Un manifeste hacker

livre de McKenzie Wark

Un Manifeste Hacker est un essai de philosophie politique rédigé par McKenzie Wark en 2004[1]. Elle y aborde les thèmes du capitalisme, de la propriété intellectuelle, du surplus, des classes émergentes, et de l'évolution de l'économie, à l'instar de celle des techniques par l'approfondissement du processus d'abstraction de la nature. Au-delà du principe de modernité, il se présente dans la structure dynamique d'un manifeste d'aphorismes comme La société du spectacle de Guy Debord.

Un Manifeste Hacker
Auteur McKenzie Wark
Genre Philosophie politique
Version originale
Langue Anglais
Titre A Hacker Manifesto
Éditeur Harvard University Press
Date de parution 2004
Version française
Traducteur Club post-1984 Mary Shelley et Cie Hacker
Éditeur Criticalsecret
Date de parution 2006

Le mot "hacker" dans le titre est une métaphore ressourcée par sa signification en ancien anglo-saxon au temps de l'Enclosure. Ici, il s'applique au dispositif de l'invention et à la stratégie économique et culturelle de l'organisation sociale tout entière (à ne pas confondre avec le sens courant accordé au mot dans le cadre de la sécurité informatique tel qu'en l'ouvrage Manifeste du hacker).

Le corps principal du texte se présente en 389 aphorismes, répartis dans 16 chapitres, plus les Notes, traduit en huit langues publiées dans le monde par différents éditeurs. Dans l'édition française, la présentation expérimentale d'un seul article par page est une création inédite de Gallien Guibert, designer du livre, avec l'accord de l'auteur. Ceci a l'effet de faire ressortir la structure du texte : les samples, les remixes et la composition "fractale" de l'ensemble.

Un manifeste hacker / A hacker manifesto modifier

Du nom Hacker modifier

Pour McKenzie Wark, le nom "hacker" tient autant de l'activité ancestrale du bucheron, qui dégrossi les arbres abattus, que du découvreur de codes numériques, tels les hackers des laboratoires d'informatique à l'œuvre du logiciel libre (à l'instar des Navajos qui inventèrent le code talker, dits "hackers", pendant la guerre du Pacifique). Chez l'auteur, c’est un concept générique de tout être exerçant l’intellect et l’intelligence librement, aux fins de produire des idées, tant individuellement que socialement. Donc il ne s’agit pas d’une catégorie déterminée par une pratique spécialisée, encore moins du pirate informatique, même si le concept de l'auteur contient aussi cette possibilité. Par le constat qu'il ne soit pas possible d'inventer sans liberté d'agir ni d'utiliser librement les sources, l'ouvrage fait un bilan de l'exploitation de l'homme par l'homme à l'égide de la récupération des découvertes, qui suggère une hypothèse du progrès au-delà de la dialectique, et un dispositif de libération par le processus infini de l'abstraction, qui ne suppose pas la prise du pouvoir.

Le livre modifier

Résumé modifier

Dans une évolution chaotique de la domination, depuis la propriété du sol jusqu'à l'abstraction du capitalisme intégré par les normes du vecteur, l'objet actuel de l’ouvrage pourrait être la libération de l'information[2].

On lit, à la fin de l’article 006 : « Le mot d’ordre de la classe Hacker n’est pas que les travailleurs du monde se lient, comme ils purent s’unir autrefois, mais que les travaux du monde se délient. »

La classe des "vectoralistes" fusionne toutes les classes de la domination rentable. La classe "hacker" est celle des inventeurs, des producteurs d’abstraction, dont la classe vectoraliste tire les ruses du renouvellement sans limite de ses profits. À toute époque le vecteur a procuré à la classe dominante l’énergie de ses profits, et des hackers procuraient l'abstraction nécessaire pour marquer les limites du territoire dominé, par exemple la mesure du sol. Mais il est aussi possible de concevoir que l'imprimerie soit une découverte du "hacking". En somme, l'univers technique dans son entier a été imaginé et conçu par des hackers, qui l'ont actualisé dans la société, tandis que des classes dominantes se succédèrent pour exploiter ces inventions aux dépens de la société. Aujourd’hui, le vecteur est la forme abstraite, mais directe et majeure, de la domination elle-même.

