Va, pensiero

air issu de Nabucco

Va, pensiero ou Va, pensiero, sull'ali dorate ou Chœur des esclaves hébreux (Va, pensée, sur tes ailes dorées, en italien) est un célèbre air d'opéra lyrique pour chœur et orchestre symphonique, composé par le compositeur italien Giuseppe Verdi (1813-1901) (no 11 et dernier numéro du 3e acte de son opéra Nabucco de 1842). Les vers du livret du poète italien Temistocle Solera sont inspirés du psaume 137 de la Bible, chantés par les Hébreux esclaves en exil à Babylone. Ce premier chef-d'œuvre du maestro fait partie de ses airs les plus célèbres, avec entre autres La donna è mobile de Rigoletto, Libiamo ne' lieti calici de La traviata, ou la Marche triomphale d'Aida[1].

Va, pensiero (chœur des esclaves)
Œuvres de Giuseppe Verdi
Chœur des esclaves hébreux
Image illustrative de l’article Va, pensiero
Giuseppe Verdi vers 1850

Genre Musique classique, musique symphonique, opéra lyrique
Nb. d'actes Dernier numéro (no 11) du 3e acte de son opéra Nabucco
Musique Giuseppe Verdi
Texte Temistocle Solera (inspiré du psaume 137 de la Bible)
Langue originale Italien
Sources littéraires Psaume 137 du livre des Psaumes de la Bible
Effectif Chœur et orchestre symphonique
Durée approximative 9:27
Dates de composition 1842 en musique classique
Commanditaire Bartolomeo Merelli (directeur-impresario de La Scala de Milan)
Création 9 mars 1842
La Scala de Milan
Interprètes Giuseppe Verdi

Histoire

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Giuseppe Verdi rencontre les premiers succès des représentations publiques de ses œuvres à La Scala de Milan vers 1839 (vers l'âge de 26 ans). Le directeur-impresario Bartolomeo Merelli l'engage alors par contrat pour une série de représentations et plusieurs commandes de compositions. Mais très durement affecté par la perte tragique par maladies de ses deux enfants Virginia et Icilio Romano, puis de son épouse Margherita, il sombre au plus profond du désespoir et de la dépression, qui le pousse à abandonner sa carrière de compositeur lyrique.

Bartolomeo Merelli l'encourage et lui commande alors ce second opéra Nabucco de 1842, avec un livret imposé du poète, librettiste, et compositeur italien Temistocle Solera, inspiré du thème biblique du psaume 137 de la Bible (sur l'histoire au VIe siècle av. J.-C. de l'exil à Babylone et de la réduction à l'esclavage du peuple hébreu, des suites du siège de Jérusalem (587/586 av. J.-C.) par le roi de Babylone Nabuchodonosor II, et de la destruction du premier Temple de Salomon du roi Salomon (roi d'Israël)). Les Hébreux chantent alors en chœur, dans cet air d'opéra, cette chanson-prière d'esclaves souffrant en exil, en souvenir douloureux de leurs lointaine patrie et liberté perdues...

La lecture dans le livret des paroles tragiques du Chœur des Hébreux inspire et redonne alors à Verdi (âgé de 29 ans) le goût de la vie, de la composition lyrique et de la musique de cet opéra :

« Va, pensée, sur tes ailes dorées, Va, pose-toi sur les pentes, sur les collines, Où embaument, tièdes et suaves, Les douces brises du sol natal, Salue les rives du Jourdain, Les tours abattues de Sion, Oh ma patrie si belle et perdue, Ô souvenir si cher et funeste, Harpe d'or des devins fatidiques, Pourquoi, muette, pends-tu au saule ?, Rallume les souvenirs dans le cœur, Parle-nous du temps passé, Semblable au destin de Solime, Joue le son d'une cruelle lamentation, Ou bien que le Seigneur t'inspire une harmonie, Qui nous donne le courage de supporter nos souffrances... »

Réception

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La première représentation de ce premier chef-d'œuvre de son œuvre, à La Scala de Milan le (avec la soprano Giuseppina Strepponi dans le rôle d’Abigaille), est un succès qui contribue à la célébrité de Verdi et marque le début d'une des carrières les plus prestigieuses de l’histoire de la musique classique occidentale. On a longtemps cru que le Chœur des Hébreux avait été interprété par le public italien de l'époque (en 1842) comme une métaphore emblématique de la condition des Italiens soumis à la domination de l'empire d'Autriche de la Confédération germanique. Les recherches des musicologues, des biographes et des historiens ont depuis prouvé qu'en 1842 cet air est alors seulement compris dans son contexte biblique. Il ne fait l'objet d'aucun commentaire patriotique ni d'un succès particulier par rapport au reste de l'opéra. Le mythe verdien d'un opéra "patriotique" ne se cristallise qu'à partir des années 1880[2].

