Sueurs froides

film d'Alfred Hitchcock, sorti en 1958
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Sueurs froides
Sur fond rouge orangé, dans des spirales blanches, la silhouette noire d'un homme sur celle, transparente, d'une femme.
Affiche du film, créée par Saul Bass.
Titre original Vertigo
Réalisation Alfred Hitchcock
Scénario Alec Coppel
Samuel Taylor
d'après le roman de Boileau-Narcejac
Musique Bernard Herrmann
Acteurs principaux
Sociétés de production Paramount Pictures
Alfred J. Hitchcock Productions, Inc.
Pays de production Drapeau des États-Unis États-Unis
Genre Thriller, romance
Durée 128 minutes
Sortie 1958

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution.

Sueurs froides, souvent désigné sous son titre original Vertigo[1], est un film américain réalisé par Alfred Hitchcock, sorti en , avec dans les rôles principaux James Stewart et Kim Novak.

Bande-annonce du film (en anglais).

Le scénario du film s'inspire du roman D'entre les morts de Boileau-Narcejac, lui même inspiré de Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach.

Rencontrant un succès mitigé à sa sortie, il est aujourd'hui classé parmi les meilleurs films de l'histoire du cinéma : il se trouve en tête du classement des 100 meilleurs films de l'histoire selon Télérama[2] et à la neuvième place dans la liste AFI's 100 Years...100 Movies en .

Synopsis modifier

À San Francisco se déroule une tragique course-poursuite sur les toits. Un policier porte secours à l'un de ses collègues en difficulté et meurt en tentant de lui sauver la vie. Le survivant, John Ferguson (dit « Scottie »), est rongé par la culpabilité. Il en devient acrophobe. Cela le rend inapte à la poursuite de son métier et le force à être réformé. Ça fait des années qu'il vit, depuis, de ses rentes, reclus et renfermé. Il entretient aussi une relation - devenue amicale - avec Marjorie Wood, dite « Midge » (« Betty » dans la version française), qui est toujours éprise de lui.

L'un de ses anciens camarades d'études, Gavin Elster, le contacte un jour. Il lui réclame de suivre sa jeune épouse de 26 ans prénommée Madeleine. Le mari présente l'affaire comme la croyant possédée par l'esprit de son arrière-grand-mère maternelle, Carlotta Valdes. Cette dernière fut abandonnée un siècle plus tôt par son amant et mourut, désespérée, au même âge que le sien actuel. Scottie est franchement sceptique. Il n'accepte ensuite que pour s'occuper l'esprit.

Au cours de patientes filatures par ailleurs loin d'être discrètes, il constate que Madeleine va se recueillir souvent sur la tombe de son aïeule. Intrigué puis séduit malgré lui, il l'observe longuement. Elle passe de longues heures au musée, silencieuse, absorbée par un portrait peint de Carlotta qui se trouve présent sur un mur en face d'un banc. Elle s'identifie par la suite à la défunte en adoptant sa coiffure élaborée, puis en portant ses bijoux passés de mode — dont un pendentif orné de trois pierres rouges — et en achetant enfin un bouquet de fleurs analogue à celui du modèle. Elle a même loué une chambre dans l'ancienne demeure de la défunte qui est devenue un hôtel.

Un jour, Madeleine se jette dans la baie de San Francisco depuis un parking au pied du pont. Scottie venait de se garer et la suivait non loin. Il se jette à l'eau à son tour pour lui épargner la mort et la ramène chez lui. Il entame le dialogue et cherche à la comprendre. Très vite, les deux personnes tombent amoureuses. Mais quelque temps après, la jeune femme se rend dans une ancienne mission catholique espagnole qu'elle a fréquentée durant son enfance. C'est une hacienda tenue par des religieuses. Elle grimpe au sommet d'un clocher, le point le plus élevé des lieux, en étant poursuivie par son amant qui craint un coup de folie et doit cependant s'arrêter à mi-hauteur des marches tant son acrophobie le paralyse puissamment. Madeleine se jette dans le vide en hurlant et s'écrase sur le toit d'un bâtiment en contrebas.

Un procès a lieu ensuite à l'issue duquel ni Scottie ni Gavin ne sont reconnus coupables. L'ancien policier est épargné car son acrophobie est véritable et connue de tous. Cela est considéré pour lui comme une circonstance atténuante car il ne pouvait pas retenir la victime efficacement. Le veuf est épargné car ce dernier cherchait à préserver sa compagne d'une forme de folie familiale dont plusieurs témoignages accréditent la véracité.

Après une très longue hospitalisation pour dépression nerveuse dans un hospice, Scottie retourne sur les lieux qu'il a fréquentés avec Madeleine. Il hallucine et croit la voir partout.

