Syndicat des chômeurs en Irak

Le Syndicat des chômeurs en Irak (en arabe : اتحاد العاطلين عن العمل في العراق, ʾittiḥād al-ʿāṭilīn ʿan al-ʿamal fī al-ʿīrāq?) (en anglais The Union of the Unemployed in Iraq ou UUI)[1] est une organisation de chômeurs fondée en 2003 à Bagdad à la suite de l'occupation de l'Irak par les forces armées occidentales. Son secrétaire général est Qasim Hadi[2], un syndicaliste irakien.

Création et premières actions modifier

Créé rapidement après l'entrée des troupes coalisées en Irak, par une vingtaine de chômeurs, le Syndicat des chômeurs en Irak est présidé par Qasim Hadi, ancien ouvrier spécialisé du textile et militant communiste-ouvrier clandestin sous le régime de Saddam Hussein[3]. Il tient son nom d'une organisation similaire fondée au Kurdistan d'Irak en 1991, dont d'anciens cadres aidèrent au développement du nouveau syndicat[4].

La première revendication du syndicat est « du boulot ou 100 $ pour tous et toutes ». À partir du , un sit-in de plus d'un mois est organisé devant le bureau de l'administrateur civil Paul Bremer[3]. Qasim Hadi, et d'autres militants sont arrêtés à deux reprises pour « violation du couvre-feu »[5], puis relâchés à la suite d'une campagne internationale de soutien[3]. L'architecte Issam Shukkri, qui est anglophone, est chargé de la négociation avec l'autorité provisoire, à laquelle il soumet les bordereaux des 150 000 adhésions au syndicat[3]. Le , les troupes américaines tentent une nouvelle dispersion à la baïonnette, sans succès. La grève assise prend fin au bout de 45 jours, le [3],[6],[7],[8]. D'autres arrestations auront lieu lors des manifestations de ce syndicat[9].

Fin 2003, le Syndicat des chômeurs prend part à la création de la Fédération des comités et syndicats de travailleurs d'Irak, dont le congrès de création se déroule dans le locaux du syndicat à Bagdad[10]. Il se dote également d'un réseau de représentants à l'étranger, actif au Canada, au Danemark, en Grande-Bretagne, en Italie et en Turquie[11].

Le syndicat revendique rapidement jusqu'à 300 000 adhérents[12],[13]. Cependant, la répression entraîne une baisse sensible des effectifs dès l'année 2004[4]. Le syndicat propose de nouvelles revendications, notamment des exonérations de taxes et d'impôts pour les chômeurs[4]. À partir de , il met en place un réseau d'aide médicale gratuite, appuyé par 250 médecins et 16 pharmacies[4]. À Kirkouk, il entreprend la construction d'un centre médical, avec services d'urgences et maternité, aidé par l'ONG canadienne VAST[4]. En , l'organisation internationale du travail, à la suite de la répression que subit le syndicat des chômeurs, demande au gouvernement d'interim d'autoriser ce syndicat et d'accorder le libre choix de syndicats aux irakiens[14].

Branches locales modifier

À Bagdad, le Syndicat des chômeurs occupe les anciens locaux du syndicat officiel dans le quartier de Bab_Al-Sharqi, dans le centre de la capitale[5]. Il ouvre en outre des sections locales à Kirkuk[5], Mossul, Nassiriyah[5], Bassorah, Muqdayah[3], Ramadi, Hilla, Kut et Samaw[15]. À Bassorah, le local est ouvert en commun avec l’Union des familles sans-toit[16].

Répression modifier

À Nassiriyah, le , au cours d'une manifestation appelée par le Syndicat des chômeurs, quatre manifestants sont tués par le groupe islamiste Al-initfadah al-sha’baaniah[3]. Le , à Al-Amarah, les troupes irakiennes sous commandement britannique font six morts et onze blessés, dans une autre manifestation[3].Le , Nabil Nadim, webmestre du Syndicat des chômeurs, meurt dans un accident de voiture provoqué par un affrontement entre l'armée américaine et la résistance[17].

