Suicides d'amour à Sonezaki

Suicides d'amour à Sonezaki (曾根崎心中, Sonezaki Shinjū?) ou Double suicide à Sonezaki est une pièce du théâtre bunraku de Chikamatsu Monzaemon dont le thème est le suicide d'amour. Bien qu'elle ne soit pas sa première (qui est probablement la pièce de marionnettes Les successeurs de Soga en 1683) ni sa plus fameuse (sans doute les batailles de Coxinga), c'est probablement la plus populaire de ses « tragédies domestiques » ou « pièces de théâtre domestiques » (sewa-mono) selon la caractérisation que fait Donald Keene des pièces non-historiques.

Elle est représentée pour la première fois le puis de nouveau mise en scène en 1717, avec des scènes supplémentaires ajoutées par Chikamatsu, comme la punition du méchant, mais la version généralement traduite et jouée est celle de 1703.

Intrigue modifier

Suicides d'amour à Sonezaki est une pièce en trois actes, dont l'action dure un jour et une nuit. Les deux personnages principaux sont un jeune orphelin, Tokubei, employé dans un magasin d'huile et de soja, et Ohatsu, une courtisane qu'il aime.

Premier acte modifier

Dans un prologue, la jeune courtisane Ohatsu fait un pèlerinage auprès de trente-trois temples consacrés à la déesse Kannon[1] avec un client, ce qui est pour lui un prétexte pour passer la journée à boire.

Lors de la premiere scène, Tokubei et un jeune collègue font la tournée des clients de leur magasin ; dans l'enceinte du Ikutama-jinja (à Osaka), Tokubei rencontre Ohatsu, qui le réprimande pour sa froideur et pour ne pas lui donner à elle de ses nouvelles.

Tokubei se confie alors. L'oncle de Tokubei, qui est aussi son patron, a été impressionné par son sérieux et son honnêteté au travail, et il voulait lui faire épouser la nièce de sa femme. Comme Tokubei aime Ohatsu, il a poliment refusé, mais son oncle n'a pas mis fin à ses projets, et il a réussi à convaincre la belle-mère de Tokubei. Celle-ci est déjà rentrée dans son village natal avec la dot que l'oncle lui a donnée, deux kamme[2].

Même après avoir appris cette information, Tokubei a refusé catégoriquement ce mariage. L'oncle, devenu furieux, a renvoyé Tokubei et exigé qu'il lui rembourse les deux kamme. Tokubei est rentré à son village et a réussi, avec l'aide des voisins, à récupérer l'argent de sa belle-mère. Sur le chemin du retour, toutefois, il a rencontré son vieil ami Kuheiji, un marchand d'huile, qui lui a dit avoir absolument besoin de deux kamme pendant quelques jours, faute de quoi il serait en faillite. Comme Tokubei a bon cœur et qu'il a encore plusieurs jours devant lui pour rendre l'argent à son oncle, il a prêté la somme à Kuheiji.

Au moment où Tokubei finit de raconter ces événements, Kuheiji entre dans le sanctuaire à la tête d'un groupe de noceurs et de farceurs. Tokubei en profite pour lui demander le remboursement de sa créance.

Toutefois, Kuheiji nie avoir contracté un prêt. Lorsque Tokubei lui montre les documents qui portent le sceau de Kuheiji, celui-ci affirme que c'est une tentative d'extorsion d'argent, car il a perdu son sceau trois jours avant la date de ce document, ce qu'il prouve au moyen d'une déclaration faite en ce sens aux autorités.

Tokubei réalise qu'il a été trompé et se jette sur Kuheiji, mais la bande de celui-ci roue Tokubei de coups.

Acte deux modifier

Alors que Tokubei se remet de son passage à tabac et retourne tristement à la maison Tenma où travaille Ohatsu, Kuheiji est précisément en train de s'y rendre pour se vanter de sa nouvelle richesse et de son arnaque réussie, après avoir répandu l'histoire selon laquelle Tokubei a essayé d'extorquer son argent.

À peine Ohatsu a-t-elle caché Tokubei sous ses robes que Kuheiji et quelques amis interviennent avec arrogance. Tandis que Kuheiji se vante de la façon dont Tokubei est sûr d'être exécuté ou exilé et comment il possèdera alors Ohatsu, Ohatsu et Tokubei communiquent avec leurs mains et leurs pieds. Ils décident de mourir ensemble cette même nuit.

La deuxième scène se termine tandis qu'ils se faufilent devant le serviteur endormi qui garde la sortie.

Acte trois modifier

 
Monument en l'honneur de Tokubei et Ohatsu dans le sanctuaire Tsuyunoten-jinja (Osaka)

Le troisième acte commence par un long dialogue poétique entre les deux amants, dialogue dans lequel le narrateur insère à l'occasion des commentaires de lamentations. Tous deux se rendent dans un bois situé dans l'enceinte d'un sanctuaire du quartier de Sonezaki, où pousse un arbre rare constitué d'un pin et d'un palmier reliés au même tronc (cet arbre est depuis mort) : ils décident que tel est l'endroit où ils accompliront l'acte terrible.

Tokubei lie Ohatsu à l'arbre. Si terrible est l'acte que ses premiers coups avec le rasoir sont mal assurés mais, soudainement, il frappe la gorge d'Ohatsu qui commence lentement à mourir. Avant qu'elle ne meure, Tokubei s'enfonce le rasoir dans la gorge et les deux meurent ensemble.

Contexte modifier

Interprétée pour la première fois le , la pièce se base sur un double suicide survenu un mois auparavant à Osaka : un commis nommé Tokubyôé s'est tué en même temps qu'une courtisane de la maison Tenma nommé Ohatsu. Les personnages portent donc leurs vrais noms dans la pièce. Toutefois Chikamatsu rajoute le personnage odieux de Kuheiji, qui escroque Tokubyôé[3].

Suicides d'amour à Sonézaki est la première pièce de jōruri qui met en scène des personnages du peuple, alors que les pièces étaient jusque-là consacrées à des hauts personnages. Le très grand succès de la pièce, servi semble-t-il par la performance du marionnettiste dans le prologue, a permis de sortir le Takemoto-za, théâtre d'Osaka, de graves difficultés financières[4].

Notes et références modifier

  1. Ce pèlerinage, version du pèlerinage de Kansai Kannon réduite à une seule ville, est décrit en détail dans Michael Brownstein, « The Osaka Kannon Pilgrimage and Chikamatsu's "Love Suicides at Sonezaki" », Harvard Journal of Asiatic Studies, vol. 66, no 1,‎ , p. 7-41 (lire en ligne)
  2. Deux mesures d'argent. Donald Keene, écrivant dans les années 1960, a suggéré que deux kamme seraient l'équivalent de 1 000 dollars.
  3. Sieffert 1991, p. 53.
  4. Sieffert, p. 53-54.

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

Articles connexes modifier

Liens externes modifier