissances étrangères et établissement d'un programme de politique intérieure en 13 chapitres[21], qui marque un cycle de réflexion de moins de 24 mois, ou kérékou prend conseil auprès de diverses personnalités politiques dahoméene (Emile Poisson, Zinsou...) le temps de mettre en place le Conseil National de la Révolution composé de 67 membres dont 30 civils, dont l'objectif est la lutte contre « l'impérialisme international » et le libéralisme économique. Le commandant Kérékou s'appui pour se faire sur les syndicats et les étudiants (FUD, LNJP) qui soutiendront le militaire durant une décennie et qui permettent au président de « tenir la rue ». La lutte contre la corruption sert également à se débarrasser d'éventuels opposants[22]. Politique aux accents nationalistes et populistes. Cependant fronde étudiante qui sera éteinte grâce à une première vague de nationalisation, première étape vers le socialisme[22]. Dont le tournant sera véritablement effectif le 21 octobre 1974 avec un remaniement ministériel. Cela lui permet de conforter un pouvoir encore peu stable. CNR passe à 69 membres[23], 15 novembre 1974, création du bureau politique du parti (6 militaires et 6 civils)[23] véritable organe exécutif du régime de Kérékou. 30 Novembre 1974, discours d'Abomey, proclamation de l'instauration d'un politique marxiste-léniniste (« prêt pour la révolution, la lutte continue », slogan entre 1975 et 1988)[24], s'ensuit une vague de nationalisations. 21 janvier 1975, tentative de putsch du Capitaine Assogba [25]affaire kovacs [26], qui est arrêté. Mise en place d'un régime de terreur, forte repression des mouvements populaires, épuration des intellectuels et hauts fonctionnaires, rappel des ambassadeurs, condamnations a mort de Aikpe et d'autres personnalités. 30 novembre 1975, Dahomey devient République populaire du Bénin[27], et fin des purges des éléments « contre-révolutionnaires » dans l'armée. Objectif se débarrasser de l'ancien régime et faire naître un homme nouveau : le camarade travailleur. Marabouts et fétiches sont combattus et les écoles chrétiennes nationalisées. Interdiction de référence à tout obscurantisme, pour prendre l'idéal de Marx et Lénine Mai 1976, 1er congrès du PRPB, élection de Kérékou président central du comité central du Parti, durcissement du régime, nationalisation des écoles confessionnelles, campagne antireligieuse, nouveau calendrier scolaire. Nov 1976, venue de Kérékou au sommet de la CEDEAO

 
Mathieu Kérékou en 1976.

Coup d'état de 1977

L'opération oméga[28] est menée par le mercenaire français Bob Denard à la tête d'une troupe de 90 hommes. Après s'être entraînée au Maroc, l'unité rallie ensuite Franceville au Gabon. A 7h du matin, le 16 janvier 1977, un avion DC-7 se pose sur l'unique piste de l'aéroport de Cadjehoun à Cotonou. L'alerte est rapidement donnée et kérékou s'empresse de galvaniser ses troupes en dénonçant l'envahisseur à la radio. Les envahisseurs ne parviennent pas à remplir leurs 3 objectifs prioritaires (la Présidence, la résidence privée sur la marina et le camp militaire), ils se replient 4h plus tard et dénombrent deux pertes humaines pour 3 à 6 hommes du côté des forces béninoises. Le président organise lui même la résistance puis la contre-attaque. Irrité par le rôle joué par le Maroc et le Gabon, il s'en prend violemment 1 an plus tard à la conférence de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) à Omar Bongo et Ahmed Osman, le 1er ministre du Maroc. La psychose s'empare de l'état et le président n'y échappe pas. Dès lors, il diminue ses déplacements à l'étranger et radicalise son régime. Cela va également rehausser son prestige, en effet, il démontre lors de l'opération des qualités de courage au milieu de la confusion qui vaut au « grand camarade » un regain de popularité parmi la population béninoise. La résidence sur la marina sera étroitement surveillée jusqu'en 1991[29]. La dégradation progressive des rapports avec la France est notamment marquée par une absence du président au Sommet Franco-Africain de paris qui se tient en 1978 , puis un rapprochement avec le bloc socialiste et les pays africains radicaux (Guinée, Lybie de Khadafi).

