Éruption de la montagne Pelée en 1902

éruption volcanique en 1902 qui détruisit la ville de Saint Pierre, Martinique

Éruption de la montagne Pelée en 1902
Image illustrative de l’article Éruption de la montagne Pelée en 1902
Cinquième cliché d’une série de six de la nuée ardente du par Lacroix, dans La montagne Pelée et ses éruptions.
Localisation
Pays Drapeau de la France France
Volcan Montagne Pelée
Zone d'activité Cratère sommital et rivière Blanche
Dates Du 23 avril 1902 au 5 octobre 1905 (3 ans, 5 mois et 12 jours)
Caractéristiques
Type d'éruption Phréatique, péléenne
Phénomènes Nuées ardentes, lahars, retombées de cendres, raz-de-marée (5 et 7 mai)
Volume émis 0,14 km3 de laves et 0,2 km3 de téphras
Échelle VEI 4
Conséquences
Régions affectées Nord de la Martinique, Antilles
Nombre de morts environ 30 000

L'éruption de la montagne Pelée en 1902 est une éruption volcanique majeure, la plus meurtrière du XXe siècle, survenue sur l’île française de la Martinique (Antilles), qui a débuté le 23 avril 1902 et s'est poursuivie jusqu'au 5 octobre 1905.

Sa nuée ardente (ou nuage pyroclastique) du reste célèbre pour avoir, en quelques minutes, entièrement détruit ce qui était alors la plus grande ville de la Martinique, Saint-Pierre, tué la quasi totalité de ses habitants avec seulement trois rescapés certifiés (plus de 30 000 personnes sont mortes soit 1/5e de la population de l’île)[a],[1], et coulé une vingtaine de navires marchands. Cette éruption explosive (de niveau 4 sur l'échelle VEI), est la catastrophe la plus meurtrière du XXe siècle en France et l'éruption volcanique la plus meurtrière au monde depuis celle du Krakatoa en 1883. La destruction de la ville et de ses alentours était inévitable, mais ses habitants et de nombreux marins ont été les victimes de décisions politiques et administratives sur instructions ministérielles : refus par le gouverneur de la Martinique, Louis Mouttet, de faire évacuer la ville et de laisser appareiller les navires ancrés dans la rade afin d’assurer le second tour de l'élection législative du .

L’éruption type de 1889-1905 dont la nuée ardente catastrophique du n’était qu’une phase, est une référence fondamentale de volcanologie : c’est la première éruption volcanique qui ait été scrupuleusement étudiée et décrite scientifiquement (par Lacroix, Heilprin, Jaggar, Perret et beaucoup d'autres). Pour désigner ce type d'éruption Lacroix a utilisé l'expression « éruption péléenne » et pour ses événements destructeurs, l'expression « nuée ardente »[b].

De par les conséquences humaines et matérielle de la sous-estimation d'un danger « naturel » imminent, cette éruption montre aussi l'importance de l'évaluation et de la prise en compte par les autorités des risques naturels, et notamment du risque volcanique. La nuée du a encore fait un millier de victimes. L'éruption de 1929-1932 n'en a pas fait, car toute la population du Nord de l'île avait été évacuée à la suite du retour d'expérience des événements précédents.

Cadre et contexte modifier

Saint-Pierre modifier

 
Saint-Pierre avant l'éruption de 1902.

La ville de Saint-Pierre s’étendait en bordure de sa rade bien protégée, sur environ 3 km de long et 400 m de large, au pied du flanc sud-ouest du volcan. Elle était entourée de plusieurs hameaux et villages, le tout étant directement exposé aux effets des éruptions.

 
Saint-Pierre, le Petit Paris des Antilles.

Saint-Pierre, surnommée le Petit Paris des Antilles[c], avait été le chef-lieu de la Martinique jusqu'en 1692 et en était restée jusqu'à l'éruption de 1902 la capitale économique et culturelle. Elle avait une cathédrale, un théâtre, un lycée, un hôpital, une prison, une chambre de commerce, des consulats étrangers, un journal (Les Colonies), etc. Son port, en fait un simple mouillage dans la rade, à environ 100 m du rivage, accueillait de nombreux navires marchands internationaux pour exporter le sucre et le rhum produits dans ses usines.

Volcan modifier

 
Carte de la montagne Pelée avant l’éruption, par Lacroix, in La montagne Pelée et ses éruptions.

