Pierrot lunaire

composition d'Arnold Schönberg
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Pierrot lunaire
op. 21
Genre Mélodrame, cycle de mélodies
Nb. de mouvements 21
Musique Arnold Schönberg
Texte Albert Giraud (Otto Erich Hartleben (en), trad.)
Langue originale allemand
Sources littéraires Pierrot lunaire
Effectif Voix (sprechgesang) et ensemble musical (flûte jouant piccolo, clarinette jouant clarinette basse, violon jouant alto, violoncelle et piano)
Durée approximative 35 min
Dates de composition 1912
Dédicataire Albertine Zehme
Création
Berlin
Interprètes Albertine Zehme (voix), Arnold Schönberg (dir.)

Pierrot lunaire, opus 21, a été composé en 1912 par Arnold Schönberg. Les paroles consistent en vingt et un des cinquante poèmes de la traduction allemande par Otto Erich Hartleben (en) (1893) de Pierrot lunaire du poète belge Albert Giraud (1884). Les poèmes, dont la forme française est assez traditionnelle (des rondeaux en vers octosyllabes à rime), et l'allemande plus moderne (vers à mètre varié sans rime), baignent dans une atmosphère féerique par leur vision très « fin de siècle » et par des images provocatrices et macabres.

Cette œuvre est remarquable par son instrumentation singulière : le « parlé-chanté » (sprechgesang), piano, piccolo, flûte traversière, clarinette, clarinette basse, violon, alto et violoncelle. Cette instrumentation aura une grande incidence sur la composition des orchestres de chambre dans la musique du XXe siècle. De plus, certains musicologues, comme René Leibowitz, voient dans Pierrot lunaire un précurseur des œuvres dodécaphoniques de Schönberg, notamment par l'utilisation des douze sons de la gamme chromatique. L'harmonie de cette œuvre est déjà liée à l'atonalité et marque, dans l'évolution du langage de Schönberg, une nette rupture avec les compositeurs post-romantiques tels que Richard Wagner, Gustav Mahler et Richard Strauss.

Le parlé-chanté est une forme artistique inconnue de nos jours qui se fonde, au début du xxe siècle, sur la déclamation très expressive et très théâtrale héritée des grandes « diseuses » de la fin du xixe siècle et sur une ligne musicale. Pour avoir une idée de cette sorte de déclamation en français, on pourra trouver des enregistrements de Sarah Bernhardt effectués au début du xxe siècle entre 1903 et 1910[1].

Le « parlé-chanté » (sprechgesang) combine la déclamation avec une ligne musicale.

L'interprétation de Pierrot lunaire pose un réel problème. Le sprechgesang est toujours une question de perception : parfois, les récitants ne font que parler ; inversement, d'autres interprètes ne font que chanter. La synthèse entre le parlé et le chanté est très difficile à obtenir.

Une autre particularité du Pierrot lunaire est qu'il n'y a pas de registre imposé à la partie vocale, ce qui fait que l'interprète peut être un homme ou une femme. Cependant, toutes les versions disponibles sur disque sont dites par des femmes.

Orchestration modifier

L'orchestration de cette œuvre est particulière : huit instruments sont nécessaires, mais seulement cinq instrumentistes jouent. En effet, trois musiciens jouent plusieurs instruments : violon ou alto, flûte ou piccolo, clarinette ou clarinette basse ; les deux autres jouent tout au long de l’œuvre le même instrument : un le violoncelle et l'autre le piano[2].

Texte modifier

Voici le texte de la première des trois parties dont le Pierrot lunaire est constitué :

Traduction allemande
d'Otto Erich Hartleben (1893)
Poème original
d'Albert Giraud (1884)

Mondestrunken
Den Wein, den man mit Augen trinkt,
Giesst Nachts der Mond in Wogen nieder,
Und eine Springflut überschwemmt
Den stillen Horizont.
Gelüste, schauerlich und süss,
Durchschwimmen ohne Zahl die Fluten !
Den Wein, den man mit Augen trinkt,
Giesst Nachts der Mond in Wogen nieder.
Der Dichter, den die Andacht treibt,
Berauscht sich an dem heilgen Tranke,
Gen Himmel wendet er verzückt
Des Haupt und taumelnd saugt und schlürft er
Den Wein, den man mit Augen trinkt.

