Privilège relatif aux indicateurs de police

En droit pénal canadien, le privilège relatif aux indicateurs de police est une règle qui vise à empêcher que les personnes qui fournissent des renseignements confidentiels à la police soient identifiés en public ou en salle d'audience. Il s'agit d'un privilège générique de common law, ce qui signifie qu'il n'a pas besoin d'une loi pour assurer sa protection.

Résumé de la règle modifier

Cette règle a été résumée par la juge Bastarache de la Cour suprême dans l'arrêt Personne désignée c. Vancouver Sun[1] :

« Le privilège relatif aux indicateurs de police est la règle de droit qui empêche l’identification, en public ou en salle d’audience, des personnes qui fournissent à titre confidentiel des renseignements à la police. Cette protection encourage par ailleurs les indicateurs éventuels à collaborer avec la police. Cette protection générale revêt une telle importance que l’application de la règle du privilège relatif aux indicateurs de police écarte le pouvoir discrétionnaire des juges de première instance. Une fois que le juge du procès est convaincu de l’existence du privilège, toute divulgation de l’identité de l’indicateur est absolument interdite. Mise à part l’exception relative à la démonstration de l’innocence de l’accusé, la règle jouit d’une protection absolue. La justification du privilège ne peut faire l’objet d’une évaluation au cas par cas. Le privilège assure la protection de tous les renseignements susceptibles de permettre l’identification de l’indicateur de police, et ni le ministère public ni le tribunal n’ont le moindre pouvoir discrétionnaire de communiquer ces renseignements dans une instance, en aucun temps[2]. »

Portée de la protection modifier

Cette protection vise tous les renseignements pouvant permettre l'identification de l'informateur[3]. Dans l'arrêt R. c. Basi, le juge Fish a soulevé que « la question du privilège se pose lorsque, dans le cadre d’une enquête, un policier garantit la protection et la confidentialité d’un indicateur éventuel en échange de renseignements utiles qu’il lui serait difficile ou impossible d’obtenir autrement[4]. »

Pouvoir de l'agent de la paix de promettre le secret à ses indicateurs modifier

Dans l'arrêt Bisaillon c. Keable, le juge Beetz atteste que « le principe confère en effet à l’agent de la paix le pouvoir de promettre explicitement ou implicitement le secret à ses indicateurs, avec la garantie sanctionnée par la loi que cette promesse sera tenue même en cour, et de recueillir en contrepartie de cette promesse, des renseignements sans lesquels il lui serait extrêmement difficile d’exercer ses fonctions et de faire respecter le droit criminel[5]. »

Le privilège de l'informateur protège l'identité de l'informateur, mais n'équivaut pas à lui seul à une immunité de poursuite. L'immunité de poursuite peut être obtenue à la suite d'une entente avec le poursuivant. Les policiers ne sont pas le poursuivant. En l'absence d'entente avec le poursuivant, un indicateur de police dont l'identité est protégée et qui révèle aux policiers un crime qu'il a commis peut néanmoins être poursuivi par l'État; toutefois, une jurisprudence récente l'acquitterait lorsque les policiers sont de mauvaise foi et qu'ils n'expliquent pas correctement les règles relatives à l'immunité à l'indicateur[6].

Lien avec le principe de publicité des débats judiciaires modifier

Dans l'arrêt Personne désignée c. R.[7] de 2022, la Cour d'appel du Québec rappelle que le privilège relatif aux indicateurs de police a juridiquement priorité sur le principe de publicité des débats judiciaires, mais que cela ne permet pas de garder secret le numéro du dossier. Dans cette affaire, un procès complètement secret avait été tenu pour conserver l'anonymat d'un indicateur de police et les secrets d'une enquête policière en cours. L'indicateur de police avait été trouvé coupable en première instance, mais la Cour d'appel a accueilli l'appel pour le motif suivant : bien que l'informateur avait renoncé à la publicité du procès et à plusieurs autres droits[8], les policiers n'ont pas adéquatement expliqué à l'informateur son absence d'immunité, de sorte qu'il croyait raisonnablement qu'il bénéficiait d'une immunité[9].

La Cour d'appel affirme aussi que le secret absolu d'un procès ne peut probablement jamais se justifier et que malgré les circonstances de renonciation aux droits, il y a une atteinte à l'équité du procès.

« [129] Quant au procès public, la procédure suivie en l’espèce en privait PD. Comme mentionné en introduction du présent arrêt dans les remarques liminaires, un procès secret est une aberration. Même le secret partiel ne se justifie qu'en raison de circonstances exceptionnelles et constitue autrement une violation d’un droit fondamental, cher à notre système de justice. Par conséquent, le secret absolu ne peut probablement jamais se justifier.

[130] Qui plus est, PD n'avait plus droit à une défense pleine et entière. Elle ne pouvait pas, sans risquer de mettre à jour sa participation comme indicateur, appeler des témoins, y compris ses prétendus complices, pour contredire le plaignant et la preuve en général afin d’établir son véritable rôle ou soulever un doute à cet égard. Le privilège et la procédure forçaient ainsi PD à faire reposer sa défense uniquement sur sa version, sauf à se mettre en danger. Il s'agit d'une atteinte à l'équité du procès. »


Toutefois, la Cour d'appel a jugé subséquemment que dans de tels cas exceptionnels, l'État peut ne révéler que le numéro du dossier et qu'il peut exister des motifs de garder inconnues des informations habituellement connues telles que le nom du juge, le nom du tribunal, la nature de l'accusation, le district judiciaire et les noms des procureurs, ce qui constitue une autorisation de facto de procès presque entièrement secrets[10].

Notes et références modifier

  1. 2007 CSC 43
  2. « Personne désignée c. Vancouver Sun - Décisions de la CSC (Lexum) », sur scc-csc.lexum.com (consulté le )
  3. « R. c. Leipert - Décisions de la CSC (Lexum) », sur scc-csc.lexum.com (consulté le )
  4. « R. c. Basi - Décisions de la CSC (Lexum) », sur scc-csc.lexum.com (consulté le )
  5. « Bisaillon c. Keable - Décisions de la CSC (Lexum) », sur scc-csc.lexum.com (consulté le )
  6. Personne désignée c. R., 2022 QCCA 406, par. 79, 140, 142
  7. 2022 QCCA 406
  8. par. 126 de la décision
  9. par. 144 de la décision
  10. La Presse. 21 juillet 2022. Yves Boisvert. « Comment justifier un secret exagéré ». En ligne. Page consulltée le 2022-07-21