Située au milieu de l’arc de subduction des petites Antilles qui compte une dizaine de volcans actifs[2], à l’extrémité nord de la Martinique, la montagne Pelée est un stratovolcan gris calco-alcalin, empilement subconique de blocs et de pyroclastites plus ou moins cimentés, enrobant un axe subvertical d’andésite, racine de deux dômes juxtaposés, celui de 1902 au nord-est et celui de 1929, le sommet le plus élevé : 1 397 m. Les dômes occupent l'est de la demi-caldeira de l’étang Sec, ouverte au sud-ouest vers Saint-Pierre qui s’étend à son pied. Le cône volcanique a une surface d'environ 120 km2. Il est strié par un réseau dense de ravines rayonnantes dont la principale est la rivière Blanche qui part de l’étang Sec et se jette dans la rade, au nord de Saint-Pierre.

L’activité de la montagne Pelée, de type éruptif péléen, est modérée, avec des éruptions peu fréquentes, courtes, relativement faibles et lentes. Cependant, son dynamisme magmatique peut être violent et son évolution, difficilement prévisible.

En éruption, son magma d’andésite à labrador et hypersthène, très gazeux et très visqueux, produit des nuées ardentes par explosions violentes de dégazage, des lahars par pluies de condensation de vapeur d’eau volcanique et vidange d’étangs temporaires, construit des dômes ou des aiguilles plus ou moins vacuolaires instables, mais pas de coulées de lave. En , les scientifiques ont observé « une reprise de certaines formes d'activité sur la montagne Pelée », sans émission de fumerolles[3].

Activité volcanique modifier

La première phase d’activité de l’arc antillais se serait produite il y a 50 à 25 millions d'années (Ma). La phase actuelle aurait débuté vers −5 Ma, d’abord au morne Jacob (environ −5 à −2 Ma), et aux pitons du Carbet (environ −2 à −1 Ma), puis au piton Conil (plus récent que −0,5 Ma).

La montagne Pelée se serait formée il y a environ 300 000 ans sur le bord nord de la dépression de Saint-Pierre entre le morne Jacob et le piton Conil. Lors de l’épisode actuel qui aurait débuté il y a environ 13 500 ans, elle aurait eu une trentaine d’éruptions pliniennes ou péléennes, en groupes alternants plus ou moins longs et nombreux, non cycliques.

Vers 300, le volcan aurait produit une éruption qui aurait freiné le peuplement caraïbe de la Martinique. Peut-être à la suite d’une éruption au XVIe siècle, les Caraïbes auraient appelé le volcan « montagne de Feu ».

Lors de l’arrivée des Français le , le volcan venait de produire une éruption péléenne — dôme dans le cratère sommital, plusieurs nuées ardentes, destruction de la végétation sur toute la surface du volcan d'où la dénomination de « montagne Pelée ».

Depuis, le volcan a eu quatre éruptions documentées en un peu plus de 200 ans : dynamisme phréatique en 1792 et 1851/1854 (paroxysme le ) ; dynamisme magmatique péléen en 1889/1905 (paroxysmes les et ) et 1927/1932 (paroxysme le ).

Chronologie d'événements précurseurs à l'éruption de 1902 dans le cadre de l'éruption de 1889-1905 modifier

 
Aiguille de lave avant son effondrement, image prise en 1903.

Après une accalmie d’une trentaine d’années, l’éruption a débuté en 1889. Ses événements majeurs sont la nuée ardente du et celle plus puissante du . Le volcan est loin de s’être réveillé brusquement et de façon inattendue :

