Théorème de calvitie

Théorème en relativité générale

Le théorème de calvitie[N 1] est, en relativité générale, le théorème en vertu duquel tout trou noir astrophysique[N 2] est entièrement décrit par la métrique de Kerr-Newman, c'est-à-dire par trois et seulement trois paramètres, à savoir : sa masse , sa charge électrique et son moment cinétique [N 3], et ce quel que soit son mode de formation et la nature de la matière qui a servi à le former.

Histoire modifier

La conjecture a été proposée, au milieu des années 1960, par les physiciens soviétiques Vitaly L. Ginzburg, Iakov B. Zeldovitch et Igor D. Novikov[2]. Elle a commencé à être démontrée au début des années 1970[2]. Si Stephen Hawking a joué un rôle dans sa démonstration[2], le théorème est dû à Werner Israel, Brandon Carter, David C. Robinson, Gary Bunting et Pawel O. Mazur[3].

Dénomination modifier

Lorsque la conjecture commença à devenir, au fil des recherches, de plus en plus plausible, le physicien théoricien américain John Wheeler résuma cette propriété par un aphorisme[4],[5],[6] métaphorique[7] resté célèbre : « Black holes have no hair » (« Un trou noir n'a pas de cheveux »). Cet aphorisme est attesté en  : il figure, pour la première fois, dans un article de Wheeler et Remo Ruffini paru dans Physics Today en [8]. La démonstration mathématique de ce résultat s'est donc naturellement appelée « théorème de calvitie » (No-hair theorem en anglais).

Le sous-entendu grivois « Un trou noir n'a pas de poils » (en anglais, le même mot désigne la pilosité et la chevelure), surprenant de la part de Wheeler qui n'avait pas la réputation d'un plaisantin, assura le succès de l'expression. L'acceptation de la formule fut cependant difficile en dehors du monde anglo-saxon[9]. En France, notamment, où la connotation obscène du terme « trou noir » avait déjà beaucoup dérangé[10], l'expression n'enthousiasma pas les scientifiques. Mais à la fin des années 1970, l'énoncé de Wheeler était partout largement adopté et son sous-entendu n'interpellait plus personne[9].

Implications modifier

Une des conséquences de ce théorème est qu'il n'existe que quatre types de trous noirs astrophysiques :

Paramètre Moment cinétique  
   
Charge électrique     Trou noir de Schwarzschild Trou noir de Kerr
  Trou noir de Reissner-Nordström Trou noir de Kerr-Newman

S'il existait des monopôles magnétiques, un trou noir pourrait être caractérisé par une quatrième quantité, à savoir sa charge magnétique  [11],[12],[13],[14],[15].

Une autre des conséquences de ce théorème est qu'il n'existe pas de possibilité de distinguer un trou noir formé à partir de matière ordinaire d'un trou noir formé à partir d'antimatière[N 4]. D'une manière générale, une partie des quantités intervenant en physique des particules comme le nombre baryonique ou le nombre leptonique ne jouent aucun rôle dans la description d'un trou noir. La connaissance de ces quantités est donc perdue lors de la formation du trou noir.

Hypothèses et contraintes modifier

Le théorème repose sur un certain nombre d'hypothèses[16] :

Trou noir et information modifier

En mécanique quantique, il est postulé qu'une partie de l'information décrivant un système physique est toujours conservée. On dit alors que le système suit une évolution unitaire. Or l'étude des trous noirs dans le cadre de la relativité générale montre qu'une grande partie de l'information concernant la matière qui a servi à fabriquer le trou noir est perdue lors de sa formation (voir les exemples ci-dessus). L'évolution qu'elle subit n'est plus unitaire. Une telle situation est incompatible avec la physique des particules et est considérée comme l'indication que la relativité générale échoue à décrire en totalité la physique des trous noirs. Il est supposé qu'une théorie de la gravitation quantique encore à découvrir devrait permettre de réconcilier physique des trous noirs et unitarité.

Il est probable que ce problème soit en relation étroite avec le devenir d'un trou noir à la suite du processus de rayonnement de Hawking, un ensemble d'effets d'origine quantique responsables d'un très faible rayonnement émis par les trous noirs, tendant à leur faire perdre leur masse jusqu'à finalement disparaître. Cet effet peut être décrit dans le cadre de la relativité générale, à l'exception de ses toutes dernières étapes, lorsque le trou noir atteint une masse très petite, proche de la masse de Planck. Il est possible que lors de cette ultime phase, tout ou partie de l'information jusque-là perdue soit finalement restituée par le trou noir.

Une autre possibilité, plus répandue parmi les physiciens pensant que l'unitarité est préservée, conjecture que l'information contenue dans un corps plongeant dans un trou noir serait restaurée par de subtiles corrélations contenues au sein même du rayonnement Hawking du trou noir[N 5]. En , Stephen Hawking[17] a publié un article dans lequel il affirme avoir démontré que l'unitarité est effectivement préservée d'un point de vue quantique mais sa démonstration n'est pas universellement acceptée dans la communauté scientifique[18].