Colombine
Des Mondlichts bleiche Blüten,
Die weissen Wunderrosen,
Blühn in den Julinächten -
O bräch ich eine nur !
Mein banges Leid zu lindern,
Such ich dunklen Strome
Des Mondlichts bleiche Blüten,
die weissen Wunderrosen.
gestillt wär all mein Sehnen,
Dürst ich so märchenheimlich,>
So selig leis - entblättern
Auf deine braunen Haare
Des Mondlichts bleiche Blüten !

Der Dandy
Mit einem phantastischen Lichtstrahl
Erleuchtet der Mond die krystallnen Flacons
Auf dem schwarzen, hochheiligen Waschtisch
Des schweigenden Dandys von Bergamo.
In tönender, bronzener Schale
Lacht hell die Fontäne, metallischen Klangs.
Mit einem phantastischen Lichtstrahl
Erleuchtet der Mond die krystallnen Flacons.
Pierrot mit dem wächsernen Antlitz
Steht sinnend und denkt : wie er heute sich schminkt ?
Fort schiebt er das Rot und des Orients Grün
Und bemalt sein Gesicht in erhabenem Stil
Mit einem phantastischen Mondstrahl.

Eine blasse Wäscherin
Eine blasse Wäscherin
Wascht zur Nachtzeit bieiche Tücher,
Nakte, silberweisse Arme
Streckt sie nieder in die Flut.
Durch die Lichtung schleichen Winde,
Leis bewegen sie den Strom.
Eine blasse Wäscherin
Wascht zur Nachtzeit bleiche Tücher.
Und die sanfte Magd des Himmeis,
Von den Zweigen zart umschmeichelt,
Breitet auf die dunklen Wiesen
Ihre lichtgewobnen Linnen -
Eine blasse Wäscherin.

Valse de Chopin
Wie ein blasser Tropfen Bluts
Färbt die Lippen einer Kranken,
Also ruht auf diesen Tönen
Ein vernichtungssüchtger Reiz.
Wilder Lust Accorde stören
Der Verzweiflung eisgen Traum -
Wie ein blasser Tropfen Bluts
Färbt die Lippen einer Kranken.
Heiss und jauchzend, süss und schmachtend,
Melancholisch düstrer Walzer,
Kommst mir nimmer aus den Sinnen !
Hastest mir an den Gedanken,
Wie ein blasser Tropfen Bluts !

Madonna
Steig, o Mutter aller Schmerzen,
Auf den Altar meiner Verse !
Blut aus deinen magren Brüsten
Hat des Schwertes Wut vergossen.
Deine ewig frischen Wunden
Gleichen Augen, rot und offen.
Steig, o Mutter aller Schmerzen,
Auf den Altar meiner Verse !
In den abgezehrten Händen
Hältst du deines Sohnes Leiche,
Ihn zu zeigen aller Menschheit -
Doch der Blick der Menschen meidet
Dich, o Mutter aller Schmerzen !

Der kranke Mond
Du nächtig todeskranker Mond
Dort auf des Himmels schwarzem Pfühl,
Dein Blick, so fiebernd übergross,
Bannt mich wie fremde Melodie.
An unstillbarem Liebesleid
Stirbst du, an Sehnsucht, tief erstickt,
Du nächtig todeskranker Mond
Dort auf des Himmels schwarzem Pfühl.
Den Liebsten, der im Sinnenrausch
Gedankenlos zur Liebsten schleicht,
Belustig deiner Strahlen Spiel -
Dein bleiches, qualgebornes Blut,
Du nächtig todeskranker Mond.

Ivresse de lune
Le vin que l'on boit par les yeux
À flots verts de la Lune coule,
Et submerge comme une houle
Les horizons silencieux.
De doux conseils pernicieux
Dans le philtre nagent en foule
Le vin que l'on boit par les yeux
À flots verts de la Lune coule.
Le Poète religieux
De l'étrange absinthe se soûle
Aspirant, jusqu'à ce qu'il roule
Le geste fou, la tête aux cieux,
Le vin que l'on boit par les yeux !