  • 1889, début de l’éruption : fumerolles intermittentes dans l’étang Sec, cratère sommital ;
  •  : permanence et intensification des fumerolles sulfhydriques ; pas d'inquiétude ;
  • mardi  : rupture du câble télégraphique vers la Guadeloupe ;
  • mercredi , début de la phase phréatique : séismes, grondements souterrains, pluie de cendres au sud et à l’ouest sur Saint-Pierre ;
  • vendredi  : nuage de cendres ; en bordure de l'étang Sec, construction d'un cône de pyroclastite ;
  • samedi  : les cendres retombent sur Saint-Pierre et les environs ; pas d'inquiétude ;
  • dimanche  : l'étang Sec se remplit d’eau bouillonnante jaillissant du cône de pyroclastite haut d’environ 15 m ; forte odeur de soufre dans les rues de Saint-Pierre et à 10 km alentour ; premier tour des élections législatives ;
  • mercredi  : dans la ravine Roxelane qui traverse Saint-Pierre et au nord dans celle des Pères, lahars charriant des rochers et des arbres arrachés au sommet ; au nord, les villages du Prêcheur et de Sainte-Philomène sont couverts de cendres ;
  • vendredi à 11 h 30, début de la phase magmatique : séismes, éclairs, violentes détonations ; soleil masqué ; couche de cendres épaisse de plusieurs centimètres sur toute la partie nord de la Martinique ;
  • samedi  : le vent renvoie le nuage de cendres vers le nord, dégageant provisoirement Saint-Pierre ; séismes ; rupture du câble télégraphique vers la Dominique ;
  • dimanche  : retour et intensification des chutes de cendres ; toutes les ravines sont en crue ; coupures des routes vers le nord ; début d’affolement et de départs ;
  • lundi  : le matin, calme apparent du volcan ; chassés des hauts par l’eau et les cendres brûlantes, à l’embouchure de la rivière Blanche, invasion de l’usine Guérin par des myriades de fourmis (fourmis-fous) et de scolopendres (bêtes-mille-pattes) venimeux, et dans les rues de Saint-Pierre, invasion de serpents fer-de-lance dont la morsure est mortelle — environ 50 personnes et plus de 200 animaux tués[4] ; ensuite, le débordement de l’étang Sec produit un lahar dans la rivière Blanche qui ensevelit l’usine Guérin sous plus de 6 m de boue brûlante — 23 victimes[A 1] —, provoque un tsunami inondant les bas-quartiers de Saint-Pierre, coulant un navire au mouillage[5] et coupant toutes les liaisons télégraphiques avec les îles voisines ; rupture du réseau électrique surchargé par les cendres humides ;
  • mardi  : début de la formation du dôme au bord de la caldeira de l'étang Sec ; expulsion explosive continue de cendres incandescentes ; pluies torrentielles (condensation de la vapeur d’eau) et lahars dans toutes les ravines ; rade couverte d’un épais tapis de cendres, ponces et débris végétaux ;
  • mercredi  : calme apparent, car l’obstruction du cratère par le dôme en surrection bloque l’expulsion des gaz et des pyroclastites, préparant l’explosion finale du bouchon du cratère, sous l’énorme pression de dégazage du magma ;
  • nuit du 7 au  : d'intenses orages provoquent des coulées de boue ; entre 3 et 4 heures du matin, elles dévalent les pentes et touchent Macouba, Basse-Pointe et Grand'Rivière ; celle qui fait déborder la rivière du Prêcheur cause la mort de 400 personnes au Prêcheur ; cet événement étant survenu très peu de temps avant le paroxysme, son information ne sera pas diffusée[A 2].

Éruption paroxystique et catastrophe du 8 mai 1902 modifier

Jours précédant le 8 mai à Saint-Pierre modifier

Les effets sans victimes, en grande partie limités aux alentours du cratère[6], des éruptions phréatiques de 1792 et 1851/1854 étaient connus mais vus comme des curiosités pittoresques[d]. Il en est ainsi jusqu’au , jour du premier tour de l’élection législative.

  • À partir du , les événements inquiétants se succèdent, mais en pleine campagne électorale, l’administration veut que le second tour de l’élection — prévu le 11 mai[A 3] — se passe normalement. Les personnalités de la ville se partagent en partisans et adversaires de l’évacuation de la ville selon leurs opinions politiques, et le journal Les Colonies ne publie pas d’article alarmant sur le comportement du volcan ;
  •  : inspection du gouverneur Louis Mouttet ; consignation de la troupe mise en état d’alerte ; nombreuses confessions dans la cathédrale et les églises ;
  •  : information du ministère à Paris et demande d’instructions par le gouverneur ; annulation d’une excursion sur le volcan ;
  •  : début de panique à la suite de la destruction de l’usine Guérin ; nouvelle inspection du gouverneur et nomination d’une commission d'étude ; afflux de réfugiés des alentours ;
  •  : plus d’électricité et pénurie de nourriture ; maintien de l’ordre par la troupe ; déclaration rassurante du maire ; départs d’habitants refoulés par la troupe sur la route de Fort-de-France ;
  •  : dernier numéro du journal Les Colonies consacré à l’éruption et aux élections ; avis scientifique rassurant sur l’évolution de l’éruption[e] ; retour du gouverneur accompagné de son épouse pour rassurer la population ; interdiction aux navires d’appareiller, mais le navire napolitain Orsolina y contrevient sous menaces d’arrestation de son commandant le capitaine Ferrata, qui réplique aux douaniers le menaçant de lourdes sanctions : « Qui me les appliquera ? Demain, vous serez tous morts. »[7],[8] Ce navire sera le seul de tous ceux qui se trouvaient dans la rade à avoir échappé à la catastrophe en partant avant.

Nuée ardente dévastatrice modifier

 
Carte des zones ravagées par les nuées ardentes du 8 mai (gris foncé) et du 30 août (gris clair).