Fichier audio
Verdi - Nabucco, Va pensiero
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Analyse musicale

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Les chœurs – que Rossini définit comme « una grande aria cantata da soprani, contralti, tenori, bassi »[3] (« une grande aria chantée par des sopranos, des contraltos, des ténors et des basses ») – est écrit dans l'insolite tonalité de fa dièse majeur. Dans la brève introduction orchestrale, les sonorités initiales, sombres et mystérieuses, alternent avec la soudaine violence des cordes en trémolo sur les arpèges des basses et les dernières mesures, avec les ornementations de flûtes et clarinettes pianissimo, semblent évoquer les lieux chers et lointains dont parlent les vers.

 

La cantilène à 4/4, sombre et élégiaque, débute sur un long unisson du chœur tutti sotto voce (tous à mi-voix), l'orchestre marquant avec douceur les temps et les contretemps en triolets. Elle se dénoue sur les paroles «Arpa d'or dei fatidici vati», trouvant son moment de plus grande vigueur, le chœur chantant à six voix sur d'amples vagues d'accompagnement de sextolets arpégés en do dièse majeur, avant de se présenter une dernière fois à l'unisson («O t'ispiri il Signore un concento») enrichie par les grupettos délicats des bois.

Texte et traduction

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Texte italien Traduction

Va, pensiero, sull’ali dorate;
Va, ti posa sui clivi, sui colli,
Ove olezzano tepide e molli
L'aure dolci del suolo natal!

Del Giordano le rive saluta,
Di Sionne le torri atterrate...
Oh mia patria sì bella e perduta!
Oh membranza sì cara e fatal!

Arpa d'or dei fatidici vati,
Perché muta dal salice pendi?
Le memorie nel petto riaccendi,
Ci favella del tempo che fu!

O simile di Solima ai fati
Traggi un suono di crudo lamento,
O t'ispiri il Signore un concento
Che ne infonda al patire virtù!

Va, pensée, sur tes ailes dorées ;
Va, pose-toi sur les pentes, sur les collines,
Où embaument, tièdes et suaves,
Les douces brises du sol natal !

Salue les rives du Jourdain,
Les tours abattues de Sion ...
Oh ma patrie si belle et perdue !
Ô souvenir si cher et funeste !

Harpe d'or des devins fatidiques,
Pourquoi, muette, pends-tu au saule ?
Rallume les souvenirs dans le cœur,
Parle-nous du temps passé !

Semblable au destin de Solime[4]
Joue le son d'une cruelle lamentation
Ou bien que le Seigneur t'inspire une harmonie
Qui nous donne le courage de supporter nos souffrances !

Analyse lexicale et syntaxique

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Les principales particularités lexicales du Va, pensiero tiennent à la présence de termes de registre soutenu comme clivi, olezzano, membranza, favella, fatidici, traggi, concento selon l'usage du XIXe siècle dans le domaine de la prose comme de la poésie. Solime, qui est la dénomination grecque de l'ancienne ville sacrée, est utilisée de préférence à Jérusalem qui indique la ville fortifiée. Le style élevé correspond non seulement à un choix lexical classique, dans le goût latin, mais permet de respecter la prosodie, la longueur des vers et les rimes qui marquent la composition. En tant qu'hymne, genre de tradition ancienne, la composition doit respecter une structure métrique bien connue dans la littérature italienne et européenne. Il s'agit de seize décasyllabes divisés en quatre quatrains.

Selon l'usage de la poésie écrite pour la musique, le dernier vers de chaque quatrain est tronqué et donc constitué de neuf syllabes. Un tel schéma, employé également dans les canzonette du drame lyrique, est le propre de l'ode qui partage avec l'hymne un code rigide, représentant un modèle réservé aux textes à haute valeur civile et religieuse, épique et patriotique. Le ton oratoire est solennel et injonctif, destiné à obtenir la persuasion et à retenir l'attention de l'auditeur. À cet effet, le texte est riche d'interjections et d'exclamations.

Dans un mode imitant les classiques, les personnifications indirectes de la pensée et de la harpe au moyen de l'apostrophe utilisent une figure rhétorique induisant une forte émotion et une implication intense. La relation communicative qui s'instaure est exprimée par les pronoms personnels. Le chœur « tutoie » la pensée, la patrie, le souvenir, puis la harpe, assumant à la fin la première personne du pluriel : « parle-nous », « donne-nous ».

Les choix rhétoriques et lexicaux s'accompagnent d'une solide architecture syntaxique et d'une attention particulière à l'euphonie qui rehausse encore plus l'effet d'ensemble de la composition, en premier lieu au moyen de l'alternance des rimes. La distribution, tant sonore que spatiale, est la suivante :

1er quatrain
1.1 dorate
1.2 colli
1.3 molli
1.4 natal
2e quatrain
2.1 saluta
2.2 atterrate
2.3 perduta
2.4 fatal
3e quatrain
3.1 vati
3.2 pendi
3.3 raccendi
3.4 fu
4e quatrain
4.1 fati
4.2 lamento
4.3 concento
4.4 virtù

Dans chaque quatrain, à l'exception du second, les deux vers centraux riment uniquement entre eux, pendant que le premier et le dernier riment avec les vers correspondants du quatrain suivant. Dans le second quatrain, c'est le second vers qui rime avec le premier du groupe précédent. L'effet est un lien sonore interne à chacun des couples de quatrains (1-2 et 3-4).

