Parti philosophique

Le « parti philosophique » désignait globalement au XVIIIe siècle, en France, les intellectuels partisans du mouvement des Lumières, par opposition au « parti dévot », catholique, et au jansénisme.

Denis Diderot, philosophe français des Lumières.

Définition modifier

Le terme philosophie est ici à prendre au sens large qu'il avait à l'époque : il couvre la connaissance en général, tant les spéculations intellectuelles que la science.

Dans l’Encyclopédie, Dumarsais ouvre sa définition de « philosophe » sur ces termes : « Il n’y a rien qui coûte moins à acquérir aujourd’hui que le nom de philosophe ». Après avoir critiqué ceux qui se considèrent comme philosophes juste « parce qu'ils ont osé renverser les bornes sacrées posées par la religion », Dumarsais met en parallèle la raison du philosophe à la grâce du chrétien : « La grâce détermine le chrétien à agir ; la raison détermine le philosophe » avant de conclure que « Le philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, & qui joint à un esprit de réflexion & de justesse les mœurs & les qualités sociables ».

C'est parce que nombreux représentants de ce parti ont collaboré à l'Encyclopédie que l'on parle également de parti encyclopédique.

Ce « parti » était informel et ne correspondait à aucune association instituée, ni à aucun organe politique proprement dit[1]. Les intellectuels attachés à ce parti n'étaient pas tous en contact les uns avec les autres : Diderot et Voltaire, par exemple, ne se sont jamais rencontrés.

Polarisation de la société intellectuelle française modifier

Cette dénomination évoque donc surtout la polarisation de la société intellectuelle française en deux réseaux d'influence, le parti philosophique, progressiste et matérialiste, d'une part et le « parti dévot », conservateur, d'autre part, dont l'opposition, virulente, laisse des traces dans la littérature, la politique et les journaux de l'époque.

Le parti encyclopédique s’affrontait avec le parti dévot sur certaines positions d’importance comme les sièges à l’Académie, comme le décrit Grimm dans sa Correspondance littéraire, philosophique et critique : « L’Académie, suivant l’usage de tous les corps, est partagée en deux partis ou factions : le parti dévot, qui réunit aux prélats tous les académiciens mincement pourvus de mérite, et d’autant plus empressés par conséquent à faire leur cour avec bassesse ; et le parti philosophique, que les dévots appellent encyclopédique, qui est composé de tous les gens de lettres qui pensent avec un peu d’élévation et de hardiesse, et qui préfèrent l’indépendance et une fortune bornée aux faveurs qu’on n’obtient qu’à force de ramper et de mentir. Ce dernier parti se fait gloire de compter parmi ses soutiens M. le prince Louis de Rohan, coadjuteur de Strasbourg ; M. le duc de Nivernois, M. l’archevêque de Toulouse, et s’est renforcé cet hiver par l’élection de M. le prince de Beauvau. Il y a au reste dans ces deux partis, comme entre deux armées opposées, un fonds de déserteurs qui se rangent, suivant la fortune, de l’un ou de l’autre côté, et dont l’un ou l’autre se fortifie en les méprisant également ; il y a aussi de ces âmes fières et libres qui dédaignent d’être d’aucun parti, comme M. de Buffon, par exemple, et que leur neutralité expose à la calomnie des deux factions ».

Programme politique modifier

 
Turgot, le « candidat » du parti philosophique.

Sur le plan politique, les Philosophes étaient partisans du despotisme éclairé qu’ils voyaient comme le moyen le plus efficace d’imposer très rapidement les réformes qu’ils voulaient, même si les remarques de Diderot, dans ses Observations sur le Nakaz, montrent son scepticisme quant au « despotisme éclairé »[2]. Les principaux despotes éclairés, comme Charles III d'Espagne, Marie-Thérèse et Joseph II d’Autriche, Frédéric II de Prusse, Catherine II de Russie, Gustave III de Suède, Maximilien III Joseph de Bavière, Ferdinand Ier des Deux-Siciles, ont ainsi entretenu une correspondance suivie avec les Philosophes, et certains d’entre eux les ont même soutenus financièrement.