Le jeudi , jour de l'Ascension, une explosion se produit dans le cratère de l’étang Sec, dont le flanc est largement échancré depuis la coulée du . Un souffle puissant, suivi en trois minutes par un immense nuage pyroclastique, la nuée ardente, bloquée vers le nord et l’est par la falaise de la caldeira et le dôme, emprunte la brèche de l’étang Sec vers la rivière Blanche, déferle à plus de 500 km/h sur la ville et, à h 52[f] la détruit en grande partie en moins de deux minutes, incendiant les navires ancrés dans la rade.

L’explosion du bouchon provoque un embrasement du cratère et une onde de choc atmosphérique supersonique (environ 450 m/s, 30 hPa de surpression instantanée) ; puis une épaisse émulsion brûlante (environ 1 000 °C)[g] de gaz, d’eau et d’éléments solides en suspension s’échappe d’une bouche au pied du dôme, produisant un panache noir en forme de champignon haut de plus de 4 km au-dessus du volcan, visible à plus de 100 km à la ronde ; il s’effondre sur lui-même et la nuée descendante axée sur la rivière Blanche, couvre de boue, de blocs et de cendres une zone triangulaire définie par étang Sec, Le Prêcheur et Saint-Pierre, de plus de 40 km2[h] et s’arrête au milieu de la rade à plus de 1 500 m du rivage[i].

 
Saint-Pierre en ruine après la nuée ardente.

Des incendies et des lahars aggravent les destructions. Selon l’endroit où elles se trouvent dans la zone ravagée par la nuée ardente, les 30 000 victimes[9],[A 4] succombent à l’onde de choc atmosphérique, à l’inhalation de gaz brûlants, à de profondes brûlures, à des chutes de blocs volcaniques, à des écroulements de bâtiments… Le gouverneur Louis Mouttet et son épouse Hélène de Coppet périssent dans la catastrophe. Il y a trois survivants parmi les habitants de Saint-Pierre : Louis-Auguste Cyparis et Léon Compère qui doivent leur salut à la solidité ou à l’éloignement des bâtiments qu’ils occupent, mais sont gravement brûlés, et Havivra Ifrile, une fillette qui est dans la barque avec son frère et qui est sauvée par le croiseur Suchet. Il s'agit de la catastrophe la plus meurtrière du XXe siècle en France et l'éruption volcanique la plus meurtrière au monde depuis celle du Krakatoa en 1883.

 
Panorama des ruines de Saint-Pierre après l'éruption.

Premier secours venant de Fort-de-France, ce navire se présente à l’entrée de la rade à 12 h 30, mais la chaleur l'empêche d'y entrer avant 15 h ; il peut secourir des marins et des passagers du navire marchand Roraima puis des autres navires[10] en feu au mouillage dans la rade ; la plupart sont morts à terre, une vingtaine ont survécu.

Rescapés modifier

 
Cyparis, un des seuls rescapés de l'éruption.

À Saint-Pierre, dans la zone urbaine ravagée par la nuée ardente, il n’y eut que trois rescapés recensés :

  • Louis-Auguste Cyparis, un ouvrier de 27 ans, enfermé dans le cachot de la prison de Saint-Pierre pour avoir participé à une rixe meurtrière dans un bar — le cachot aux murs très épais, n'avait qu’une étroite ouverture sur sa façade opposée au volcan[A 5]. Il en fut extrait le . Bien qu'horriblement brûlé, il survécut, fut gracié et devint célèbre comme « l'homme qui a vécu le jour du Jugement dernier » au cours d’une tournée aux États-Unis du « plus grand spectacle au monde » du cirque Barnum and Bailey's ; il fut le premier Noir célèbre dans le monde du spectacle aux États-Unis[réf. nécessaire][11] ;
  • Léon Compère dit Léandre, jeune et robuste cordonnier qui vivait dans un bâtiment aux murs épais situé en bordure de la zone dévastée[A 5] ;
  • Havivra Da Ifrile, petite fille échappée in extremis sur la barque de son frère, et recueillie en mer par le Suchet[12],[13],[14],[15].

Au mouillage dans la rade, sur le Roraima puis sur les autres navires en feu, des marins et des passagers ont été secourus par le Suchet ; la plupart moururent à quai, seule une vingtaine survécut.

Aide aux sinistrés et réfugiés modifier

 
Un groupe de réfugiés rue du Pavé, à Fort-de-France, à la suite de l'éruption de la montagne Pelée en 1902.