Qasim Hadi, fondateur du syndicat modifier

Technicien en machines agricoles, puis ouvrier dans la confection textile, Qasim Hadi a participé à plusieurs grèves durement réprimée par le régime de Saddam Hussein[18]. En 1991, il adhère à la Ligue pour l'émancipation de la classe ouvrière, une organisation communiste clandestine, issue du Parti communiste irakien[18]. Il organise de nombreuses grèves, notamment celles de l'usine Noura à Kerbala en 1994, une entreprise liée à l'armée ; malgré le caractère illégal de la grève, le ministère de la défense est amené à négocier avec les grévistes et à céder à leurs revendications, du fait du caractère stratégique de la production[18]. Puis, en 1998, il prend part à l'organisation de la grève à l'usine Badr[2]. Il organise également les ouvriers des carrières de gypse[19]. Ses activités lui valent un total de quarante neuf arrestations successives[2].

Cible du gouvernement d'occupation, Qasim Hadi est arrêté à trois reprises en 2003 pour son activité syndicale, bien qu'une loi ait récemment accordé le droit théorique à la liberté d'association. Le , il est arrêté avec d'autres membres de son syndicat par les forces militaires des États-Unis devant le quartier général de l'Autorité provisoire de la coalition alors qu'ils demandent du travail ou une indemnité de chômage pour les millions de chômeurs[20] ; le et à nouveau le , il est détenu quelques jours durant par les forces armées américaines. Le syndicat et ses manifestations ont été la cible également d'attaques des partis islamistes, ce qui suggère une collusion entre les forces occupantes et les groupes politico-religieux[21],[22],[23],[24],[25],[26].

Durant les six années qui suivent, Qasim Hadi organise manifestation après manifestation si bien que le syndicat des chômeurs devient une épine dans le pied d'abord de l'occupant américain puis des administrations iraquiennes qui lui succèdent[27]. Le syndicat s'est constitué un réseau de solidarité en Europe, en Australie et au Canada. Il publie un journal en arabe intitulé Al-Majalis Al-Ummalyia[28] et un autre en anglais dénommé The Voice of Iraqi Workers[29],[2].

En 2011, il estime le nombre de chômeurs en Irak à plus de 10 millions de personnes, soit près des deux tiers de la population active[30]. Il déclare que le niveau de chômage, 8 ans après le début de l'occupation américaine, est toujours très élevé dans son pays, à un niveau qui ne serait pas pensable aux États-Unis[31].