Le régime de Kérékou détient le record de sentences de condamnations à mort via des procès dit révolutionnaires, mais peu suivies d’exécutions. La condamnation à mort sert d'épouvantail pour le régime, influence française et mœurs dahoméennes qui s'oppose à la peine capitale. Réaffirmation de la lutte contre l'impérialisme international dans son discours qui fait suite au coup de force chapeauté en sous marin par l’État français les opposants béninois de Mathieu Kérékou. Dans la précipitation de l’évacuation, les assaillants ont laissé sur le tarmac de l’aéroport des armes de fabrication française, mais surtout, une caisse censée avoir donné de précieux renseignements au régime de Kérékou. On y aurait trouvé des documents trahissant l’identité des pays pouvant avoir soutenu sinon commandité la tentative de putsch, notamment le Gabon, inquiet de l’installation d’un régime d’idéologie marxiste-léniniste dans la région, et le Maroc d’Hassan II, n’ayant pas digéré la récente reconnaissance du Polisario par Kérékou. Mais surtout, au-dessus des éventuels soutiens africains plane l’ombre de la France et de son Service de documentation extérieure et de contre-espionnage Il y dénonce en sus les hors la loi internationaux, ces bandits, ainsi que la civilisation décadente de l'impérialisme international. Place du Souvenir, anciennement place des martyrs, en hommage des béninois tombés au combat de résistance contre le coup d'état.

Contrôle du fait religieux modifier

Pour imposer son autorité, Mathieu Kérékou a besoin de contrôler les puissances vodunes du sud du pays, et proche de l'ancien pouvoir. Il entame alors une phase de répression et de contrôle des cultes traditionnels. En 1976 est votée une loi anti-féodale et anti-sorcellerie par ordonnance, qui recouvre trois objectifs: fin de la base économique de la féodalité, fin des fondements idéologique de la féodalité, fin de la culture féodale et lutte contre la sorcellerie

Nous ne ferons pas ici une analyse détaillée de chaque époque, et préférerons insister sur la transformation politique et religieuse de Kérékou, mise en scène à partir de la Conférence nationale. Rappelons cependant que, pendant la première période, il tenait des propos de forte inspiration marxiste tout en étant militaire. Les références à la tradition monarchique abomeyénne occupaient également une certaine place dans son discours. De même qu'à travers l'emblème du caméléon et « la canne de dirigeant », il laissait suggérer son appartenance au monde occulte de la religion traditionnelle. Son discours était d'ailleurs très ambigu à cet égard (Sulikowski 1993 ; Tall 1995). Tout en tenant des propos « anti-fétichistes », favorables à la lutte « anti-sorcière », et hostiles aux « couvents et pratiques rétrogrades féodales », il entretenait en effet des relations privilégiées avec des chefs de cultes traditionnels. De plus, au début des années 1980, il engagea comme guide spirituel le marabout malien Amadou Cissé, qui avait, auparavant, travaillé pour le président zaïrois J. D. Mobutu. À partir de 1987, Cissé fut promu ministre d'État, responsable des finances, et joua un rôle majeur dans la vie politique béninoise aux côtés de Kérékou jusqu'à la fin du régime marxiste. Par la suite, Cissé fut tenu pour responsable des détournements de fonds publics perpétrés au cours des années 1980 et fut condamné, en 1991, à dix ans de prison. En assumant ainsi la responsabilité de la crise économique, alors que Kérékou a obtenu une immunité politique suite à la Conférence nationale, Cissé a fini par constituer seul la « face sombre » du pouvoir du régime militaro-marxiste. importance du marabout mohamed cissé, un malien qui a une grande influence de 77 à 88, deviendra conseiller en sciences occultes, puis petit prend de plus en plus d'importance, jusqu'a prendre la tête de certains ministère (premier ministre???) [30] Il restera catholique, respectueux de la hiérarchie épiscopale mais non pratiquant, cela ne l'empêche pas de nationaliser les collèges religieux en 1976, en accord de la décision du CCP. Il affiche ainsi tout au long de son parcours son respect pour l'église de Rome. [31]

