Le Lục Bát (littéralement « Six - Huit ») est une forme poétique traditionnelle vietnamienne qui consiste en une versification alternée entre des hexasyllabes et des octosyllabes. Le Lục Bát qui trouve son origine dans la littérature folklorique orale, est apprécié par les gens de toutes les classes sociales et de tout âge.

Profondément lié à la culture et à l’âme du peuple vietnamien, le sujet des poèmes porte souvent sur la vie quotidienne, les relations humaines, la moralité et la beauté de la nature.

Grâce à la naissance du Chữ Nôm (système d’écriture idéo-phonétique vietnamien) vers le Xe siècle, les poèmes en forme de Lục Bát ont été enregistrés. Le plus connu est le Truyện Kiều (Histoire de Kieu) de Nguyễn Du (1765-1820). Ce poème, composé de 3254 vers de Lục Bát, est considéré comme l’œuvre littéraire vietnamienne la plus importante jamais écrite.

Origine modifier

Il est impossible de savoir quand le Lục Bát est apparu, en effet il trouve son origine dans la culture orale, aucune date de création ne peut alors lui être attribuée. Le Lục Bát est présent depuis toujours dans des chansons folkloriques, des berceuses, des comptines jusque dans les grandes œuvres poétiques vietnamiennes, comme Truyện Kiều (Histoire de Kieu) de Nguyễn Du ou Chinh phụ ngâm khúc (La complainte de la femme du combattant) de Đoàn Thị Điểm.

Sous le régime féodal, contrairement à la poésie des Tang, le Lục Bát n’est pas introduit dans le système éducatif, ni dans les concours de lettrés. Grâce à l’apparition du Truyện Kiều de Nguyễn Du au 19e siècle, puis aux œuvres poétiques de Tản Đà au XXe siècle, le Lục Bát est reconnu comme un genre spécial et typique de la poésie vietnamienne.

De nos jours, le Lục Bát devient non seulement une forme poétique représentant la poésie traditionnelle, mais aussi une forme lyrique du nouveau mouvement de poésie. De Tản Đà à Nguyễn Bính, Bùi Giáng, Đồng Đức Bốn, Nguyễn Trọng Tạo et à un certain nombre de jeunes écrivains, les poèmes de Lục Bát deviennent leurs œuvres les plus réussies et connues.

Forme modifier

Le poème de style Lục Bát est organisé en minimum deux vers, le premier de 6 pieds et le suivant de 8 pieds. Le poème termine souvent par le vers de 8 pieds, mais parfois par le vers de 6 pieds pour exprimer le regret ou la nostalgie. La longueur du poème est indéterminée.

Règle de versification modifier

Cette versification suit des règles de rime et de registre qui sont parfois flexibles

Rime modifier

Un poème du style Lục Bát se compose au moins d’une paire de vers de 6 et de 8 pieds. Le dernier pied du vers de 6 pieds rime avec le 6e pied du vers de 8 pieds suivant, puis le 8e pied de ce vers rime avec le dernier pied du vers de 6 suivant et ainsi de suite[1].

Exemple :

Trăm năm trong cõi người ta

                                          /ta:/

Chữ tài chữ mệnh khéo ghét nhau

                                   /la:˧˩/        /ɲa:w/

Trải qua một cuộc bể dâu

                                  /zəw/

Những điều trông thấy mà đau đớn lòng

                                        /ɗa:w/     /lɔŋ˧˩/

(Histoire de Kieu – Nguyen Du)[2] 

Les mots « ta » et «  » sont des rimes riches[3], tandis que les « nhau » et « dâu » sont des rimes suffisantes[4].  

Règle « bằng-trắc » modifier

Le vietnamien standard possède six tons, lesquels se divisent en deux groupes d’intonation : les tons plains (Bằng) et les tons obliques (Trắc). 

Groupe Registre Ton vietnamien Diacritique Exemple
« Mot vietnamien » Signification
Bằng

(B)

Moyen Ngang Aucun Ta Je, on, nous
Bas Huyền Accent grave Pan, esprit malfaisant, mauvais, déclin…
Trắc

(T)

Haut Sắc Accent aigu Douzaine, grade d’officier supérieur
Moyen Hỏi Crochet en chef Tả Choléra, décrire
Haut Ngã Tilde Lange, usé
Bas Nặng Point souscrit Tạ Quintal, haltère

La règle « bằng-trắc » est une règle d’alternance de  sons plains et sons obliques. Dans un poème du style Lục Bát, les 1er, 3e, et 5e pieds sont libres, tandis que les 2e, 4e, 6e et 8e pied doivent suivre strictement cette règle d’intonation.  

