Sous les pavés, la plage !

slogan de Mai 68

« Sous les pavés, la plage ! » est un slogan attribué par erreur à Mai 68 car il existe plusieurs mois avant et n'apparait que sur une seule photo, prise en juin 1968 par l'agence de photographes Roger-Viollet, écrit sur un mur sous une fenêtre, à la bombe de peinture et sans pochoir. Il ne fait pas partie des 450 slogans retenus pour les affiches de l'atelier des Beaux-Arts de 1968. Il est parfois présenté comme un des slogans de Mai 68.

« Sous les pavés, la plage !», slogan attribué à Mai 1968

Ayant inspiré une chanson de Léo Ferré en 1972 (album Seul en scène), il n'est cité dans un article ayant un lien avec 1968, qu'en 1973 dans Le Monde[1].

Présence en mars 1968, trois mois avant la photo modifier

La slogan était apparu dès mars 1968 dans l'une des répliques, lors de la première représentation de la pièce d'Armand Gatti, Les Treize Soleils de la rue Saint-Blaise, selon le témoignage oculaire de Marc Kravetz, qui a rencontré Armand Gatti ce soir là[2].

Message modifier

Plus qu'une incitation au jet de pavés sur les CRS, le slogan résumerait les aspirations de Mai 68. Selon l'historien Philippe Artières, il serait lié au « surréalisme », à l'époque où tout le monde lit André Breton et évoque 1936 et les premiers congés payés[3],[4].

Origines contestées modifier

Cet aphorisme, qui n'est reproduit sur aucune des affiches de l'atelier des Beaux-Arts de 1968, a deux auteurs différents, affirmant tous les deux être le seul. Les deux versions sont invalidées par une troisième, affirmant que la phrase existait dès mars 1968 sous forme de réplique dans une pièce de théâtre.

Aucun des deux auteurs revendiqués de la phrase n'a réclamé des droits d'auteur en 1978, quand Daniel Cohn Bendit a lancé à Francfort un magazine politico-culturel qu'il titre "Pflasterstrand"[5], traduction en allemand de "Sous les pavés, la plage".

Son origine n'est revendiquée pour la première fois qu'une quinzaine d'années après Mai 68. Le premier à revendiquer en être l'auteur est le pamphlétaire Jean-Edern Hallier, qui affirme en 1982 dans son ouvrage Bréviaire pour une jeunesse déracinée être l'inventeur de ce slogan : « Ce mot d'ordre que j'inventai au tableau noir du grand amphithéâtre Richelieu à la Sorbonne en mai 68 : Sous les pavés la plage... »[6]. Jean-Edern Hallier a ensuite créé, l'année suivante (), le journal satirique L'Idiot international[7] puis se lance en littérature et publie en La Cause des Peuples, qu'il présente comme « un livre d'humour »[8].

Une dizaine d'années après le décès en 1997 de Jean-Edern Hallier, un autre auteur se manifeste, du nom de Bernard Cousin[9],[10], devenu ensuite médecin, qui travaillait alors dans une petite agence de publicité, « Internote Service », en plus de ses études[11].

Bernard Cousin réagit d'abord en écrivant en février 2008, en réponse à un livre de Laurent Joffrin, publié en 1998 et mentionnant que le graffiti aurait été écrit le 10 mai 1968[12], pour préciser que la date est plus tardive: le 21 mai.

Selon les souvenirs de Bernard Cousin racontés dans un livre publié en mai 2008, le soir du , il s'attable au café la Chope, place de la Contrescarpe[13], à Paris, avec son ami et patron le publicitaire Bernard Fritsch[13], qui a fondé « Internote Service » avec deux copains. Ils envisagent d'abord « Il y a de l'herbe sous les pavés ». Mais le mot « herbe » pouvant faire allusion au haschich ou au cannabis) ou au « naturisme »[13], ils décident de le remplacer par le mot sable[13] puis le mettent sur les murs une première fois place du Panthéon puis une centaine de fois sur d'autres murs de Paris, selon le livre[13],[14],[15].

« On cherchait quelque chose à rechercher sous les pavés pour inciter le chaland à les retirer, c'est venu assez naturellement car pour noyer les grenades des CRS on ouvrait les vannes des trottoirs et l'eau coulait sur le lit de sable qui servait d'assise aux pavés parisiens. Pour évoquer un avenir paradisiaque commun aux deux compères, si différents de philosophie, nous n'avons trouvé que notre joie d'enfant à la plage. »

— Bernard Cousin, Sous les pavés, la plage. Quarante ans après[15].