Il croise une passante, Judy (Lucie dans la version française). Cette personne est rousse et vulgaire, tandis que la disparue était blonde et distinguée. Judy possède toutefois les traits de visage de la disparue et ses yeux. Fasciné par cette ressemblance, Scottie l'aborde avec une insistance mêlée de répulsion. Malgré les réticences nettes de Judy, ils entament une relation biaisée et toxique. Scottie cherche à tout prix à la transformer en Madeleine sans prendre en compte l'avis de la jeune femme, lui refusant tout libre-arbitre, toute possibilité qu'elle puisse être elle-même : il tient à la modeler en son rêve perdu. Il lui achète le même tailleur sophistiqué et lui fait teindre les cheveux en blond. Judy, affligée, le laisse faire.

Dans un monologue, il est alors appris au spectateur que Judy est bien la Madeleine du début, qu'elle a des remords de devoir rester silencieuse et qu'elle s'est éprise de Scottie.

Un soir où le couple s'apprête à sortir en ville, Judy noue autour de son cou un collier. Scottie reconnaît tout de suite le bijou que Carlotta arbore sur le portrait du musée. L'ancien policier a un eclair de lucidité et perçoit d'un coup tout un pan de possibilités nouvelles.

Pour que ce bijou puisse être en possession de Judy, Scottie comprend alors subitement qu'il s'agit d'une cynique machination. C'est la seule explication plausible.

Dans cette perspective nouvelle, Gavin a voulu se débarrasser de sa femme légitime, reléguée sûrement à la campagne, ou, pour le moins, ailleurs qu'à San Fransisco. Il aura engagé Judy comme sosie de Madeleine. Elle est un appât idéal pour incarner pendant des mois une épouse étrange et dépressive. Après avoir brisé la nuque de Madeleine, il aura transporté son corps sans vie dans le clocher[3]. Lorsque Judy atteignit seule le sommet, il aura précipité alors le cadavre de Madeleine pour simuler un suicide dont Scottie serait à la fois témoin et moralement responsable. Ensuite, il aura demandé à Judy de disparaître en achetant son silence contre une somme d'argent. Mais il lui aura offert, en prime, le pendentif de Carlotta : cette erreur l'aura trahi.

De force, Scottie emmène Judy dans l'église où Madeleine s'est prétendument suicidée. Surmontant son vertige, malgré les suppliques de la jeune femme qui est effrayée par la colère qui émane de lui, il l'entraîne en haut du clocher. Il veut lui faire avouer la supercherie. Alors qu'elle avoue tout ce que l'ancien policier a déduit, une ombre apparaît. Attirée par leurs éclats de voix, une religieuse surgit des escaliers. Judy a un mouvement de terreur spontané et trébuche involontairement dans le vide, en hurlant. Ébahi devant le résultat sinistre dont il est responsable en partie, Scottie scrute le vide, immobile, les bras à l'horizontale, comme prêt à sauter à son tour. Le film se termine ainsi.

Fiche technique modifier

Distribution modifier

 
Kim Novak et James Stewart, dans la scène du premier baiser.

Production modifier

 
Entrée de l'immeuble de Madeleine Elster, Brockelbank Apartments, San Francisco.

Lieux de tournage :

  • Hôtel Vertigo, 940 Sutter Street, San Francisco : c'est l’hôtel Empire du film, rebaptisé en 2008[4].
  • The Brocklebank Apartments, 1000 Mason Street, San Francisco : c'est dans ce bel immeuble de Nob Hill que réside Madeleine.
  • Mission Dolores, San Francisco : on y trouvait la tombe de Carlotta Valdes.
  • Fort Point, sous le pont du Golden Gate : c'est à cet endroit que Madeleine tente de se suicider en se jetant dans les eaux du Pacifique.
  • Monument national des bois Muir, une plantation de séquoias sempervirent où Madeleine indique sur la tranche d'un sequoia l'année où elle est née et l'année où elle est morte[5].
  • Palais de la Légion d'honneur, San Francisco : Madeleine passe des heures dans ce musée devant le portrait de Carlotta Valdes.
  • Mission San Juan Bautista, à 140 km au sud de San Francisco : c'est du clocher de cette église que Madeleine se jette dans le vide.
  • Hôtel Fairmont, 950 Mason Street, dans le quartier Nob Hill à San Francisco : Alfred Hitchcock et son équipe logent dans cet hôtel pendant le tournage.
  • 900 Lombard Street, San Francisco : appartement de Scottie

Accueil modifier

Accueil critique modifier

Le film se classe régulièrement au sommet des classements des meilleurs films de toute l'histoire du cinéma (par exemple dans les revues françaises Positif et Les Cahiers du cinéma[6]).

L'American Film Institute le classe dans la liste des dix meilleurs films américains de tous les temps[7].

