Singulari Nos

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Singulari Nos
Blason du pape Grégoire XVI
Encyclique du pape Grégoire XVI
Date 25 juin 1834
Sujet Condamnation des idées de Félicité La Mennais.
Chronologie

Singulari Nos est une encyclique publiée le par le pape Grégoire XVI qui, deux ans après l'encyclique Mirari vos, condamne fermement l'ouvrage Paroles d'un croyant, du prêtre français Félicité de La Mennais.

Grégoire XVI, par la rédaction de l'encyclique Singulari Nos, traduit une forte opposition aux vues de Félicité de La Mennais, qui ne voyait, pour sa part, aucune contradiction entre le catholicisme et les idéaux du libéralisme ou dans la séparation de l'Église et de l'État. Ce texte provoque son départ de l'Église catholique.

Contexte modifier

Le journal l'Avenir modifier

 
Félicité Robert de Lamennais (1827).
 
Hyacinthe-Louis de Quélen, archevêque de Paris.

En , Félicité de La Mennais, Henri Lacordaire et Charles Forbes de Montalembert fondent le journal L'Avenir qui prône le suffrage élargi, la séparation de l'Église et de l'État, la liberté universelle de conscience, d'instruction, de réunion et de presse[1]. Les évêques français s'opposaient à ces opinions et bien qu'ils aient été avertis par l'archevêque Hyacinthe-Louis de Quelen que leurs attentes étaient irréalistes, ils ont demandé le soutien du pape Grégoire XVI[2].

Bien que pressé par le gouvernement français et la hiérarchie ecclésiastique, le pape Grégoire XVI aurait préféré ne pas en faire un dossier officiel[3].

L'encyclique Mirari vos (1832) modifier

En , Grégoire XVI publie l'encyclique Mirari vos. Dans cet écrit public, il confirme le célibat clérical et s'inquiète des alliances trop étroites entre le clergé et le gouvernement. Il dénonce ceux qui prônent le divorce et les sociétés secrètes qui cherchent à renverser les gouvernements légitimes des États italiens[4]. Il dénonce également les opinions de Félicité La Mennais et du journal l'Avenir, sans les nommer spécifiquement. L'encyclique ne satisfait ni les partisans ni les détracteurs de Félicité La Mennais[2].

Un grand nombre d'intellectuels, prêtres et laïcs, étudient alors la théologie en appui des sciences sociales. C'est le cas notamment du travail réalisé par l'école mennaisienne à la Chênaie, au collège de Juilly ou encore au séminaire de Malestroit, regroupés sous le titre de la Congrégation de Saint-Pierre[5].

Paroles d'un croyant modifier

Suite à l'encyclique, Félicité de La Mennais accepte de se soumettre au pape en matière de foi et de morale mais il ne retire pas ses opinions politiques. Bien qu'il ait cessé de publier L'Avenir, il continue d'être attaqué par les conservateurs français[6]. Le [7], il répond par un livre court et mordant, Paroles d'un croyant, dans lequel il dénonce toute autorité, tant civile qu'ecclésiastique[8],[9].

Le livre fait sensation, c'est un succès de librairie. Franz Liszt lui dédie la pièce pour piano Lyon (S156 1)[10]. Il est rapidement traduit à Strasbourg[7] et Fiodor Dostoïevski encourage Alexander Milyukov à traduire le livre en slavon d'église[11]. Il s'attire les foudre de Metternich qui, inquiet de constater son succès en Belgique où il produit un effet comparable à la révolution des Trois glorieuses, déplore auprès du Vatican que « la mode de brûler les hérétiques soit passée », ou encore du cardinal Lambruschini qui stipendie un livre « très mauvais, écrit dans un style énergique, ardent, parfois sublime » qu'il compare au Paradis perdu, poème épique de John Milton[7]. Dès le 24 juin, une encyclique papale condamne le livre[7].

Encyclique modifier

Danger des idées libérales modifier

Grégoire XVI publie ainsi Singulari Nos le , après la parution du livre Paroles d'un croyant. Le thème de l'encyclique, c'est d'abord le travail écrit, porté publiquement par Félicité de Lamennais[12].

