Megaponera analis

espèce de fourmis
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Megaponera analis est une espèce de fourmis de la sous-famille des Ponerinae, la seule espèce du genre Megaponera[1] (monotypique).
Ces fourmis sont de strictes mangeuses de termites (termitophage) présentes à travers l'Afrique subsaharienne[2] et communément connues pour les colonnes de raid qu'elles forment lorsqu'elles attaquent des termites. Leurs comportements de raid complexes leur ont valu le nom de fourmi Matabele d'après le peuple Ndébélés, de farouches guerriers ayant vaincu de nombreux autres peuples au XIXe siècle[3]. Atteignant 20 millimètres de long, M. analis est une des plus grosses fourmis du monde[4],[5].

Taxonomie modifier

Megaponera est un genre de fourmis ponerines défini par Gustav Mayr en 1862 pour l'espèce Formica analis Latreille, 1802[6], la seule espèce appartenant au genre actuellement. En 1994, William L. Brown, Jr. définit le genre comme synonyme de Pachycondyla malgré le manque de justification phylogénétique, changeant le nom de Megaponera foetens en Pachycondyla analis[7]. En 2014, Schmidt et Shattuck réhabilitent Megaponera en tant que genre valide en s'appuyant sur des données morphologiques et moléculaires. Depuis foetens est juste un synonyme souvent utilisé à tort dans la littérature, le nom valide étant Megaponera analis[1].

Le nom d'espèce analis, en latin « de l'anus », choisi par Latreille remplace foetens « malodorant », choisi par Johan Christian Fabricius en 1793, car Guillaume-Antoine Olivier avait donné le même nom Formica foetens à une autre espèce en 1792[8],[9]. Les deux noms s'expliquent par le fait que cette fourmi émet par sa glande mandibulaire du disulfure de diméthyle et du trisulfure de diméthyle (en) à odeur d'excréments humains[10].

Sous-espèces de Megaponera analis modifier

La vaste répartition de l'espèce à travers l'Afrique rend probable la présence de nombreuses sous-espèces de M. analis non reconnues actuellement, certaines pouvant même peut-être représenter des espèces à part entière.

Les cinq sous-espèces de M. analis actuellement reconnues sont[1] :

Morphologie modifier

Ouvrière minor
Ouvrière major
Gyne et son gastre plus gros.

La taille des ouvrières varie entre 5 et 18 millimètres, les grands ouvrières constituant plus de 50% de la colonie[11]. Bien qu'il ait souvent été suggéré que les plus grosses ouvrières occupent la fonction de gamergates[12], aucune ponte fertile n'a jamais été observée, cela reste le propre de la reine[5]. Même si M. analis est souvent considérée comme dimorphique, avec une caste major et une caste minor, elle présente en réalité une allométrie polyphasique chez les ouvrières[précision nécessaire]. La variation parmi les fourmis est surtout en taille et en pilosité (les ouvrière minor étant moins pileuses), bien que des différences dans les mandibules aient aussi été rapportées, les ouvrières major ayant des mandibules plus rugueuses[4].

Répartition et habitat modifier

 
Répartition. Vert : présent, Bleu : probablement présent, Noir : asbsent.

Megaponera analis est présente à travers l'Afrique subsaharienne de 25° Sud à 12° Nord[2]. Les nids sont généralement souterrains, allant jusqu'à 0,7 mètre de profondeur, et souvent proches d'arbres, de rochers, ou de termitières abandonnées[13]. Le nid peut être doté de plusieurs entrées, mais n'est composé que d'une unique chambre dans laquelle les œufs, larves, cocons et la reine se trouvent[14].

Comportement modifier

 
Une colonne de raid de M. analis

Comportement de raid modifier

 
Ouvrières Megaponera analis ouvrant la pellicule protectrice du site d'affouragement des termites

Les raids de M. analis se déroulent principalement à l'aube et au crépuscule, de 6:00 à 10:00 et de 15:00 à 19:00[14],[15], une colonie envoyant de 3 à 5 raids par jour. Certaines observations suggèrent une troisième période de raid la nuit de 22:00 à 2:00, mais cela n'a été que très peu étudié[13]. Les raids de M. analis sont menés uniquement sur des termites appartenant aux Macrotermitinae, et sont en général composés de 200 à 500 fourmis[11].

