Ratapoil

sculpture d'Honoré Daumier

Ratapoil est un personnage fictif créé par Honoré Daumier en .

Honoré Daumier, Ratapoil (vers 1850), bronze, Baltimore, Walters Art Museum.

Demi-solde armé d'une canne plombée, membre de la Société du Dix-Décembre et partisan fanatique du « prince-président » Louis-Napoléon Bonaparte, le colonel Ratapoil incarne l'agent provocateur interlope, propagandiste brutal et ridicule du césarisme bonapartiste sous la Deuxième République.

Originellement une sculpture de Daumier, Ratapoil est le sujet de plusieurs gravures anti-bonapartistes dessinées majoritairement par le caricaturiste et publiées dans le journal satirique Le Charivari entre et , jusqu'à la veille du coup d'État du 2 décembre 1851.

Histoire modifier

 
Lors d'une revue militaire, Ratapoil et ses sinistres hommes de main crient « Vive l'Empereur ! » et saluent la cavalerie en brandissant leurs chapeaux au bout de leurs gourdins.
Lithographie d'Honoré Daumier, Le Charivari, .

En , Honoré Daumier sculpte une statuette en terre cuite qui, à en croire son biographe Arsène Alexandre, lui vaut les félicitations (apocryphes ?) de Jules Michelet lors d'une visite à son atelier : « Ah ! Vous avez atteint en plein l'ennemi ! Voilà l'idée Bonapartiste à jamais pilorisée par vous ! »[1],[2]. Le modèle aurait été trouvé parmi les militants de la Société du Dix-Décembre, un mouvement constitué en 1848 sous la forme d'une société de secours mutuels, car les clubs politiques étaient illégaux. Le nom choisi évoque le jour de l'élection à la Présidence de la République de Louis Napoléon Bonaparte. C'est un rassemblement d'anciens militaires de l'armée impériale, de petits commerçants et d'ouvriers ou de chômeurs mais on y trouve aussi des généraux ou colonels en retraite, des fils de personnalité du Premier Empire. Son président est le général Jean-Pierre Piat. Le mouvement appuie l'action électorale des candidats bonapartistes. Ces militants appliquent des méthodes musclées et pourchassent les républicains qui manifestent, ils acclament le Prince-Président lors de ses déplacements.

Le nom de « Ratapoil » est mentionné pour la première fois dans un texte du journal satirique Le Charivari du  : « Proclamation du Colonel Ratapoil, chef de la Société du Dix-Décembre[3]. »

La première représentation graphique du personnage apparaît dans une lithographie de la série des Actualités, imprimée dans Le Charivari du [2]. Ratapoil est croqué comme un demi-solde efflanqué, à l'image des agents électoraux, qui, à la veille du rétablissement de l'Empire, s'étaient répandus dans la population pour favoriser les idées bonapartistes.

Surtout lié à l'œuvre graphique et sculptée de Daumier mais également dessiné par Cham et Charles Vernier[4], Ratapoil figure dans une vingtaine de lithographies de la série Actualités, publiées dans Le Charivari entre et [2],[5]. Dans ces œuvres, à l'instar des illustrations de Charles Vernier[4], Daumier accentue souvent la ressemblance avec Louis-Napoléon Bonaparte. Si les traits du personnage ne caricaturent pas directement ceux du futur Napoléon III, la moustache à l'impériale demeure l'emblème immédiatement reconnaissable de l'ennemi. Ancien soldat de Napoléon Ier et partisan à poigne de Louis-Napoléon[6], le colonel Ratapoil personnifie[7] à lui seul, en un certain type « mi-officier, mi-policier »[8], les acolytes du « prince-président », tels Persigny, Rouher, Fleury et Saint-Arnaud[7].

Républicain convaincu, Honoré Daumier milita jusqu'au dernier moment au sein du journal Le Charivari pour sauver la Deuxième République.

Dès 1875, le substantif masculin « Ratapoil » apparaît dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, qui donne la définition suivante : « de rat, de à, et de poil. Familier. Partisan du militarisme, et particulièrement du césarisme napoléonien[9]. »

Sculpture d'Honoré Daumier modifier

 
Honoré Daumier, Ratapoil (vers 1850), bronze, Munich, Neue Pinakothek.