« nous apprîmes que Félicité de Lamennais venait de publier lui-même, en français, et de répandre partout un livre anonyme, dont les papiers publics nommèrent ouvertement l’auteur : ce livre, petit par son volume, mais énorme par sa perversité, a pour titre : Paroles d’un Croyant »[13].

L'encyclique se termine par un plaidoyer pour que l'auteur du livre reconnaisse ses erreurs. Pour cela, Grégoire XVI liste les idées contenues dans le livre Paroles de Croyant, et qui sont selon lui, contraires à ce que l'Église promeut[14].

Il utilise des mots marquants pour décrire la situation, témoignant d'un réel énervement vis-à-vis de ce livre « peu considérable par le volume, mais grand par la perversité »[7] : il parle de « calomnie », « ouvrage du péché », « puissance de Satan » pour décrire les propos de l'ouvrage, en accusant l'auteur du livre d'« allumer partout le flambeau de la révolte pour renverser l’ordre public ». Extrait :

« L’esprit se refuse à lire ce que l’auteur a écrit pour s’efforcer de rompre tout lien de fidélité et de soumission envers les princes, en allumant partout le flambeau de la révolte pour renverser l’ordre public, livrer les magistrats au mépris, enfreindre les lois, et arracher tous les fondements de la puissance sacrée et de la puissance civile. De là, par une fiction nouvelle et inique, il présente la puissance des princes comme contraire à la loi divine, et même, par une calomnie monstrueuse, comme l’ouvrage du péché et la puissance de Satan ; et il applique aux pasteurs de l’Église les mêmes notes flétrissantes qu’aux princes, pour une alliance criminelle qu’il rêve avoir été formée entr’eux contre les droits des peuples. Non content de cette audace, il met en avant une liberté entière d’opinions, de discours et de conscience ; il souhaite toute espèce de bonheur a des soldats qui vont combattre pour se délivrer, comme il le dit, de la tyrannie, il provoque avec fureur des associations formées de tout l’univers, et pousse avec tant d’instances à ces criminels projets, que nous voyons bien que, sous ce rapport aussi, il a foulé aux pieds nos avis et nos ordres »[13].

Effets modifier

Cet écrit du pape a des répercussions sur la vie de Félicité de la Mennais. Après avoir été considéré comme plutôt traditionaliste, puis fondateur du catholicisme libéral, la condamnation du pape le fait évoluer vers des idées plus sociales[15]. L'effet le plus immédiat est de provoquer le départ de Lammenais de l’Église catholique[16]. Le texte émis par Grégoire XVI n'a permis aucun terrain d'entente dans les débats opposants les gallicans et les ultramontains, peu d'associés de Félicité de la Mennais étant disposés à le suivre hors de l'Église, beaucoup ont arrêté les collaborations éditoriales et les écrits communs[17].

Le frère de Félicité, Jean-Marie de La Mennais, alors supérieur général des Frères de l'Instruction Chrétienne à Ploërmel, a répudié le livre Paroles d'un croyant, l'a interdit dans ses écoles, et les deux frères ne se sont jamais revus[17].

John Patrick Tuer Bury trouve ironique que l'effet le plus durable des polémiques de La Mennais ait été un renforcement de l'ultramontanisme. Il note que Dom Prosper Guéranger, qui était un des premiers disciples de La Mennais, est devenu le principal agent d'un renouveau liturgique et d'une liturgie romaine uniforme[18]. Henri Lacordaire a, quant à lui, joué un rôle déterminant dans le rétablissement de l'Ordre dominicain en France[19].

L'encyclique entraine la dissolution de la congrégation de Saint-Pierre et la remise en cause de la pensée du sens commun étudiée dans une perspective théologique[20].

Analyse modifier

L'encyclique marque un tournant dans l'expression du point de vue de l’Église catholique au regard des débats sur les propositions libérales, le contexte révolutionnaire. Il s'agit du tournant intransigeant de l’Église catholique[21].