En , le magazine de cinéma britannique Sight and Sound le classe meilleur film de tous les temps[8], détrônant ainsi Citizen Kane, qui occupait ce titre depuis 1962[9].

Box-office modifier

Analyse modifier

Scénario modifier

S'il existe des similitudes entre Bruges-la-Morte (1892) de Georges Rodenbach[10] et le roman D'entre les morts (1954) de Boileau-Narcejac, Alfred Hitchcock n'a jamais nulle part mentionné s'être inspiré du premier.

La technique au service de la mise en scène modifier

Pour illustrer les scènes de vertige, Alfred Hitchcock utilise la caméra subjective d'une façon particulière. Alors qu’il filme, vers le bas, la profondeur de la cage d’escalier que James Stewart est censé voir avec angoisse, la caméra opère deux mouvements simultanés : un mouvement d’appareil vers l’arrière (travelling arrière) et un zoom avant (augmentation de la longueur focale de l'objectif de la caméra). Le résultat de cet artifice technique appelé travelling contrarié ou effet Vertigo, utilisé ici pour la première fois dans un film, est une image qui se déforme, comme si la cage d’escalier s’allongeait.

Autour du film modifier

  • Le traditionnel caméo d'Alfred Hitchcock intervient à 11 min 35 s : il passe devant le portail d'entrée du chantier naval.
  • Hitchcock aurait forcé Kim Novak à faire semblant de se noyer alors qu'il savait qu'elle ne savait pas nager, lors de la scène au Presidio de San Francisco[réf. nécessaire].
  • Tourné en VistaVision, le film a été tiré sur film 70 mm avec un son stéréophonique à six pistes magnétiques. La version sur DVD[Lequel ?] utilise également une stéréophonie 5.1 en version originale alors que la version française est uniquement dans la version d'origine mono[réf. nécessaire].
  • Le film a été restauré en 1996[11].
  • Au vu de son nom et de sa date de naissance marquée sur la tombe (1831), Carlotta Valdes appartient vraisemblablement à la communauté hispano-mexicaine vivant en Californie avant la conquête américaine de 1848 et la colonisation anglo-saxonne. Dans son ouvrage The Common Room, Javier D. Bermudez explique ainsi que le spectre de Carlotta Valdes représente en réalité « un autre fantôme : le passé impérialiste espagnol en Amérique »[12].
  • Lire aussi l'analyse du film dans la section Sueurs froides de l'article Kim Novak.

Postérité modifier

Références au film dans la culture populaire modifier

  • Peppermint frappé est une déclinaison espagnole du film d'Hitchcock.
  • Perversion Story (Una sull'altra) de Lucio Fulci s'inspire de Sueurs froides. L'accroche du film lors de sa sortie indiquait d'ailleurs « Questo film comincia dove Hitchcock finisce » (litt. « Ce film commence là où Hitchcock finit »).
  • Le réalisateur Chris Marker en a fait son film préféré et le cite dans plusieurs de ses œuvres (La Jetée, Sans soleil, Immemory).
  • Dans L'Armée des douze singes, Terry Gilliam fait entrer ses personnages, incarnés par Bruce Willis et Madeleine Stowe, dans un cinéma où le film est projeté.
  • Brian De Palma considère Sueurs froides comme l'un de ses trois films préférés et bon nombre de ses propres films s'en inspirent, dans ses thèmes ou dans ses traits esthétiques, notamment Obsession, considéré comme un remake de Vertigo.
  • Le film a influencé beaucoup de films hollywoodiens, dont Sang chaud pour meurtre de sang-froid, Basic Instinct, Lost Highway de David Lynch ou The Game de David Fincher.
  • Le clip de Last Cup of Sorrow (1997) de Faith No More reprend sur un mode parodique plusieurs scènes clés du film, avec Jennifer Jason Leigh dans le rôle de Madeleine.
  • Deux clips de Lady Gaga ont utilisé des éléments du film d'Hitchcock : le générique de Sueurs froides au début du clip de Paparazzi (2009)[13], puis le thème principal composé par Bernard Herrmann dans le prélude du clip de Born This Way (2011).
  • Le thème du film est également utilisé dans la dernière scène du film The Artist (2011) avec Jean Dujardin.
  • En 2013, dans la série Arrow (saison 1, épisode 19), le personnage du Comte, dealer d'une drogue appelée « Vertigo », et frappé de folie, parle quasiment uniquement en utilisant des répliques du film.
  • De nombreuses références au film sont faites dans la série animée Les Simpson, notamment dans l'épisode 14 de la saison 2 Jamais deux sans toi, dans l'épisode 16 de la saison 5 Homer aime Flanders, l'épisode 19 de la saison 12 Le Miracle de Maude et l'épisode 4 de la saison 21 Simpson Horror Show XX.
  • Dans la série télévisée Dr House, une affiche du film est souvent visible dans le bureau de James Wilson (personnage joué par Robert Sean Leonard).
  • Le plasticien Les Leveque a détourné le film dans son œuvre homonyme (4 Vertigo), où les images d'Hitchcock sont reproduites et kaléidoscopées dans un montage hypnotique[14].
  • Dans la publicité d'Intact Assurance qui se passe dans un sous-sol inondé, on évoque visuellement et musicalement le film en utilisant un long travelling arrière combiné au mur qui s'éloigne et en reprenant quelques mesures de la musique de Bernard Herrmann. Réalisation de Martin C. Pariseau avec une direction photo d'André Turpin. Une vidéo sur les coulisses du tournage a été produite[15].
  • Le jeu vidéo Alfred Hitchcock – Vertigo (en), développé par le studio espagnol Pendulos Studios, est une réécriture de film.

