Tartalacrème, « gazette bimestrielle d’orthographe et de poésie », est une revue littéraire publiée à Brunoy puis à Pontault-Combault par Alain Frontier et Marie-Hélène Dhénin, de 1979 à 1986.

Situation de Tartalacrème modifier

Au début de l’année 1979, quand sort la première livraison de Tartalacrème, Alain Frontier a cessé de collaborer à la revue et aux éditions Cheval d'attaque[1] dirigées par Didier Paschal-Lejeune : « Allez, j’me tire… », déclare-t-il dans l’édito liminaire du premier numéro[2], lequel annonce d’emblée la couleur : la revue sera « l'outil d'un travail ou d'un jeu : placer parmi les autres textes ceux que nous écrivons (quelques pas dans cette chasse gardée où les écrivains se regardent sans rire où les revues se prennent pour des revues)… et le sens (il ne peut pas ne pas y en avoir) viendra, tu comprends, par-dessus le marché… »[3]

Un quart de siècle plus tard (en 2004), le poète Claude Minière écrira[4] : « Dans mon souvenir… — et dans l’après 68 où se cherchait encore une communication sauvage (hors institutions : radios libres, etc.) — Tartalacrème, avec la cerise du doute qui convient, parvenait à entretenir la sensation (est-ce l’aspect ronéo ?) d’une crise. C’était un tract, un tractatus de l’attente, de l’instabilité… » Et Pierre Le Pillouër définira Tartalacrème comme un « espace paradoxal et éclectique où se pêlent-mêlent l’humour, les vacheries, les artistes, les lettres, Fluxus, Ben[5] et Yak Rivais. La théorie et les recettes dessert. L’Oulipo et TXT, dont certains chuchotent que Tartalacrème est l’antichambre — comme qui dirait un avant-goût attrayant des ténèbres ; en fait, c’est l’aile gentille (pas au sens tarte) de la revue de Prigent, le carnaval sans la viande écorchée, la récré des guerriers du verbe. »[6]

Le support modifier

Le support est rudimentaire : une vingtaine de feuilles 21 × 29,7 cm, ronéotées recto/verso, agrafées, puis collées dans une couverture qui, elle, a été imprimée par un imprimeur professionnel, et que Sylvie Nève décrira plus tard à sa manière en disant : « La nuit, toutes les revues littéraires ont une couverture blanche, et une tête de fille-clown en bas à droite. »[7] Un coup de tampon à l’encre rouge indique ensuite le numéro de la livraison. Le caractère artisanal de la fabrication n’exclut pas une présentation soignée ni surtout une parution très régulière (« avec ça beaucoup de sérieux, une parution métronomique, contrainte salutaire du sonnet », annonce le même édito). Quand en 1986, soit 7 ans après sa fondation, la revue cessera de paraître, elle aura publié 41 numéros. Le tirage oscille entre 400 et 500 exemplaires, lesquels sont rapidement et généreusement distribués : abonnements peu chers et nombreux services de presse gratuits. Très peu en librairie, où ils se vendent mal.

La notoriété que ne tarde pas acquérir cette « petite revue »[8], au moins parmi ceux que la poésie intéresse, contraste avec la relative pauvreté du support : le , Alain Veinstein invite Marie-Hélène Dhénin et Alain Frontier dans son émission de France Culture Les Nuits Magnétiques, et le , Tartalacrème est présenté au public de la Revue Parlée de Blaise Gautier, dans la petite salle du Centre Georges-Pompidou à Paris[9].

La totalité des archives de Tartalacrème (ainsi qu'une collection complète de la revue) a été déposée à l'Institut mémoires de l'édition contemporaine, en [10].

Les principaux collaborateurs modifier

La revue compte au total une centaine de collaborateurs[11]. Ceux qui se produisent le plus souvent sont, outre son animateur Alain Frontier[12] : Jean-Pierre Bobillot et Sylvie Nève[13] ; Jean-Luc Lavrille[14], Jacques Demarcq[15], Yak Rivais, Claude Minière, Bruno Montels, Julien Blaine[16], Hubert Lucot[17]

Ont également collaboré à la revue les poètes belges Marcel et Gabriel Piqueray[18], Eric Clémens[19], Jean-Michel Pochet[20], Pierre Putemans[21] et Jean-Pierre Verheggen[22], et les poètes québécois Claude Beausoleil[23] et André Roy, auquel est consacré tout un dossier[24].

Le domaine allemand est représenté par Renate Kühn et Friederike Mayröcker[25] ; la Russie par Khlebnikov[26] ; l’Italie par Carla Bertola[27] ; les États-Unis par Raymond Federman[28], E. E. Cummings[29], etc. ; la Hongrie par Tibor Papp[30], Paul Nagy[31], et Katalin Molnár[32] ; l’Iran par Parviz Khazraï[33], etc. Enfin un important dossier est consacré à la poésie orale des Peuls[34], un autre à la poésie populaire brésilienne[35].

