Le terme d’utriculaires (latin utricularius, utriclarius sur les inscriptions) désigne un métier de l’Antiquité concernant des outres dont la fonction exacte demeure imprécise[1]. Ils sont essentiellement connus par l’épigraphie latine et sont surtout attestés dans les provinces gauloises ainsi qu’en Dacie.

épitaphe d'un utriculaire de Lyon

Le terme utricularius pourrait au départ désigner un fabricant d’outres (d’uter « outre »), mais le terme utrarius convient mieux pour désigner le métier. Utricularius désigne très exceptionnellement un joueur de cornemuse[2]. On trouve l’essentiel des mentions d’utriculaires dans un contexte différent. Connus par des inscriptions, ils sont organisés en collège et liés aux domaines du commerce et du transport. Ainsi à Saint-Gabriel, les utriculaires d’Ernaginum figurent aux côtés des nautes de la Durance sur une inscription latine mentionnant leur patron[3]. Leur présence aux côtés des nautes laisse deviner un rôle de transporteur. À la suite de Calvet[4] on a traditionnellement considéré que ces utriculaires étaient des bateliers qui se servaient de radeaux soutenus par des outres. Cette opinion a été traditionnellement reçue par les épigraphistes.

Elle a toutefois été remise en cause à partir des années 1980. Ainsi, pour P. Kneissl, les utriculaires étaient des transporteurs routiers véhiculant vin et huile dans des outres sur des bêtes de somme ou sur des chariots[5], opinion appuyée plus récemment par d’autres chercheurs qui ont montré que dans le contexte d’Ernaginum, l’idée de radeaux d’outres semblait peu pertinente : les utriculaires étaient ici des transporteurs routiers assurant le passage entre la plaine d’Arles et la plaine de la Durance[6].

Inscription latine de Montélimar mentionnant les utriculaires de Lyon

De nombreuses autres mentions d’utriculaires existent en Gaule. Ainsi à Lugdunum on connaît un des membres du collège, un marchand toilier établi à Lyon[7], ainsi qu’un des patrons du collège local qui était un important négociant en vin et un naute de la Saône[8]. Ce négociant était aussi lié à Alba-la-Romaine où l’on connaît aussi l’existence d’un collège d’utriculaires [9]. Les utriculaires de Lyon sont aussi attestés à Montélimar[10]. À Cimiez, le collège des utriculaires figure aux côtés de celui des centonarii lorsque son patron, décurion de cité, exécute la dédicace d’une statue de Minerve[11]. Tandis qu’à Lattes, les utriculaires figurent aux côtés des fabri (ouvriers ou artisans)[12]. Les utriculaires sont donc mentionnés dans les grands ports, parfois à proximité de cours d’eau plus modestes[13] sans toutefois que l’on soit obligé, on l’a vu, d’en faire des navigants, on les retrouve aussi auprès des régions viticoles comme Alba-la-Romaine, ils pouvaient à chaque fois offrir un service local ou à plus grande distance.

En dehors de la Gaule, des collèges d’utriculaires sont attestés en Dacie[14].

Bref, on pourrait suggérer des professionnels spécialistes du transport de biens pondéreux ou liquides utilisant des outres naturelles (une seule peau de bête) ou plusieurs outres artificielles car confectionnées au moyen de plusieurs peaux cousues entre elles. La technicité du métier (fabrication, réparation) consistait d'abord en la réalisation de coutures étanches utilisant en induction de la poix et de la graisse pour renforcer l'étanchéité, c'est l'uter unctus de Virgile (Géorgiques, II, 384). L'utilisation de ces outres comme mode de transport, supports de radeaux ou récipients de dimensions variées portées sur un mulet, un charriot ou une péniche, était secondaire au moins initialement.

Notes modifier

  1. G. Coulon, Les Gallo-Romains, Paris, 1990, t. I, p. 169
  2. Suétone, Néron, LIV, voir Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, s.v. Utricularius
  3. CIL XII, 982 (ILS, 6986) ; voir Ph. Leveau, « La cité romaine d’Arles et le Rhône : la romanisation d’un espace deltaïque », American Journal of Archaeology, 108, 2004, p. 357
  4. Dissertation sur un monument singulier des Utriculaires de Cavaillon, Avignon, 1766
  5. P. Kneissl, « Die utricularii : Ihre Rolle um gallo-römischen Transportweisen », Bönner Jachbücher, 181, p. 169-203
  6. A. Deman, « Avec les utriculaires sur les sentiers muletiers de la Gaule romaine », Cahiers Glotz, 13, 2002, p. 233-246 ; Ph. Leveau, « La cité romaine d’Arles et le Rhône : la romanisation d’un espace deltaïque », American Journal of Archaeology, 108, 2004, p. 349-375
  7. CIL XIII, 1988 : « Aux Dieux Mânes et à la Mémoire Éternelle d’Illiomarus Aprius, marchand toilier de la cité des Véliocasses, admis au nombre des colons lyonnais, incorporé dans les utriculaires établis à Lyon, qui a vécu 85 ans sans avoir jamais blessé personne. Aprius Illiomarus son fils, à son père très cher a fait élever (ce monument) et l’a dédié sous l’ascia. » voir L. Lerat, La Gaule romaine, Paris, 1977, p. 265
  8. CIL XIII, 1954 « À Marcus Intathius Vitalis, fils de Marcus, négociant en vin lyonnais, établi aux Canabae, ayant deux fois exercé la curatelle de la corporation et de même quinquennal, naute naviguant sur la Saône et patron de la corporation, patron des chevaliers romains des sévirs, des utriculaires et des fabri établis à Lyon, à qui le très splendide Ordre d’Alba Helviorum a donné le droit de siéger avec lui (aux spectacles), les négociants en vin établis à Lyon aux Canabae à leur patron. À l’occasion de la dédicace de la statue, il a donné comme sportule à chacun […] deniers.» voir L. Lerat, La Gaule romaine, Paris, 1977, p. 270
  9. AE 1965, 144 = 1976, 415
  10. CIL XII, 1742
  11. L. Lerat, La Gaule romaine, Paris, 1977, p.  272
  12. AE 1965, 164 = 1966, 247 = AE 2003, 1142
  13. G. Coulon, Les Gallo-Romains, Paris, 1990, t. I, p. 169
  14. CIL III, 944 = IDR III/4, 215 et CIL III, 1547 = IDR III/1, 272

Bibliographie modifier

  • Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, « Utricularius »[1]
  • L. Lerat, La Gaule romaine, Paris, 1977
  • G. Coulon, Les Gallo-Romains, Paris, 1990,
  • P. Kneissl, « Die utricularii : Ihre Rolle um gallo-römischen Transportweisen », Bönner Jachbücher, 181, p. 169-203
  • A. Deman, « Avec les utriculaires sur les sentiers muletiers de la Gaule romaine », Cahiers Glotz, 13, 2002, p. 233-246 Lire en ligne sur Persée
  • Ph. Leveau, « La cité romaine d’Arles et le Rhône : la romanisation d’un espace deltaïque », American Journal of Archaeology, 108, 2004, p. 349-375