Exposition des mineurs à la pornographie

L’exposition des mineurs à la pornographie est un phénomène de société caractérisé par le visionnage par des enfants et adolescents de contenus en principe strictement réservés aux adultes. Il prend de l’ampleur depuis la démocratisation d'Internet et des smartphones. Son influence sur la sexualité et la construction de la personnalité soulève de nombreuses inquiétudes. Des dispositifs juridiques et techniques tentent d'entraver ces pratiques.

État des lieux modifier

La pornographie sur Internet est plus facilement accessible que sur support papier ou à la télévision, aussi bien d'un point de vue technique que financier, et moins bien régulée. Il est très difficile d'évaluer la prévalence du phénomène mais, d'après une méta-analyse publiée en 2020, le taux d'exposition involontaire des adolescents à la pornographie aux États-Unis varie entre 19 et 32 % et le taux d'exposition volontaire des jeunes de 10 à 17 ans se situait aux alentours de 34 %[1]. Selon un sondage organisé par OpinionWay en France en 2018, un tiers des 18-30 ans a déjà été confronté à des contenus pornographiques à l'âge de 12 ans[2].

La consultation de contenus préjudiciables est souvent sous-estimée par les adultes. Selon une étude menée en 2011 auprès d'internautes de 25 pays de l'Union européenne âgés de 9 à 16 ans, 40 % de leurs parents ignoraient qu'ils avaient déjà vu des images pornographiques en ligne[3].

Une méta-analyse d'études effectuées entre 1995 et 2015 montre une grande disparité épidémiologique. Elle indique que les jeunes consommateurs de pornographie sont en majorité des garçons à un stade avancée de la puberté, en recherche de nouvelles sensations fortes, dans un cadre familial distendu ou dysfonctionnel[4]. Outre la consultation d'un site, volontaire ou non, le visionnage peut résulter également de la réception d'un message pornographique (pratique du sexting). L'incidence du risque est à distinguer de l'incidence du préjudice : si la probabilité d'en recevoir augmente avec l'âge, le genre masculin et la recherche de sensations, la probabilité qu'il soit nuisible est plus importante chez les plus jeunes et les filles[5].

Les caractéristiques psychosociales, les modalités de l’usage d'Internet (dont le temps passé en ligne), la médiation parentale, le libéralisme culturel du pays sont autant de facteurs de risque. D'après une étude analysant des données européennes, le visionnage involontaire semble être équivalent selon les genres et les contextes culturels, à l’inverse du visionnage volontaire[6].

Une enquête européenne commanditée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel en 2004 montre que 80 % des garçons de 14 à 18 ans et 45 % des filles du même âge ont vu au moins un film X dans l’année écoulée[7]. Un rapport de l'Assemblée Nationale révèle qu'en 2005 les trois-quarts des garçons de 9 ans ont déjà vu ce type de contenu.

Perception et comportement modifier

Intégration d'un imaginaire sexiste modifier

Le développement incomplet de l'enfant l’amène parfois à manque de recul sur la séparation entre la réalité et la fiction, ainsi qu'entre le désiré et le désirable[1]. L'absence de recul sur les stéréotypes sexistes conduit à leur perpétuation[8]. En effet, la pornographie ne va pas dans le sens de l'éducation sexuelle en raison de la faible part laissée à l'imagination, la dissociation de l'émotion et de la sexualité ; ainsi que de l’absence d'un discours de sensibilisation aux risques liés à la sexualité (violence et hygiène)[9].

De manière générale, l'intégration des représentations de la pornographie en matière sexuelle chez les mineurs tend à la banaliser et à la normaliser, voire en faire un modèle. Elle augmente le risque de comportements déviants et entérine les stéréotypes de genre[10]. Plus la consommation d'images pornographiques est précoce, plus elle est une source d'influence, et ce d'autant plus lorsqu'elle est la principale source d'informations des jeunes en matière de sexualité[11]. L'hypersexualisation des petites filles est à mettre en relation avec cette omniprésence du corps érotisé dans l’espace médiatique[7].