Si plusieurs écrivains reconnus depuis longtemps ne dédaignent pas de publier dans Tartalacrème — ainsi Michel Butor[36], Maurice Roche[37], Bernard Heidsieck, Christian Prigent, c’est dans cette même revue que d’autres, qui ne deviendront des écrivains reconnus que quelques années plus tard, auront publié leurs textes pour la première fois : ainsi, Jacques Barbaut[38], ou Pierre Le Pillouër[39].

L’œuvre critique modifier

Dans sa chronique « Commerce »[40] présente dans presque chaque livraison, Alain Frontier rend compte à chaud de l’actualité poétique et artistique et des rencontres effectuées par les animateurs de la revue, notamment avec les représentants de la poésie sonore : Bernard Heidsieck, François Dufrêne, Henri Chopin, Michèle Métail, Julien Blaine, John Giorno… ; avec les « poètes-imprimeurs » de la revue D’atelier[41] Tibor Papp, Paul Nagy, Bruno Montels ; avec les tenants de la « performance » : Jean-Jacques Lebel, Arnaud Labelle-Rojoux, Joël Hubaut… ; avec l’écrivain Hubert Lucot ; enfin avec les écrivains qui gravitent ou ont gravité autour de la revue TXT[42] : Christian Prigent, Jacques Demarcq, Claude Minière, Éric Clémens, Jean-Pierre Verheggen, Valère Novarina, Pierre Le Pillouër, Philippe Boutibonnes, etc.

En dehors de sa chronique bimestrielle, le même auteur publie des études sur Michèle Métail et ses Compléments de nom[43] ; sur Hubert Lucot et son livre Phanées les nuées[44], sur le plasticien Paul-Armand Gette[45], etc. Parallèlement à Commerce, Jacques Demarcq intervient, à partir du no 18, , avec sa chronique Échos-risées.

Le dialogue avec les artistes modifier

Marie-Hélène Dhénin s'exprime par le moyen de la photographie (et de la légende inattendue qui chaque fois l'accompagne)[46]. Chaque livraison comporte une de ses œuvres — d’abord reproduite par le procédé du stencil électronique et ronéotée, puis, à partir du no 13, imprimée sur papier glacé par un imprimeur professionnel. De cette artiste, Pierre Le Pillouër écrira[47] : « Quand elle ne s’attarde pas à faire des portraits en public des artistes, amis et performers de l’époque (aujourd’hui très prisés) ou qu’elle ne traque pas la redondance dans une fanfare de légionnaires ou l’insolite d’une silhouette prise en flagrant délit de curiosité dans un jardin public, elle prise les chemins défoncés (no 37), elle aime les lieux dévastés, désolés, déplorables, défaits, la Dhénin. Elle peut saisir un incroyable couloir de wagon vide de voyageurs, juste une valise, un couloir infini, un couloir comme même dans les trains de nuit on n’en voit jamais, un couloir pour couler… ».

La revue est également ouverte à plusieurs autres artistes, auxquels elle consacre des dossiers : Fanny Viollet[48], Bernadette Février[49], Paul-Armand Gette[50], Benjamin Vautier[51], Joël Hubaut, Arnaud Labelle-Rojoux, etc.

