Borne milliaire de Bruère-Allichamps

borne milliaire à Bruère-Allichamps (Cher)
Borne milliaire de Bruère-Allichamps
Borne milliaire (détail). On distingue le début de l'inscription.
Présentation
Destination initiale
Borne milliaire
Construction
Possiblement de 237, puis du haut Moyen Âge et du XVIIIe siècle
Propriétaire
Commune
Patrimonialité
Localisation
Pays
Département
Commune
Coordonnées
Carte

La borne milliaire de Bruère-Allichamps est un milliaire romain visible à Bruère-Allichamps (Cher), en France, remployé en sarcophage au haut Moyen Âge. Il est aménagé en colonne monumentale sur la place de l'ancien village de Bruère, à la fin du XVIIIe siècle, et est alors censé marquer le centre géographique de la France.

Elle fait partie des rares bornes antiques indiquant trois voies différentes, ici vers d'autres stations de la cité des Bituriges Cubes, un peuple gaulois romanisé.

Localisation actuelle modifier

La borne est située sur la commune de Bruère-Allichamps à l'intersection de la route départementale D2144 reliant Bourges à Montluçon, et de la route départementale 92. Elle se trouve à quelques kilomètres au nord de l'abbaye de Noirlac.

Description modifier

Le monument actuel se compose d'une petite plateforme élevée de trois marches portant un piédestal sur lequel est dressée la borne, couronnée par une tablette moderne moulurée.

La borne, en elle-même, est un bloc de calcaire dont la section circulaire d'origine se devine sous les retailles faites au moment de sa transformation en sarcophage. Sans beaucoup de précisions, elle aurait 2 m de hauteur pour 0,60 m de profondeur[1], d'après le dossier de classement de 1909[2].

L'inscription latine, dont certains caractères ne sont plus lisibles, est au sommet de la colonne, et porte sur trois lignes :

Pio] Felici Aug(usto) trib(unicia) p(otestate) co(n)s(uli) III / p(atri) p(atriae) proco(n)s(uli) Avar(ico) l(eugas) XIIII / Med(iolanio) l(eugas) XII Ner(iomago) l(eugas) XXV

La traduction française[3] en est :

« ... le pieux, heureux, auguste tribun, consul pour la troisième fois, père de la patrie, proconsul, à 14 lieues de Avaricum (Bourges), à 12 lieues de Mediolanum (Châteaumeillant), et à 25 lieues de (Aquae) Neri (Néris-les-Bains). »

Les distances indiquées sont en lieues gauloises ; il s’agit en quelque sorte d'une borne leugaire. Sans que ce soit exceptionnel, elle fait partie des rares bornes à avoir une triple mention de distances.

 
Lecture du comte de Caylus, en 1759. Les distances ont depuis été rectifiées : lire MED L XII NER L XXV à la dernière ligne.
 
Lecture de l'inscription publiée dans le CIL XIII[4] en 1907.

Historique modifier

 
Le territoire des Bituriges Cubes.

Du milliaire au sarcophage modifier

Cette borne milliaire du territoire des Bituriges Cubes (les trois destinations font partie de cette cité[5]), placée au carrefour des voies romaines[6] à la périphérie du vicus d'Allichamps, date probablement du IIIe siècle. Entre la fin du IVe siècle et le IXe siècle, elle a été creusée pour servir de sarcophage chrétien[7].

« Durant le haut Moyen Âge, les bornes ont été particulièrement recherchées comme sarcophages ; sans doute offraient-elles l'avantage de ne nécessiter qu'un retaillage. On peut se demander si les milliaires ne bénéficiaient pas du prestige de l'objet écrit à une époque où, de surcroît, on attribuait une valeur religieuse à tous les témoins du passé romain. »

— François Jacques (p. 284)

Les fouilles de Pajonnet modifier

En 1757, elle est dégagée par le prieur François Pajonnet, au lieu-dit les Varnes, lors de fouilles qu'il réalise depuis 1750. On la localisera alors dans un champ nommé Elisii Campi[8], qui se révélera faire partie d'une vaste nécropole gallo-romaine et mérovingienne près du prieuré Saint-Étienne d'Allichamps[9].

De la colonne municipale au classement modifier

Elle est transportée en 1799, à l'initiative du duc Béthune-Charost, sur la place de la nouvelle commune de La Celle-Bruère (Bruère et Allichamps ont fusionné en 1884).