Dans les faits, la faillite modifier

Durant la période 1979-1988, le dirigeant détient le record des détenus politiques de tous les pays ouest africains, ces chiffres sont confirmés par un rapport d'Amnesty international[32]. Mathieu Kérékou ne fait pas preuve d'un grand respect pour les droits de l'homme. Pas de construction, de palais, pas de folie urbanistique qu'ont pu connaître certains autres dirigeants africains ou mondiaux, il n'est pas étourdi par le luxe[33]. crédulité du président vis à vis de son entourage[34]. 1979, révolte étudiante, ces derniers représentent le plus grand danger pour Kérékou "le danger viendra du campus) [35] 1987 les bourses ne sont plus payées, agitation constante à partir de mars 1987, les étudiants fournissent une contribution décisive dans la chute de kérékou. S'ensuit le retard de paiement des fonctionnaires. 1987-1988, début de la fin, la contestation gagne même l'armée, il doit faire face à un complot d'officiers. pragmatisme- démantèlement du parti, il fait de plus en plus confiance aux représentants de la société civile, remaniement du CPCEN début 1987. 1988 confronté à une grave crise économique et sociale, étudiants et fonctionnaires sont en grève. Il ne peut plus non plus compter sur l'armée, ce qui faisait jusqu'alors sa force.[36] Juillet 1988 dénonce mauvaise gestion des entreprises publiques, il fait également appel au FMI, faillite des principaux établissements bancaires[37] loi d'amnistie le 30 aout 1989, retour au pays de la quasi totalité des condamnés et opposants. payant au compte-gouttes des salaires. De même, il tenta une timide ouverture (remaniement ministériel du 4 août 1989, amnistie du 29 août 1989, libération graduelle des prisonniers politiques, promesses diverses). I1 parvint un moment à maintenir sous perfusion l’économie du pays grâce aux aides exceptionnelles françaises et aux flux financiers injectés par les bailleurs de fonds (Banque mondiale, FMI, CEE notamment) Banqueroute de l'état, conduit rapprochement avec la France, renégociation de la dette extérieure. Novembre 1989, grêve générale et illimité des fonctionnaires [38]. la renonciation, le 7 décembre 1989, au marxisme-léninisme

  « C'étaient des prophètes de malheur. Je n'ai jamais lu Marx, ni Lénine. Ce sont des intellectuels qui m'ont persuadé de faire du marxisme-léninisme l'idéologie officielle. Pendant les dernières élections, j'ai sillonné le Bénin de long en large. J'ai vu les malheurs de mes concitoyens et j'ai compris que le marxisme, c'était de la... foutaise... »

La repentance démocratique (1991-1996/ 1996-2006) modifier

Acceptation des principes libéraux-démocrates modifier

Mathieu Kérékou, qui aime proclamer qu’il n’est pas un politicien, a fait preuve d’une grande habilité. Il a d‘abord endossé, un nouveau costume, celui du démocrate. Le fait qu'il accepte les résolutions de la conférence, y compris de laisser la majorité de ses fonctions au nouveau Premier ministre, fait de lui l'homme qui a su écouter le peuple et instaurer une forme d'alternance politique. Kérékou sort de la conférence drapé dans les habits neufs du sauveur de la nation, instaurant sa nouvelle image d'homme de Dieu et de la démocratie, sur laquelle il construit son retour en 1996. [39]

Pendant les élections de mars 1991, Kérékou se sert de la Conférence nationale qu'il présente comme un miracle ayant sauvé la nation du chaos Le registre chrétien du discours de Kérékou est donc présent dès 1991, mais, développé dans sa version pentecôtiste à partir de 1996, où il devient plus significatif, insistant sur le processus de la transformation de Kérékou. La victoire de mars 1996 trouve donc son origine dans le comportement de M. Kérékou en 1991, lorsque, un an après avoir accepté l’ensemble des résolutions de la Conférence nationale, il reconnait sa défaite et quittait la présidence de la République. Il se retire alors de la vie publique et vit désormais barricadé dans sa résidence de Cotonou, la capitale économique du Bénin. Il ne sort quasiment plus durant sa traversé du désert politique, et s'enferme chaque jour un peu plus dans la réflexion et la méditation.[40]

La figure du démocrate s’est construite à partir de cette période transitoire, le caractère pacifique de cette période lui a redonné du crédit, et a acquis une certaine force au fur et à mesure que le président Soglo, retardait l'extension des principes et des institutions démocratiques (installation chaotique des contre-pouvoirs prévus par la Constitution, absence de libéralisation des médias publiques, etc.).

