Office des biens et intérêts privés

ancien service français chargé de la récupération des biens spoliés
Office des biens et intérêts privés
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L'Office des biens et intérêts privés (par abréviation OBIP) est un organisme public français créé en 1917 pendant la Première Guerre mondiale, dans le cadre de l'économie de guerre, pour recenser les biens et intérêts de particuliers français tombés aux mains de l'ennemi, que ces biens soient localisés « en pays ennemis ou en pays occupés par l'ennemi ». À la fin du conflit, il fusionne avec deux autres services ayant des missions similaires, et est chargé de l'application des clauses du traité de Versailles relatives à ces biens et intérêts.

Son périmètre d'action s'élargit à mesure que surviennent de nouveaux conflits : il est alors chargé de faire valoir les droits de particuliers à la suite des pertes subies (nationalisations en Union soviétique, guerre d'Espagne). Il compte près de 1 200 agents à l'apogée de son existence (1922)[1].

Aux premiers temps de la Seconde Guerre mondiale, en , puis à la Libération, en , il est réactivé et « chargé de recenser les biens de toutes natures appréhendés par l'ennemi, de quelque manière, et à quelque titre que ce soit, même en vertu de contrats d'apparence légale et présumés transférés par lui hors du territoire national ».

D'abord placé sous la double tutelle du ministère des Finances et du ministère des Affaires étrangères, il est finalement rattaché à ce seul ministère et dirigé par un diplomate.

Histoire modifier

Première Guerre mondiale et traité de Versailles modifier

Durant la Première Guerre mondiale, le décret du [a] instaure un dipositif permettant aux personnes physiques et morales de déclarer la possession ou la perte de biens et d’intérêts dans les pays ennemis de la France ou dans les régions occupées par ceux-ci. Sont concernés les propriétaires français de terrains fortement bombardés, de biens immobiliers détruits dans les combats sur le Front de l’Ouest ou encore de matériels saisis par les forces des Empires centraux entre et . Pour recueillir ces déclarations, le décret institue un Office des biens et intérêts privés en pays ennemis et occupés.

Après la guerre, le décret du [b] fusionne cet organisme avec deux autres ayant des missions similaires :

  • la Commission des réclamations concernant les biens et intérêts privés en pays ennemis et occupés, créée en 1916 ;
  • l'Office des biens et intérêts privés en Russie et Roumanie, créé en 1918 ;

pour former l'Office des biens et intérêts privés (OBIP). Ce décret, ainsi que la loi du [c], le chargent de mettre en œuvre les clauses économiques du traité de Versailles relatives à la réparation des préjudices et au règlement des créances dues à des ressortissants de pays vaincus[2].

Les biens en question sont définis comme[a] :

  1. les biens et intérêts commerciaux, industriels et agricoles (mobiliers et immobiliers) :
    1. maisons de commerce,
    2. créances commerciales,
    3. parts et commandites dans des entreprises industrielles, commerciales ou agricoles,
    4. machines, outillages, matières premières ;
  2. les droits et intérêts résultant de contrats de droit public ou privé :
    1. concessions et exploitations de mines, forêts, transports,
    2. cautionnements, traitements, salaires,
    3. assurances ;
  3. les biens et intérêts immobiliers sans caractère commercial :
    1. propriétés immobilières,
    2. créances hypothécaires,
    3. loyers non recouvrés ;
  4. les biens et intérêts mobiliers sans caractère commercial :
    1. meubles meublant,
    2. voitures,
    3. automobiles, chevaux,
    4. objets cachés ou perdus ;
  5. les biens et intérêts financiers : titres, valeurs de bourse, comptes courants
  6. les biens et intérêts maritimes :
    1. navires aux mains de l'ennemi,
    2. marchandises,
    3. créances,
    4. assurances maritimes ;
  7. les biens et intérêts divers :
    1. successions, tutelles,
    2. droits litigieux,
    3. tous intérêts non spécifiés précédemment.

L'OBIP est également chargé de l'administration des biens séquestrés aux ressortissants des pays ennemis et localisés en France : c'est à ce titre qu'il prend possession du Château de Chambord appartenant au prince de Parme[α], sujet austro-hongrois, et à l'Hôtel de Matignon, ambassade de l'Autriche-Hongrie[β].

Seconde Guerre mondiale et Libération modifier

Durant l’entre-deux-guerres, la plupart des missions relatives aux biens privés à caractère économique, financier ou politique lui sont confiées. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, l’OBIP est rétabli par le décret du [d] afin d’organiser le recensement des biens, droits et intérêts français en Allemagne et dans les pays qu’elle occupe comme la Pologne. À la suite de la défaite de la France en , l’organisme quitte Paris et la zone occupée pour s’établir à Périgueux et y recueille dès le mois d’ les déclarations des biens abandonnés par les Alsaciens et Lorrains expulsés des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de Moselle, annexés de facto par le Reich allemand[3]. Durant l’Occupation, les autorités allemandes commettent de nombreux pillages à travers le territoire français par l’entremise de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR) ou même de l’ambassade d’Allemagne à Paris[4].