Le modelage terriblement moderne tend déjà vers l'expressionnisme. La terre originale du Ratapoil, dont il n'existait qu'un état, fut moulée en plâtre par Geoffroy-Dechaume et probablement détruite lors de cette opération (vers 1850). Ce premier plâtre, dit original, est connu sous le nom « Plâtre Geoffroy-Dechaume » ; il est aujourd’hui conservé dans une collection particulière à Milan. Armand Dayot, à partir d'un autre plâtre lui appartenant — dû au mouleur Charles-Édouard Pouzadoux, aujourd'hui conservé à la galerie d'art Albright-Knox de Buffalo —, fut à l'initiative d'un premier tirage en bronze (vers 1890) par le fondeur Siot-Decauville en une vingtaine d'exemplaires (numérotation dans un petit cercle). Un deuxième tirage d'une vingtaine d'exemplaires (justification à 20) fut initiée par Henry Bing, à partir du même plâtre dont il était alors le propriétaire en 1929, chez le fondeur Eugène Rudier (marque "Alexis Rudier". La Fonderie Valsuani tira à son tour une quinzaine d'exemplaires avec un autre plâtre à partir des années 1959-1960[10].

  • 1re édition (sur le premier plâtre, dit original Geoffroy Dechaume, débutée en 1891)

1891 : 8 ou 10 épreuves, signées « Daumier » numérotées et avec le cachet de [11] Siot-Decauville Fondeur Paris (n°1 à Oxford, Ashmoleum Museum ; n°2 au musée des Beaux-Arts de Marseille; n°4 à Paris, musée d’Orsay [1] ; n°5 à Karlsruhe, Staatliche Kunsthalle ; n°6 à Munich, Neue Pinacothek…). Après 1891, numérotation plus élevée (n°16 à Philadelphie, Philadelphia Museum of Art ; n°17 à Washington, National Gallery of Art ; n°19 à Mannheim, Städtische Kunsthalle ; n°20 à Copenhague, Ny Carlsberg Glyptotek…).

  • 2de édition (sur le premier plâtre, dit original Geoffroy-Dechaume, débutée en 1929)

Tirage de Henry Bing, fontes par Eugène Rudier avec la marque Alexis Rudier. Édition annoncée à 20 épreuves signées h.Daumier sur la terrasse, marquées Alexis Rudier Fondeur Paris et numérotées de 0 à 20/20 [12] (n°0 à Los Angeles, County Museum of Art LACMA ; n°7 à Hambourg, Hamburger Kunsthalle ; n°9 à Francfort, Städelsches Kunstinstitut ; n°13 à Winterthur, Kunstmuseum Winterthur).

De nombreux surtirages dans les années 1980-2000 par le contrefacteur Guy Hains, chez le fondeur Georges Rudier avec la marque Alexis Rudier.

  • Tirage reproductif, sur le premier plâtre, sans contrat d’édition, débuté dans les années 1959-1960 après expiration de la période couverte par les droits d’auteur :

Fontes par la fonderie Valsuani[13]. Tirage annoncé à 15 épreuves avec le cachet « Cire perdue C.Valsuani, Paris », numérotées de 1 à 12, et 3 épreuves d’essai marquées E1, E2 et E3 (de nombreux exemplaires avec cachet mais sans numérotation)

