Un turricule (« petite tour », du latin turris, « tour » et du suffixe diminutif -culus), parfois appelé tortillon, est le rejet des vers de terre anéciques ou des vers arénicoles marins visibles à la surface du sol (par opposition à d'autres déjections déposées sur les parois des galeries). Ces « biostructures »[4],[5] témoignent notamment de l'importance de la bioturbation verticale dans le substrat (saisonnière en climat froid et tempéré)[6].

Morceau de turricule de Lombric (longueur : 1 cm environ).
Morceau de turricule de Lombric (longueur : 1 cm environ)
En allongeant son corps, sauf la queue restée accrochée au terrier, le lombric commun opère un mouvement péristaltique pour glisser à la recherche d'une prise alimentaire. La traction des débris végétaux[1], jusqu'à l'orifice de la galerie, entraîne l'accumulation de ces débris à l'entrée[2]. Bloqués et plantés plus ou moins à la verticale à l'orifice, ils forment une petite « hutte » appelée cabane ou resserre[3].
Schéma de disposition du ver arénicole dans le sédiment et fonctionnement du système. La profondeur est fortement réduite par rapport à la largeur.

Description modifier

La taille des turricules varie de quelques millimètres à quelques centimètres et dépend de celle des espèces de lombrics. Parmi les déjections des lombriciens sont distingués les turricules globulaires (sous-unités coalescentes rendant l'ensemble stable) et des turricules granulaires (accumulation de petites boulettes fragiles)[7].

L’entrée du tunnel est un petit entonnoir circulaire pas toujours visible et la sortie est recouverte d’un tortillon de sable.

La drilosphère est la fraction de la terre qui est passée par le tube digestif des vers de terre et qui constitue la paroi des galeries. L'épaisseur moyenne de la drilosphère est de 2 mm mais peut atteindre 5 à 10 mm autour des galeries de Lumbricus terrestris en forêt[8].

Fonction modifier

Les vers jouent un rôle important dans la structuration des sols car leurs galeries sont un mélange de matière organique et matière minérale. En brassant activement le sol les lombriciens exercent une importante activité de bioturbation, remontant dans leurs turricules des sels minéraux (phosphore notamment)[9],[10], nutriments qui varient selon la nourriture des vers, qui peut être améliorée par des apports de feuilles, BRF, mulch, etc[11]. Les turricules contiennent des bactéries sources d’auxine et de nitrates[12] Ils contribuent aussi au cycle du carbone[13].

L'étude par fractionnement granulométrique des turricules comparés à la nature du sol au même endroit montre que « les vers ingèrent préférentiellement des particules fines du sol »[14].

Les turricules riches en matières argilo-humiques et consolidés par un mucus sont très résistants à la solubilisation par l'eau.

Ainsi, en complément des galeries qui facilitent l'absorption de l'eau par le substrat, lors des fortes pluies selon Le Bayon (1999)« la rugosité créée par la présence des turricules ralentit la formation de la lame d'eau et favorise la percolation au détriment du ruissellement »[15]. Dans divers types de milieux, dont en zone de savane, « diverses observations ont montré un effet positif des turricules sur la biomasse racinaire ainsi que sur la densité de certains groupes de macroinvertébrés »[16].

Dans les cultures de riz paddy les turricules se formant aux pieds des plants de riz améliorent leur productivité[17].

Certaines graines ne germent qu'après être passées dans le tube digestif d'un ver de terre, lequel les dépose en surface dans le turricule particulièrement riche en nutriments pour la plante[18].

Jardins modifier

Formation modifier

Selon les sols, le climat et les espèces de lombrics, on estime entre 40 et 120 tonnes de turricules qui sont excrétées par an et par hectare, autrement dit toute la terre d'un jardin ou d'un champ passe dans le tube digestif des lombrics en une cinquantaine d'années[19].