La plupart des quelque 22 000 rescapés des communes environnantes se réfugient à Fort-de-France où ils trouvent le dénuement et l'insécurité. Le gouverneur intérimaire G. Lhuerre décide de les renvoyer chez eux dès le  ; mais les routes vers le nord sont impraticables ; pour les inciter néanmoins à partir, il décide qu’ils ne recevront plus aucun secours en nature après le [16].

Dès le , un comité officiel d'assistance et de secours aux victimes est créé et une souscription nationale est ouverte par le ministre des Colonies. Ainsi, quelques fêtes semblent être organisées au profit des sinistrés de la Martinique par les sociétés locales comme c'est le cas à Orléans le [17]. À sa dissolution, en 1904, le comité avait récolté près de 10 millions de francs-or.

À l’étranger, les États-Unis, les plus proches des Antilles, interviennent les premiers : le président Theodore Roosevelt fait voter par le Congrès un crédit de 200 000 dollars (environ un million de francs or), pour l'achat de 1 250 tonnes de vivres, médicaments…, apportés par le croiseur Dixie parti de New York le et arrivé le  ; un crédit supplémentaire de 300 000 dollars est ensuite alloué aux sinistrés.

 
Affiche pour une représentation de bienfaisance au profit des sinistrés.

En Europe, le Royaume-Uni, l’Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Russie… participent à cette aide humanitaire pour en moyenne 5 000 dollars chacun.

Poursuite de l'éruption jusqu'en 1905-1910 modifier

Il y eut huit nuées entre le et le , puis d’autres de moins en moins violentes, une soixantaine au total jusqu’à fin 1903. L’épaisseur cumulée des couches de cendres qu’elles ont déposé a dépassé 3 m (rue Levassor déblayée).

  •  : éruption plus violente que la première ; retombées de cendres sur toute l’île ; achèvement des destructions ; quelques victimes, des pillards ; appelée « éruption sanitaire », car les cendres recouvrant les cadavres empêchèrent leur décomposition ;
  • , ,  : nuées analogues ;
  •  : nuée beaucoup plus étendue vers le sud et l'est — accroissement de la surface détruite à 60 km2 environ. Moins explosive et moins brûlante (moins de 120 °C - fonte du soufre), ses éléments incandescents incendièrent néanmoins la végétation et les habitations et de ce fait fit environ 1 400 victimes[9] dont au moins 800 au Morne-Rouge, 250 à L'Ajoupa-Bouillon, 25 à Basse-Pointe et 10 au Morne Capot, car aucune disposition n'avait été prise pour évacuer les habitants ;
  • De à , surrection de l'aiguille filée par une crevasse du dôme ; écroulements successifs aux départs des nuées ; hauteur maximale atteinte par l'aiguille : 310 m environ ; nuées ardentes importantes jusqu'en , s'élevant jusqu'à 4 000 m[A 6].
  • Après et jusqu'en 1910, quelques fumerolles et lente surrection du dôme ; extinction apparente.

Analyse des causes de la catastrophe de 1902 modifier

Comme toutes les catastrophes dites « naturelles », celle-ci a eu deux causes, l’une naturelle — la nuée ardente irrépressible, aux effets inévitables, mais qui auraient pu n'être qu’écologiques et matériels — et l’autre humaine — la décision de ne pas faire évacuer la ville et de ne pas autoriser le départ des navires à l’ancre, dont la conséquence a été la mort de la population et de celle des marins et passagers.

 
Louis Mouttet, gouverneur de la Martinique de 1901 à 1902.

On savait évidemment que les éruptions volcaniques étaient susceptibles de provoquer des catastrophes et on en connaissait les effets décrits à propos de celles du Vésuve (79, 1631) du Lakagígar (1783), du Krakatoa (1883)… Mais on ignorait pratiquement tout du déroulement, ainsi que de la nature et de la contingence des événements dangereux : le , 150 km plus au sud, une nuée ardente de l’éruption en cours de la soufrière de Saint-Vincent avait fait près de 2 000 victimes malgré l’évacuation de la population exposée ; à Saint-Pierre, les autorités et en premier lieu le gouverneur Louis Mouttet, en poste depuis 1901, le savaient, mais n’en ont pas tiré la leçon qui s’imposait ; les géologues et journalistes américains arrivés sur place le avec le Dixie furent stupéfiés par l’aspect, la nature et l’ampleur des destructions.

Risque naturel inconnu, sous-estimé, négligé ? Quoi qu’il en soit, c’est bien pour assurer le déroulement du second tour de l’élection législative que les autorités politiques et administratives ont empêché l'évacuation de Saint-Pierre, cause humaine qui a provoqué la catastrophe humanitaire.

