Prostitution à Paris
La prostitution à Paris — avec ses établissements spécialisés, la prostitution de rue ou la cyberprostitution — est issue d’une longue histoire mais aussi d’une modernité propre à la capitale française. La prostitution y est essentiellement féminine mais comprend aussi une population masculine et non-binaire, dont des personnes transgenres et des personnes cisgenres.
Historique
modifierLe Moyen Âge
modifierLouis XI organise la profession en délimitant les rues où les ribaudes peuvent exercer. Le roi les considérait comme « des folles ou ivrognesses de leur corps ».
En 1446 de nouvelles règles viennent conforter les mesures prises en interdisant le port de certaines tenues jugées racoleuses ; plume, fourrure et la renommée ceinture dorée[1].
L'époque moderne
modifierLes femmes « d'une débauche et prostitution publique et scandaleuse » sont enfermées à la Salpêtrière, créée en 1656 par Louis XIV[2].
Avant la Révolution française en 1789, les prostituées dites normales de Paris sont évaluées au nombre de 30 000 et les prostituées qualifiées de luxe à 10 000[3]. Au début de la Révolution, la dépénalisation est à l'ordre du jour, les ordonnances royales sont abandonnées et en 1791 la prostitution ne figure plus dans le droit criminel[note 1],[4]. En 1791 parait une curiosité, l’Almanach des demoiselles de Paris, de tout genre et de toutes les classes ou le Calendrier du plaisir, qui répertorie les prostituées indiquant notamment leurs prix et leurs spécialités[5]. Cependant la population s'inquiète de l'augmentation des prostituées et la syphilis reste une menace. Le , la commune de Paris prend un arrêté réglementaire interdisant aux prostituées de se tenir dans les espaces publics pour « y exciter au libertinage et à la débauche »[6]. S'il conduit à l'arrestation et au contrôle sanitaire de plus de 400 prostituées en 1794, cet arrêté n'empêche pas le maintien développement de la prostitution, notamment au Palais-Royal qui devient alors le premier marché du sexe de la capitale avec ses nombreuses "filles" qui sillonnent les allées du jardin et les galeries du Palais, ses spectacles érotiques et ses boutiques dédiées à la prostitution[7].
L'époque contemporaine
modifierLe XIXe siècle
modifierSous la monarchie de Juillet, un médecin hygiéniste, spécialiste des égouts[note 2], Alexandre Parent du Châtelet publie, en 1836, l'ouvrage De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de l'hygiène publique, de la morale et de l'administration : ouvrage appuyé de documens statistiques puisés dans les archives de la Préfecture de police qui restera pendant plusieurs décennies l'étude de référence sur la prostitution. Parent du Châtelet considère que la prostitution permet de maintenir l'ordre d'où une certaine tolérance mais il mentionne ses dangers et donc la nécessité de la contrôler. Pour ce faire, il préconise des maisons closes, un hôpital pour soigner les femmes atteintes des maladies vénériennes, une prison pour punir celles qui dérogent aux règles et des maisons de repentances. Les femmes prostituées doivent se déclarer à la préfecture de police et accepter un examen médical. Les femmes contaminées sont soignées à l'infirmerie, ouverte en 1836, de la prison Saint-Lazare, elles ne peuvent quitter l'établissement sans être guéries[8]. L'ensemble du dispositif a pour finalité de contrôler et de cacher, autant que faire se peut, la prostitution considérée comme un mal nécessaire. Alexandre Parent du Châtelet indique : « Il importe de cacher la mort autant que le sexe, la chair en décomposition autant que la chair objet de désir »[9]. En 1838, on dénombre précisément 7800 prostituées à Paris, à comparer à ses 1 034 000 habitants, chiffres figurant dans la Géographie universelle de Conrad Malte-Brun[10].
La Belle Époque voit par ailleurs se développer une certaine « visibilité homosexuelle » dans la capitale. Entre 1890 et la fin des années 1910, Paris compte une centaine de lieu de prostitution masculine, notamment dans les 2e et 11e arrondissements[11].
Le XXe siècle
modifierParmi les hommes nés entre 1920 et 1925, un sur cinq aurait connu sa première relation sexuelle dans une maison close[12].
Paris a compté de nombreuses maisons closes jusqu'à leur interdiction en 1946 avec la loi Marthe Richard, 195 établissements sont alors fermés à Paris[note 3]. Parmi les plus célèbres, on compte le One-Two-Two, Le Chabanais, Le Sphinx ou encore La Fleur blanche[13].