En 1995 il resurgit publiquement, avec une apparition remarquée au sommet de la francophonie et le 31 janvier 1996 il déclare sa candidature à l'élection présidentielle du mois de mars de la même année. Il y affronte alors celui qui l'avait déchu 5 ans plus tôt le président sortant Soglo. Lors de ces élections, le pays était alors divisé en deux camps, Kérékou séduit les déçus du régime précédent, les sans grade, les inquiets, rassurés par sa conversion et promesses sociales, lutte contre les privatisations sauvages et défense du patrimoine national. Son retour porte la marque d'un homme modeste, à l'écoute de siens. Il s'en prend également au régionalisme qui continue de troubler la stabilité du pays.[41]

Les élections de 1996: Le candidat des candidats. modifier

La victoire de Mathieu Kérékou aux élections de 1996, qui l’a emporté au second tour avec 52,49 % contre 47,51 % pour le président sortant Nicéphore Soglo, ne doit pas être faussé par les interprétations occidentales. Loin d’être une remise en cause du processus démocratique, ce résultat peut apparaître comme une preuve de son bon fonctionnement. Attendu depuis 1991, cette campagne a été l’objet d’un très grand intérêt populaire. Soutenu par les ONG qui ont joué un rôle éducatif des populations au processus démocratique, cette période a fait des émules durant toute la campagne avec 77% de participation au premier tour[42] . Les principaux candidats était Nicéphore Soglo, président sortant et Mathieu Kérékou. Alors que Soglo a réalisé une campagne brouillon et provocatrice contre son opposant, en sa défaveur, Mathieu Kérékou à adopté la poste du chef réunificateur. Tout d’abord, il a laissé l’initiative de sa campagne à d’anciens adversaires politiques, qui plus est originaires du sud, comme Albert Tévoédjrè (Président du comité de soutien du président Kéréou) et Séverin Adjovi (Directeur de campagne). Ces derniers, convaincus que seul un candidat du Nord, soutenu par des leaders du Sud, peut battre le président sortant; lancent la communication de Kérékou, venant en appui aux initiatives des fidèles du général. Mettant tous leurs moyens matériels, intellectuels et financiers à la disposition du général, avant même que celui-ci ne se soit officiellement déclaré, ils seront les principaux acteurs, au moins jusqu’au premier tour, de la campagne du caméléon. [43]

Si le point commun de la « Coalition des forces de l’alternance démocratique » est le rejet de N. Soglo, son atout réside dans sa capacité à aller au dela des clivages traditionnellement de la vie politique béninoise. On retrouve dans cette coalition des hommes politiques du Nord comme du Sud, des anciens kérékistes et des opposants au régime militaire, des leaders de la génération de l’indépendance et la nouvelle garde politicienne. L’ensemble constitue une coalition hétéroclite, avec des regroupements parfois même contre nature comme des barons du régime PRPB, côtoyant d’anciens exilés ou encore condamnés à mort. Cette stratégie va se trouver renforcée après le premier tour lorsque M. Kérékou, arrivé en seconde position avec 33,94 % contre 35,69 % au président sortant, obtient le ralliement des candidats arrivés en troisième et quatrième position : A. Houngbédji (19,71 %), ancien président de l’Assemblée nationale qui, condamné à mort par le régime révolutionnaire, apportait les voix de l’Ouémé, province du sud. Le principal slogan de M. Kérékou a pris alors tout son sens, celui-ci apparaissant bien comme « le candidat des candidats ». Cette alliance a donc permis de développer différents réseaux de clientèle, qui expliquent les scores élevés réalisés par Kérékou dans des zones qui lui étaient, sur le papier, défavorables, si l’on s’en tient à une vision ethno-régionale. Ces réseaux vont également lui permettre de disposer d’infrastructures et de moyens pour mener sa campagne.[44]