À la Libération, de nouveaux textes précisent les missions de l’organisme retrouvant son siège à Paris après quatre années d’occupation : le décret du [e] et l’arrêté du [f] encadrent le recensement des déclarations de biens spoliés par le régime nazi en France. Sous la double autorité du ministère des Affaires étrangères et de celui des Finances, l’OBIP est désormais chargé d’identifier les propriétaires ayant subi les spoliations en vue de leur restituer leurs possessions retrouvées à travers le continent européen[3].

Fonctionnement modifier

La structure de l’Office des biens et intérêts privés se compose de deux services, celui des biens préexistants et celui des spoliations : le premier gère les dossiers concernant les propriétés françaises possédées dans les pays de l’Axe avant , le second est chargé des déclarations des biens spoliés ainsi que des restitutions. L’OBIP comprend 665 agents en [5].

Dans la gestion de ces biens retrouvés à l’étranger, l’OBIP coopère avec le service des Réparations-Restitutions du Haut-Commissariat de la République française dans les zones occupées en Allemagne et en Autriche[6]. L’organisme français dispose également d’antennes dans les pays qui ont été occupés par l’Axe, ainsi que dans les départements français annexés de facto par l’Allemagne nazie : des bureaux de l’OBIP sont ouverts à Metz et Strasbourg en raison de l’ampleur des spoliations découvertes en Alsace-Moselle à la Libération.

Le directeur de l'OBIP est assisté d'un conseil de direction. En 1950, ce conseil comprend une vingtaine de personnes dont Robert Schuman, Henri Queuille, Alex Roubert, de conseillers d'État et de hauts-fonctionnaires des ministères des Affaires étrangères, des Finances, et de la Justice[7].

Le bureau de l'OBIP à Strasbourg est supervisé par Édith Bernardin[8], alors bibliothécaire à la Bibliothèque nationale et universitaire qui accueille le service dans ses locaux de la place de la République avec un dépôt situé dans le bâtiment des Archives départementales du Bas-Rhin pour rassembler les livres spoliés en vue de retrouver leurs propriétaires légitimes : 37 000 volumes sont restitués dès et plus de 200 000 livres ont été traités par l’OBIP de Strasbourg en  : 125 857 volumes ont été resitués et 56 300 sont attribués à des ayants-droit[9]. Le service est plusieurs fois menacé de suppression pour des raisons budgétaires : Édith Bernardin se dit « harcelée pour mettre fin aux opérations de restitution » au plus vite[10]. Le tri de ces documents se poursuit jusqu’à la fermeture du bureau local de l’OBIP le [11].

Dissolution modifier

À l’issue de ses activités relatives aux prédations allemandes, l’OBIP a enregistré des déclarations portant sur la revendication de biens privés spoliés dont des matériels industriels, des automobiles, des meubles, des œuvres d’art, des livres, des manuscrits ou encore des Purs-sangs. Parmi ces déclarations d’une valeur globale de 80 milliards de francs, beaucoup n’aboutissent pas à une restitution. Concernant les biens retrouvés et non réclamés, l’organisme les remet à l’administration des Domaines pour qu’ils soient vendus selon le décret du . D'après ces déclarations, les biens culturels spoliés par les Allemands sont estimés à 100 000[12].

Le , l’OBIP intègre les missions qui avaient été détachées à la commission de récupération artistique (CRA) qui opérait sous son périmètre légal pour les biens culturels (œuvres et objets d’art, manuscrits et livres) spoliés durant le conflit[13]. Il dépose auprès de la direction des Musées nationaux de France et de la direction des bibliothèques du ministère de l’Éducation nationale les œuvres récupérées en Allemagne et non réclamées, qui ont été sélectionnées par les « commissions de choix » (constituées de conservateurs de musées, d'agents de l'OBIP et présidées par le directeur de l'OBIP): il s’agit de les soustraire de l’administration des Domaines en vue de les conserver dans les fonds d’institutions publiques, en attente d'une éventuelle restitution dans le cas où elles auraient été spoliées. Ces biens se trouvent alors inscrits sur des inventaires spécifiques et portent la mention « Récupération » : inventaires MNR (Musées nationaux récupération) pour les peintures, REC pour les œuvres graphiques, RP pour les peintures modernes, etc. Les œuvres récupérées en Allemagne n'ont pas nécessairement fait l'objet d'une spoliation, elles ont pu être achetées par des soldats allemands auprès de marchands ou de particuliers français. Bien que non spoliées, elles ont été considérées comme pillées sur le territoire national du fait de la situation d'occupation et des circonstances d'achat (cours de devise imposée, clearing commercial)[14].

L’OBIP est dissout le , après avoir permis de récupérer l'équivalent de 142 milliards de francs de biens privés depuis 1917[15]. Il est mis fin à sa personnalité juridique et à son autonomie financière. L'essentiel de ses attributions est dévolu au Service des biens et intérêts privés (SBIP) du ministère des Affaires étrangères, et le reste au ministère des Finances.

Le SBIP est chargé du règlement des conséquences économiques de la fermeture des pays de l'Est et des nationalisations en Bulgarie, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie. Il est également chargé du règlement des dépossessions consécutives à l'émancipation des peuples et aux décolonisations : liquidations de biens de ressortissants français en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Égypte, à Cuba, dans les anciennes colonies françaises d'Afrique, au Vanuatu, en Chine et dans les anciennes colonies françaises du sud-est asiatique. Il est également chargé des dépossessions dues à la Guerre du Golfe.

Archives modifier

Les archives de l’organisme sont conservées par la direction des Archives du ministère des Affaires étrangères à La Courneuve[16] :

Références modifier

  1. Chauffour 2019, p. 44–45.
  2. Lorentz 1998, p. 115.
  3. a et b Lorentz 1998, p. 116.
  4. Liskenne 2012, p. 314.
  5. Lorentz 1998, p. 117.
  6. Lorentz 1998, p. 242.
  7. Mouchonnat 1950, p. 4.
  8. Poulain 2019, p. 180.
  9. Poulain 2008, p. 383.
  10. Poulain 2008, p. 391.
  11. Dreyfus 2012, p. 248.
  12. Hamon 1993, p. 41.
  13. Liskenne 2012, p. 320.
  14. Oosterlinck 2017, p. 4.
  15. Chauffour 2019, p. 44-45.
  16. Liskenne 2012, p. 313.
  17. Mouchonnat 1950.

Dans le Journal officiel de la République française (JORF), sur Gallica :

Archives :

  1. Centre des archives diplomatiques de La Courneuve, 1BIP/162.
  2. Centre des archives diplomatiques de La Courneuve, 1BIP/152-160.
  3. « Office des biens et intérêts privés : Service des spoliations allemandes en France (13BIP) », sur francearchives.gouv.fr.
  4. Nathalie Tournet (documentaliste, 1992), Germain Blanchard (1992) et Axel Jeancard (compl. et rév., 2016), « Office des biens et intérêts privés : Navires séquestrés, 1942-1963, 439QO », répertoire numérique détaillé, La Courneuve, Direction des Archives du ministère des Affaires étrangères, avril 1992 et mars 2016.
  5. « Services français de récupération artistique (209SUP) », sur francearchives.gouv.fr.
  6. « Office des biens et intérêts privés : Restitutions (22BIP) », sur francearchives.gouv.fr.

Annexes modifier

Bibliographie modifier

  • Mouchonnat (préf. Maurice Richard), Cinq années au service des spoliés de Moselle, OBIP, , 35 p..
  • Dans Alexandre Sumpf (dir.) et Vincent Laniol (dir.), Saisies, spoliations et restitutions : Archives et bibliothèques au XXe siècle (actes du colloque, Strasbourg, -, organisé par Arts, civilisation et histoire de l'Europe (ARCHE) et Frontières, acteurs et représentations de l'Europe (FARE)), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », , 383 p. (ISBN 978-2-7535-1996-1) :
  • Claude Lorentz, La France et les restitutions allemandes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : 1943-1954, Paris, Direction des Archives et de la Documentation du ministère des Affaires étrangères, , XXI-348 p. (ISBN 2-11-089157-2).
  • Pierre Noual, Restitutions : une histoire culturelle et politique, Paris, Belopolie, , 431 p. (ISBN 978-2-491534-01-1).
  • Martine Poulain, Livres pillés, lectures surveillées : Les bibliothèques françaises sous l'Occupation, Paris, Gallimard, , 587 p. (ISBN 978-2-0701-2295-0).
  • Martine Poulain, Où sont les bibliothèques spoliées par les nazis ?, Villeurbanne, École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques, , 231 p. (ISBN 978-2-37546-106-8).
  • Sébastien Chauffour, « Biens et intérêts privés (1917-1994) », dans Direction des Archives du ministère des Affaires étrangères, Archives diplomatiques : Mode d'emploi, Paris, Archives & Culture, coll. « Guides de généalogie », , 95 p. (ISBN 978-2-35077-342-1), p. 44-45.
  • Kim Oosterlinck, L'Impact de l'économie d'occupation sur le marché de l'art, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, , 18 p. (lire en ligne).
  • Marie Hamon, La Récupération des œuvres d'art spoliées 1944-1993 : Rapport dactylographié, Paris, Direction des Archives du ministère des Affaires étrangères, , 163 p..

Articles connexes modifier

Liens externes modifier