Dans les années 1960, après la fermeture des maisons closes en 1946 et la suppression du fichier sanitaire en 1960, la syphilis a augmenté de 40 %. En 1966, il est dénombré à Paris 8 000 prostituées pour un million de clients occasionnels et 400 000 réguliers, le chiffre d'affaires est de l’ordre de 1 Milliard de franc. Neuf prostituées sur dix pratiquent dans une chambre d'hôtel et quatre sur cinq ont un souteneur. En 1967, après les poursuites contre les propriétaires des hôtels accueillant les prostituées, il reste 90 hôtels sur les 500 initiaux. En , il est décidé la fermeture provisoire systématique des établissements en cas de poursuites judiciaires. La prostitution se déploie dans Paris : « les marcheuses des boulevards sélectionnent leur clientèle ; les amazones draguent en voiture ; les échassières se perchent sur les tabourets des bars américains ; les caravelles jouent les madones des sleepings, des aéroports et des palaces ; les bucoliques se répandent dans les 1 879 hectares de parc et de bois »[14].
Le XXIe siècle
modifierLa prostitution est autorisée en France, et donc à Paris. Toutefois certaines activités en lien avec la prostitution sont interdites, comme les maisons closes (depuis la loi Marthe Richard de 1946), le proxénétisme et la prostitution des mineurs. Par ailleurs, depuis la loi du , les clients des prostitués sont condamnables.
En 2004, selon l'OCRTEH (Office central de répression de la traite des êtres humains), il existe à Paris entre 7 000 et 7 500 personnes prostituées tous sexes confondus. Pour Marie-Elizabeth Handman et Janine Mossuz-Lavau ces chiffres ne prennent pas en compte des modes de prostitutions dont les acteurs n'ont jamais eu affaire avec la police comme les escorts qui trouvent des clients sur internet ou des femmes salariées qui se limitent à quelques passes dans le mois[15]. En 2010, Brain Magazine établit une cartographie de la prostitution à Paris par origine : travestis sud-américains au Bois de Boulogne ; prostituées africaines à Barbès-Rochechouart ainsi que dans des camionnettes qualifiées de « BMC » (bordels militaires de campagne) dans le Bois de Vincennes, françaises à Strasbourg - Saint-Denis ; chinoises, mongoles ou roumaines à la Porte Saint-Martin ; et enfin, le long des boulevards des Maréchaux, des prostituées roumaines, maghrébines ou africaines[16].
Depuis la loi visant à pénaliser les clients de la prostitution, votée en , il a été comptabilisé jusqu'en 2017 la condamnation de plus de 400 clients à Paris[note 4]. L'essentiel de ces contrevenants à la loi fréquentaient les camionnettes, les prostituées des boulevards des Maréchaux, aux portes de Paris où dans les bois de Boulogne et Vincennes et dans les 350 salons de massage dits érotique disséminés dans la capitale [17]. Jean-Paul Mégret, patron de la brigade de répression du proxénétisme (BRP) de la Direction de la police judiciaire de Paris, considère que cette loi a pour effet de « chasser les filles de la rue pour les faire passer dans des hôtels ou des appartements, et tout se passe désormais via la cyberprostitution »[18].
La cyberprostitution se développe en réaction aux lois de répression de la prostitution. En 2019, environ 60 % de la prostitution s’effectue avec Internet[19].
Types de prostitution
modifierEspaces publics
modifierJusqu'à la fin des années 1980, la prostitution dans la rue Saint-Denis s'étendait depuis les halles de Paris à la porte Saint-Denis. Une fois les hôtels de passe et des studios fermés, une majorité des prostitués ont quitté les lieux et la moyenne d'âge a augmenté. La rue a compté par le passé jusqu'à 2 000 femmes[20].
La majorité des prostitués du Bois de Boulogne sont étrangères. Elles se regroupent dans le bois par nationalité[21]. La prostitution au bois de Vincennes est différente, elle s'effectue principalement dans des camionnettes. Les prostituées se connaissent toutes et partagent leur sécurité en regroupant les véhicules dans les mêmes emplacements[22].
La prostitution chinoise à Paris s'est développée à partir de la fin des années 1990. Les prostituées chinoises travaillent principalement sur les trottoirs de certains quartiers, où elles sont surnommées les marcheuses, dans des salons de massage ou à partir d'offres internet. En 2016, Médecins du monde estime à 1 450 le nombre de prostituées chinoises à Paris.
Internet
modifierAvec la loi de 2003 sur le racolage, la prostitution sur Internet s'est fortement développée. En 2002, 108 sites concernaient Paris, puis en 2003 le nombre de sites parisiens passent à 482, en 2004 le chiffre a presque doublé avec 816 sites[15].