Une repentance chrétienne modifier

Ce succès est aussi la conséquence de l’attitude du général depuis son départ du palais présidentiel. Pendant cinq ans, de sa maison de Cotonou, il observa un silence total, se gardant de toutes critiques à l’encontre de son successeur ou même de toute déclaration relative à la situation politique. Ce n’est que dans les semaines précédant l’échéance présidentielle, que l’ancien revient sur le devant de la scène pour annoncer sa candidature. Il a pu alors se poser en garant de la démocratie après en avoir été l’initiateur avec la Conférence nationale.[45] Lors de la conférence de Cotonou de 1990, présidée par l'archevêque de Cotonou, Mgr de Souza, Kérékou a publiquement pris ses distances avec l'idéologie marxiste : C'est ainsi qu'il met fin au registre marxiste et, qu'il esquisse le début d'un langage religieux. Cette attitude populiste constitue un des éléments du pacte qui va se créer entre Kérékou et la population lors de la conférence. Il demande publiquement pardon pour le mal qu'il a fait pendant la période marxiste et, en présence de l'archevêque, cette demande se transforme en scène de repentance. Cet acte, transmis en direct à la radio et à la télévision nationale, imprègne encore fortement la mémoire de la population, et il est souvent associé à un événement qui a précédé la conférence. Lors d'une manifestation de protestation, Kérékou est apparu devant la foule qui lui lançait des cailloux. Le fait qu'il n'ait pas donné l'ordre à ses gardes de tirer, mais qu'il soit au contraire allé se réfugier dans l'église centrale de Cotonou, apparaît comme un autre signe d'humilité et de regret. Ces deux événements, la lapidation et la repentance, sont souvent considérés comme des signes majeurs de la transformation de Kérékou. La conférence constitue ainsi un moment crucial pour les premières étapes de sa conversion supposée : la prise de conscience des péchés et la repentance. Le lien ainsi créé entre Kérékou et Dieu, suivi de ses déclarations sur la nécessité de passer à un nouveau système démocratique, est souligné par l'archevêque :

  « Je ne sais pas si vous aussi, vous étiez en train de rêver, ou si vous étiez en train de vous laisser conduire par la main de Dieu ».

En faisant allusion au célèbre discours du pasteur noir américain Martin Luther King, l'archevêque met en exergue la dimension libératrice de la démocratie, vue comme une « intervention divine ». [46] Ainsi il passe pour avoir respecté le fait de s’être éloigné du pouvoir. Le « candidat des candidats » a utilisé le registre du religieux et plus particulièrement la figure du chrétien pour transformer son image. Les discours qu’il a prononcés au cours de ses meetings ont systématiquement été parsemés de citations bibliques et de références religieuses. La version officielle veut que l’ancien dictateur, qui a remplacé les cols Mao par des vêtements blanc immaculé, ait mis à profit ses cinq années de silence pour lire les Ecritures saintes et redécouvrir la Bible. Ce qui lui vaut, faisant référence à son passé, de déclarer : « Nous avons fait la révolution en laissant Dieu à côté. Il nous a sanctionné » , ou d’évoquer «  celui qui pêche et sera jugé », dans une allusion directe au président sortant . Un tel comportement ne peut que trouver un écho favorable au sein d’une population travaillée par une effervescence religieuse, dont les versions chrétiennes sont les plus dynamiques. D’autant plus que les chrétiens sont les premiers à mettre en cause la politique menée par N. Soglo à l’égard du culte vodun. La décision, prise quelque mois avant l’élection présidentielle, d‘accorder à celui-ci une journée annuelle fériée et chômée, le 10 janvier, a été vivement critiquée, en particulier par Mgr de Souza, l’archevêque de Cotonou. Dans un entretien publié par La Croix et dont des photocopies ont abondamment circulé dans Cotonou, le prélat a par ailleurs décerné un brevet de démocratie à l’ancien révolutionnaire.[47]

Le duallisme pentecotiste modifier

Ces deux rôles (le démocrate et le chrétien) ont contribué à réhabiliter l’image de M. Kérékou et à rendre crédible l’homme nouveau qu’il prétend être devenu. Sa campagne a aussi utilisé le registre du patriotisme, alors que son adversaire était accusé de brader le patrimoine national par les privatisations et d’avoir une double nationalité. En opposant de manière dualiste, d'un côté son passé militaire associé à l'univers « de forces occultes » de la religion traditionnelle, le vodun, et de l'autre le présent, la démocratie qu'il associe au christianisme, Kérékou se crée une nouvelle image politique et fait de son pouvoir un pouvoir d'inspiration divine. En 2001, ces deux registres ont servi, avec les registres chrétien et démocrate, à renforcer non seulement son image, mais également son côté extra-ordinaire. Car, grâce à ce nouveau discours et à sa mise en scène, Kérékou apparaît comme un double personnage : « homme du peuple » et « homme transcendant ».[48]Cette longévité est souvent considérée comme un signe du soutien céleste dont il jouirait :