Vers Rime
6 pieds 0 B 0 T 0 B
8 pieds 0 B 0 T 0 B 0 B
Pied 1 2 3 4 5 6 7 8

Le 2e pied et le 6e pied sont symétriques par rapport au 4e pied. Le 6e pied et le 8e pied du vers de 8 pieds ont le même ton mais ils doivent être opposés au niveau du registre. C’est-à-dire, si le 6e pied appartient au registre moyen, le 8e appartient au registre bas et vice versa.

 Exemple :

Vers Rime
6 pieds Cái cái vạc cái nông
0 B 0 T 0 B
8 pieds Ba con đều béo vặt lông con nào
0 B 0 T 0 B 0 B
Pied 1 2 3 4 5 6 7 8

Rythme modifier

Le Lục Bát est généralement en rythme binaire de 2/2/2 ou de 4/4. Les vers se divisent en 2 ou 4 mesures de même longueur[5].

Exemple :

Này chồng / này mẹ / này cha,

       2               2             2            

Này là em ruột / này là em dâu.

          4                        4            

(Histoire de Kiêu – Nguyen Du)

 

Le poème peut également porter le rythme ternaire (3/3, 1/5, 3/5) pour exprimer les émotions fortes, les soucis ou la soudaineté, etc.

 Exemple :

Anh đi đấy, / anh về đâu?

       3                   3

Cánh buồm nâu, /… cánh buồm nâu, /… cánh buồm…

       3                                3                             3

(Cánh buồm nâu – Nguyễn Bính)[6]

Notes et références modifier

  1. Bui-Aurenche Thu Thuy, La musicalité de la comptine vietnamienne (lire en ligne), p. 12
  2. (vi) Nguyễn Du, Truyện Kiều
  3. (vi) « Tập làm thơ – Quy tắc căn bản », sur Thivien.net, (consulté le )
  4. (vi) « Tập làm thơ – Quy tắc căn bản », sur Thivien.net, (consulté le )
  5. Bui-Aurenche Thu Thuy, La musicalité de la comptine vietnamienne, (lire en ligne), p. 17
  6. (vi) Nguyễn Bính, Tuyển tập thơ Nguyễn Bính, Hanoï, NXB Văn Học,

Bibliographie modifier

  • Thu Thủy Bùi, « Traduire l’humour des ca dao ». In Carnet du Vietnam, , vol 36, no 36, p. 34-35.
  • Thu Thuy Bui-Aurenche, « La musicalité de la comptine vietnamienne ». In Revue Savoirs en Prisme, Université de Reims, , no 4.
  • Đình Khuê Dương et Nicole Louis-Hénard, « Aperçu sur la poésie vietnamienne de la décade pré-révolutionnaire ». In Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient, vol 65, no 2, 1978, p. 431-492
  • Huu Ngoc, A la découverte de la culture vietnamienne, 6e édit. Hanoï : Éditions en langues étrangères, 2011
  • Thế Diep Hung, « La poésie vietnamienne ». In Vietnam littéraire, Diffusion Belles Lettres, 2012, p. 11-27
  • Diễm Phương Phan, Lục bát và song thất lục bát: Lịch sử phát triển, đặc trưng thể loại, Hanoï : Nhà xuất bản Khoa học xã hội, 1988.
  • Du Nguyen, Truyện Kiều, Hanoï : Nhà xuất bản Trẻ, 2015
  • Binh Nguyen, Tuyển tập thơ Nguyễn Bính, Hanoï : NXB Văn Học, 1986.
  • Khac Vien Nguyen, Kiều/Nguyễn Du; traduit du vietnamien, Hanoï :  Éditions en langues étrangères, 1974
  • Thi Diem Doan, Trinh phụ ngâm khúc, Hanoï : Nhà xuất bản văn học, 2015

Liens externes modifier

  • Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste  :