Wikipédia:Comment écrire sur les peuples racisés ou colonisés

Les représentations inexactes des peuples racisés ou anciennement colonisés peuvent porter atteinte à la dignité de ces peuples, et ajouter, aux violences historiques qu'ils ont subis, une violence épistémique. Il convient donc d'être particulièrement vigilant dans le traitement de ce type de sujets.

Les articles de la Wikipédia francophone souffrent quelquefois de biais occidentalocentrés qui s'expliquent par plusieurs facteurs : manque de connaissances des rédacteurs ou des rédactrices évoquant des thèmes qui leur sont peu familiers ; mauvais choix de sources ; promotion d'un agenda politique en dépit des sources fiables (appelée POV-pushing).

Compte tenu de la proportion très faible, dans la Wikipédia francophone, des articles centrés sur les groupes racisés, une image négative ou hostile de ces groupes y acquiert plus de poids qu'une image négative d'un groupe non-racisé. Ainsi par exemple, il y a 117 millions d'habitants en Éthiopie, et un Portail:Éthiopie de 3700 articles, à mettre en parallèle avec les 67 millions d'habitants en France, et un Portail:France de 416 000 articles (en janvier 2023). Le nombre d'articles consacrés à l'Asie, à l'Afrique et à l'Océanie réunis n'atteint pas le nombre d'articles consacrés à la France seule[1].

Voici quelques aspects de la rédaction encyclopédique qui, pris en considération, aident à éviter les stéréotypes racistes ou colonialistes, ou à identifier les contenus problématiques dans Wikipédia.

Choix de sources récentes modifier

Les recherches sur les peuples autrefois colonisés évoluent à un rythme rapide. Elles ont longtemps été dominées par l'historiographie coloniale, qui servait les intérêts des colonisateurs[2]. Par conséquent, plus la source est ancienne, plus elle risque de véhiculer l'idéologie des anciens empires coloniaux.

Wikipédia:Sources fiables indique que « si des publications plus récentes et fiables existent, elles doivent être préférées aux sources anciennes ». Cette recommandation est d'une pertinence particulière lorsque l'on évoque les peuples non occidentaux et / ou racisés. Il convient de se situer, si possible, en-deçà même de la « période de 30 à 40 ans » donnée dans Wikipédia:Sources fiables comme une limite de péremption des sources.

Présentation historique modifier

Évoquer les mutations sociales modifier

Lorsque l'on écrit sur des sociétés racisées, il est judicieux de se demander si l'on a rendu compte de transformations au sein de ces sociétés, plutôt que, seulement, de « coutumes » que l'on est bien en peine de dater, et que l'on présente, faussement, comme éternelles.

Les représentations essentialistes des groupes humains affectent plus souvent les peuples anciennement colonisés. L'anthropologie centrée sur ces peuples est née dans un contexte colonial ; ses premières descriptions plaçaient hors du temps des sociétés dites traditionnelles, les enfermant dans une image de sociétés primitives, ignorant les dynamiques internes qui les parcourent[3]. Il convient d'être en garde contre des représentations de ce type qui «traînent» dans Wikipédia et qui forment le terreau du racisme.

Évoquer la colonisation modifier

Il est souhaitable de se demander si l'on a accordé à la donnée historique de la colonisation la même attention que celle que lui accordent les sources récentes sérieuses.

Des articles Wikipédia font l'objet d'un ripolinage consistant à invisibiliser la colonisation et à remplacer par exemple, malgré les sources, « colons » par « immigrants » ou « habitants ». Le fait de passer sous silence la résistance des colonisés ou de présenter cette résistance, contre les sources notables, comme une violence barbare sans cause politique, relève de la même entreprise de lissage favorable aux colonisateurs. Ces modifications sont contraires à la règle de neutralité.

Localisation géographique modifier

Il est souhaitable de se munir de cartes et de situer les faits précisément dans l'espace. Les généralisations qui étendent abusivement à des vastes territoires un trait social localisé indiquent une « vision de loin » qui est celle de wikipédistes étrangers à la société dont ils parlent.

On peut s'adresser à Wikipédia:Atelier graphique/Cartes pour créer, améliorer, traduire des cartes.