Le lien entre théorème de calvitie et rayonnement de Hawking peut se comprendre en notant que du point de vue de la relativité générale, le trou noir peut être vu doté d'une entropie infinie, ce qui n'est rien d'autre que la formulation dans le cadre de la physique statistique du fait que presque toute l'information relative à la matière qui forme le trou noir est perdue. Or, la démonstration de l'existence du rayonnement de Hawking permet de montrer que les trous noirs sont en réalité dotés d'une entropie certes immense, mais finie. Il n'est malheureusement pas possible dans l'état actuel des connaissances d'associer cette entropie à un ensemble d'états différents qui caractériseraient le trou noir[N 6], mais il est vraisemblable que cette entropie soit en relation étroite avec l'information initiale.

Bien que ne constituant pas encore une théorie de la gravité quantique achevée, la théorie des supercordes a permis de trouver avec succès une description microcanonique d'une classe particulière de trous noirs[19] appelée trous noirs extrêmaux (on dit aussi trous noirs BPS) vérifiant une relation particulière entre leur masse et leur charge, dite borne BPS[N 7]. Pour ces trous noirs, cette description microcanonique se fait en termes de D-branes de la théorie et aboutit à une expression rigoureusement exacte de la formule de Bekenstein-Hawking pour l'entropie des trous noirs.

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. Le théorème de calvitie est aussi connu comme le théorème d'unicité ou encore comme le théorème d'absence de chevelure[1].
  2. C'est-à-dire un trou noir existant dans notre univers et soumis aux lois de la physique que nous connaissons.
  3. Plus précisément par un paramètre appelé paramètre de spin.
  4. Il faut comprendre qu'un trou noir n'est pas formé de matière (d'associations de particules ordinaires, ou inverses (l'antimatière), ou exotiques…) ; mais uniquement d'une masse (statique, de rotation, de potentiel électrostatique). Il a la simplicité d'une particule élémentaire.
  5. Une illustration répandue de cette idée est donnée par un livre mis en flammes: l'information contenue dans le livre n'est pas détruite dans les flammes mais est préservée de façon très complexe dans la structure du rayonnement et des atomes composant le livre au cours de l'ignition.
  6. En physique statistique, on dit que l'on ne connaît pas l'ensemble microcanonique associé au trou noir.
  7. Terme issu des initiales de Bogomol'nyi, Prasad et Sommerfield.

Références modifier

  1. Frédéric Vinvent, Étude d'effets relativistes en champ gravitationnel fort : Simulations d'observations du centre galactique par l'instrument GRAVITY, Paris, Observatoire de Paris / École doctorale Astronomie et Astrophysique d'Île-de-France, (lire en ligne [PDF]), p. 27-28 : « 1.1.4 : Théorème d'absence de chevelure »
  2. a b et c Gourgoulhon 2014, p. 132.
  3. Damour 2005, chap. 6, p. 288.
  4. Iyer 1989, p. 43.
  5. Gubser 2010, p. 217.
  6. Novikov 1995, p. 34.
  7. Rogatko 2001, p. 1.
  8. Ruffini et Wheeler 1971, p. 36.
  9. a et b Kip S. Thorne (trad. de l'anglais, préf. Stephen Hawking, introduction de Frederick Seitz), Trous noirs et distorsions du temps : l'héritage sulfureux d'Einstein, New York et Londres, Flammarion, , 652 p. (ISBN 2-08-081463-X), p. 291 ; 293
  10. Thorne 1997, p. 272.
  11. Frolov et Zelnikov 2011, chap. 1er, sec. 1.1, § 1.11.1, p. 41, n. 15.
  12. Frolov et Zelnikov 2011, chap. 6, sec. 6.7, p. 182.
  13. Frolov et Zelnikov 2011, chap. 8, sec. 8.9, § 8.9.2, p. 295, n. 4.
  14. Guidry 2019, chap. 11, sec. 11.5, p. 225, n. 3.
  15. Taillet, Villain et Febvre 2013, s.v. théorème de calvitie, p. 675, col. 1.
  16. Bambi 2017, p. 20.
  17. (en) Information loss in black holes : lien vers l'article en question sur arxiv.org
  18. (en) Article du blog de Lubos Motl consacré à la résolution d'Hawking du paradoxe de l'information pour les trous noirs.
  19. (en) Andrew Strominger, Cumrun Vafa, Microscopic Origin of the Bekenstein-Hawking Entropy, Phys.Lett.B379:99-104,1996. Disponible sur l'arXiv. Liste des citations sur SPIRES « http://www.slac.stanford.edu/spires/find/hep?c=PHLTA,B379,99 »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?).

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

Articles modifier

Dictionnaires modifier

Cours modifier

Thèses modifier

Autres modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier