Roland Epstein

résistant juif français du MJS
Roland Epstein
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Saint-CloudVoir et modifier les données sur Wikidata
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Roland Epstein ou Roland Israël Epsztein[1], né le à Szczuczyn en Pologne et mort le à Saint-Cloud[2],[3], est un résistant juif français d'origine polonaise dont le nom d'emprunt dans la Résistance fut Roland Estienne. Il œuvre au sein du MJS en faisant passer des enfants juifs en Suisse, notamment avec Mila Racine, avant d'être arrêté avec celle-ci puis déporté. Après guerre, il soutient une thèse de doctorat en chimie[4] et entre au CNRS en tant que chercheur[5].

Biographie modifier

Famille, enfance, adolescence modifier

Pologne modifier

Szczuczyn, est au début du XXe siècle une petite ville de Pologne située quasiment aux confins de la Lituanie et de la Russie.

En 1920, Szalom[6] Mendel Epstein, natif de ce shtetl polonais, est alors "représentant en tissus". Il épouse cette année-là Leja Gwint[6],[7], originaire de Vilno mais établie professionnellement dans la bourgade depuis 1917.

Leur premier né, Israël "Rolke" y voit le jour le [8],[1], puis une fille vient au monde en décembre 1923, elle est prénommée Sulamita[6],[7].

Szalom a un frère aîné, Meyer[6] "Myron" qui a émigré en 1912 à Paris. Après des études de droit ce dernier exerce comme avocat avant de se marier puis de choisir de travailler avec son beau-père dont l'entreprise est florissante. En 1926, Meyer qui a francisé son prénom en Maurice confie la nouvelle succursale de Varsovie à son frère[5].

Paris modifier

En 1929 toute la famille quitte Varsovie pour venir s'installer à Paris, Maurice Epsztein ayant proposé à son frère une place de représentant dans sa société. Les nouveaux arrivants finissent rapidement par se loger en appartement à Champigny-sur-Marne. Szalom et Leja francisent alors leurs prénoms, ceux-ci devenant respectivement Max et Lisa[9]. De son côté, cette dernière s'affaire aussi au domicile en tant que couseuse de cols sur des manteaux de fourrure.

À sept ans, "Rolke" qui n'a jusqu'alors pas été scolarisé est inscrit à l'école communale de Champigny. Sur les recommandations de Maurice, Max et Lisa ont adapté son prénom en Roland et celui de Sulamita en Simone. Le garçon apprend le français en trois mois et le parle couramment. Ayant sauté deux classes, Roland passe et obtient son certificat d'études à l'âge de onze ans, ceci alors que la famille a entre-temps déménagé aux Lilas.

Lisa Epsztein estime que son fils est encore trop jeune pour se rendre seul dans quelque lycée parisien, ce qui conduit Roland à passer deux années en cours complémentaires. Il a appris à lire l'hébreu pendant sa préparation à la bar-mitzvah, mais la cérémonie n'a pas lieu. À l'issue d'un examen d'entrée, Roland est admis immédiatement en quatrième au lycée Voltaire, puis il passe l'année suivante directement en seconde. Parlant le yiddish, cela l'aide passablement à acquérir ses premières notions d'allemand scolaire. En 1937, la famille déménage et s'établit dans le 20e arrondissement. Après avoir obtenu la première partie du baccalauréat en juin 1939, Roland part avec ses parents et sa sœur en vacances au bord de la Manche dans la Somme[5].

Seconde Guerre mondiale modifier

Déclaration de guerre modifier

Le 3 septembre 1939 la France déclare la guerre à l'Allemagne à la suite de l'invasion de la Pologne le 1er. La famille Epsztein se résout fin septembre à regagner Paris, d'autant que Roland, citoyen polonais âgé de dix-sept ans révolus doit se faire recenser militairement[10] et il estime qu'il est de son devoir de s'y soumettre. Une fois passé devant le conseil de révision il est reconnu "apte pour le service".

Il poursuit sa scolarité en "maths élem" au lycée Voltaire malgré les aléas dus à la guerre qui ne permettent aux classes de fonctionner que par demi-journées : dans la sienne il n'a cours que le matin[5].

Invasion de la France et armistice modifier

À partir du 10 mai 1940, les Allemands lancent leur offensive sur la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas et la France.

