Tout va très bien madame la marquise (chanson)

Chanson de Paul Misraki

Tout va très bien, madame la marquise est une chanson de 1935, paroles et musique de Paul Misraki, publiée aux éditions Ray Ventura ; c'est un des grands succès de l'orchestre de Ray Ventura et ses Collégiens avec Qu'est-ce qu'on attend pour être heureux ? et Ça vaut mieux que d'attraper la scarlatine. Tout va très bien Madame la Marquise est devenue une expression proverbiale pour désigner une attitude d'aveuglement face à une situation désespérée et une tentative maladroite d'en cacher la réalité.

Sources du thème, du Moyen Âge aux années 1930 modifier

Le thème circule à travers toute l'Europe depuis le Moyen Âge. Les plus anciennes traces littéraires ont été retrouvées dans les Exempla (en latin) de Pierre Alphonse (XIIe siècle)[1]. Dans Exemplum de Maimundo servo, l'esclave raconte successivement à son maître que la chienne Bispella est morte, qu'elle a été piétinée par la mule effrayée (qui est ensuite tombée dans un puits), que la mule a été effrayée du fait de la mort du fils du maître, que sa mère en est morte de chagrin, que la maison a brûlé quand une servante a laissé une chandelle allumée dans la chambre pendant la veillée mortuaire de la maîtresse, et que la servante est morte en tentant d'éteindre le feu.

D'autres traces existent dans les exempla de Jacques de Vitry (XIIIe siècle).

Le thème est aussi présent dans plusieurs contes russes. Dans ses Contes populaires russes (1871), Alexandre Afanassiev les rassemble sous le titre générique Khorocho, da i khoudo (« Ça va bien et même pire »). La version numérotée 230f/417[2], intitulée dans la traduction française « Tout va très bien ou le Noble ruiné »[3], reproduit un dialogue entre un châtelain (barin) et son intendant, est similaire au texte de la chanson. Ce texte recueilli dans le gouvernement de Perm a d'ailleurs été censuré dans la première édition du recueil[4]

En 1928, l'humoriste américain Frank Crumit enregistre un monologue, No News (or « What Killed The Dog »)[5] qui reprend la même progression narrative. Ce disque, que Ray Bradbury écoutait inlassablement à l'âge de cinq ans lui inspirera en 1996 la nouvelle Le chien est mort, mais à part ça tout va bien.

L'origine (moderne) du refrain est attribuée à Bach et Laverne, auteurs d'un sketch portant le même titre.

La chanson modifier

Création modifier

Selon Paul Misraki (dans Tout va très bien, la vie d'un compositeur, manuscrit inédit[réf. nécessaire]), la composition de la chanson a lieu à la suite de l'échec d'une première soirée de tournée de Ray Ventura et de ses Collégiens, à Nîmes.

Les musiciens catastrophés cherchent ensuite tous une idée pour relancer le spectacle. C'est Coco Aslan qui aurait suggéré l'idée du « sketch avec la Lady écossaise ». Paul Misraki se met alors au travail, trouve assez vite les premières notes, puis compose toute la nuit[6]. Le lendemain matin, le compositeur s'accorde une ultime fantaisie : le « pont » qui commence par « un incident, une bêtise... », en rupture totale avec le rythme et l'ambiance de la chanson jusque-là[pas clair]. Le soir, c'est un triomphe.

Un succès mondial modifier

La chanson est adaptée

  • en russe dès 1935 par Alexandre Bezymenski, et interprétée dans cette langue notamment par Léonid Outiossov, en duo avec sa fille Edith ;
  • en hébreu, par Dan Almagor[7] ; en allemand (Heinrich Pfandl, 2010[8]),
  • en italien [9].
  • en anglais, par Tom Lehrer ("All is Well")

Paul Misraki aura toute sa vie du mal à assumer ce fulgurant succès (il avait 28 ans, et la chanson s'est faite en une nuit), plusieurs de ses écrits mentionnant cette chanson comme un « incident », justement.[réf. nécessaire]

Le texte modifier

Analyse modifier

Chantée à trois voix à l'origine, la chanson raconte une conversation téléphonique entre une aristocrate et son valet James qui lui fait part des catastrophes survenues dans son château pendant son absence de deux semaines, mais de manière antéchronologique, commençant par la mort de la jument (« un incident, une bêtise ») et remontant jusqu'au suicide de son mari, qui a appris qu'ils sont ruinés.

Utilisation médiatique avant et pendant la Seconde Guerre mondiale modifier

Au même titre que le film de Jean Renoir La Règle du jeu, Tout va très bien madame la marquise est devenu un raccourci historique pour dépeindre les années d'avant-guerre (1935-1939) en France et l'aveuglement des dirigeants face à la montée des périls (notamment au moment des accords de Munich de ).

Dès l'année suivant son enregistrement ([10]), la formule fait florès chez les journalistes. L'expression « Tout va très bien monsieur Herriot » est employée au moment des grèves de .

Par la suite, on aura Tout va très bien Monsieur Mussolini[11], puis Tout va très bien mon Führer à Radio-Londres[12].

Au cinéma modifier

Discographie modifier

Vidéos modifier

Notes et références modifier

  1. (la)Texte source : Die Disciplina clericalis, Ex. XXVII, De Maimundo servo.
  2. (ru)Texte original sur FEB : Хорошо, да и худо.
  3. Afanassiev, Contes populaires russes (tome III), traduit et présenté par Lise Gruel-Apert, Imago, 2010 (ISBN 978-2-84952-093-2), p. 292-294.
  4. Voir les indications de l'édition de 1984 des Contes d'Afanassiev par Lev Barag et Novikov[Qui ?], qui parlent aussi des sources médiévales et indiquent que le sujet a été mis en scène en Russie dans une farce citée par Ontchoukov (Drames populaires du Nord : le Barine nu, 1911).
  5. Disque His Master's Voice (ref. 2859).
  6. Avec un camembert qu'il aurait mangé tout entier.
  7. Voir (he) Version en hébreu sur YouTube.
  8. Voir (de) Version en allemand sur YouTube, avec les paroles en allemand.
  9. Voir (it) Version en italien sur YouTube., avec les paroles en italien
  10. [audio] « Ray Ventura et ses collégiens », D’un air entendu, sur rts.ch, Espace 2, (consulté le ). Par le biais d'archives et de textes choisis, cette émission de la Radio suisse romande, diffusée sur Espace 2, retrace la carrière et le parcours du musicien, compositeur et interprète Ray Ventura. Production : Daniel Robellaz. Durée : 55:32. La date d’enregistrement de la chanson « Tout va très bien Madame la Marquise » est mentionnée à 30:10. L’historique et le contexte relatifs à l’élaboration de ce titre transparaissent à partir du minutage 25:19, notamment au travers d’une interview de Paul Misraki.
  11. Jean-Claude Klein, Florilège de la chanson française, 1990, p. 185.
  12. Maurice Van Mopès, Chansons de la BBC, Éditions Pierre Trémois, Paris, 1944 cité dans Jean-Claude Klein, Florilège de la chanson française, 1990, p. 185.
  13. Olivier Platteau, « Tout va très bien, Madame la Marquise » (consulté le )

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

  •   : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
  • Jean-Claude Klein, Florilège de la chanson française, Bordas, 1989 (ISBN 2-04-018461-9)  

Liens externes modifier