Conséquences modifier

Sociales, politiques et économiques modifier

Les conséquences sur la vie sociale, politique et économique de la Martinique furent considérables : Fort-de-France, déjà chef-lieu administratif, devint la ville principale de l’île et il ne resta de Saint-Pierre qu’un gros village agricole ; l'orphelinat de l'Espérance fut créé à Fort-de-France pour accueillir de nombreux enfants ; une partie de la population sinistrée fut relogée dans d'autres villes de la Martinique, sur la côte nord-atlantique et dans le Sud de l'île. D'autres partirent pour la Guadeloupe, Sainte-Lucie, Trinidad, la Guyane, le Panama, le Venezuela

 
Vue générale de Saint-Pierre.

Saint-Pierre redevient une commune en 1923 et la ville commence alors à renaître de ses cendres. Elle est progressivement reconstruite (la chambre de commerce est reconstruite à l'identique et devenue une antenne locale de la Chambre de commerce et d'industrie de la Martinique).

 
Vue du centre-ville de Saint-Pierre depuis le large.

L'ensemble de la ville est labellisée Ville d'Art et d'Histoire en 1990 par le ministère de la Culture et de la Communication. De ce fait, l'activité de Saint-Pierre est basée essentiellement sur le tourisme et notamment sur la plongée, le port présentant de nombreuses épaves de navires.

Naissance de la volcanologie scientifique modifier

Avant cette catastrophe, la volcanologie[j] n’était qu’une branche mineure de la géologie. Elle devint une science à part entière à la suite des nombreuses observations que firent sur place de nombreux géologues et aux comptes-rendus qu’ils publièrent.

Le , avec les premiers secours, le Dixie amena aussi sur place plusieurs géologues, Heilprin, Hovey, Jaggar… pour étudier l’événement ; Lacroix arriva sur place le et en repartit le 1er août. Aucun d’entre eux n’avait pu assister à une nuée ardente et ils donnèrent diverses interprétations différentes du phénomène en cause.

Revenu précipitamment après le second désastre du , Lacroix effectua l’étude détaillée de plusieurs nuées auxquelles il assista jusqu’en  ; il en décrivit de façon détaillée la forme et le comportement, expliqua l’origine et la raison de leur dangerosité et produisit le premier rapport de vulcanologie scientifique publié pour le grand public par Masson sous le titre La montagne Pelée et ses éruptions.

Perret fit ensuite l’étude complète de l’ensemble de l’éruption de 1929/1932, en a dressé la carte détaillée et a créé l’observatoire du Morne des Cadets.

Effets sur la nature modifier

L’éruption a également ravagé la végétation et la plus grande partie de la faune dans la zone affectée par les nuées successives ; en particulier, on lui attribue la disparition du rat musqué de la Martinique[18].

Éruption de 1929-1932 modifier

Les effets de cette éruption magmatique, un peu moins violente mais plus durable, ont été limités aux destructions matérielles, car on avait pris la précaution d’évacuer toute la population du Nord de l’île, en utilisant la carte de risque levée par Perret et ses observations depuis le morne des Cadets où il établit ensuite l’observatoire qui assure toujours la sécurité du Nord de l’île.

  • fin août : grondements et fumerolles acides ;
  •  : explosions ; panique à Saint-Pierre ;
  • mi-octobre : intensification des explosions de plus en plus violentes ; évacuation de la population ;
  • mi-novembre : début des nuées ;
  •  : nuée la plus violente ; début de la surrection du second dôme ;
  • 1930/1932 : diminution progressive de l’activité ; début de l’assoupissement actuel.

Visites à Saint-Pierre modifier

  • Commémorations :
    • Monument (derrière la cathédrale reconstruite) ;
    • Statue de Frank Perret (à l’entrée sud de la ville).
  • Musées :
    • La maison des volcans : photographies, articles de journaux ;
    • Musée Franck-A.-Perret : objets, gravures, photographies, témoignages
  • Ruines :
  • Épaves de navires coulés : une douzaine d’épaves, la Gabrielle, le Roraima, le Dalia, le Diamant, le Tamaya échouées dans la rade par plus de 100 m de fond, constituent un site d’archéologie sous-marine et de plongée.
  • Observatoire du Morne des CadetsFond-Saint-Denis) : installé par Perret pour surveiller le volcan ; panorama de l’ensemble du site.

Les différentes ruines et les épaves des navires coulés lors de l'éruption ont fait l'objet d'une demande de classement au patrimoine mondial de l'UNESCO. La décision n'est pas encore prise[réf. nécessaire].

