Supermolécule
En chimie, le terme supermolécule ou supramolécule désigne une entité chimique formée par l'assemblage d'autres entités (molécules ou ions) par des liaisons non covalentes. Les supermolécules sont les objets d'étude de la chimie supramoléculaire. Le terme de supermolécule est surtout utilisé en chimie supramoléculaire et en biochimie. Celui de complexe est parfois utilisé dans le même sens.
Vocabulaire
modifierLe terme allemand Übermoleküle a été introduit en 1937[1] pour décrire le dimère de l'acide acétique par liaison hydrogène[2]. Le mot supermolécule a été employé notamment par Jean-Marie Lehn en 1988 lors de sa Nobel Lecture[3] ; il l'a également utilisé dans un livre dont le but était notamment de définir les concepts principaux de la chimie supramoléculaire[4]. Le terme anglais supramolecule est celui retenu par l'Union internationale de chimie pure et appliquée[5].
Le terme de supermolécule est également utilisé depuis au moins 1966 en biochimie pour décrire les assemblages de biomolécules par des liaisons plus faibles que covalentes, tels que des peptides ou des oligonucléotides composés de plusieurs brins[6]. Même si cet usage du terme est plus ancien, les supermolécules des biochimistes sont bien des supermolécules au sens de la chimie supramoléculaire.
Le terme de complexe est également largement utilisé comme synonyme de supermolécule. C'est le sens du mot complexe en biochimie, par exemple pour le complexe immun qui est lui-aussi une supermolécule. C'est aussi le cas en chimie supramoléculaire, où il n'est pas rare de faire mention de complexes par liaison hydrogène ou de complexes d'inclusion. Mais en chimie inorganique le mot complexe désigne plutôt les complexes de coordination.
Exemples
modifierDimères de molécules
modifierDans l'acide acétique, comme dans les autres acides carboxyliques, les molécules se mettent par deux en dimères connectés par des liaisons hydrogène. L'ensemble forme une supermolécule. C'est pour ce dimère que le terme allemand Übermolekule a d'abord été inventé[1]. La structure cristalline de l'acide acétique[7] a depuis confirmé la réalité de ce dimère.
Autoassemblage et complémentarité
modifierLe réseau bidimensionnel formé par la mélamine et l'acide cyanurique, représenté ci-contre, va au-delà de la supermolécule puisqu'il conduit à l'apparition de cristaux probablement responsables d'empoisonnements alimentaires chez des animaux[9]. Ce réseau est lui aussi formé par liaisons hydrogène.
Il permet d'illustrer les phénomènes d'autoassemblage et le principe de complémentarité des entités moléculaires pour l'établissement des liaisons donnant naissance à une supermolécule. De telles structures à grande échelle par liaisons hydrogène se retrouvent notamment dans les polymères supramoléculaires.
Complexes d'inclusion
modifierLa chimie hôte-invité fournit de nombreux exemples de complexes d'inclusion, qui sont des supermolécules. Dans l'exemple ci-contre, un cation p-xylènediammonium est inclus dans la cavité d'un cucurbiturile. Les interactions entre les deux entités chimiques sont des interactions hydrophobes ainsi que des forces cation-dipôle.
Il existe de nombreux autres exemples de complexes d'inclusion, comme ceux que peuvent former les cyclodextrines avec des molécules hydrophobes.
En biochimie, le complexe enzyme-substrat est également une supermolécule pouvant être décrite comme un complexe d'inclusion, avec une grande complémentarité du substrat et du site de liaison. Il en est de même du complexe antigène-anticorps.
Supermolécules biologiques
modifierLa biochimie fournit de nombreux exemples de supermolécules. Par exemple, chez la plupart des vertébrés, la molécule d'hémoglobine[11], qui sert au transport de l'oxygène par le sang, est un assemblage de quatre sous-unités qui sont maintenues ensemble par des liaisons hydrogène, par des liaisons ioniques et par effet hydrophobe. Son repliement caractéristique présente une cavité dans laquelle est étroitement insérée une molécule d'hème par sous-unité. Ces hèmes sont eux-mêmes des complexes de coordination, qui peuvent fixer des atomes d'oxygène.
Complexes de coordination
modifierL'exemple ci-contre représente la structure du complexe formé par l'éther 18-couronne-6 et le cation potassium. Il est représentatif des complexes formés par les éthers couronne avec des cations métalliques. On peut les considérer comme des complexes d'inclusion ce qui en fait une supermolécule, mais aussi comme des complexes de coordination. Bien que les liaisons entre le cation métallique et ses ligands soient aujourd'hui décrites le plus souvent par des orbitales moléculaires dans le cadre de la théorie du champ de ligands, et donc comme un cas particulier de liaison covalente, on classe habituellement ces entités parmi les complexes, donc les supermolécules.