  « La preuve c'est que c'est la 3e fois qu'il revient au pouvoir, il n'est pas n'importe qui, il n'est pas un simple homme, ce n'est pas du gri-gri non plus, donc c'est Dieu qui l'a aidé à revenir » ; « Il semble que c'est son destin, parce que s'il était au pouvoir par un quelconque autre pouvoir que la force de Dieu, le Béninois est assez fort pour l'enlever ». [49]

Ces citations illustrent comment les dynamiques entre les différentes traditions religieuses entrent en jeu dans l'interprétation du politique. Elles sont bien sûr facilitées par le discours de Kérékou lui-même, même si la majorité de nos interlocuteurs considèrent que le pouvoir du président trouve son origine dans une source divine

Image et communication d'un "homme transcendant" modifier

Même si la mise en place de la démocratie au Bénin est souvent perçue comme une rupture radicale avec le régime précédent il y a cependant une certaine continuité qui perdure, notamment en la personne de Kérékou. Il est l'un des rares chefs d'État africain à avoir été à la fois à la tête d'un système autoritaire (entre 1972 et 1990), et, par la suite, élu au sein d'un système démocratique reconnu (entre 1996 et 2006). Cette caractéristique singulière nous penche donc à nous intéresser sur comment Mathieu Kérékou a réussi à préserver son image et de quelle manière ce dernier a construit ses discours durant ses 29 ans à la tête du Bénin.

La force de ses discours modifier

Sa personnalité englobe une grande partie de la tradition politique du XXe siècle, pas seulement par sa longévité politique , mais aussi par sa capacité à utiliser simultanément différents registres : démocratique, marxiste, militaire, chrétien, monarchique, vodun. Se référant à un système politique ou religieux particulier, chaque registre véhicule une notion spécifique du pouvoir. Les registres apparaissent à des périodes différentes et selon des intensités inégales. Certains changent de signification selon le contexte. Toutefois, chaque époque reste marquée par des registres dominants. [39]

En 1972 comme en 1990, il s'agit donc bien d'instaurer un régime radicalement différent en créant une rupture, rupture qui semble évidente dans le discours. Or, simultanément à travers sa personnalité et la permanence de l'idée de rupture dans ses discours, une certaine forme de continuité est présente. De cette façon, il est à la fois le même et un autre. Kérékou reste révolutionnaire et innovateur, bien que le registre idéologique change à partir de 1990 et surtout à partir de 1996 où, lors de son investiture, il clôt son discours par le « nouveau » slogan : « Vive le renouveau démocratique, vive le Bénin, vive le processus révolutionnaire béninois. » Corrigé par ses services, il insiste : « Non ! Quand je dis le mot révolutionnaire, c'est un changement qualitatif, il ne suffit pas de changer les hommes et les institutions, si nous ne changeons pas nos mentalités, et ces mentalités ne peuvent pas être changées sans que nous ne craignions Dieu. Dieu aussi a fait sa révolution [...] » [46]

Il est frappant de constater la multiplicité des registres au moment des élections présidentielles de mars 2001. Tout en maintenant le discours chrétien d'inspiration pentecôtiste qui établit le lien entre lui, Dieu et la démocratie, Kérékou réintègre les registres vodun, militaire et monarchique en tant que registres valorisant son image. Sur les affiches électorales de 2001, son ancienne chemise « col Mao » est devenue blanche, ce qui n'est pas sans évoquer l'image d'un pasteur, mais, parallèlement, figurent sur l'affiche le caméléon et le titre de Général. En 1996, le registre vodun était associé au registre militaire, et cette alliance servait à rompre avec un passé négatif, soutenant ainsi sa nouvelle image de démocrate. En revanche, en 2001, ces deux registres ont servi, avec les registres chrétien et démocrate, à renforcer non seulement son image, mais également son côté extra-ordinaire. Car, grâce à ce nouveau discours et à sa mise en scène, Kérékou apparaît comme un double personnage : « homme du peuple » et « homme transcendant ».[50]