Voir aussi modifier

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Bibliographie modifier

  : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Alfred Lacroix, La Montagne Pelée et ses éruptions, Masson et Cie, Paris, 1904. 
  • (en) Angelo Heilprin, The eruption of Pelée : a summary and discussion of the phenomena and their sequels, Philadelphie, Geographical Society of Philadelphia, , 90 p. (LCCN 08017912, lire en ligne).  
  • Frank A. Perret, The Eruption of Mt Pelée - 1929-1932, Carnegie Institution of Washington, 1935.  
  • D.Waestyercamp et H. Tazieff, Martinique – Guadeloupe ; Guides géologiques régionaux, Masson, Paris, 1980, p. 20-22, 35-40.  
  • T. A. Lewwis et autres, Les Volcans – collection La planète Terre, éditions Time-Life, Amsterdam, third french printing, 1983, p. 18-37.  
  • Simone Chrétien et Robert Brousse, La Montagne Pelée se réveille : Comment se prépare une éruption cataclysmique, Paris, Boubée, (1re éd. 1988), 243 p. (ISBN 2-85004-057-6).  
  • J. M. Bardintzeff, Volcanologie, Masson, Paris, 1992, p. 113-115.  
  • J.-C. Tanguy, The 1902-1905 Eruptions of Montagne Pelée, Martinique: Anatomy and Retrospection. J. Volcanology and Geothermal Research 60, 1994, p. 87-107.
  • Patrice Louis, 1902 au jour le jour La chronique officielle de la catastrophe racontée par les acteurs de l'époque, Ibis Rouge Éditions (ISBN 2-84450-135-4).
  • Claude Rives et Frédéric Denhez, Les Épaves du volcan, (ISBN 2-7234-2462-6).
  • (en) Angelo Heilprin, The Tower of Pelée : New Studies of the Great Volcano of Martinique, Philadelphie, Londres, J. B. Lippincott Co., , 62 p. (lire en ligne).
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  • « La Catastrophe de la Martinique », Le Tour du monde, nouvelle série, vol. 8,‎ (lire sur Wikisource)
  • Gerrit Verschuur, « Aux Pays dévastés : la Martinique et Saint-Vincent », Le Tour du monde, nouvelle série, vol. 9,‎ (lire sur Wikisource)
  • Lambolez Charles, Saint-Pierre – Martinique 1635-1902 : Annales des Antilles françaises : journal et album de la Martinique naissance, vie et mort de la cité créole, Paris, Berger Levrault et Cie, , 519 p. (lire en ligne).
  • Césaire Philémon, La Montagne Pelée et l’effroyable destruction de Saint-Pierre (Martinique) le 8 mai 1902 : le brusque réveil du volcan en 1929, Paris, Impressions Printory, , 211 p. (lire en ligne).
  • Césaire Philémon, Galeries martiniquaises : populations, mœurs, activités diverses et paysages de la Martinique, Paris, Exposition coloniale internationale, , 430 p. (lire en ligne).
  • William Dufougeré, Madinina « Reine des Antilles ». Études de mœurs martiniquaises, Paris, Éditions Berger-Levrault, , 258 p. (lire en ligne).
  • Francis Drouet, Notes sur la Martinique, Rouen, Imprimerie E. Cagniard, (lire en ligne).

Vidéographie modifier

Musique modifier

  • La Chandelle (paroles en créoles à base lexicale française), d'Eugène Mona, 1975 [19]
  • Moin ka douté(cpf), d'Eugène Mona, 1976 [20]. Dans la première chanson, le chanteur évoque les mœurs de la ville d'avant éruption et dans la deuxième, il explique pourquoi Saint-Pierre n’a jamais retrouvé son éclat.