La classe des vectoralistes est celle qui prétend contenir et détenir les idées, pour les rendre exécutives ou les mettre en circulation à son seul profit ; aujourd'hui elle domine non seulement les peuples mais encore les capitalistes - qui en dépendent. Le processus des enveloppes pour contenir les territoires rentables est injuste pour les hommes, il installe la rareté, et par conséquent empêche le partage des richesses. Mais de plus, le processus de la limitation est mortifère, car il tend à faire disparaître les conditions de l’invention elles-mêmes.

Au contraire, les hackers forment une classe abstraite mais qui ne peut produire que librement ; les hackers exercent la vitalité des sociétés. Quels que soient leurs domaines d’activité et quel que soit leur statut d’inventeurs (autonome ou de service), les hackers forment une classe diffuse et diverse, délocalisée, et pour produire de nouvelles idées celle-ci se donne de recourir librement aux ressources, ce qu’elle peut aider à généraliser pour les autres.

Discussion modifier

Cependant, la notion de classe réutilisée dans l’ouvrage de McKenzie Wark a fait l’objet de critiques notamment par Simson Garfinkel, auteur de l’article de référence Hack license[3]. Mais Garfinkel s’en tient à la définition historique des classes à laquelle le livre de McKenzie Wark échappe, car il n’est qu’un leurre de la problématique marxiste-léniniste, un remix critique. C'est encore Hack license qui est cité et son point de vue principal repris par Daniel Kaplan, dans À quoi servent les hackers ?, publié par Internet Actu (FING), également au début de 2005 ; mais l'article français s’applique essentiellement à la lecture de la version courte traduite en France, en 2002. La fin de la rédaction de la version longue date de 2003 ; elle présente des changements notoires et à ce jour n’existe qu’en l’état imprimé, quelle que soit la langue de l’édition... En 2007, on ne connaît pas encore de lecture francophone qui recense la publication de l’ouvrage long en français - que Daniel Kaplan lui-même n'avait pu éprouver au moment où il écrivait son article.

On peut considérer que les critiques de classe sont inappropriées, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une classe sociale catégorielle ni même socio-économique au sens strict de la Critique de l'économie politique ; on pourrait même dire que sans rapport avec la structure syndicale des luttes, il s'agisse encore une fois d'un concept élargi de la notion de classe, au-delà des couches sociales. Par là, l'ouvrage consiste également en méta-critique de la critique de l'économie politique et de l'économie politique du signe.

La classe hacker est une classe latente, virtuelle, qui produit les abstractions attendues par le vecteur, mais la plupart du temps les vectoralistes ne commandent pas ses inventions, il les récupèrent et les enferment par des lois, pour en contrôler à leur seul profit des applications édulcorées. Aux hackers d’inventer leurs propres lois, celles qui libèrent l’information de ce qu’ils créent... Cela peut prendre des formes concrètes immédiatement, par exemple le dernier ouvrage typographique de McKenzie Wark, Gamer Theory (éditions Harvard University Press, UK-USA, 2007), intègre une lecture interactive sur Internet du premier manuscrit de l'auteur, entre celui-ci, ses étudiants, et des lecteurs universitaires (sans exclusive d'autres lecteurs), concernés par le sujet ; par conséquent, cet ouvrage publié sous licence Creative Commons – certains droits réservés—installe un précédent du copyright dans l’édition traditionnelle contemporaine, à l'égide du site laboratoire interactif The Future of the book dans le cadre duquel se déroula l'expérience interconnectée en ligne.

En fait, ‘’Un manifeste hacker’’ est également un essai qui relève un défi après le situationnisme ; la recherche d'un dépassement de la représentation généralisée du monde, par la libre virtualité des contenus et la vitalité de leur communication, s'oppose par un échange symbolique basé sur le don et le contre-don. À l’instar de la première thèse de La Société du spectacle de Guy-Ernest Debord, plagiat de Marx qui ouvre Le Capital par ”une immense accumulation de marchandises”, en le mutant par ”accumulation de spectacle”, le premier aphorisme d’’’Un manifeste hacker’’ plagie le premier article du Manifeste du parti communiste, “Un spectre hante le monde, le spectre du communisme”, en le mutant par, “Un spectre hante le monde, le spectre de l’abstraction”... Où Debord voit disparaître la vérité de la vie dans le monde spectaculaire qui généralise la représentation et son voile d’illusions, McKenzie Wark cherche à dépasser le représentable - tout l’univers des apparences et du langage qui l’exprime - par l’irreprésentable : à savoir les contenus bruts eux-mêmes, y compris les créations inutiles, en tant que flux et virtualité potentielle, en circulation cognitive (ce qui peut comprendre l'échange de pair à pair p2p). Reste à en faire un droit pour tous.