Quartiers et rues en lien avec la prostitution
modifierPlusieurs dénominations de rues ont fait historiquement références aux activités de prostitution qu’elles abritaient :
- La rue Brisemiche et la rue Baille-Hoë, ce qui veut dire « Donne-Joie » : en 1388 les membres de la paroisse Saint Merri font une pétition pour exiger l'expulsion des ribaudes mais les commerçants s'y opposent car elles font marcher le commerce[1].
- la rue du Poil-au-Con - actuelle rue du Pélican dans le 1er arrondissement de Paris[23].
- la rue Tire-Vit puis rue Tire-Boudin, le « vit » étant le sexe masculin (actuelle rue Marie-Stuart, dans le 2e arrondissement, près de la première porte Saint-Denis) ;
- la rue Gratte-Cul (actuelle rue Dussoubs, dans le 2e arrondissement, elle aussi près de la première porte Saint-Denis) ;
- la rue Trace-Putain - actuelle rue Beaubourg[24], dans le 3e arrondissement, menant de la porte Hydron à l'abbaye saint Martin-des-Champs) ;
- la rue Pute-y-Musse, la « pute y musarde », muser qui veut dire flâner en ancien Français, (actuelle rue du Petit-Musc, dans le 4e arrondissement, près de la première porte Saint-Antoine)[25].
Prostitution à Paris dans l'art
modifierCharles Baudelaire indiquait « Qu’est-ce que l’art ? Prostitution »[26]. En 2015, le musée d'Orsay présente l’exposition Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910 regroupant des œuvres dans le domaine de la peinture, de la sculpture et de la photographie[27].
Peinture
modifierLittérature
modifierAvec Nana (1880), Émile Zola traite le thème de la prostitution féminine à travers le parcours d’une lorette puis cocotte dont les charmes ont affolé les plus hauts dignitaires du Second Empire, il a été inspiré par Blanche d'Antigny et par Berthe son premier amour mais le romancier y a aussi mis des éléments de Valtesse de La Bigne et Delphine de Lizy.
Belle de Jour, de Joseph Kessel (1928), raconte l'histoire d'une femme du monde inexplicablement attirée par la prostitution et ses étreintes brutales. Elle finit par retrouver le droit chemin après avoir causé le malheur du mari qu'elle aime.
Dans son ouvrage Jours tranquilles à Clichy, l'écrivain Henry Miller évoque sa vie de bohème à Paris dans les années 1930[28]. Il en garde « l'impression d'un petit paradis sur terre », détaillant ses aventures sexuelles avec des prostituées[29],[30] : « Par une journée grise, quand il faisait froid partout sauf dans les grands cafés, je goûtais à l’avance le plaisir de passer une heure ou deux au Wepler avant d’aller dîner. La lueur rose qui nimbait toute la salle émanait des putains qui se rassemblaient d’ordinaire près de l’entrée [...] Le coin où elles se réunissaient ressemblait à la Bourse où se négociait le marché du sexe, lequel avait ses hauts et ses bas, comme n'importe quel marché. Comme dit le proverbe, il n'y a que deux choses à faire quand il pleut et les putains ne perdaient jamais leur temps à jouer aux cartes »[31].
En 1976, Jeanne Cordelier publie La Dérobade dont sera tiré un film éponyme en 1979. Ce récit autobiographique raconte crûment la vie d'une prostituée parisienne durant cinq ans, dont le texte est parsemé d'argot parisien. La personnalité de Jeanne Cordelier fait également ressortir son côté titi parisienne[32].
Cinéma
modifierAu début des années 1930, Faubourg Montmartre retrace l'histoire dramatique de deux sœurs. L'une d'entre elles cherche à entrainer l'autre dans une vie de luxure. Alors qu'une perd son travail, l'autre sombre dans la prostitution et la drogue. Toutefois l'amour propose toujours une deuxième chance[33]...
En 1979, La Dérobade, réalisé par Daniel Duval, est une adaptation du roman éponyme de Jeanne Cordelier, publié en 1976.
Photographie
modifierEn 1971, la photographe Jane Evelyn Atwood s’installe à Paris. Elle commence à photographier le milieu de la prostitution parisienne en 1976. En particulier dans la rue des Lombards puis à Pigalle[34].
Notes et références
modifierNotes
modifier- De même le code pénal de 1810 ne classe pas la prostitution comme crime
- Alexandre Parent du Châtelet est notamment l'auteur d'un Essai sur les cloaques ou égouts de la ville de Paris paru en 1824
- Au niveau national c'est 1 400 maisons closes qui sont fermées.
- Au niveau national c'est 937 clients qui sont verbalisés.