Incitation au passage à l'acte modifier

Une série d'études transversales chez des 10-24 ans montre une forte corrélation entre le visionnage de contenus explicites sur les sites Internet ou par sexting et la pratique d'une activité sexuelle, y compris à risque (sans préservatif, avec ingestion de substances ou avec de multiples partenaires)[12].

La consommation régulière de la pornographie semble associée chez les jeunes à des comportements sexuels plus permissifs, sans pour autant que cette relation soit très claire. La pornographie est parfois utilisée dans différentes formes de violence et de harcèlement sexuels[8]. Les consommateurs sont plus fréquemment auteurs et/ou victimes d'agression sexuelle que la moyenne[4]. La corrélation entre exposition à la pornographie et pratique d'une activité sexuelle, y compris contrainte comme les attouchements, semble plus forte dans le cas du sexting que dans celle du visionnage de sites explicites[12].

Les caractéristiques personnelles ont cependant un rôle important dans l’influence de la pornographie dans les comportements sexuels : un homme aura d'autant plus tendance à reproduire des scènes violentes qu'il manifeste une hostilité envers les femmes par exemple. L'interaction réciproque de l'environnement extérieur et de la construction de la personnalité expliquent cette variabilité[13].

Risques psychologiques et psychopathologiques modifier

La pornographie offre une première figuration de la sexualité aux jeunes ; cependant, en oblitérant la nature du fantasme et des aspects essentiels de la relation interpersonnelle, elle constitue un risque d'addiction pour les plus fragiles, en particulier en l’absence de discussions autour des sensations et des affects liés à ces images[14].

La pornographie véhicule une image de la sexualité et du corps valorisant la performance et un canon esthétique conventionnel. Elle tend à accroître les vulnérabilités des jeunes dans leur construction et leur estime personnelle, à favoriser un rapport obsessionnel à ses capacités et ses caractéristiques physiques et à renforcer une anxiété latente[15].

Lutte et prévention modifier

Dispositifs juridiques et législatifs modifier

Le cadre législatif de l’Union européenne ne dispose pas d'instruments juridiques contraignants en matière de contrôle de l'accès aux mineurs aux contenus qui leur sont préjudiciables, même s'il existe des recommandations et des programmes en ce sens. Les mesures diffèrent donc selon les États membres[16].

Mesures techniques modifier

Le système de vérification de l’âge des visiteurs d'un site web, lorsqu'il repose sur une déclaration sur l'honneur, s'avère inefficace en cas de démarche volontaire de l'internaute. Un contrôle de l’identité se heurte à l’enjeu de la protection des données personnelles, sensibles dans le domaine de la pornographie[17].

Les logiciels de contrôle parental filtrent le contenu accessible sur le web, en bloquant partiellement ou entièrement l'accès à un site identifié comme contenant de la pornographie. Ils se heurtent au risque d'un filtrage inadapté et l'absence de contrôle des courriels. En outre, ils supposent la prise de conscience et le volontarisme des parents[18].

Bibliographie modifier

Paru en version poche sous un autre titre : Gérard Bonnet, La pornographie : une agression sexuelle sur mineurs, Paris, Albin Michel, coll. « Espaces libres », , 281 p. (ISBN 978-2-226-45839-1)..