Cinéma

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Reprises

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En 1946, la nouvelle République italienne dut se choisir un nouvel hymne national en remplacement de la Marche Royale. Certains voulurent que ce titre soit accordé au Va, pensiero mais ce choix fut finalement écarté. La raison invoquée était que le chant d'un peuple tenu en esclavage ne pouvait servir d'hymne national au peuple italien nouvellement libre.

La Ligue du Nord, parti politique italien d'extrême droite, fondée par Umberto Bossi, l'adopte comme hymne de la république fédérale padane (Padanie), région de Nord de l'italie que le parti déclare indépendante le 15 septembre 1996, sous le nom de « République fédérale de Padanie » (Repubblica Federale della Padania). Ce statut n'a jamais été reconnu officiellement par un État étranger.

Le , Riccardo Muti dirige Nabucco au Teatro dell'Opera di Roma à l'occasion du 150e anniversaire de l'Unité italienne ()[6], en présence de Silvio Berlusconi, président du Conseil des ministres. La représentation est retransmise par la chaîne de télévision franco-allemande de service public Arte. Cette prestation donne lieu à des réactions de très vive émotion de la salle, qui demande un bis. Riccardo Muti improvise une allocution[7] et choisit exceptionnellement d'accorder ce bis en demandant à l'assistance de se joindre au chœur[8].

Le , le même air interprété par le chœur des arènes de Vérone dans une mise en scène du Français Arnaud Bernard, est applaudi par le public, qui crie plusieurs fois « bis ». Le chef d'orchestre Daniel Oren fait alors aussitôt rejouer l'air à l'orchestre et le chœur chante à nouveau.

Le , pendant les vœux de Sibyle Veil, présidente du groupe Radio France, le chœur de Radio France interrompt la cérémonie en entonnant le chant des esclaves en protestation au vaste plan social de 299 emplois annoncé par la direction. Le chœur quitte la salle après le chant mais la cérémonie ne reprendra pas[9]. Le , il est utilisé d'une manière similaire par les chanteurs de l'Opéra national de Lyon pour contester la réforme des retraites[10].

Notes et références

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  1. [vidéo] « Giuseppe Verdi - Nabucco - Chœur des Esclaves - La Scala de Milan », sur YouTube.
  2. Antonin Durand, Le Choeur des esclaves : quand Verdi écrivait l'histoire, copyright 2022 (ISBN 978-2-283-03532-0 et 2-283-03532-5, OCLC 1347751779, lire en ligne).
  3. Carlo Gatti, Verdi, Milan, 1981, p. 162.
  4. Jérusalem
  5. [vidéo] « Sissi face à son destin - Va, pensiero - Nabucco - Verdi », sur YouTube.
  6. Christian Merlin, « Un Nabucco chargé d'électricité », Le Figaro, .
  7. Traduction de l'intervention de Riccardo Muti : « Oui, je suis d'accord avec ça, "Longue vie à l'Italie" mais... Je n'ai plus 30 ans et j'ai vécu ma vie, mais en tant qu'Italien qui a beaucoup parcouru le monde, j'ai honte de ce qui se passe dans mon pays. Donc j'acquiesce à votre demande de bis pour le "Va Pensiero" à nouveau. Ce n'est pas seulement pour la joie patriotique que je ressens, mais parce que ce soir, alors que je dirigeais le Chœur qui chantait "O mon pays, beau et perdu", j'ai pensé que si nous continuons ainsi, nous allons tuer la culture sur laquelle l'histoire de l'Italie est bâtie. Auquel cas, nous, notre patrie, serait vraiment "belle et perdue". Depuis que règne par ici un "climat italien", moi, Muti, je me suis tu depuis de trop longues années. Je voudrais maintenant... nous devrions donner du sens à ce chant ; comme nous sommes dans notre Maison, le théâtre de la capitale, et avec un Chœur qui a chanté magnifiquement, et qui est accompagné magnifiquement, si vous le voulez bien, je vous propose de vous joindre à nous pour chanter tous ensemble. [applaudissements] Mais au tempo s'il vous plaît ! [rires de la salle] ».
  8. (en) « Muti Leads Encore in Rome », The New York Times, .
  9. M. Lo., « Grève à Radio France : Les voeux de Sibyle Veil ont été interrompus par le choeur de la radio », 20 Minutes,‎ (2690839-20200109-greve-radio-france-voeux-sibyle-veil-interrompus-choeur-radio).
  10. « Rhône. Les chanteurs de l'opéra de Lyon en "esclaves" contre la réforme des retraites », sur www.leprogres.fr (consulté le ).

Voir aussi

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Crédits de traduction

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Articles connexes

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Liens externes

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