Références modifier

  1. Marie-Joseph Le Guillou et Louis Le Guillou 1982.
  2. a et b (en) Owen Chadwick, A History of the Popes, 1830-1914, Oxford University Press, (ISBN 9780199262861, lire en ligne), « Gregory XVI »
  3. (en) Bernard Cook, Encyclopedia of 1848 Revolutions, Ohio University, (lire en ligne), « Lamennais, Hugues-Felicité Robert de (1782-1854) »
  4. Grégoire XVI, Lettres apostoliques de Pie IX, Grégoire XVI, Pie VII, encycliques, brefs, etc., Paris, (BNF 37252234, lire en ligne), « Lettre enyclique de N. S. P. le pape Grégoire XVI Mirari Vos 15 août 1832 », p. 200 à 221 §12
  5. Bernard Heudré 2001, p. 45 à 61.
  6. Louis Le Guillou, L'évolution de la pensée religieuse de Félicité Lamennais (thèse de doctorat ès Lettres à la Faculté des lettres et sciences humaines de Paris), Paris, A. Colin, , 507 p. (BNF 33075424, lire en ligne)
  7. a b c d et e Jean-Marie Mayeur, Charles et Luce Pietri, André Vauchez, Marc Venard (dirs.), Histoire du christianisme, vol. 11 : Libéralisme, industrialisation, expansion européenne (1830-1914), Desclée, (ISBN 2-7189-0635-9), p. 24
  8. Yves Le Hir, Les Paroles d'un croyant de Lamennais (thèse de doctorat ès-lettres à la Faculté des lettres de Paris), Paris, A. Colin, , 294 p. (BNF 32367430)
  9. Félicité Lamennais, Paroles d'un croyant, Bruxelles, Librairie universelle de Mary-Müller et Cie, , 8e éd. (1re éd. 1833) (BNF 32342700, lire sur Wikisource)
  10. (en) Paul Merrick, Revolution and Religion in the Music of Liszt, Cambridge University Press, (ISBN 9780521326278, lire en ligne)
  11. (en) Joseph Frank, Dostoevsky: The Stir of Liberation, 1860-1865,, vol. 3, Princeton University Press, (ISBN 9780691014524, lire en ligne)
  12. Gregory Baum, « La dissidence dans l’Église », Relations,‎ (lire en ligne)
  13. a et b Pape Grégoire XVI 1834.
  14. André Dargis 1971.
  15. Sylvain Milbach, « Lamennais : « une vie qui sera donc à refaire plus d'une fois encore ». Parcours posthumes », Le Mouvement Social, vol. 1 (n° 246),‎ , p. 75 à 96 (lire en ligne).
  16. Milbach 2018.
  17. a et b (en) Carol E. Harrison, Romantic Catholics: France’s Postrevolutionary Generation in Search of a Modern Faith, Cornell University Press, (ISBN 9780801470592, lire en ligne)
  18. (en) J.P.T. Bury, Religion and Relations of Churches and States, vol. 10 : The zenith of european power : 1830 - 70, Cambridge University Press, coll. « The New Cambridge Modern History », , 5e éd. (1re éd. 1960) (ISBN 9780521045483, lire en ligne)
  19. Bernard Bonvin, Lacordaire-Jandel : la restauration de l'Ordre dominicain en France après la Révolution, écartelée entre deux visions du monde, Paris, éd. du Cerf, (ISBN 2-204-04042-8)
  20. André Dargis 1971, p. 610 à 617.
  21. Sylvain Milbach 2018.

Voir aussi modifier

Textes de l'encyclique modifier

Bibliographie modifier

  • André Dargis, La Congrégation de Saint-Pierre (thèse de doctorat en théologie), Louvain, Université catholique de Louvain,
  • Bernard Heudré, De Saint-Malo à la Chênaie, Félicité de Lamennais, Saint-Jacut-de-la-Mer, Éditions J.P. Bihr, , 165 p. (ISBN 2-902923-15-5), chapitre III : La congrégation de Saint-Pierre (p.45 à 61)
  • Grégoire XVI, Lettre encyclique à tous les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques du 25 Juin 1834, Paris, A. Le Clerc, (BNF 33767049)
  • Marie-Joseph Le Guillou et Louis Le Guillou, La Condamnation de Lamennais, Paris, Beauchesne, (BNF 34687653, présentation en ligne)
  • Sylvain Milbach, « 1832-1835, moment mennaisien. L’esprit croyant des années 1830 », Revue de l’histoire des religions, no 3,‎ , p. 451-484 (ISSN 0035-1423, lire en ligne).

Articles connexes modifier

Liens externes modifier