Les turricules sont fréquemment rencontrés à la surface du sol, notamment au printemps et à l'automne sur les pelouses. Au printemps, s'ils sont trop abondants, ils peuvent être étalés avec un râteau à gazon avant la première tonte. Cela évitera de former un mélange gazon humide - terre grasse qui colmate le carter de la tondeuse[20]. Cependant, les tortillons disparaissent assez vite au printemps après la reprise de la végétation sous l'alternance de la pluie et des phases de sécheresse.

En séchant les tortillons et les crottes déposées dans les galeries par les lombrics forment une structure grumeleuse, véritable couscous de terre, facilitant le développement racinaire[21].

Composition modifier

Les turricules concentrent l'humus et les sels minéraux directement assimilables par rapport à la matière environnante ; par exemple ils contiennent quatre fois plus d'azote, sept fois plus de phosphore, 11 fois plus de potasse, trois fois plus de magnésium, deux fois plus de calcium[21]. Du fait du passage de la terre dans le tube digestif du ver de terre, les tortillons sont enrichis en bactéries qui rendent les nutriments immédiatement disponibles pour les racines des plantes avoisinantes, qui s'y approvisionnent en priorité. Les tortillons sont un concentré d'engrais naturel prêt à l'emploi. De fait, certains jardiniers les récupèrent pour nourrir les plantes en pot[22].

Terrains de sports modifier

 
Turricule de ver de terre sur surface en gazon naturel.

Sur les terrains de sports, les turricules de vers de terre sont indésirables : ils étouffent le gazon et l'asphyxient (car les joueurs les écrasent en marchant dessus), rendent les sols argileux plus collants et glissant ; le terrain est moins esthétique et devient moins plat[23].

La solution n'est pas d'éliminer les vers de terre (très utiles pour aérer le sol), car les produits chimiques sont nocifs pour le sol et pour l'environnement. Il existe des machines qui détruisent les turricules, mais également des solutions préventives ou curatives.

  • En préventif, aérer fréquemment le sol en profondeur diminue ou supprime l'apparition de ces turricules en surface (plus le sol est tassé, plus il y aura de turricules). L'idéal est d'effectuer une aération par perforation rotative.
  • En curatif, une solution mécanique (peigne à gazon par exemple) sera efficace en conditions humides (au moment où les vers de terre travaillent).

Sols pollués modifier

Dans les sols pollués (y compris par un apport de boues d'épuration riches en métaux lourds et indésirables)[24], les lombriciens peuvent remonter en surface (via leurs turricules, des quantités significatives d'éléments traces métalliques indésirables et/ou écotoxiques[25].