Désignations d'un groupe modifier

Il est important de se référer aux sources sérieuses pour connaître les enjeux liés aux noms des groupes humains. Le nom usuel utilisé pour désigner un groupe n'est pas toujours celui que ce groupe lui-même s'est choisi. Il faut alors rendre compte de l'histoire des noms de tel ou tel peuple ou de son territoire, et des controverses associées aux diverses désignations.

Éviter l'ethnocentrisme modifier

Un biais commun consiste à se représenter comme étant la norme, tandis que des personnes issues d'autres cultures ou présentant d'autres phénotypes que le sien seraient l'exception. Or cette « normalité » ou « exceptionnalité » ne vont pas de soi. On trouvera un exemple dans un cheveu crépu qui a pu être opposé au « cheveu classique » [1] (les cheveux lisses, ondulés et frisés, autres catégories utilisées par les coiffeurs n'ayant au passage pas retenu l'attention). Une méta-revue sur les cheveux bouclés relève que ces phénotypes ne sont pas propres aux Africains, même s'ils y sont plus représentés, et surtout que c'est un phénotype majoritaire, le cheveu lisse ou raide étant l'exception[4].

Supprimer les catégorisations racistes et colonialistes modifier

Si vous trouvez des contenus douteux dans Wikipédia, n'hésitez pas à les enlever.

Exemples modifier

Voici quelques exemples de types d'énoncés dont il convient de vérifier la pertinence dans les sources récentes et solides :

  • L'insistance sur les caractéristiques physiques : le racisme scientifique a hypertrophié la description physique des peuples, c'est une bonne raison de se méfier des descriptions centrées principalement sur les corps des personnes racisées[5],[6].
  • L'insistance sur les pathologies : le racisme scientifique et l'eugénisme, abordant certains groupes sous l'angle médical, ont puissamment contribué à la pathologisation des groupes racisés[7],[8].
  • L'insistance sur les conflits ethniques et les divisions tribales sans contextualisation politique est un autre trait récurrent des discours ethnicisants et colonialistes. L'historien François-Xavier Fauvelle, spécialiste de l'Afrique, professeur au collège de France, dénonce le recours abusif à des catégories comme celles des « races », des ethnies, et des groupes linguistiques qui selon lui « polluent » l'historiographie européenne de l'Afrique[9]. Il dévoile le travail de construction, dans certains travaux savants, d'identités ethniques présentées comme originelles[10]. Selon Érik Orsenna et N. Normand, cette vision ethnicisée de l'Afrique a servi la politique coloniale dans la mesure où elle présente une Afrique tribale déchirée par des conflits interminables, que l'homme blanc viendrait pacifier et civiliser[11].
  • L'opposition de l'arriération, la saleté, la violence, la barbarie, la corruption des groupes racisés versus la modernité, l'hygiène, la modération, la civilisation, la probité des groupes non-racisés, sans contextualisation historique et politique[12]. Ce type d'opposition a longtemps légitimé des entreprises coloniales présentées comme «civilisatrices»[12].
  • L’insistance sur le manque, l'absence, la faiblesse et autres traits négatifs lorsque l'on évoque l'économie ou les infrastructures d'un pays. Ce type de focalisation s'inscrit dans une dynamique ethnocentriste du développement, qui présente l'Occident comme modèle à imiter, voire à rattraper. Il est naturel toutefois d'indiquer ces absences lorsque les sources relèvent qu'elles influent de façon négative sur le développement d'un pays souhaitant s'inscrire dans ce modèle.

POV-pushing iconographique modifier

Il convient de prendre garde aux images qui véhiculent des stéréotypes. Le POV-pushing iconographique est un moyen facile dans Wikipédia de faire passer un message hostile aux groupes marginalisés et de perpétuer des clichés racistes.

Les images anciennes sont, comme les sources textuelles anciennes, suspectes — ayant partie liée avec un passé colonial, et ayant servi dans un certain nombre de cas à des fins de propagande ou de légitimation d'entreprises d'assujettissement —[13] ; aussi, il est nécessaire de vérifier leur pertinence encyclopédique, et de les contextualiser sources à l'appui.