Notes et références modifier

  1. Cheval d’attaque
  2. On peut en lire le texte intégral sur le site officiel de Tartalacrème.
  3. no 1, février 1979, p. 1.
  4. Fusées no 8, p. 153.
  5. Alias Benjamin Vautier ; un dossier entier lui est en effet consacré dans le no 37 de février 1985, p. 3-13].
  6. Fusées no 8, p. 165.
  7. Fusées no 8, p. 154.
  8. Le caractère artisanal de sa fabrication l’empêcha de recevoir l’aide d’aucune subvention.
  9. Outre les deux animateurs, ont pris part à cette présentation Jacques Demarcq, Bernadette Février, Paul-Armand Gette, Bernard Heidsieck, Jean-Luc Lavrille, Claude Minière, Bruno Montels, Christian Prigent et Yak Rivais. Marie-Hélène Dhénin présentait, quant à elle, un montage de diapositives montrant les étapes de la fabrication de la revue.
  10. Archives de l'I.M.E.C.
  11. Le site officiel de Tartalacrème en donne une liste complète, ainsi que les sommaires des 41 numéros.
  12. Parallèlement à sa chronique bimestrielle Commerce et à plusieurs articles critiques, il y publie en feuilleton les premières pages de ses Aventures de Harry Dickson, puis, à partir du no 35 d’octobre 1984, le début de Portrait d’une dame
  13. Jean-Pierre Bobillot et Sylvie Nève sont présents dès la première livraison, avec Extrait d'un feuilleton à deux voies. Ils interviendront ensuite dans la plupart des numéros. Une photographie (signée Marie-Hélène Dhénin) sera publiée dans le no 8 de la revue Fusées, p. 140 : elle montre qu'ils ont également collaboré à la fabrication de la revue.
  14. Première intervention dans le no 14 d’avril 1981 ; ensuite, une douzaine d’interventions, avec notamment L'âme de fonds, Appris voisée, Trait Port Trait et un extrait de Carbone 14, extrait dans le no 40 d’avril 1986, p. 18-20.
  15. Première apparition, avec Chanson d’été dans le no 10, août 1980, p. 15-18 ; il intervient ensuite dans la revue une trentaine de fois.
  16. Poèmes métaphysiques (27, 28, 71, 79, 13422, 13423), no 24, décembre 1982, p. 15-23.
  17. Notamment Overdose, dans le no 15 de juin 1981, sa première intervention, et le troisième chapitre de Langst, en feuilleton à partir du no 22, août 1982. L’intégralité de cette œuvre sera éditée chez P.O.L. en 1984.
  18. no 23, octobre 1982, p. 3-5 ; no 27, juin 1983, p. 15-16 ; no 30, décembre 1983, p. 18.
  19. no 35, octobre 1984, p. 3-7.
  20. no 10, août 1980, p. 22-24.
  21. no 37, février 1985, p. 24.
  22. no 17, octobre 1981, p. 18-23, no 24, décembre 1982, p. 3-5 et no 39, octobre 1985, p. 33-35.
  23. no 28, août 1983, p. 21.
  24. no 20, avril 1982, p. 3-20
  25. no 40, avril 1986, p. 7-17.
  26. L'Apollon de Petersbourg, traduit par Catherine Prigent (sœur de Christian Prigent), no 40, avril 1946, p. 3-5.
  27. no 10, août 1980, p. 19-21 ; no 37, février 1985, p. 21-22 ; no 23, octobre 1982, p. 24-25.
  28. Voir en particulier sa Lettre d’Amérique, no 19, février 1982, p. 24-25, texte intégralement reproduit dans Fusées no 8, septembre 2004, p. 143
  29. Traduit en français par Jacques Demarcq : 95-11, no 16, août 1981, p. 5, et Nul merci, no 26, avril 1983, p. 3-5.
  30. no 40, avril 1986, p. 21-26.
  31. Tombeau de Garamond, no 38, juin 1985, p. 5-9.
  32. Latinkarakterlimit..., no 34, août 1984, p. 3-5, et Trois sous-ensembles flous, no 36, décembre 1984, p. 22-23.
  33. D'où l'on tue la pensée, version française d'Alain Frontier en regard du texte persan, no 33, juin 1984, p. 18-27.
  34. no 39, octobre 1985, p. 3-24.
  35. Marie-Hélène Thomas, La littérature à la ficelle, no 41, novembre 1986, p. 3-22.
  36. « Monologue du graveur de merveilles », no 12, décembre 1980, p. 3-6.
  37. « Co.pine », no 9, juin 1980, p. 3-6.
  38. Voir son blog Barbotage
  39. Par exemple : Deux fois dix Tas et Bas dans le no 17 d’octobre 1981, p. 24-25 octobre ; Pierre Le Pillouër rejoindra ensuite (en 1983) le collectif de la revue TXT de Christian Prigent.
  40. Rachel Stella, "La revue des revues" no 59,mars 2018, p. 67 et suivantes.
  41. Sur cette notion, voir A. Frontier, La poésie, Paris, Belin, 1992, p. 333-334.
  42. La première rencontre est racontée dans le no 12 de décembre 1980, p. 28-30. Elle a lieu le 29 octobre de la même année à Paris, dans la petite salle du Centre Georges-Pompidou, où la revue TXT présentait son no 13, intitulé « Le crépuscule des avant-gardes ». Lorsque Tartalacrème cessera de paraître, en novembre 1986, Alain Frontier rejoindra pour quelque temps (1986-1989) l’équipe rédactionnelle de TXT.
  43. Le Danube, no 31, février 1984.
  44. L'X de Hubert Lucot), no 19, février 1982, p. 32-38.
  45. La petite fille dans le lac, no 17, octobre 1981, p. 3-8.
  46. Elle a par ailleurs collaboré à plusieurs publications d’avant-garde (Dock(s), Le Bout des Bordes de Jean-Luc Parant…) ainsi qu’à quatre ouvrages d’Alain Frontier : Le voyage ordinaire en 1976, Manipulation(s) en 1978, Portrait d’une dame en 1987, N’être pas (poèmes logiques)accompagné de 28 portraits du poète sur son tabouret par Marie-Hélène Dhénin (Besançon, éditions de la Maison chauffante, 2009).
  47. Fusées no 8, p. 167-168
  48. Voir, dans le no 32, 1984, le texte de Marie-Hélène Dhénin intitulé Le futur de l’indicatif, reproduit sur le site de Fanny Viollet.
  49. no 38, juin 1985, p. 33 : Mâts calendriers, et no 23, octobre 1982, p. 11-21.
  50. Quelques considérations en forme de notes sur les sous-vêtements des enfants de sexe féminin, no 17, octobre 1981, p. 9-17 ; Le toucher du modèle (triptique), no 33, juin 1984, p. 8, 11 et 13 ; Du toucher du modèle à celui de son image, ibidem, p. 15-16.
  51. (dit Ben), no 37, février 1985, p. 3--13.

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