Le schéma de raid général commence par une fourmi éclaireuse explorant une zone d'environ 50 mètres autour du nid à la recherche d'un site d'affouragement de termites. Cette phase de recherche peut durer jusqu'à une heure, et si elle n'est pas fructueuse, l'éclaireuse retourne au nid, en suivant un chemin indirect. Si l'éclaireuse trouve un site potentiel, elle commence à l'examiner sans entrer en contact avec les termites ou entrer dans les galeries, avant de retourner au nid par le chemin le plus rapide, afin de recruter d'autres ouvrières pour le raid[11]. Bien que le chemin le plus rapide soit souvent le plus court, cela peut ne pas être le cas. Les éclaireuses préfèrent parfois faire des détours en terrains ouverts sur lesquels elles courent jusqu'à deux fois plus vite, réduisant ainsi le temps de trajet vers le nid[16].

Bien que l'éclaireuse semble déposer des phéromones de trace pour marquer le chemin du site de raid vers le nid, les autres fourmis paraissent incapables de suivre cette piste sans l'aide de l'éclaireuse[13], qui devient donc la meneuse de la colonne de raid[17]. Le temps de recrutement varie entre 60 secondes et 5 minutes, et toutes les deux castes peuvent participer aux raids. Pendant le trajet vers les termites, toutes les fourmis appliquent des phéromones de trace sur le sol, facilitant le chemin de retour[18].

Environ 20-50 cm avant la rencontre avec les termites, la colonne de raid s'arrête et les fourmis s'agglomèrent jusqu'à ce que toutes les fourmis de la colonne soit arrivées, formant un cercle autour de l'éclaireuse. Après cela les fourmis chargent vers les termites en formation ouverte et submergent leurs proies. Pendant l'attaque, on peut observer une division du travail : alors que les ouvrières major se concentrent sur la destruction des feuillets de terre protégeant les galeries des termites, les ouvrières minor plongent dans les galeries pour tuer les termites[11]. Après que le site a été exploité, les fourmis s'agglomèrent à nouveau là où elles s'étaient arrêtées avant l'attaque, les ouvrières major portant les termites. Elles se dirigent ensuite vers le nid, reprenant la formation en colonne. Ces raids sont toujours des événements ponctuels, et les fourmis ne retournent pas indépendamment sur les sites exploités précédemment. Il n'est cependant pas impossible que les éclaireuses se souviennent des précédents sites, et les examinent à nouveau avant d'initier de nouveaux raids vers ceux-ci[19]. Par ailleurs, les fourmis les plus atteintes par la riposte des termites adoptent une comportement sacrificiel pour permettre aux fourmis les plus valides de l'emporter.

Ces raids conduisent à un taux de blessés de 22% parmi les fourmis, en moyenne[20].

Mécanisme de soin modifier

Après leurs raids contre les termites, les individus de cette espèce de fourmis trient leurs congénères infectées, et sont capable de les soigner. Les fourmis identifient les blessées grâce aux hydrocarbures présentes sur la cuticule des individus. Cette couche de lipides permet de distinguer les membres de la colonie des étrangers, mais aussi de connaître leur statut, indiquant par exemple l'état du système immunitaire de l'individu. L'équipe germano-suisse à l'origine de cette découverte a également mis en évidence l'évacuation des fourmis les plus infectées, expulsées de la fourmilière. Les spécimens blessés à moyen niveau sont eux, « soignés », par leurs congénères à l'aide d'un onguent disposé par leurs soins, doté de 112 composés chimiques et 41 protéines. Un test effectué par cette équipe a observé un taux de guérison de 75 % à la suite de l'application de l'onguent antiseptique. L'efficacité de cette technique entraîne le début de recherche quant à de possibles applications humaines de celui-ci, avec la découverte d'une protéine jusqu'ici inconnue et qui en est le composant principal.

Notes et références modifier

  1. a b et c (en) C.A. Schmidt et S. O. Shattuck, « The Higher Classification of the Ant Subfamily Ponerinae (Hymenoptera: Formicidae), with a Review of Ponerine Ecology and Behavior », Zootaxa, vol. 3817, no 1,‎ , p. 1–242 (PMID 24943802, DOI 10.11646/zootaxa.3817.1.1).
  2. a et b (en) William Morton Wheeler, « Ecological Relations of Ponerine and Other Ants to Termites », Proceedings of the American Academy of Arts and Sciences, vol. 71, no 3,‎ , p. 159 (DOI 10.2307/20023221, JSTOR 20023221).
  3. (en) Edward O. Wilson, A Window on Eternity : A Biologist’s Walk Through Gorongosa National Park, Simon & Schuster, (ISBN 978-1-4767-4741-5, lire en ligne), p. 83.
  4. a et b (en) Martin H. Villet, « Division of labour in the Matabele ant Megaponera foetens (Fabr.) (Hymenoptera Formicidae) », Ethology Ecology & Evolution, vol. 2, no 4,‎ , p. 397–417 (DOI 10.1080/08927014.1990.9525400).
  5. a et b (en) Bert Hölldobler et Edward O. Wilson, The Ants, Cambridge, Mass., Belknap Press of Harvard University Press, , 732 p. (ISBN 978-0-674-04075-5, lire en ligne)
  6. Mayr, G. (1862). "Myrmecologische Studien". Verh. K-K. Zool.-Bot. Ges. Wien 12: 649–776 (page 714, Megaponera; (diagnosis in key) as genus; Megaponera in Ponerinae [Poneridae]).
  7. (en) B. Bolton, Identification guide to the ant genera of the world, Cambridge (Mass.)/London, Harvard University Press, , 222 p. (ISBN 0-674-44280-6)
  8. Pierre André Latreille, Histoire naturelle des fourmis : Et recueil de mémoires et d'observations sur les abeilles, les araignées, les faucheurs et autres insectes, Paris, Crapelet, Théophile Barrois, (ISBN 978-2-271-12513-2, lire en ligne), p. 282.
  9. (en) « Online Catalogue of the Ants of the World » (consulté le ).
  10. Erik Frank, Combattre, sauver, soigner : Une histoire de fourmis, CNRS éditions, (ISBN 978-2-271-12513-2), p. 107-109.
  11. a b c et d (en) C. Longhurst et P. E. Howse, « Foraging, recruitment and emigration inMegaponera foetens (Fab.) (Hymenoptera: Formicidae) from the Nigerian Guinea Savanna », Insectes Sociaux, vol. 26, no 3,‎ , p. 204–215 (ISSN 0020-1812 et 1420-9098, DOI 10.1007/BF02223798, lire en ligne, consulté le ).
  12. (en) R. M. Crewe, C. P. Peeters et M. Villet, « Frequency distribution of worker sizes in Megaponera foetens », South African Journal of Zoology, vol. 19, no 3,‎ , p. 247–248 (ISSN 0254-1858, lire en ligne).
  13. a b et c (en) Abdullahi Ahmed Yusuf, Termite raiding by the Ponerine ant Pachycondyla analis(Hymenoptera : Formicidae) : Behavioural and Chemical Ecology, Pretoria, University of Pretoria (thèse de doctorat en Entomologie), , 112 p. (lire en ligne).
  14. a et b M. G. Lepage, « Étude de la prédation de Megaponera foetens (F.) sur les populations récoltantes de Macrotermitinae dans un ecosystème semi-aride (Kajiado-Kenya) », Insectes Sociaux, vol. 28, no 3,‎ , p. 247–262 (DOI 10.1007/BF02223627).
  15. Jean Levieux, « Note préliminaire sur les colonnes de chasse de Megaponera fœtens F. (Hyménoptère Formicidæ) », Insectes Sociaux, vol. 13, no 2,‎ , p. 117–126 (DOI 10.1007/BF02223567).
  16. (en) Erik T. Frank, Philipp O. Hönle et K. Eduard Linsenmair, « Time-optimized path choice in the termite-hunting ant Megaponera analis », The Journal of Experimental Biology, vol. 221, no 13,‎ , jeb174854 (ISSN 0022-0949 et 1477-9145, DOI 10.1242/jeb.174854, lire en ligne, consulté le ).
  17. (en) J. Bayliss et A. Fielding, « Termitophagous foraging by Pachycondyla analis (Formicidae, Ponerinae) in a Tanzanian coastal dry forest », Sociobiology, vol. 39,‎ , p. 103–122 (lire en ligne [archive du ], consulté le ).
  18. (en) Bert Hölldobler, Ulrich Braun, Wulfila Gronenberg, Wolfgang H. Kirchner et Christian Peeters, « Trail communication in the ant Megaponera foetens (Fabr.) (Formicidae, Ponerinae) », Journal of Insect Physiology, vol. 40, no 7,‎ , p. 585–593 (DOI 10.1016/0022-1910(94)90145-7, lire en ligne).
  19. (en) C. Longhurst, R. Baker et P. E. Howse, « Termite predation by Megaponera foetens (FAB.) (Hymenoptera: Formicidae) », Journal of Chemical Ecology, vol. 5, no 5,‎ , p. 703–719 (DOI 10.1007/BF00986555).
  20. « Comment des fourmis détectent et traitent les infections de leurs congénères », Le Monde.fr,‎ (lire en ligne, consulté le )

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