La nomination de leur candidat, Turgot, au poste de contrôleur général des finances par Louis XVI, en aout 1774, suscita de grands espoirs au sein du parti philosophique. Lorsque Turgot fut nommé, les Philosophes espérèrent voir la réalisation de leurs espoirs de réformes, parmi lesquelles on comptait : la liberté illimitée du commerce amenée graduellement ; la suppression des droits les plus onéreux sur les consommations, et surtout de la gabelle ; l’abolition des corvées ; celle des usages les plus tyranniques nés de la féodalité ; les deux vingtièmes et les tailles convertis en un impôt territorial qui assujettirait la noblesse et le clergé aux charges communes ; l’égale répartition de l’impôt assurée par le cadastre général des terres du royaume ; la liberté de conscience ; le rappel des protestants ; la suppression de la plupart des monastères, en conservant aux moines les droits de propriétaires usufruitiers; le rachat des rentes féodales, combiné avec le respect pour la propriété ; l’abolition de la torture, un code criminel moins effrayant pour les accusés ; un seul code civil substitué aux dispositions incohérentes du droit coutumier mêlé avec le droit romain ; l’uniformité des poids et mesures ; la suppression des jurandes et maîtrises et de toutes les entraves apportées à l’industrie ; tout ce qui rendait les provinces françaises étrangères l’une à l’autre, et quelquefois ennemies, modifié ou écarté ; des administrations provinciales, composées de grands propriétaires, combinant avec ordre les intérêts municipaux, substituant l’utilité au luxe capricieux des monuments, perçant de nouvelles routes, joignant les fleuves et les mers par de nombreux canaux ; les riches abbayes tenues en réserve après la mort des titulaires ; l’aisance des curés et des vicaires assurée ; les philosophes invités à fournir au gouvernement le tribut de leurs observations philanthropiques ; la pensée rendue aussi libre que l’industrie ; un nouveau système d’instruction publique où tous les vieux préjugés seraient combattus ; l’autorité civile rendue indépendante du pouvoir ecclésiastique.

Le renvoi de Turgot, moins de deux ans plus tard, le , marqua la fin de ces espoirs que la Révolution allait remettre à l’ordre du jour.

Principaux acteurs modifier

Les philosophes modifier

Voltaire, les Encyclopédistes en général, Diderot, D’Holbach, Helvétius, Hume, Dumarsais, Turgot...

Les dévots modifier

Les Jésuites, Palissot, Jacob-Nicolas Moreau, Fréron, Joseph Giry de Saint Cyr

Curieusement, si l'on envisage son influence sur la Révolution française, Rousseau était plutôt hostile au parti philosophique qu'il associait — injustement — à un athéisme radical. Il parlait de « coterie holbachique », du nom du baron d'Holbach, qui était effectivement, pour sa part, très engagé dans l'athéisme.

Notes modifier

  1. Voir Mémoires historiques, littéraires et anecdotiques (…), tome 1, Londres, Colburn, 1814, p. 163.
  2. Jacques Chouillet, Anne-Marie Chouillet, « Diderot et les despotes », Mots, 1983, vol. 7, p. 31-49.

Bibliographie modifier

  • Pierre Hartmann, Diderot : la Figuration du philosophe, Paris, J. Corti, 2003 (ISBN 978-2-71430-806-1).
  • Pierre Hartmann, Le Philosophe sur les planches : l’image du philosophe dans le théâtre des Lumières : 1680-1815, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2003 (ISBN 978-2-86820-240-6).
  • (en) Alan Charles Kors, « The myth of the coterie holbachique », French Historical Studies, 9, (1976), 573-595, 1976.
  • Jin Lu, « Qu’est-ce qu’un philosophe ? » : éléments d’une enquête sur l’usage d’un mot au siècle des Lumières, Saint-Nicholas, Presses de l’Université Laval, 2005. (ISBN 978-2-7637-8299-7).
  • Henri Guillemin, Cette affaire infernale, Les philosophes contre Jean-Jacques Rousseau, Bats, Utovie, 2001. (ISBN 978-2-86819-729-0).

Sources modifier

Articles connexes modifier