Notes et références modifier

  1. Alexandre 1888, p. 295.
  2. a b et c Sylvie Aprile, La révolution inachevée : 1815-1870, Paris, Belin, coll. « Histoire de France » (no 10), , 670 p. (ISBN 978-2-7011-3615-8), p. 325.
  3. Anonyme, « Proclamation du colonel Ratapoil, chef de la Société du Dix-Décembre », Le Charivari, , no 224, p. 2. Le grade faisait allusion aux revues militaires multipliées par le « Prince-Président », jusqu'à l'automne, qui se transformaient régulièrement en manifestations bonapartistes.
  4. a et b (en) Ruth Butler, Suzanne G. Lindsay et Alison Luchs, European sculpture of the nineteenth century, National Gallery of Art, Princeton University Press, 2000, 525 pages, (ISBN 978-0-89468-253-7), p. 190.
  5. « Musée d'Orsay : Honoré Daumier Ratapoil », sur musee-orsay.fr via Internet Archive (consulté le ).
  6. Philippe Sorel, Plantu, sculpture et dessin, Éditions Paris-Musées, 2003, (ISBN 9782879005560), p.17.
  7. a et b Antoine de Meaux, « Montalembert, du portrait à la caricature : esquisse d'une étude iconographique », dans Antoine de Meaux et Eugène de Montalembert (dir.), Charles de Montalembert : l'Église, la politique, la liberté, Paris, CNRS Éditions, , 394 p. (ISBN 978-2-271-07230-6, lire en ligne), p. 243.
  8. Raymond Escholier, Daumier, Paris, Société des Éditions Louis-Michaud, coll. « Les écrits et la vie anecdotique et pittoresque des grands artistes (peintres, sculpteurs, musiciens, comédiens) », , 192 p. (lire en ligne), p. 59.
  9. Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle… par M. Larousse, t. 13, Paris ; Administration du Grand Dictionnaire universel, 1875, p. 721.
  10. « Notice de l'œuvre Ratapoil », musée d'Orsay, museedorsay.fr.
  11. Sur les épreuves de 1891, le cachet est en général une pastille insérée dans la fonte ; sur les épreuves postérieures, il est plutôt estampillé. Il existe un petit nombre d’épreuves surmoulées de grossière qualité et quelques faux de meilleure qualité.
  12. Il existe aussi un grand nombre d’épreuves, plus que de bonnes, sans justificatif de tirage (contrefaçon effective de la marque Rudier avec ou sans certificat de Georges Rudier, toutes fausses) ; et aussi fausses numérotations ainsi que des surmoulages nombreux.
  13. Un nombre important d’épreuves surmoulées et surtirées, plus que de bonnes, avec contrefaçon de marque et de numérotation.

Annexes modifier

Bibliographie modifier

  • Philippe Kaenel, « Daumier, Ratapoil et l'art de la condensation », Revue de l'art, no 137,‎ , p. 41-48.
  • Valérie Sueur-Hermel (dir.), Daumier : l'écriture du lithographe, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2008, 190 p. (ISBN 978-2-7177-2408-0).
  • Monographie Daumier, 1808-1879, Réunion des Musées nationaux, 1999.
  • Jean-Claude Romand, Daumier sculpteur, Les bustes des Parlementaires, Paris, Galerie Sagot - Le Garrec, Les Presses Artistiques, 1979.
  • Marcel Lecomte, Daumier sculpteur, Les figurines et autres sculptures, Paris, Les Presses artistiques, 1979.
  • Maurice Gobin, Daumier sculpteur, Éditions Pierre Cailler, 1952.
  • Arsène Alexandre, Honoré Daumier : l'homme et l'œuvre. Ouvrage orné d'un portrait à l'eau-forte, de deux héliogravures et de 47 illustrations, Paris, Henri Laurens, , VIII-384 p. (lire en ligne).
  • Daumier, -, Paris, Grand Palais, 1999.
  • André Blum, « La Caricature politique en France sous la Seconde République », Revue d'histoire du XIXe siècle, t. 13, no 74 « La Révolution de 1848 et les révolutions du XIXe siècle »,‎ , p. 203-215 (lire en ligne).
  • Roger Bellet, « « L'Empire, c'est la paix » », dans Raimund Rütten, Ruth Jung et Gerhard Schneider (dir.), La caricature entre République et censure : l'imagerie satirique en France de 1830 à 1880, un discours de résistance ?, Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. « Littérature et idéologies », , 448 p. (ISBN 2-7297-0584-8, lire en ligne), p. 280-283.
  • Nicole Villa, Denise Dommel et Jacques Thirion, Collection De Vinck : inventaire analytique. Un siècle d'histoire de France par l'estampe, 1770-1871, t. VII : La Révolution de 1848 et la Deuxième République, Paris, Bibliothèque nationale, Département des estampes, , XVII-805 p. (lire en ligne).

Liens externes modifier