Références modifier

  1. a et b (en) Gail Hornor, « Child and Adolescent Pornography Exposure », Journal of Pediatric Health Care, vol. 34, no 2,‎ , p. 191–199 (DOI 10.1016/j.pedhc.2019.10.001, lire en ligne, consulté le ).
  2. Anissa Boumedienne, « Un tiers des 18-30 ans a déjà été exposé à du porno à l'âge de 12 ans », 20minutes,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  3. Francisco Javier, Cabrera Blázquez, Maja Cappello, Sophie Valais et Amélie Lépinard, La protection des mineurs dans un paysage médiatique en pleine convergence, Streasbourg, IRIS, Observatoire européen de l'audiovisuel, , 64 p. (lire en ligne).
  4. a et b (en) Peter Jochen et Patti M. Valkenburg, « Adolescents and Pornography: A Review of 20 Years of Research », The Journal of Sex Research, vol. 53, nos 4-5,‎ , p. 509-531 (PMID 27105446, DOI 10.1080/00224499.2016.1143441, lire en ligne, consulté le ).
  5. (en) Sonia Livingstone et Anke Görzig, « When adolescents receive sexual messages on the internet: Explaining experiences of risk and harm », Computers in Human Behavior, vol. 33,‎ , p. 8-15 (lire en ligne, consulté le ).
  6. (en) Anna Ševčíková, Jan Šerek, Monica Barbovschi et Kristian Daneback, « The Roles of Individual Characteristics and Liberalism in Intentional and Unintentional Exposure to Online Sexual Material Among European Youth: A Multilevel Approach », Sexuality Research and Social Policy, vol. 11,‎ , p. 104–115 (DOI 10.1007/s13178-013-0141-6, lire en ligne, consulté le ).
  7. a et b Israël Nisand, « C’est la pornographie qui éduque nos enfants ? », dans René Frydman & Muriel Flis-Trèves.(éd.), Ruptures, Presses Universitaires de France, (ISBN 978-2-13-060868-4, lire en ligne), p. 61-74.
  8. a et b (en) Gary Raine, Claire Khouja, Rachel Scott, Kath Wright et Amanda J. Sowden, « Pornography use and sexting amongst children and young people: a systematic overview of reviews », Systematic Reviews, vol. 9, no 283,‎ (PMID 33280603, DOI 10.1186/s13643-020-01541-0, lire en ligne, consulté le ).
  9. Divina Frau-Meigs, « Pornographie et désarroi des corps et des sentiments », dans Socialisation des jeunes et éducation aux médias : du bon usage des contenus et comportements à risque, Toulouse, Paris, Erès, Céméa, (ISBN 978-2-7492-1482-5, DOI 10.3917/eres.fraum.2011.01.0095, lire en ligne), p. 95-126.
  10. Geneviève Gagnon, « La pornographie sur Internet et ses conséquences pour les jeunes : comment intervenir ? », Ça s'exprime, no 9,‎ , p. 1-12 (lire en ligne, consulté le ).
  11. Richard Poulin, « La pornographie, les jeunes, l'adocentrisme », Les Cahiers Dynamiques, vol. 1, no 50,‎ , p. 31-39 (DOI 10.3917/lcd.050.0031, lire en ligne, consulté le ).
  12. a et b (en) Lucy Watchirs Smith, Bette Liu, Louisa Degenhardt, Juliet Richters, George Patton, Handan Wand, Donna Cross, Jane S. Hocking, Rachel Skinner, Spring Cooper, Catharine Lumby, John M. Kaldor et Rebecca Guy, « Is sexual content in new media linked to sexual risk behaviour in young people? A systematic review and meta-analysis », Sexual Health, no 13,‎ , p. 501–515 (PMID 27509401, DOI 10.1071/sh16037, lire en ligne, consulté le ).
  13. (en) Neil Malamuth et Mark Huppin, « Pornography and teenagers: the importance of individual differences », Adolescent Medicine Clinics, vol. 16, no 2,‎ , p. 315-326 (PMID 16111620, DOI 10.1016/j.admecli.2005.02.004)
  14. Barbara Smaniotto et Maud Melchiorre, « Quand la construction de la sexualité adolescente se confronte à la violence du voir pornographique », Sexologies, vol. 27, no 4,‎ , p. 177-183 (DOI 10.1016/j.sexol.2017.09.003, lire en ligne, consulté le ).
  15. Tebaldo Vinciguerra, « Pornographie, vulnérabilités et abus sexuels : défis et possibles solutions », Topique, vol. 2, no 152,‎ , p. 39-55 (DOI 10.3917/top.152.0041, lire en ligne, consulté le ).
  16. Valérie Kaiser, « La protection des mineurs sur Internet : la problématique de la pédopornographie et des contenus jugés préjudiciables », (consulté le ).
  17. Florian Reynaud et Damien Leloup, « Pornographie en ligne : pourquoi la vérification de l’âge des internautes est si difficile », Le Monde,‎ (lire en ligne, consulté le ).
  18. Odile Naudin, « Internet : former les parents autant que leurs enfants », Après-demain, vol. 1, no 9,‎ , p. 39-44 (DOI 10.3917/apdem.009.0039, lire en ligne, consulté le ).