Littérature modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Aucun décompte, estimation.
  2. Lacroix : « Coulée à pyroclastites chaudes formées de deux parties : une partie basale dense qui épouse le relief, et un nuage de cendres superficiel qui masque la précédente » — les volcanologues disent maintenant « déferlante », « avalanche » ou « coulée pyroclastique, turbulente » ou « gravitaire ». Le terme nuvem avait été utilisée pour une éruption aux Açores en 1808.
  3. Et aussi : Petit Paris, Paris des Isles, Perle des Antilles, Venise tropicale.
  4. En août 1851, M. Leprieur, pharmacien de l'hôpital de Fort-de-France, responsable de la commission d'étude des manifestations du volcan, déposa un rapport concluant que « le volcan de la Montagne Pelée ne parait devoir être qu'une curiosité de plus ajoutée à l'histoire naturelle de notre Martinique… Par temps calme, des navires qui arrivent de France et qui voient onduler au loin ce long panache de fumée blanche qui s'élève vers le ciel, doivent trouver que c'est une décoration pittoresque ajoutée au pays et le complément qui manquait à la majesté de notre vieille Montagne Pelée ».
  5. « La montagne Pelée ne présente pas plus de danger pour Saint-Pierre que le Vésuve n’en offre pour Naples – déclaration malvenue de savants stupides. »
  6. h 52 : coupure de la ligne télégraphique vers Fort-de-France.
  7. 1 000 °C : température estimée entre les fontes du verre (700 °C) et du cuivre (1 084 °C)– voir la photo « Musée Frank Perret : bourdon de la cathédrale déformé par la chaleur ».
  8. Estimation variable selon les effets pris en compte.
  9. Histoire du Belem, [1] : le Belem, arrivé du Havre peu avant l'éruption, doit son salut au fait qu’il n’avait pas été autorisé à entrer dans la rade, car son poste habituel était occupé par le Tamaya, interdit d’appareillage. Il subit néanmoins une pluie de ponces, de cailloux et de cendres qui occasionnent des avaries dans ses œuvres vives, mais il peut reprendre la mer quelques semaines plus tard.
  10. Le terme vulcanologie a été pratiquement le seul utilisé jusque vers les années 1970 ; volcanologie est maintenant recommandé par l’Académie des sciences.

Références modifier

  1. Le bilan humain de l’éruption de la Montagne Pelée a-t-il été aggravé par la tenue des élections à Saint-Pierre ?, Jean-Marc Party, FranceTélévisions, 08 mai 2019
  2. Les Petites Antilles, des volcans et des séismes IPGP, consulté le 4 novembre 2020
  3. Montagne Pelée : vigilance jaune pour activité volcanique en augmentation France tv, 4 décembre 2020
  4. Maurice Joseph-Gabriel, Martinique, terre d'éden, Éditions Roudil, , p. 43.
  5. Tsunamis d’origine volcanique p11 BRGM, janvier 2005
  6. Frédéric Denhez, Apocalypse à Saint-Pierre, la tragédie de la montagne Pelée, Larousse, 2007 (ISBN 978-2-03-583342-6).
  7. « Deux montagnes meurtrières - Les 2 villes avant - et après la catastrophe », sur http://etabs.ac-martinique.fr (consulté le ).
  8. « 8 mai 1902, la catastrophe de la montagne Pelée », sur http://3mats.net (consulté le ).
  9. a et b Jacques-Marie Bardintzeff, Connaître et découvrir les volcans, Genève, Suisse, Liber, , 209 p. (ISBN 2-88143-117-8), p. 164.
  10. Il y avait 18 bateaux au mouillage avec leurs équipages et des voyageurs sur un cargo mixte et un caboteur. Ont échappé à la catastrophe : le Belem qui n'avait pas pu faire escale, l'Orsolina qui était parti à temps malgré l'interdiction imposée par le règlement portuaire et le Roddam, navire britannique mouillant plus au large. Ceux qui ont coulé : le Diamant (caboteur), la Fusée (remorqueur), le Roraima (cargo mixte), le Grappler (cablier), le Teresa lo Vico, le Sacre Cuore, le Nord-America, la Mara di Pompeï, le Tamaya, la Clementina, la Gabrielle, le R.J. Morse, le Korona, le Biscaye, l'Arama, l'Amélie (voiliers)...
  11. Jacques Rouzet, Les grandes catastrophes en France, Ixelles éditions, 2009.
  12. Jacques-Marie Bardintzeff, Connaître et découvrir les volcans, Genève, Liber, .
  13. (en) Christian Flaugh, Operation Freak: Narrative, Identity, and the Spectrum of Bodily Abilities, McGill-Queen's Press - MQUP, 2012, page 239.
  14. (en) Florin Diacu, Megadisasters: The Science of Predicting the Next Catastrophe, Princeton University Press, 2010, page 45.
  15. (en) Michael Woods, Mary B. Woods, Volcanoes, Lerner Publications, 2006, page 29.
  16. Apocalypse à Saint-Pierre-Frédéric Denhez.
  17. « Fête en faveur des sinistrés de la Martinique », Journal du Loiret, no 153,‎ , p. 2 (lire en ligne)
  18. Liste rouge de l'UICN, « Megalomys desmarestii », sur http://www.iucnredlist.org/, UICN, (consulté le ).
  19. « Buzzistwa #18 L’éruption « surprise » de saint-Pierre (1902) », buzzmagmartinique.com, (consulté le )
  20. « E oui Sen Piè té bel mé… », buzzmagmartinique.com, (consulté le )