À Colombine
Les fleurs pâles du clair de Lune,
Comme des roses de clarté,
Fleurissent dans les nuits d'été :
Si je pouvais en cueillir une !
Pour soulager mon infortune,
Je cherche, le long du Léthé,
Les fleurs pâles du clair de Lune,
Comme des roses de clarté.
Et j'apaiserai ma rancune,
Si j'obtiens du ciel irrité
La chimérique volupté
D'effeuiller sur la toison brune
Les fleurs pâles du clair de Lune !

Pierrot dandy
D'un rayon de Lune fantasque
Luisent les flacons de cristal
Sur le lavabo de santal
Du pâle dandy bergamasque
La fontaine rit dans sa vasque
Avec un son clair de métal.
D'un rayon de Lune fantasque
Luisent les flacons de cristal.
Mais le seigneur à blanche basque
Laissant le rouge végétal
Et le fard vert oriental
Maquille étrangement son masque
D'un rayon de Lune fantasque.

Pierrot au lavoir
Comme une pâle lavandière,
Elle lave ses failles blanches
Ses bras d'argent hors de leurs manches,
Au fil chantant de la rivière.
Les vents à travers la clairière
Soufflent dans leurs flûtes sans anches.
Comme une pâle lavandière
Elle lave ses failles blanches.
La céleste et douce ouvrière
Nouant sa jupe sur ses hanches
Sous le baiser frôlant des branches,
Étend son linge de lumière
Comme une pâle lavandière.

Valse de Chopin
Comme un crachat sanguinolent
De la bouche d'un phtisique,
Il tombe de cette musique
Un charme morbide et dolent.
Un son rouge – du rêve blanc
Avive la pâle tunique,
Comme un crachat sanguinolent
De la bouche d'un phtisique.
Le thème doux et violent
De la valse mélancolique
Me laisse une saveur physique,
Un fade arrière-goût troublant,
Comme un crachat sanguinolent.

Évocation
Ô Madone des Hystéries !
Monte sur l'autel de mes vers,
La fureur du glaive à travers
Tes maigres mamelles taries,
Tes blessures endolories
Semblent de rouges yeux ouverts.
Ô Madone des Hystéries
Monte sur l'autel de mes vers.
De tes longues mains appauvries,
Tends à l'incrédule univers
Ton fils aux membres déjà verts,
Aux chairs tombantes et pourries,
Ô Madone des Hystéries !

Lune malade
Ô Lune, nocturne phtisique,
Sur le noir oreiller des cieux
Ton immense regard fiévreux
M'attire comme une musique !
Tu meurs d'un amour chimérique,
Et d'un désir silencieux,
Ô Lune, nocturne phtisique,
Sur le noir oreiller des cieux !
Mais dans sa volupté physique
L'amant qui passe insoucieux
Prend pour des rayons gracieux
Ton sang blanc et mélancolique,
Ô Lune, nocturne phtisique !

Discographie modifier

Interprètes Éditeur Commentaire
Direction : Pierre Boulez ; récitante : Helga Pilarczyk Adès – 14.078-2 Enregistrement de 1961 ; l'interprétation du sprechgesang par Helga Pilarczyk est exceptionnelle.
Ensemble Avantgarde, direction : Hans Zender ; récitante : Salome Kammer Md&g (Dabringhaus & Grimm), #6130579 Édition du 22/08/1995
Direction : Pierre Boulez ; récitante : Christine Schäfer Deutsche Gramophon Enregistrement de 1998

Notes et références modifier

  1. Étant donné la qualité de ces incunables de la phonographie, ne pas trop essayer de comprendre les paroles, mais écouter la musique de la voix : voir ci-dessous "Liens externes".
  2. Encyclopædia Universalis, « PIERROT LUNAIRE », sur Encyclopædia Universalis (consulté le )

Liens externes modifier