Structures entrelacées
modifierL'olympiadane représenté ci-contre est une supermolécule qui a la topologie des anneaux olympiques. C'est un [5]caténane, c'est-à-dire un caténane formé de cinq cycles[12]. Cette supermolécule a été synthétisée et nommée par l'équipe de James Fraser Stoddart en 1994[13]. Les caténanes et les rotaxanes sont des strucutres entrelacées, c'est-à-dire des supermolécules où les entités moléculaires sont retenues par des liaisons mécaniques : ce sont les interactions stériques qui les empêchent de se séparer.
Notes et références
modifier- (de) Κ. L. Wolf, H. Frahm et H. Harms, « Über den Ordnungszustand der Moleküle in Flüssigkeiten », Zeitschrift für Physikalische Chemie, Walter de Gruyter GmbH, vol. 36B, no 1, , p. 237-287 (ISSN 2196-7156, DOI 10.1515/zpch-1937-3618)
- ↑ (en) Christoph A. Schalley, Analytical methods in supramolecular chemistry, Wiley-VCH, (ISBN 978-3-527-31505-5, lire en ligne)
- ↑ (en) Jean-Marie Lehn, « Supramolecular Chemistry—Scope and Perspectives Molecules, Supermolecules, and Molecular Devices(Nobel Lecture) », Angewandte Chemie. International edition in English, vol. 27, no 1, , p. 89–112 (DOI 10.1002/ANIE.198800891, lire en ligne, consulté le )
- ↑ (en) Jean‐Marie Lehn, Supramolecular Chemistry, Wiley, (ISBN 978-3-527-29312-4 et 978-3-527-60743-3, lire en ligne)
- ↑ (en) « supramolecule », IUPAC, Compendium of Chemical Terminology [« Gold Book »], Oxford, Blackwell Scientific Publications, 1997, version corrigée en ligne : (2019-), 2e éd. (ISBN 0-9678550-9-8)
- ↑ Albert L. Lehninger, « Supramolecular organization of enzyme and membrane systems », Die Naturwissenschaften, Springer Science and Business Media LLC, vol. 53, no 3, , p. 57–63 (ISSN 0028-1042, PMID 5983868, DOI 10.1007/bf00594748, Bibcode 1966NW.....53...57L)
- ↑ Jones, R.E. et Templeton, D.H. (1958), The crystal structure of acetic acid, Acta Crystallogr., 11 (7), 484–87.
- ↑ (en) Luís M. A. Perdigão, Neil R. Champness et Peter H. Beton, « Surface self-assembly of the cyanuric acid–melamine hydrogen bonded network », Chem. Commun., no 5, , p. 538–540 (ISSN 1359-7345 et 1364-548X, DOI 10.1039/B514389F, lire en ligne, consulté le )
- ↑ (en) Roy L. M. Dobson, Safa Motlagh, Mike Quijano et R. Thomas Cambron, « Identification and Characterization of Toxicity of Contaminants in Pet Food Leading to an Outbreak of Renal Toxicity in Cats and Dogs », Toxicological Sciences, vol. 106, no 1, , p. 251–262 (ISSN 1096-6080 et 1096-0929, DOI 10.1093/toxsci/kfn160, lire en ligne, consulté le )
- ↑ (en) Freeman, « Structures of the p-xylylenediammonium chloride and calcium hydrogensulfate adducts of the cavitand 'cucurbituril', C36H36N24O12 », Acta Crystallographica B, vol. 40, no 4, , p. 382–387 (DOI 10.1107/S0108768184002354)
- ↑ (en) G. Fermi, M.F. Perutz, B. Shaanan et R. Fourme, « The crystal structure of human deoxyhaemoglobin at 1.74 Å resolution », Journal of Molecular Biology, vol. 175, no 2, , p. 159–174 (DOI 10.1016/0022-2836(84)90472-8, lire en ligne, consulté le )
- ↑ O. Safarowsky, B. Windisch, A. Mohry, F. Vögtle, "Nomenclature for Catenanes, Rotaxanes, Molecular Knots, and Assemblies Derived from These Structural Elements", Journal für praktische Chemie, 342:5, 2000, p. 437-444, DOI 10.1002/1521-3897(200006)342:5<437::AID-PRAC437>3.0.CO;2-7
- ↑ D. B. Amabilino, P. R. Ashton, A. S. Reder, N. Spencer et J. F. Stoddart, "Olympiadane", Angewandte Chemie Int. Ed. Engl., 33, 1994, p. 1286-1290
Liens externes
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- Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généraliste :