Galerie modifier

Notes et références modifier

  1. Lorsqu'il s'agit d'une feuille morte tombée sur le sol, le lombric peut la mettre en incubation en l'enroulant en cigare creux à l'orifice de terriers. Elle joue un rôle de protection de l'entrée de la galerie puis de garde-manger (elle finit, en se décomposant, par ramollir dans la galerie de réception et par devenir, via la fermentation microbienne, ingérable par le ver).
  2. Marcel Bouché, directeur du laboratoire de zoo-écologie des sols de l'INRA, distingue cette accumulation de débris végétaux de celle formée de petits cailloux, mêlés de déchets vagabonds et farcis des déjections terreuses — appelées lombrimix — des lombrics. Dans les herbages et les forêts, ces petits cailloux et déchets superficiels sont bloqués par la végétation et ne peuvent venir s'accumuler par friction et rotation à l'orifice. Bouché propose d'appeler cairnet (par analogie avec cairn) ces édifices qui ne s'observent que dans les sols cultivés, ratissés et non stérilisés par les pesticides.
  3. Marcel B. Bouché, Des vers de terre et des hommes. Découvrir nos écosystèmes fonctionnant à l'énergie solaire, Actes Sud Editions, , p. 170-171
  4. LUCERO MARIANI, « Thèse : Impact des biostructures produites par martiodrilus carimaguensis (oligochaeta, glossoscolecidae) sur le fonctionnement du sol dans les savanes orientales de colombie », (consulté le )
  5. Caroline Seugé, « Thèse : Les structures biogéniques de termites et de vers dans un ecosystème sub-sahélien : quantification et typologie », (consulté le )
  6. Dash, H. K., Beura, B. N., & Dash, M. C. (1986). Gut load, transit time, gut microflora and turnover of soil, plant and fungal material by some tropical earthworms. Pedobiologia, 29(1), 13-20.
  7. Michel-Claude Girard, Christian Walter, Jean-Claude Rémy, Jacques Berthelin, Jean-Louis Morel, Sols et environnement, Dunod, , p. 96.
  8. Bouché, 1975
  9. RENEE-CLAIRE LE BAYON, « Thèse : Influence des activites des lombriciens sur la dynamique (disponibilite, transfert) du phosphore en sols temperes », (consulté le )
  10. Digestion of a vertisol by the endogeic earthworm Polypheretima elongata, Megascolecidae, increases soil phosphate extractibility- fdi:010007623- Horizon (lire en ligne)
  11. (en) Corinna Buck, Marcus Langmaack et Stefan Schrader, « Nutrient content of earthworm casts influenced by different mulch types », European Journal of Soil Biology, vol. 35, no 1,‎ , p. 23–30 (ISSN 1164-5563, DOI 10.1016/S1164-5563(99)00102-8, lire en ligne, consulté le )
  12. Agapit, C. (2018). Emission d’auxine et de nitrates par les bactéries des turricules de vers de terre: effet sur la croissance et le développement des plantes (Doctoral dissertation, Université Paris-Est).
  13. DANIELLE JEGOU, « Thèse : Role fonctionnel de quatre especes lombriciennes dans la structuration du sol et dans les transferts de carbone », (consulté le )
  14. Brossard, M., Lavelle, P., & Laurent, J. Y. (1996). Digestion of a vertisol by the endogeic earthworm Polypheretima elongata, megascolecidae, increases soil phosphate extractibility. European Journal of Soil Biology, 32(2), 107-111 (résumé).
  15. Le Bayon, R. C. (1999). INFLUENCE DES ACTIVITES DES LOMBRICIENS SUR LA DYNAMIQUE(DISPONIBILITE, TRANSFERT) DU PHOSPHORE EN SOLS TEMPERES (Doctoral dissertation).
  16. Mariani, L., Bernier, N., Jiménez, J. J., & Decaëns, T. (2001). Régime alimentaire d’un ver de terre anécique des savanes colombiennes: une remise en question des types écologiques. Comptes Rendus de l'Académie des Sciences-Series III-Sciences de la Vie, 324(8), 733-742.
  17. Chutinan Choosai, « Thèse : Biological activity in paddy fields : the role of soil engineers in ecosystem functioning », (consulté le )
  18. Julia Clause, « Thèse : Relations graines-vers de terre : sélection de la graine et réponse des communautés végétales », (consulté le )
  19. Pédofaune ou faune du sol
  20. « Gazon: faut-il retirer les déjections de lombrics ? », sur FIGARO, (consulté le )
  21. a et b Denis Pépin, Composts et paillis : pour un jardin sain, facile et productif, Mens, Terre vivante, , 320 p. (ISBN 978-2-36098-091-8), p. 28.
  22. « Turricules de vers de terre : c'est quoi ces tortillons ? », sur www.gerbeaud.com (consulté le )
  23. « Gazon naturel et hybride », sur Hege Sols Sportifs, (consulté le )
  24. Frédérique Ablain, « Rôle des activités lombriciennes sur la redistribution des éléments traces métalliques issus de boue de station d'épuration dans un sol agricole », (consulté le )
  25. Dalila Addad, Rôle de l’activité lombricienne dans la redistribution des Eléments Traces Métalliques dans un sol irrigué par les effluents urbains de la ville de Sétif, Université Ferhat Abbas, (lire en ligne)

Voir aussi modifier

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Bibliographie modifier

Articles connexes modifier