Notes et références modifier

  1. David Bacon, « La brute politique pétrolière irakienne », Equal Times,‎ (lire en ligne).
  2. a b c et d Présentation du comité directeur de l’Union des chômeurs en Irak, 2004.
  3. a b c d e f g et h Nicolas Dessaux, « Luttes des chômeurs et chômeuses en Irak », No Pasaran, n°36, janvier 2005.
  4. a b c d et e « Qasim Hadi, secrétaire de l’Union des chômeurs en Irak, la guerre a détruit les institutions civiles, les infrastructures économiques et les services sociaux. », interview par Nicolas Dessaux.
  5. a b c et d Pourquoi une Union des chômeurs d'Irak ?, site de la Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak, août 2003.
  6. (en) « Giuliana Sgrena on Iraq's new trade unions », sur Workers liberty,
  7. (en) « Announcement from The Union of the Unemployed in Iraq - UUI », sur LaborNet (en),
  8. (en) « Solidarity in Wartime », sur The Nation,
  9. (en) David Bacon, Jhon Gershman, « Between Soldiers and Bombs », sur Foreign Policy Focus (en),
  10. « La Fcosi : Une organisation syndicale de base en Irak », sur SUD Éducation,
  11. « Création du réseau des représentants du syndicat des chômeurs irakiens à l'étranger », sur Solidarité Irak.org,
  12. (en) David Enders, « Fighting for a job in Iraq », sur Asia Times,  : « Qasim Hadi, secretary general of the Union of the Unemployed, which claims to represent 300,000 people. »
  13. (en) « Interview: Iraq’s Union of the Unemployed », sur Red Pepper,
  14. (en) « Rapport intérimaire - Rapport No. 338, novembre 2005, Cas No 2348 (Iraq) - Date de la plainte: 15-MAI -04 - Clos », sur Organisation internationale du travail, .
  15. La conférence des conseils ouvriers et des syndicats en Irak (WCUI) s'est conclue par un succès à Bagdad, site de la Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak, décembre 2003.
  16. L’Union des chômeurs en Irak ouvre un local à Bassorah, site de la Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak, 13 juillet 2004.
  17. Nabil Nadim, webmestre de l’Union des chômeurs, a été tué en Irak, site de la Fédération des conseils ouvriers et syndicats en Irak, juillet 2004.
  18. a b et c Nicolas Dessaux, Résistances irakiennes : contre l'occupation, l'islamisme et le capitalisme, Paris, L'Échappée, coll. Dans la mêlée, 2006, « Emprisonné à trois reprises par les forces d'occupation », Entretien avec Qasim Hadi et Akram Muhammad Nadir, pp. 121-129.
  19. La Fcosi : Une organisation syndicale de base en Irak, SUD éducation, février 2006.
  20. (en) Jason Goff et Jennifer Wilson, « Organized Crime in Iraq », sur web.stanford.edu, EDGE/Spring, , p. 27 : « On July 29, 2003 US forces in Iraq arrested a leader of Iraq’s new emerging labor movement, Kacem Madi, along with 20 other members of the Union of the Unemployed. The unionists were conducting a sit-in to protest the treatment of unemployed Iraqi workers by the US occupation authority and the fact that contracts for work rebuilding the country have been given overwhelmingly to US corps. As a result of Iraq’s unemployment state, the Union of the Unemployed has become the fastest growing, largest labor organization in the country. »
  21. (en) Jo Wilding, Don't Shoot the Clowns: Taking a Circus to the Children of Iraq, New Internationalist, (lire en ligne), p. 107
    « Qasim Hadi, the leader of the Union of Unemployed Iraqis (UUI), and Adil Salih, from the Union's leadership committee, were arrested in Baghdad on 23 November 2003 ... »
  22. Syndicat des chômeurs et chômeuses d'Irak. Appel contre la répression, 27 novembre 2003, lire en ligne.
  23. (en) Joanne Landy, « Questions for the Peace Movement: The US Occupation of Iraq.s », New Politics (en), vol. 9, no 4,‎ , p. 19 (résumé, lire en ligne [PDF])
    « [...] reports have come in of newer arrests of Iraqi trade unionists: on November 23, a US military force in Baghdad arrested Qasim Hadi, president of the Union of the Unemployed in Iraq and Adil Salih, a member of union's leading committee; »
  24. (en) David Bacon (en), « Privatized Iraq: Imposed economic and social policies raise human rights questions », Race, Poverty & the Environment, vol. 11, no 1,‎ , pp. 46-49 (OCLC 830933585, résumé) [présentation en ligne]
    « There is a Union of the Unemployed, which has held marches and demonstrations demanding jobs and benefits. Its leader, Qasim Hadi, has been repeatedly arrested by the occupation troops. »
  25. (en) David Bacon (en), « Between Soldiers and Bombs: Iraq's Fledgling Labor Movement », Multinational Monitor (en),‎ , pp. 37-40 (lire en ligne [PDF])
    « Some of the first street protests in Baghdad were organized by the Union of Unemployed of Iraq, now part of the FWCUI, which led to many arrests, particularly for the union's head, Qasim Hadi. »
  26. (en) Pratap Chatterjee (en), Iraq, Inc.: A Profitable Occupation, Seven Stories Press (en), (lire en ligne), p. 19
    « Two other trade union leaders — Qasim Hadi, general secretary of the Union of the Unemployed, and Adil Salih, another leader of the organization — were arrested in November 11 »
  27. (en) David Bacon, Eight Years of Occupation In Iraq, Eight Years of Misery, The Greanville Post, 3 avril 2011 : « For the next six years, he led one protest after another, making the Union of the Unemployed a thorn in the side first of the U.S. occupation administration, and then of the Iraqi regimes that followed. »
  28. Litt. « les conseils des travailleurs ».
  29. Litt. « la voix des travailleurs irakiens ».
  30. (en) David Bacon, « Eight Years of Occupation In Iraq, Eight Years of Misery », sur The Greanville Post,
  31. (en) David Bacon, « For Unionists, Iraq’s Oil War Rages On », sur In These Times,

Lien externe modifier