Composition et style modifier

Pour déstabiliser le lecteur des habitudes convenues, l’auteur invente une langue transgenre, à la fois inspirée du vieil anglo-saxon du temps de l’”enclosure”, et des nomenclatures contemporaines de la communication numérique. [1] Il s’agit d’une langue ambigüe, d’une part organique (qui structure son propre contenu) et en même temps poétique. Comme l’auteur revisite tout le dispositif de l’exploitation depuis la dialectique de la nature jusqu’à la critique de l’économie politique, depuis la propriété du sol jusqu’au mode de production industriel capitaliste et au vecteur qui lui succède, on peut considérer son livre comme une épopée poétique des luttes en modernité, en postmodernité, et par conséquent visionnaire de l’après.

Sur la composition du livre : sa construction en aphorismes est une suite de fragments mis en ritournelles : concepts comme micro-fragments et fragments de phrases réapparaissent à différents niveaux d’enchaînements logiques, et de sens, au fil des chapitres. Ce qui organise un développement polysémique des mots - une exploration de leurs champs conceptuels ouverte pour le lecteur (qui peut en imaginer des prolongements, ou des ruptures) ; mais surtout, ce qui forme une stratégie fractale (non par fatalité mais par destin de l'arborescence) du livre, et lui attribue une actualité singulière, stylistique.

Donc, les traducteurs de l'ouvrage sont confrontés à une épreuve de création.

L'ouvrage en anglais est entièrement écrit au présent (toutes époques ainsi alignées anachroniquement), ce qui abolit la dimension historique de la culture du communisme, dans les pays qui n'en ont pas fait une tradition politique parlementaire. Contradictoirement, en français, les temps du passé sont requis (y compris le passé du subjonctif - peu utilisé de nos jours), pour éviter le malentendu d'un révisionnisme idéologique, lié à l'histoire institutionnelle locale (anciennes collaborations nationales avec le pouvoir nazi, et tradition instituante et instituée du parti communiste français). Le choix d’intégrer des mots clés en anglais, à une narration qui se modèle à tous les temps, offre un principe semblable à celui du livre original par des ressources d'écriture opposées. Ceci procède de la différence des langues et des sociétés. Là encore, la langue a dû se réinventer en miroir asymétrique de l'invention de l'auteur - avec son accord - dans le principe des "Cent fleurs".

La version française s'inspire de la première version longue de 2003, et réintègre la version anglophone éditée en 2004. Parmi quelques différences éditoriales entre les deux éditions, les notes forment un chapitre à part entière sous le titre "Writings" dans l'édition anglophone, alors que sous le titre "Notes" à la fin de l’ouvrage francophone, elles sont rassemblées à l'extérieur du corps principal du texte. Il est remarquable que l’ensemble des notes puisse constituer une lecture critique par l’auteur de son propre ouvrage, et en même temps une lecture autocritique de ses références, auxquelles il se confronte a posteriori, après qu'il les a intégrées en les métamorphosant par son écriture, indistinctement, dans les aphorismes. En somme les notes forment un méta-ouvrage du texte principal, son propre spectre, peut-être... Ou plutôt le livre serait un spectre libertaire hantant ses références académiques. En effet, Le livre anglophone (et ses adaptations dans les autres langues) voyant la conclusion de l'ensemble des chapitres par le chapitre "Writings", voué à la discussion des sources académiques, confère à l'ouvrage, de façon récurrente, une connotation "expert". Quant au choix éditorial de la version française, s'en tenant fidèlement au mode de présentation externe des notes dans le transcrit de 2003, il s'avère intéressant qu'il procure une lecture populaire du texte principal.

Notes et références modifier

  1. McKenzie Wark (trad. de l'anglais par Club post-1984 Mary Shelley et Cie Hacker Band), Un manifeste Hacker [« A hacker manifesto »], Paris, http://www.criticalsecret.com/ criticalsecret, , 496 p., Plié relié avec un façonnage burst-binding, couverture et livre souple. (170x250x40mm) (ISBN 2-35092-002-X et 978-2-35092-002-3, présentation en ligne)
  2. A Hacker Manifesto sur le site de Futures-lab
  3. Voir l'article publié en mars 2005 dans le magazine Technology Review du MIT.

Articles connexes modifier