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Reprise en 1973 modifier

En avril 1973, sans que personne en revendique la paternité, le slogan est repris en première phrase d'un article dans Le Monde[4], consacré au mouvement des lycées contre la loi Debré. Le journal explique ce slogan voulait dire que « l'existence épuisante et stupide que nous fait mener la société industrielle étouffe le bonheur de vivre », ou encore « si vous grattiez la muflerie, l'âpreté au gain et la dureté de cœur de nos contemporains, vous trouveriez l'amour et la tendresse »[4] et estime un peu plus loin que « pour les lycéens, ces journées tumultueuses et joyeuses, ce n'est pas la grève, c'est la plage »[4].

Bibliographie et sources modifier

Iconographie modifier

Postérité modifier

  • En 1972, Léo Ferré retourne ce slogan dans la chanson Il n'y a plus rien (album Seul en scène). Il dit : "Sous les pavés il n’y a plus la plage / Il y a l’enfer et la Sécurité".
  • En 1975, Renaud reprend ce slogan dans sa chanson "Amoureux de Paname"
  • En 1978, Daniel Cohn Bendit, figure du mouvement de la contestation de Mai 68 lance à Francfort un magazine politico-culturel anarchiste qu'il titre "Pflasterstrand"[5], traduction en allemand de "Sous les pavés, la plage".
  • En 1993, chez Fnac Music Production, en distribution chez WMD, paraît une compilation CD intitulée Sous les Pavés...La Plage sous-titrée Les tubes de Mai 68 et comprenant 23 chansons. Elle est éditée en partenariat avec la revue Le Nouvel Observateur.
  • En 1994, Gilles Caron publie un recueil de textes sous le titre Sous les pavés la plage : Mai 68 vu par..., Sirene, (ISBN 978-2840450474).
  • En 2003, le groupe de rap français CSRD, sur son album DUR, sort un morceau nommé Sous les pavés la plage, en featuring avec le groupe 4.21 et Papillon Bandana. Une version différente du morceau est présente sur l'album éponyme du groupe 4.21 en 2004. Et encore une autre sur l'album Doberman croisé pit de Desty Corleone en 2014.
  • En 2019, Izia Higelin reprend le slogan pour la cinquième chanson de son album Citadelle : Sous les pavés[18]

Références modifier

  1. « Les murs parlent », Le Monde,‎ (ISSN 1950-6244, lire en ligne).
  2. Témoignage oculaire de Marc Kravetz, qui rencontre Gatti ce soir là, cité dans "Armand Gatti, l'étoile filante" par Frédérique Roussel, le 6 avril 2017 dans Libération [1]
  3. "Pourquoi les slogans de Mai 68 sont-ils repris dans chaque manifestation " par Esther Paolini dans Le Figaro du 3/05/2018 [2]
  4. a b c et d "La plage et la grève" par Gilbert Cesbron le 4 avril 1973 dans Le Monde [3]
  5. a et b Thomas Harms, « L’objet : le pavé », Karambolage, émission n°469, sur https://sites.arte.tv/karambolage/fr, Arte,
  6. Jean-Edern Hallier, Bréviaire pour une jeunesse déracinée, Albin Michel, 2012, [lire en ligne].
  7. cf. « J'accuse », Le Monde, .
  8. Jean Edern Hallier "La Cause des peuples", INA.
  9. Christian Gambotti, « Les processus de rupture instruits par les slogans », Le nouvel Économiste,‎ (lire en ligne).
  10. Bernard Cousin, Pourquoi j'ai écrit « Sous les pavés la plage », éditions Rive Droite, mai 2008, (ISBN 2841521095), [lire en ligne].
  11. [4]
  12. "Mai 68: histoire des événements", par Laurent Joffrin, en 1998
  13. a b c d et e Anne Vidalie, « Sous les pavés, les slogans », LExpress.fr,‎ (lire en ligne).
  14. Michel Le Séac'h, La petite phrase : d'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, éditions Eyrolles, 2015, page 98.
  15. a et b « Sous les pavés, la plage. Quarante ans après. », sur Skynet.be
  16. Roger-Viollet, Évènements de mai-juin 1968, Paris. Slogan révolutionnaire : "Sous les pavés, la plage", voir en ligne.
  17. Sous les pavés, la plage !, Paris 1968, voir en ligne.
  18. « Izïa Higelin : "Sous les pavés" en live pour Quotidien (exclu web) », sur TF1+, (consulté le )

Voir aussi modifier

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Articles connexes modifier

Liens externes modifier