Le Caméléon modifier

Le caméléon est un symbole complexe : il fait référence à la fois à la tradition royale aboméenne et à un univers de forces occultes ou mystiques, représentant tout particulièrement la divinité créatrice SEGBO-LISSA, considéré comme le dieu tout puissant dans la cosmologie vodun au Sud-Bénin.(ref internet) Animal complexe aux caractéristiques physiques clairement distinctes, le caméléon a dans la religion vaudou, un côté solaire tout comme le serpent. A cet égard, il est le messager des dieux célestes, dont il est géographiquement proche, il est le bienveillant et le familier. Mais son mimétisme, qui lui permet de se fondre dans son environnement, en fait aussi un animal de l’ombre, invisible et dissimulateur. A la différence du serpent qui cherche le soleil, le caméléon est quant à lui un animal solaire qui aspire à rester dans l’ombre. [51] La force spécifique du caméléon s'explique par ses vertus utilisées dans la préparation de talismans, où le caméléon est un ingrédient « fort » : « Tout le monde est soumis à tes paroles, c'est ça la puissance du caméléon. » La force du caméléon c’est donc sa force de persuasion.

Le registre vodun est finalement le seul qui a survécu aux différents parcours de Kérékou, il constitue un registre majeur dans l'exercice et les représentations du pouvoir : en 1972, c'était par la parole et la canne, en 1990 par la canne seule et, en 1996, la canne a été remplacée par une baguette noire tandis que le caméléon se trouvait toujours imprimé sur le bulletin de vote. En 2001, Kérékou a ressorti la canne, et le caméléon est apparu visiblement sur les affiches électorales et figurait sur les bulletins de vote. L'ambivalence symbolique du caméléon (perçu à la fois comme un signe fétiche et comme un signe divin selon l'appartenance religieuse de l'interlocuteur) constitue donc toute l'importance et la plasticité du registre vodun, d'autant plus que l'animal représente aussi bien les capacités de changement et d'adaptation de Kérékou que son côté imprévisible. Kérékou a toujours su s'adapter aux circonstances. Dans les années 1970, il s'est plié à la tendance socialiste, au discours marxiste et anti-impérialiste des « tiers-mondistes ». Au début des années 1990, il s'est aligné sur le phénomène du renouveau religieux en Afrique, alimenté essentiellement par une montée en puissance des églises pentecôtistes. Cependant, à chaque époque, le discours de Kérékou est resté ambigu et pluraliste. Mais au-delà de cette ambivalence, le signe du caméléon contribue essentiellement à maintenir l'image d'un pouvoir fort et mystique. Un pouvoir qui, à l'époque de la révolution, était perçu comme méchant et mauvais, tandis qu'actuellement il souligne la singularité du personnage de Kérékou et sa force extraordinaire : « Kérékou a toute la puissance de cette terre, il a le caméléon comme gri-gri et en-dehors de cela il connaît Dieu »[52]. Ainsi, il semble que le sens symbolique du caméléon change en fonction de la nature du pouvoir. Le pouvoir militaire, malfaisant et fondé sur la crainte est alors expliqué en termes de pouvoir occulte. En revanche, le pouvoir démocratique, bienfaisant et fondé sur la liberté individuelle, est interprété en termes de puissance divine : « Vraiment c'est Dieu qui lui a donné ce caméléon, c'est un don pour lui »{{[53]}}[54] C'est ce glissement sémantique du caméléon qui explique le retour du registre vodun à partir de 2001. À cette date, le système démocratique et surtout la nouvelle image de Kérékou sont bien installés, et le registre vodun est réintroduit dans son discours pour l'élever encore plus dans une sphère transcendante. Kérékou s'est transformé avec le système ou le système s'est transformé avec lui.[55]