Il est très vite entendu que mère et fille quittent la capitale. L'exode ne battant pas son plein, Lisa et Simone parviennent par voie ferroviaire à gagner Vichy et s'y logent à l'hôtel. Max Epsztein, à cause de ses responsabilités professionnelles et Roland qui envisage toujours de passer les examens du baccalauréat, décident de rester à Paris.

Le 6 juin, l'ennemi se rapprochant inexorablement de la Ville-Lumière, Maurice Epsztein qui possède une Traction Avant décide de prendre la direction de La Baule où il doit rejoindre sa femme Anna. Il a projeté un "détour" via Bourges afin d'y déposer son frère et son neveu qui doivent gagner Vichy. Le véhicule de Maurice est conduit par son chauffeur, lui-même accompagné de son épouse et de leur nourrisson. Le petit groupe franchit la Loire à Sully puis, étant parvenus jusqu'à la capitale berrichonne, Max et Roland terminent leur parcours en train jusqu'à la ville d'eaux où ils retrouvent Lisa et Simone.

Roland Epsztein se présente aux épreuves du baccalauréat à Cusset, il est reçu à celle de mathématiques élémentaires mais échoue en philosophie. Le 1er juillet, le gouvernement s'installe à Vichy, le 10 est instauré l'État français. Rapidement, les étrangers y sont déclarés indésirables, entre autres à cause des priorités de logements données aux fonctionnaires[5].

Montpellier modifier

À la fin du mois d'août 1940, la famille Epsztein quitte Vichy pour Montpellier. Roland s'inscrit à la Faculté des sciences en chimie générale et en chimie appliquée.

Son oncle Maurice, sa femme et ses enfants viennent aussi s'établir à Montpellier, ceci après avoir passé la ligne de démarcation à la suite de l'édiction le 3 octobre 1940 du premier statut des Juifs.

Roland Epsztein fait la connaissance d'Otto Giniewski qui poursuit alors ses études universitaires en physique et chimie à la faculté montpelliéraine. Il intègre un groupe sioniste clandestin nommé "gdoud" de Montpellier[11] , créé par Otto avec l'appui du rabbin Schilli[12]. Le 14 juillet 1941, à la suite d'un appel émis par Radio Londres concernant la zone "libre"[13] il participe à une manifestation silencieuse regroupant entre autres de nombreux étudiants autour de l'arc de triomphe de Montpellier. À cette époque, sa sœur Simone occupe un emploi de secrétaire à l'Œuvre de secours aux enfants (OSE) à Montpellier.

À la rentrée 1941, Roland s'inscrit à trois certificats de licence en mathématiques générales, chimie biologique et chimie physique. L'oncle Maurice contribue financièrement aux besoins de la famille de son frère dont les économies se sont amenuisées.

En mars 1942, Simone Epsztein intègre de fait l’Union générale des israélites de France (UGIF)[N 1] où elle poursuit son travail de secrétariat à cette 3e Direction « Santé » de l'UGIF.

Roland Epsztein passe ses examens au cours du mois de juin et est reçu à ses trois certificats. Durant l'été, il passe avec sa sœur Simone des vacances à Luchon où ils font la connaissance de Mila Racine.

En cette année 1942, le numerus clausus est atteint ; la loi du 21 juin 1941[14]a étendu aux étudiants juifs le numerus clausus de 3 % imposé aux enseignants universitaires en vertu du deuxième statut des Juifs du 2 juin 1941. Le directeur de l'Institut de Chimie finit par entendre la cause de Roland et celle de deux de ses amis. Mais la rentrée universitaire n'a pas lieu, le débarquement allié en Afrique du Nord du 8 novembre 1942 entraine l'invasion de la zone "libre" par les armées allemande et italienne le 11.

Roland Epsztein ne pense plus qu'à rejoindre l'Angleterre afin de participer à la lutte contre l'occupant. L'Espagne est alors l'une des seules voies pour rejoindre la Grande-Bretagne[15]. Il se rend à Perpignan où il tente le franchissement des Pyrénées avec un groupe conduit par un passeur. Ce dernier s'avère incapable de mener sa mission à son terme ; harassés et désorientés, tous finissent par rebrousser chemin. Roland regagne Montpellier[5].