Voir aussi modifier

Références modifier

  1. En janvier 2023, le Portail:France compte 416 000 articles, soit plus que le Portail:Asie (218 000 articles), le Portail:Afrique (138 000 articles), et le Portail:Océanie (43 000 articles) réunis.
  2.  « Une discipline, l’histoire coloniale, incarnait la « gloire de l’empire » et, par conséquent, cette culture ambiguë faite d’un mélange détonnant d’images de conquête, de répression, de guerres coloniales, de paternalisme et de gestes humanitaires", DULUCQ Sophie, COQUERY-VIDROVITCH Catherine, FREMIGACCI Jean et al., « L'écriture de l'histoire de la colonisation en France depuis 1960 », Afrique & histoire, 2006/2 (vol. 6), p. 235-276. DOI : 10.3917/afhi.006.0235. URL : https://www.cairn.info/revue-afrique-et-histoire-2006-2-page-235.htm
  3. Naepels Michel, « Anthropologie et histoire : de l'autre côté du miroir disciplinaire », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2010/4 (65e année), p. 873-884. DOI : 10.3917/anna.654.0873. URL
  4. The what, why and how of curly hair: a review#3. Conclusion on review of current research The Royal Society publishing, 2019, DOI 10.1098/rspa.2019.0516.
  5. https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/07/01/delphine-peiretti-courtis-les-prejuges-raciaux-perdurent-car-la-science-a-tente-de-les-prouver-pendant-pres-de-deux-siecles_6086571_3224.html
  6. PEIRETTI-COURTIS Delphine, « Introduction. L’ère du préjugé racial est-elle achevée ? », dans : , Corps noirs et médecins blancs. La fabrique du préjugé racial, XIXe-XXe siècles, sous la direction de PEIRETTI-COURTIS Delphine. Paris, La Découverte, « Sciences humaines », 2021, p. 5-10. URL : https://www.cairn.info/corps-noirs-et-medecins-blancs--9782348045011-page-5.htm
  7. BENTOUHAMI-MOLINO Hourya, SIBERTIN-BLANC Guillaume, « Racial States. Retour sur la production raciale des États », Tumultes, 2015/1 (n° 44), p. 85-101. DOI : 10.3917/tumu.044.0085. URL : https://www.cairn.info/revue-tumultes-2015-1-page-85.htm
  8. Monia O'Brien Castro. « L’atavisme des Noirs comme pierre angulaire d’un discours raciste et propagandiste à l'encontre des « gangs » britanniques contemporains ». Minorités et société, L'Harmattan; Collection « Racisme et Eugénisme », pp.73-100, 2020, lire en ligne
  9. « Un autre regard sur l’histoire de l’Afrique », sur CNRS Le journal (consulté le )
  10. Alban Bensa, « La fabrique du sauvage », sur En attendant Nadeau, (consulté le )
  11. Érik Orsenna et Nicolas Normand, Le grand livre de l'Afrique: Chaos ou émergence au sud du Sahara ?, Eyrolles, (ISBN 978-2-212-56956-8, lire en ligne)
  12. a et b Voir par exemple la construction de l'image d'Asiatiques "sales, corrompus, cupides" dans les récits de voyages européens, BERNIER Lucie, « Fin de siècle et exotisme : le récit de voyage en extrême-Orient », Revue de littérature comparée, 2001/1 (no 297), p. 43-65. DOI : 10.3917/rlc.297.0043. URL : https://www.cairn.info/revue-de-litterature-comparee-2001-1-page-43.htm
  13. Ainsi par exemple, « les images publiées dans les livres scolaires ont sérieusement contribué à enraciner des mythes de la période coloniale dans les esprits » en France durant la première moitié du XXe siècle ; dans ces manuels, «les pays du Proche et du Moyen-Orient sont dépeints comme des territoires où règne la violence» ; « les peuples d'Afrique subsaharienne, eux, sont considérés comme arriérés, tout comme les Kanaks de Nouvelle-Calédonie », https://www.lepoint.fr/culture/images-coloniales-sophie-leclercq-l-ecole-un-lieu-de-transmission-mais-aussi-de-propagande-07-12-2018-2277360_3.php.