Une plaque apposée sur le socle du piédestal en fait un récit approximatif :

«  Borne milliaire du IIIe siècle, convertie en sarcophage au Ve siècle, découverte dans le cimetière d'Allichamps en 1757, érigée à cet emplacement en 1799 par le duc de Charost. La tradition désigne ce monument comme centre de la France.

Plaque apposée le 23 mai 1950 par le Touring Club de France. »

Pour être précis, c'est bien le duc qui avait l'intention d'organiser ce transport dès 1789, mais les « évènements » ont retardé ce projet de dix ans ; c'est alors le citoyen Béthune-Charost qui était autorisé à organiser et à financer ce transport[10].

La borne est classée au titre des monuments historiques en 1909[2].

Un autre milliaire perdu modifier

 
Dessins par le comte de Caylus des milliaires CIL 17-02, 489 (n° I - les deux de droite) et CIL 17-02, 488 (n° II - celui de gauche, perdu).

De Caylus mentionne aussi une deuxième borne milliaire similaire, mais de la 13e lieue gauloise depuis Avaricum[11] et datée de Tacite, découverte dans les mêmes circonstances que la première. Son texte est reporté dans le Corpus sous le numéro CIL 17-02, 00488 (cf. Gerold Walser, page 177). Cette dernière borne n'a pas été retrouvée par Buhot de Kersers, lors de sa prospection plus de cent ans plus tard, et est considérée comme disparue.

La Carte archéologique de la Gaule signale, par ailleurs, de très nombreux cas de réemplois antiques dans la nécropole, dont certains ont disparu avant d'avoir été précisément identifiés.

Analyse modifier

Le libellé de l'inscription est mutilé : il manque le début de la titulature de l'empereur en fonction, à la date de la pose. Lors de la transformation en sarcophage, la colonne originale a été raccourcie, et la partie supprimée contenait les premières lignes du texte.

En 1759, le Comte de Caylus constatait que le titre de felix qu'on lit dans l'inscription n'a commencé à être donné aux empereurs que sous Commode. Comme l'inscription mentionne un empereur qui a été trois fois consul, il pourrait s'agir de Septime Sévère, de Caracalla, d'Héliogabale ou bien de Sévère Alexandre, qui tous ont été trois fois consuls[12].

Toutefois, en 1974, François Jacques conclut son étude épigraphique régionale avec « une forte présomption » pour une datation du milliaire en 237, sous Maximin[13]. L'auteur rappelle, au passage, que le nom de Felix a souvent été attribué à cet empereur, ainsi que la formule trib. p. cos. III[14]. Il ajoute, à propos de ce dernier :

« Maximin le Thrace a donc mené une active politique de restauration routière en Aquitaine et en Lyonnaise, et particulièrement chez les Bituriges Cubi ; le coût de ces travaux ne fut sans doute pas étranger à ses exigences fiscales, si peu appréciées des populations civiles de l'Empire[15] »

F. Jacques note aussi que le décalage de distance, inférieure dans chaque direction d'environ 2 km à ce que l'on devrait trouver sur le milliaire, peut s'expliquer par l'emploi de la grande lieue gauloise de 2,415 km (et non pas de celle de 2,223 km).

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Le 29 octobre 1797, Defougères lui donnait « six pieds de hauteur sur vingt un pouces de diamètre », soit environ 1,80 m de hauteur.
    Cf. Auguste Théodore Girardot, « Pose du milliaire d'Allichamps sur la place de Bruères. Procès-verbal de la tournée de l'ingénieur Defougères. Brumaire an 6 [le 29 octobre 1797] », Mémoires de la Société des antiquaires du Centre, vol. 6,‎ , p. 323-328 (ISSN 0755-2092, lire en ligne)
  2. a et b « Borne milliaire en pierre de l'époque gallo-romaine », notice no PA00096747, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Mérimée, ministère français de la Culture
  3. Traduction de Maurice Larguinat, extraite de « IA00011004 », notice no IA00011004, avec les révisions de François Jacques 1974.
  4. Cf. Corpus Inscriptionum Latinarum [13]. Inscriptiones Trium Galliarum et Germaniarum Latinae. Partis secundae. Fasciculus II. Miliaria Galliarum et Germaniarum, éd. par Theodor Mommsen, Otto Hirschfeld, Alfred von Domaszewski, Berlin, Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften, 1907, inscr. 8922 p. 660 (OCLC 490529984) (en ligne) ; repr. 1966 (ISBN 3-11-001408-4).
  5. Pour la localisation des stations antiques en question, et des voies des Bituriges, voir la figure 3 de l'article de François Jacques (p. 283).
  6. D'après la Carte archéologique de la Gaule (Fig. 195), son emplacement original (non indiqué) pourrait être aux environs de 46° 47′ 06″ N, 2° 25′ 27″ E. Dans la figure 195, la zone Nord de la nécropole semble être les Varnes, et la zone Sud le lieu-dit Vieux Cimetière.
  7. En plus de la Carte archéologique de la Gaule (p. 279-284), voir Michel Baillieu et Ulysse Cabezuelo, dans Cahiers d'archéologie et d'histoire du Berry, 98, 1989, p. 30 (ISSN 0007-9693) (cité p. 284). Voir aussi Hervé Barbé et Ulysse Cabezuello, « Bruère-Allichamps. Le Vieux Cimetière et les Varnes [1985-1989] », dans Archéologie de la France - Informations, notice N1997-CE-0030, Nanterre, CNRS (en ligne).
  8. Lucien Fanaud, Voies romaines et vieux chemins en Bourbonnais, Romagnat, De Borée, 2005 [1re éd. 1960], p. 158 (ISBN 2-84494-006-4) (en ligne.
  9. 46° 47′ 00″ N, 2° 25′ 22″ E.
  10. Le procès-verbal de la visite du citoyen Defougères, ingénieur des Ponts et Chaussées, qui a examiné la borne et autorisé le transfert, a été publié : Auguste Théodore Girardot, « Pose du milliaire d'Allichamps sur la place de Bruères. Procès-verbal de la tournée de l'ingénieur Defougères. Brumaire an 6 [le 29 octobre 1797] », Mémoires de la Société des antiquaires du Centre, vol. 6,‎ , p. 323-328 (ISSN 0755-2092, lire en ligne).
  11. D'après la Carte archéologique de la Gaule (Fig. 195), son emplacement original se trouverait aux environs de 46° 48′ 09″ N, 2° 25′ 08″ E.
  12. Cette analyse a été formulée par le compte de Caylus dans le Recueil des antiquités grecques, Recueil d'antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises, Tome III, page 374.
  13. François Jacques, « Inscriptions latines de Bourges (II) », Gallia, vol. 32, no 2,‎ , p. 285 (s. v. Le milliaire de Bruère-Allichamps (C.I.L. XIII, 8922)) (ISSN 2109-9588, lire en ligne)
  14. Fr. Jacques fait référence aux conclusions qu'il tire de l'analyse d'une inscription inédite, CIL 17-02, 00366, ainsi que du milliaire de Trouy CIL 17-02, 00367 (cf. p. 278-285).
  15. Cf. Idem, en référence à une communication de X. Loriot du 3 mai 1972 aux Antiquaires de France.

Littérature modifier

Carte archéologique
Principal recueil d'inscriptions
Édition récente de l'inscription
Complément bibliographique
  • Alphonse Buhot de Kersers, « Canton de Saint-Amand : Bruères-Alichamps », dans Histoire et statistique monumentale du département du Cher, t. VI, Bourges, Impr. Tardy-Pigelet, (OCLC 492052495), p. 93-94
    Extraits réimprimés sous le titre de Aubigny-sur-Nère et ses environs en 1992, dans la collection « Monographies des villes et villages de France », n° 842 (ISBN 2-87760-803-4).
  • Auguste Théodore Girardot (éd.), « Pose du milliaire d'Allichamps sur la place de Bruères. Procès-verbal de la tournée de l'ingénieur Defougères. [le 12] Brumaire, an 6 [= le 2 novembre 1797] », Mémoires de la Société des antiquaires du Centre, vol. 6,‎ , p. 323-328 (ISSN 0755-2092, lire en ligne)
  • Anne Claude de Caylus, Recueil d'antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises, t. III, Paris, Chez Desaint & Saillant, (lire en ligne), p. 371-374 et pl. CII (n° I)
Contexte routier
  • Gérard Coulon, Les Voies romaines en Gaule, Paris, Éd. Errance, coll. « Promenades archéologiques », 2009 1re éd. 2007, 235 p. (ISBN 978-2-87772-386-2). La borne de Bruère-Allichamps est mentionnée au chapitre « Signalisation », aux pages 100, 114 et 120.

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