Cantal modifier

Les bureaux de la 3e Direction « Santé » de l’UGIF[N 1], sont transférés en novembre 1942 à Vic-sur-Cère[16]. Simone Epsztein et sa famille y déménagent[7]. De son côté, Maurice Epsztein accompagné des siens opte pour Aix-les-Bains qui est en zone d'occupation italienne.

En janvier 1943 la 3e Direction « Santé » de l'UGIF se replie à Chambéry[16]. Les Epsztein quittent alors Vic-sur-Cère et gagnent la préfecture savoyarde par le train[5].

Savoie modifier

Ils se logent à leur arrivée dans un petit hôtel de la ville.

Leurs papiers d'identité et cartes d'alimentation[17] ont été frappés de la mention « Juif » en février 1943[5].

Le Mouvement de la jeunesse sioniste (MJS) modifier

En , le Mouvement de jeunesse sioniste (MJS) est créé à Montpellier par Joseph Fisher, Simon Levitte et Otto Giniewski[18] (frère aîné de Paul Giniewski). Simon Levitte organise à Moissac la formation de cadres devant assurer la protection et le planquage des Juifs. Il crée aussi un service de faux-papiers à Grenoble, dont il confie la direction à Otto dit "Toto" Giniewski[19].

Roland Epstein, Tony Gryn, Maurice Maidenberg, Sacha Racine future épouse de ce dernier, sa sœur Mila et son frère Emmanuel œuvrent au sein du MJS en collaborant entre autres avec Rolande Birgy de la JOC[20],[21] et Georges Loinger du réseau Garel (OSE)[22].

Arrestation et déportation modifier

Le , avec Mila Racine, Roland Epstein essaie de faire passer des Juifs de France en Suisse. Le groupe inclut 30 enfants venant de Nice[23],[24], un couple de personnes âgées, une mère avec son bébé et un couple avec un tout jeune enfant.

Le groupe est découvert, à Saint-Julien-en-Genevois (Haute-Savoie)[23] par les chiens policiers, d'une patrouille allemande[25]. Il y a des tirs d'arme. Une femme est tuée, une autre blessée.

Ils sont arrêtés et conduits à la prison de la Gestapo à l'hôtel Pax de Annemasse.

Le Maire d’Annemasse, Jean Deffaugt, obtient la libération des enfants, placés sous sa responsabilité personnelle dans un home d’enfants de la région.

Mila Racine et Roland Epstein sont transférés au Fort Montluc à Lyon.

Mila Racine est transférée à Compiègne puis déportée à Ravensbrück, avant d'être transférée à Mauthausen. Elle est tuée à Amstetten[26],[27] le , lors d'un raid aérien britannique.

Roland Epstein est transféré à Drancy puis déporté le à Buchenwald, puis à Dora-Mittelbau. Il survit aux marches de la mort et arrive à Ravensbrück fin . Il est libéré par l'armée rouge et sera rapatrié en France le . Il passe par l'Hôtel Lutetia[8].

Notes et références modifier

Notes modifier

  1. a et b Le 29 novembre 1941 est promulguée la loi portant sur la dissolution des associations juives et sur le transfert de leurs biens à l'Union générale des Israélites de France placée sous le contrôle du Commissariat général aux questions juives. L'OSE est incorporée autoritairement au sein de l’UGIF le 7 mars 1942 au titre de 3e Direction « Santé ». Voir, Une survie périlleuse sous couvert de l’UGIF, Michel Laffitte, dans Revue d’Histoire de la Shoah, février 2006 (N° 185), pages 65 à 86.

Références modifier

  1. a et b Site Mémoire des Hommes
  2. « matchID - Moteur de recherche des décès », sur deces.matchid.io (consulté le )
  3. Annonce par la famille, dans les carnets du Figaro du 2 février 2016.
  4. Serge Holand et Roland Epsztein, « Reaction d'une amine secondaire avec les tosylates vinylacetyleniques », Tetrahedron Letters, vol. 15, no 22,‎ , p. 1897–1900 (ISSN 0040-4039, DOI 10.1016/S0040-4039(01)82588-0, lire en ligne, consulté le )
  5. a b c d e f g et h « Étoiles jaunes dans la France des années noires - Onze récits parallèles de jeunes rescapés » (récit VIII Roland et Cécile d'après le témoignage de Roland Epstein), par Serge Lapidus, éditions de l'Harmattan, 2000, (ISBN 2-7384-9569-9), pages 279-311.
  6. a b c et d Source : État civil français.
  7. a b et c