Références
modifier- Lemonier 2015, p. 118
- Eliane Hensinger, « La prostitution et la police des mœurs au XVIIIe siècle à Paris » [PDF], sur le site de la Maison de la Géographie de Montpellier (consulté le )
- Axelle Carlier Petite histoire de la prostitution à Paris ParisZigZag
- Clyde Plumauzille, Prostitution et révolution : Les femmes publiques dans la cité républicaine (1789-1804), Ceyzérieu, Champ Vallon éditions, , 400 p. (ISBN 979-10-267-0066-1)
- Almanach des demoiselles de Paris, de tout ...
- Mossuz-Lavau 2015, p. 34
- Clyde Plumauzille, « Le « marché aux putains » : économies sexuelles et dynamiques spatiales du Palais-Royal dans le Paris révolutionnaire », Genre, sexualité et société, (lire en ligne)
- Mossuz-Lavau 2015, p. 39
- Putain(s) de capitale. Paris et la prostitution Paris Cinéma Région.
- Conrad Malte-Brun, « Géographie Universelle », encyclopédie, vol. 2, , p. 303
- Régis Revenin, « L'émergence d'un monde homosexuel moderne dans le Paris de la Belle Époque », Revue d’histoire moderne & contemporaine, 2006/4 (n°53-4), p. 74-86.
- Lemonier 2015, p. 61
- Alicia Paulet Prostitution: «70 ans après la loi Marthe Richard, le constat est effrayant» Le Figaro, 13 avril 2016
- Jacques Derogy (en 1969) 1969 - Prostitution à Paris : les étoiles filantes cassent le métier L’Express, 5 septembre 2019
- Marie-Elizabeth Handman et Janine Mossuz-Lavau.2005
- Daria Marx, « Cartographie de la prostitution parisienne », sur Brain Magazine, .
- Céline Carez Paris : plus de 400 clients de prostituées épinglés depuis un an Le Parisien, 9 avril 2017
- Stéphane Sellami Prostitution : enquête sur les nouveaux visages du proxénétisme en France Le Point, 6 septembre 2018
- Pute Paris : la réalité du milieu de la prostitution dans la capitale janvier 2019
- La nouvelle carte de la prostitution à Paris Le Parisien, 10 février 2002
- Prostituees, clients, bénévoles : un soir au bois deboulogne Le Progrès, 28 mars 2015
- Marie-Elizabeth Handman et Janine Mossuz-Lavau.2005 p.60
- Pierre De Baudouin Quelle histoire se cache derrière le nom de votre rue ? France Info, 29 décembre 2017
- Paris sous Philippe - le - Bel: d'après des documents originaux...
- Paris : la rue du Petit-Musc, prisée par les prostituées et Jean de La Fontaine RTL, 27 juillet 2016
- Lucie Servin Du Bordel dans l'Art L'Humanité, 29 septembre 2015
- Splendeurs et misères. Images de la prostitution, 1850-1910 France Inter, 22 septembre 2015
- Miller, Henry (1891-1980)
- Henry Miller y coule des « jours tranquilles » Le Parisien, 21 juillet 2000
- Wilko Steffens Essen, Gespräche, Sex | Henry Millers „Stille Tage in Clichy“ 26 décembre 2013
- Jean-Yves Mollier Chez Wepler, 14 place Clichy, Paris, Édition Michel Beissières, 2018, page 44
- Rencontre avec Jeanne Cordelier, L'Express, 3 mai 2007
- Putain(s) de Capitale. Paris et la prostitution Paris ciné
- Jane Evelyn Atwood, Histoires de prostitution, Paris 1976-1979
Voir aussi
modifierBibliographie
modifier- Janine Mossuz-Lavau, La prostitution, Paris, Dalloz, , 316 p. (ISBN 978-2-247-12941-6)
- Marie-Elizabeth Handman et Janine Mossuz-Lavau, La prostitution à Paris, Paris, La Martinière, , 414 p. (ISBN 2-84675-156-0)
- Alain Corbin, Les Filles de noce. Misère sexuelle et prostitution au XIXe siècle, Flammarion, , 316 p. (ISBN 978-2-08-081118-9)
- Lola Gonzalez-Quijano, Capitale de l'amour - Filles et lieux de plaisir à Paris au XIXe siècle, Vendémiaire, 2015, 320 p.
- Gabrielle Houbre éd, Le livre des courtisanes. Archives secrètes de la Police des mœurs, Paris, Tallandier, 2006, 643 p. (ISBN 978-2-84734-344-1)
- Marc Lemonier, Guide historique du Paris libertin, Paris, La Musardine, , 349 p. (ISBN 978-2-84271-766-7)
- Clyde Plumauzille, Prostitution et Révolution: les femmes publiques dans la cité républicaine, Champ Vallon, 2016, 400 p.
- Alphonse Boudard, La Fermeture : 13 avril 1946, la fin des maisons closes, éditions Robert Laffont, 1986.