Homme providentiel ? modifier

Pays pluri-religieux, le Bénin a connu une série d'expériences politiques très diverses dans un laps de temps assez réduit. Vers la fin du XIXe siècle, la colonisation française a mis fin au système monarchique, essentiellement dominé par le royaume du Dahomey qui couvrait presque toute la moitié sud du territoire actuel au moment de la conquête française. L'indépendance, obtenue en 1960, a été suivie d'une période de grande instabilité politique qui a donné naissance tour à tour à divers régimes militaires et civils constitués principalement sur des bases régionalistes. En 1972 un dernier coup d'État a marqué la fin de cette instabilité et a conduit à l'instauration d'un régime autoritaire militaro-marxiste qui, sous des pressions internes et externes, s'est écroulé vers la fin des années 1980 pour donner place à un système pluraliste et démocratique. La personnalité de Kérékou est donc étroitement liée à cette histoire politique récente du Bénin. Sa longévité au pouvoir constitue un aspect essentiel dans la construction de son aura extra-humaine. Elle permet de l'inscrire dans la généalogie des « pères de la nation », bien qu'il ne fasse pas partie de la génération des « héros de l'indépendance » (Memel-Fotê 1991). La représentation de l'image paternelle est facilitée par le fait que sa vie familiale, contrairement à celle de son prédécesseur Soglo, soit restée inconnue jusqu'au milieu du premier mandat démocratique. L'image de « rassembleur » qu'il a cultivée depuis 1972 en dénonçant les divers clivages ethniques et régionaux s'inscrit également dans cette figure de « père de la nation ». À partir de la période démocratique, ce caractère est souligné par le fait qu'il n'a pas de parti politique. « Mon parti politique, c'est le peuple béninois entier, et il cultive, en effet, une relation de plus en plus directe avec la population. » [48] Il est intéressant de noté d'ailleurs que les troubles ethniques sont réapparus dès la fin de son mandat sous son successeur Thomas Boni Yayi.

Néanmoins si l'on veut analyser les raisons de la longévité de Mathieu Kérékou au pouvoir il faut se souvenir que c'est toujours au prix d'élimination successives de fortes personnalités et l'étouffement des courants contestataires que cela s'est réalisé. Il s'est institué suite au coup d'état du 27 octobre 1972, comme un homme d'ordre et l'arbitre suprême. Tous les organes de décisionnaires et de réflexions obéissent à cette loi tacite : Kérékou doit rester seul maître du navire via les outils suivants le PRPB et les sociétés d’État.

La personnalité de Kérékou est donc controversé encore aujourd'hui, 4 ans après sa mort. Des ONG s'affrontent sur le débat houleux de savoir si oui ou non Mathieu Kérékou doit être immortalisé comme père du Bénin.

  1. Banéga 2003, p. 65.
  2. a et b Akpo 1997, p. 19.
  3. Establet 1997, p. 15.
  4. Akpo 2007, p. 21.
  5. Akpo 2007, p. 30.
  6. Akpo 2007, p. 34.
  7. Establet 1997, p. 17.
  8. Establet 1997, p. 18.
  9. Akpo 2007, p. 45.
  10. Akpo 2007, p. 48.
  11. Akpo 2007, p. 50.
  12. Establet 1997, p. 26.
  13. Establet 1997, p. 37.
  14. a et b Establet 1997, p. 41.
  15. a et b Establet 1997, p. 45.
  16. Establet 1997, p. 48.
  17. Establet 1997, p. 60-61.
  18. Establet 1997, p. 60.
  19. Establet 1997, p. 67.
  20. Establet 1997, p. 68.
  21. Establet 1997, p. 72-73.
  22. a et b Establet 1997, p. 77.
  23. a et b Establet 1997, p. 80.
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  26. Akpo 1997, p. 16-17.
  27. Establet 1997, p. 86.
  28. Establet 1997, p. 103.
  29. Establet 1997, p. 104-105.
  30. Establet 1997, p. 144-145.
  31. Establet 1997, p. 141.
  32. Establet 1997, p. 154.
  33. Establet 1997, p. 136.
  34. Establet 1997, p. 140.
  35. Establet 1997, p. 160.
  36. Establet 1997, p. 151.
  37. Establet 1997, p. 170.
  38. Establet 1997, p. 164.
  39. a et b Strandsbjerg 2005, p. 72.
  40. Strandsbjerg 2005, p. 79.
  41. Establet 1997, p. 236-237.
  42. Mayrargue 1996, p. 124.
  43. Mayrargue 1996, p. 125.
  44. Mayrargue 1996, p. 128.
  45. Mayrargue 1999, p. 37.
  46. a et b Strandsbjerg 2005, p. 78.
  47. Strandsbjerg 2005, p. 80.
  48. a et b Strandsbjerg 2005, p. 83.
  49. Strandsbjerg 2005, p. 93.
  50. Strandsbjerg 2005, p. 88.
  51. « Les Animaux et leurs messages ».
  52. Strandsbjerg 2005, Annexe.
  53. Entretien, pêcheur, environ 55 ans, catholique, Cotonou, le 5 mai 2001.
  54. Strandsbjerg 2005, p. 91.
  55. Strandsbjerg 2005, p. 87.