    « État français - Ministère de l'intérieur - Préfecture régionale de Limoges - Intendance de police - Tél. 36-26. « Liste des Juifs étrangers dirigés vers les départements de l’Aveyron, de la Lozère et la région de Limoges (31 décembre 1942) » : [...] Epsztein née Gwint Léja , Polonaise, partie dans le Cantal [...] Epsztejn Sulamita , Polonaise, partie dans le Cantal [...] »

    Source : Michaël Iancu, Vichy et les juifs : L’exemple de l’Hérault 1940-1944, page 354, éditions Presses universitaires de la Méditerranée, 2007, (ISBN 978-2-84269-807-2), hal-03170849.

  8. a et b « Roland Epstein », sur le site ajpn.org.
  9. Source : famille Epsztein.
  10. Xavier, « l’armée polonaise », sur prisonniers de guerre, (consulté le )
  11. Eytan Guinat/Otto Giniewski & Paul Giniewski, Un Juif simplement bleu-blanc 1920-2010, éditions du Tricorne, 2014, recension de Jean-Pierre Allali.
  12. Eytan Guinat/Otto Giniewski. Oral history interview, (fr) de 00:42:11:00 à 00:45:18:00, United States Holocaust Memorial Museum, 2005.
  13. Danielle Tartakowsky. Les manifestations de rue en France, Éditions de la Sorbonne, 1997. Chapitre 17 : - De nouvelles règles / - Des commémorations.
  14. Loi du 21 juin 1941 sur Legifrance.
  15. Bartolomé Bennassar, « Le passage des Pyrénées », sur cairn.info (consulté le ).
  16. a et b Une survie périlleuse sous couvert de l’UGIF, Michel Laffitte, dans Revue d’Histoire de la Shoah, février 2006 (N° 185), pages 65 à 86.
  17. Voir sur Gallica : Loi n° 1077 du 11 décembre 1942 relative à l'apposition de la mention « Juif » sur les titres d'identité délivrés aux Israélites français et étrangers, publiée dans le Journal Officiel de l'État Français du 12 décembre 1942.
  18. MJS sur le site ajpn.org, d'après Frida Wattenberg.
  19. Simon Lévitte, sur le site ajpn.org.
  20. Rolande Birgy, sur le site ajpn.org.
  21. « Mila Racine (1919-1945) », sur le site yiddishpourtous.org, lien à jour le .
  22. Anciens de la Résistance Juive de France sur le site L’association des Amis de la Fondation de la Résistance – Mémoire et Espoirs de la Résistance.
  23. a et b (en) Paul R. Bartropet& Samantha J. Lakin, Heroines of Vichy France : Rescuing French Jews during the Holocaust, 2019, p. 83 (présentation en ligne).
  24. Melissa Boufigi, « Les enfants de Mila Racine », leparisien.fr,‎ (lire en ligne).
  25. (en) « Mila Racine's Last Letter » extraite de l'exposition « Last Letters From The Holocaust : 1944. July 1944 ». Ravensbrück, sur le site yadvashem.org (présentation en ligne).
  26. Site de la Fondation pour la mémoire de la déportation.
  27. Voir, JORF n° 21 du 25 janvier 2013, page 1584.

Bibliographie modifier

  • Étoiles jaunes dans la France des années noires - Onze récits parallèles de jeunes rescapés (récit VIII « Roland et Cécile », d'après le témoignage de Roland Epstein), par Serge Lapidus, éditions de l'Harmattan, 2000. (ISBN 2-7384-9569-9)
  • (en) Patrick Henry, Jewish Resistance Against the Nazis. CUA Press, 2014. (ISBN 0813225892), (ISBN 9780813225890).
  • (en) Paul R. Bartrop et Samantha J. Lakin, Heroines of Vichy France: Rescuing French Jews during the Holocaust. ABC-CLIO, 2019. (ISBN 1440852332), (ISBN 9781440852336).

Articles connexes modifier