Notes et références modifier

  1. Les sources francophones utilisent très régulièrement le titre original plutôt que le titre français. C'est par exemple le cas d'un supplément des Inrockuptibles sur le film paru en , ou d'un ouvrage de Jean-Pierre Esquenazi intitulé Hitchcock et l'aventure de Vertigo, l’invention à Hollywood (2001).
  2. « Les 100 meilleurs films de l'histoire selon Télérama », sur Télérama, (consulté le )
  3. (en)plusieurs hypothèses possibles concernant les circonstances du crime et le transport éventuel du corps
  4. San Francisco, ville hantée, Ulysse, Le Monde, 01.11.2008.
  5. Katia Astafieff, Les plantes font leur cinéma : de "La petite boutique des horreurs" à "Avatar", Malakoff, Dunod, , 224 p. (ISBN 978-2-10-084685-6), p. 139
  6. http://www.cahiersducinema.com/article1337.html
  7. « Info et Actualité en direct - Toutes les actualités et infos - MYTF1News », sur MYTF1NEWS (consulté le )
  8. Fabien, « Vertigo, le meilleur film de tous les temps, à la place de Citizen Kane », sur Critictoo Cinema, (consulté le )
  9. « Citizen Kane » n'est plus le meilleur film au monde sur http://bigbrowser.blog.lemonde.fr du 2 août 2012
  10. Arte, « Quand Vertigo croise Bruges-la-Morte », sur YouTube.com, (consulté le ).[réf. incomplète]
  11. Mention spécifiée à la fin du générique de Sueurs froides, « Collection Alfred Hitchcock », DVD 9027841, édité en 2006.
  12. (en) « Temporary Passings/ Possessions: On Hitchcock's Vertigo and Carlotta Valdes « Kenyon Review Blog », sur The Kenyon Review, (consulté le )
  13. (en) Daniel Kreps, « Lady Gaga's Sexy, Cinematic “Paparazzi” Video Hits the Web », Rolling Stone, Jann Wenner,‎ (ISSN 0035-791X, lire en ligne, consulté le )
  14. « Le Centre Pompidou - Centre Pompidou », sur cnac-gp.fr via Wikiwix (consulté le ).
  15. Intact Insurance, « Dans les coulisses - Vertigo - Intact Assurance », sur YouTube, (consulté le )

Voir aussi modifier

Bibliographie modifier

Ouvrages modifier

  • Jean Douchet, Hitchcock, Paris, L'Herne, , 277 p. (ISBN 2-85197-201-4), « Le suspense érotique », p. 15-48.
  • Donald Spoto, L'Art d'Alfred Hitchcock, 50 ans de cinéma, Paris, Edilig, 1986, trad. par Christian Rozeboom. On trouve le chapitre consacré à Sueurs froides aux pages 203 à 232.
  • Jean-Pierre Esquenazi, Hitchcock et l'aventure de Vertigo, l’invention à Hollywood, Paris, CNRS éditions, .
  • François Truffaut, Le Cinéma selon Hitchcock, Robert Laffont, Paris, 1966. 260 pages. Rééd. : Hitchcock/Truffaut, Ramsay, coll. « Ramsay Poche Cinéma, 7-8 », 1985 (ISBN 2-85956-436-5). 311 pages. Interview par Truffaut d'Alfred Hitchcock, avec la collaboration de Helen Scott. Un étonnant dialogue entre les deux cinéastes où l'ensemble de l'œuvre d'Alfred Hitchcock est envisagé sous les angles de la passion du cinéma et de la technique.

Articles de presse modifier

  • Gilbert Salachas, « Sueurs froides (Vertigo) », Téléciné, no 82,‎ .
  • « Supplément sur Vertigo », Les Inrockuptibles, no 94,‎ .
  • « San Francisco, ville hantée », Le Monde,‎ .

Liens externes modifier

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